29 septembre 2008

Instit, un métier très difficile : carte blanche à Jacques LIESENBORGHS

Réaction - enseignement - La Libre  - Mis en ligne le 29/09/2008

 

 

Oui, la plupart des instits sont "à la hauteur". Oui, une revalorisation du métier est urgente. C'est notre affaire à tous !
Ancien sénateur

Première année primaire, à Bruxelles, en ce beau mois de septembre 2008. Une classe de 22 bambins (tiens, Marie Arena avait promis-juré qu'on ne dépasserait plus les 15 élèves !). Peu de "têtes blondes" : on est en discrimination positive (enfin, c'est ce qu'on dit officiellement...). Plusieurs enfants ne parlent pas le français, quelques dyslexiques, quelques gauchers. Une situation parmi tant d'autres très comparables.

L'ordinaire, quoi, pour une jeune institutrice très motivée qui, un soir, reçoit dans la classe (presque) tous les parents. Dont plusieurs musulmans qui ont remis à plus tard la rupture du jeûne du Ramadan. Elle explique ce qu'elle fait en classe, ce qu'ils peuvent faire à la maison pour aider les gosses. Pas évident, en particulier quand des parents ne comprennent pas le français. Mais attendent avec beaucoup d'espoir une réponse affirmative à leur question : "Ca va avec Vlady ?".

En décalage total, un chroniqueur de La Libre se gaussait récemment, ici même (18-09), des résultats alarmants de jeunes candidat(e)s instits à un test de français : "ils ne seraient pas fichus d'enseigner en français correct !" (sic). À partir d'une seule situation : un test [?] dans une école supérieure en 1è année (quand ?), il laisse entendre que nos enfants et petits-enfants seraient confiés à des incompétent(e)s. Vu la gravité de la situation vigoureusement dénoncée, je m'attendais, de la part de l'éminent sociologue, à une réflexion pointue sur les causes et remèdes. Point du tout : le professeur s'offre "sur le dos" de ces jeunes étudiants un brillant exercice de style sur le livre et la lecture, la langue "qui ne se contente pas de décrire le monde, elle le fabrique".

Allons, prenons le taureau par les cornes et n'évitons pas la question délicate et difficile sous-jacente : les institutrices/teurs sont-ils "à la hauteur" ? A la terrible hauteur d'un métier extrêmement difficile et exigeant. Car il ne s'agit pas seulement de maîtriser la langue de l'enseignement ! Réponse : oui, la plupart d'entre elles et eux sont bien à la hauteur ! Mais, depuis quelques années, on constate qu'il y a un réel problème d'orientation. Pas seulement pour ce métier d'ailleurs : la ministre rappelait récemment le nombre d'échecs en première année du supérieur (toutes sections confondues) : plus de la moitié des inscrits, 57 pc !

Pour devenir instit, il ne suffit pas d'aimer les enfants ou l'école. Il faut évidemment maîtriser des savoirs. Beaucoup de savoirs, car l'instit est un polyvalent : il doit être à l'aise avec les cubes et les cylindres, la syntaxe et la grammaire, la géographie et l'histoire, les salamandres et les squelettes, la musique et j'en passe ! Et ce n'est pas tout. L'instit doit être capable d'organiser la vie d'un groupe, de réveiller la curiosité, de donner le goût de la recherche, de développer la solidarité, de refuser toute forme de violence, de redonner confiance aux déçus, de ne laisser aucun enfant "en rade". Et encore de travailler avec les parents, avec les collègues, avec des partenaires de l'école.

C'est donc un métier extrêmement difficile. Trop de jeunes (et d'adultes) l'ignorent. La première année des études supérieures doit les éclairer et aider un certain nombre d'entre eux à se réorienter ou, mieux, à combler leurs lacunes, s'ils s'accrochent en connaissance de cause. Mais osons aller plus loin encore : qui, aujourd'hui, choisit ce métier si complexe ? Si déterminant pour la suite de la scolarité des enfants. Qui sont ces jeunes qui vont avoir la lourde responsabilité d'apprendre à apprendre à des gosses très différents : les uns préparés par leurs familles à la culture de l'école, les autres à cent lieues de cet univers codé ? Les candidats ne présentent pas tous le même profil. Loin s'en faut. Mais il faut bien constater que pas mal d'étudiants ont d'abord tenté autre chose. Plusieurs ont déjà accumulé un lourd retard et un solide passé d'échecs. Cela ne veut pas dire qu'ils ne seront pas d'excellents instits. Mais quand même. Dans une société qui fait miroiter des images de la réussite qui riment avec fric, prestige et paillettes, l'enseignement ne représente pas un "maître choix". Tant mieux, cela éliminera d'office quelques flambeurs. Mais cette même société, c'est-à-dire nous, n'a pas été assez vigilante et a laissé se détériorer l'image et le prestige de tous les "métiers du cœur".

Beaucoup regardent avec condescendance celles et ceux qui choisissent de consacrer leur vie professionnelle à la santé ou à l'éducation et à l'instruction des petits et des tout petits (ou des vieux). Voilà qui en détourne d'autres jeunes. Où sont-ils les grands intellectuels, les grands défenseurs de la langue et de la culture qui souhaitent intimement que leur fils ou leur fille choisisse ces métiers ? C'est notre affaire à tous (1) de veiller à la revalorisation de ces professions. De refuser tout ce qui contribue à les discréditer. C'est trop facile de s'offrir un "succès" en vantant les mérites de la grammaire et de la syntaxe et surtout de le faire au détriment de celles et de ceux qui se battent tous les jours contre les effets sur leurs élèves de la folie publicitaire, du culte des vedettes, du zapping permanent, du règne du divertissement.

Revaloriser ces métiers ? Cela passe évidemment par le respect et les marques de considération des adultes, en particulier des parents. Aujourd'hui, cela passe aussi par des formations initiale et continuée, des rémunérations, une mobilité professionnelle, des soutiens à l'innovation, des conditions de travail... qui restent à inventer.

(1) "Écoles : notre affaire à tous - Éduquer pour demain", de J. Liesenborghs, à paraître pour le Salon de l'éducation, 16 octobre 2008
 

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