Tranche de vie d’une enseignante coordinatrice PIA pour les élèves à besoins spécifiques dans une école d’enseignement secondaire général

Contexte : le poste de coordinatrice PIA[1] existe depuis cinq ans dans l’école. Au début quelques heures étaient dévolues à ce poste pour arriver à l’heure actuelle à un temps plein pour les élèves à besoins spécifiques de la 1e à la 3e secondaire - 15/11/2019

Pour situer le contexte, quel type d’enseignement dispensez-vous dans votre établissement scolaire ? Quel est le nombre d’élèves à besoins spécifiques que vous accueillez actuellement dans votre école ? Combien avez-vous d’élèves en intégration ?

Nous accueillons un total de 1.200 élèves dans l’enseignement secondaire général et nous comptabilisons 80 élèves à besoins spécifiques qui ont rentré un bilan médical. Il y a bien évidemment d’autres élèves à besoins spécifiques qui n’ont pas rentré de bilan médical parce qu’ils s’en sortent comme ça ou qu’ils n’ont pas été diagnostiqués. On en découvre parfois encore en cours d’année en 3e et 4e secondaire. On en a un en 3e année qui vient d’être diagnostiqué au mois de mai dernier avec un TDA/H. Il y en a toujours qui passe à travers les mailles du filet. En intégration, nous avons 10 élèves.

Depuis quand êtes-vous coordinatrice PIA ?

J’étais enseignante en sciences dans cette école depuis 1993. Le poste de coordinatrice PIA existe depuis cinq ans, j’ai commencé il y a deux ans pour remplacer la personne qui occupait précédemment cette fonction. Cette personne avait au début quelques heures pour ce projet et ensuite elle a eu un mi-temps pour s’occuper des élèves de 1e et 2e secondaire. Quand j’ai commencé il y a deux ans, j’avais 18 h (2017-2018) et maintenant 22 h à temps plein, car je m’occupe des élèves de 1e, 2e et 3e secondaire. J’ai donc un horaire complet pour cet accompagnement. En 4e-5e et 6e, les élèves sont suivis par des coaches scolaires épaulés par des éducatrices de chaque niveau. Ce sera davantage du travail de coaching, de méthodologie. Les dossiers que j’ai établis en 1e, 2e et 3e se prolongent en 4-5-6. Les profs de 4-5-6 sont donc au courant de qui est élève à besoins spécifiques et ils peuvent consulter leurs dossiers en ligne à tout moment.

Comment communiquez-vous avec les parents et les enseignants ?

Dans la liste des élèves que chaque enseignant reçoit en début d’année, il y a une colonne particulière mentionnant le trouble d’apprentissage et s’il y a un PIA ou non. Dans le PIA, je mets tout : les renseignements que je reçois des parents, les bilans, le protocole. Tous ces documents sont consultables par les enseignants et les parents. Mais très peu de parents le demandent. De temps en temps, on envoie le PIA en version PDF aux parents pour qu’ils soient au courant de ce qui se passe. Chaque fois que je reçois un élève en rendez-vous, les parents reçoivent un rapport de ce qui a été décidé et des objectifs qui sont mis en place. Les parents ont un retour chaque fois que je vois leur enfant et les professeurs sont mis en copie des rapports.

Pour la mise en place des aménagements raisonnables (AR), on a établi un protocole, une espèce de contrat entre les professeurs, l’élève et les parents. Dans ce protocole, j’ai repris tous les aménagements qui existaient pour les troubles les plus courants chez nous. Au conseil de classe d’octobre, on a coché pour chaque élève les aménagements qui nous semblaient les meilleurs. J’ai fait un retour aux parents pour qu’ils en discutent avec leur enfant et éventuellement avec les spécialistes qui suivent leur enfant. Tout cela m’est revenu maintenant. Je les remets au propre. Les parents vont recevoir deux exemplaires, un à signer et à nous renvoyer et un autre qu’il garde. Ainsi c’est bien clair pour les parents et les enseignants. Donc, à partir du moment où on a mis en place des aménagements, on essaie de les tenir le mieux possible. On a eu l’année passée des mauvaises surprises ; à savoir des parents qui nous demandent la mise en place d’aménagements pendant les examens, alors qu’il n’y en avait pas eu pendant l’année. Maintenant les aménagements sont mis en place en début d’année et seront mis en place toute l’année, voire prolongés l’année suivante s’il n’y a pas de changements. Donc plus question de demander des aménagements en cours d’année, sauf cas exceptionnel. Certains élèves vont être équipés d’outils informatiques en cours d’année, cela sera rajouté évidemment dans les aménagements.

Comment avez-vous établi la liste des aménagements possibles ?

J’ai repris les fiches outils enseignants de la Fédération Wallonie Bruxelles, surtout celles qui concernent les troubles que nous avons fréquemment à l’école (dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, dyspraxie, dysphasie et TDAH) et j’ai repris les aménagements communs à ces différents troubles, il y en a 18. Les enseignants ont alors coché ceux qui convenaient mieux à tel ou tel élève. Cette liste est ensuite montrée aux parents, à l’élève et, le cas échéant, à la logopède. Les logopèdes ont parfois fait des retours, en suggérant d’autres aménagements.

Pour certains, je n’ai pas eu le temps d’aller au conseil de classe et j’ai alors fait l’inverse. Les parents et l’élève ont d’abord coché parmi les 18 aménagements et ensuite ceux-ci sont montrés aux enseignants.

Mes collègues de 4-5 et 6 font les protocoles avec les élèves directement, il y en a beaucoup moins, une dizaine. Parmi cette dizaine, il y en a la moitié qui est équipée d’outils informatiques parfaitement maîtrisés. Ils agrandissent eux-mêmes les schémas, changent la police et utilisent les scanners, font des photos. Ils ont appris à se débrouiller depuis plusieurs années.

Comment vous êtes-vous formée pour ce poste ?

Pour le PIA, j’ai dû me former sur le terrain. Les deux premières années et encore maintenant, je vais à toutes les formations, les conférences sur les élèves à besoins spécifiques. J’ai appris ainsi, j’apprends encore tous les jours et j’ai sûrement encore beaucoup à apprendre. Je vais d’ailleurs aller bientôt à une formation de trois jours avec le SeGEC[2].

Comment se fait-il que votre école consacre ainsi plus d’un temps plein aux élèves à besoins spécifiques ?

On a fait un choix de consacrer des heures à ce projet, l’école a mis des priorités dans ce projet plutôt que dans d’autres. Nous avons par exemple un éducateur en moins. Et certaines de mes heures viennent d’un appel à projets introduit l’an dernier. Grâce aux heures NTTP[3] reçues grâce à cet appel à projets, je bénéficie pour cette année d’un temps plein et quelques heures sont aussi attribuées aux éducateurs de 4-5-6 qui voient certains élèves pendant leur horaire. Il y a aussi des heures pour assurer le coaching et le suivi par deux professeurs de 4-5-6. Mais, même avec tout cela, nous sommes encore débordés. Ce subside est annuel, il n’est pas sûr que le financement soit reconduit l’an prochain.

Pouvez-vous m’en dire plus sur les animations « Dans la peau d’un dys » ?

En 1e année, ils ont des petits ateliers la 1e semaine de la rentrée : comment utiliser son journal de classe ? Comment s’orienter dans l’école ? Et j’organise un atelier « Dans la peau d’un dys », ils sont alors confrontés à des exercices ludiques comme s’ils étaient dyslexiques, dyspraxiques… J’essaie de montrer que tout le monde ne part pas avec les mêmes chances. Cette année-ci, dans une classe où c’était plus compliqué, nous avons refait une animation avec le CPMS.

Lors d’une journée pédagogique, nous avons pris deux heures sur la matinée pour réaliser cette animation avec tous les enseignants de l’école. Nous avons créé des petits îlots dans un grand local et chaque îlot représentait un trouble d’apprentissage. Mais les enseignants ne savaient pas de quel trouble il s’agissait, ils le découvraient à la fin de l’animation. Par exemple, il devait parcourir un labyrinthe mais en regardant uniquement dans un miroir, ils ne pouvaient pas regarder sur la feuille directement mais sur le reflet de la feuille dans le miroir. Il devait faire des lacets, mettre des boutons à une chemise, enfiler des perles avec des gants de boxe ou des maniques. Quand ils avaient fini l’animation, ils avaient le trouble qui était expliqué et j’ai donné à ce moment-là toutes les fiches enseignants de la FWB avec, au verso de chaque fiche, les noms de tous les élèves qui avaient ce trouble-là. Certains enseignants ont été vraiment interpellés, peut-être parce qu’eux-mêmes avaient souffert dans leur enfance de certains troubles. Ils se reconnaissaient dans ces troubles. Cela a été pour certains un déclic : ils se sont rendu compte que les élèves avaient aussi de grosses difficultés pour certaines manipulations, certains mécanismes en mathématiques par exemple. Quelques-uns ne sont pas du tout rentrés dans le jeu. Ils n’ont pas participé ou ont participé en se moquant un peu. Mais c’était vraiment un tout petit pourcentage. Pour la dyslexie, c’est plus facile d’imaginer, mais, pour d’autres troubles, certains enseignants étaient stupéfaits des conséquences des troubles.

Comment vos collègues ont-ils(elles) accueilli cette nouvelle casquette ?

Cette fonction existait déjà avant moi et il n’y a pas eu tellement de réticences. Cela s’est fait dans la continuité de la personne précédente. J’essaie d’être la plus transparente possible. Dès que je reçois des informations des parents ou de l’élève, j’essaie de les transmettre le plus vite possible aux enseignants. J’essaie d’être la plus compréhensive possible par rapport à leurs demandes et leurs réticences parfois. Je sais que ce n’est pas évident dans une classe de 24 ou 30 élèves quand il y a plusieurs aménagements à mettre en place et que ce sont des élèves différents. Il faut tenir compte de beaucoup de choses.

J’ai des retours parfois un peu compliqués de certains collègues par rapport aux AR. Cela coince souvent avec les profs de maths et l’utilisation de la calculatrice pour les dyscalculiques et les correcteurs orthographiques avec les profs de français. Les freins les principaux sont les suivants : « Qu’est-ce que les autres élèves vont dire ? », « Qu’est-ce que les parents vont dire si je laisse faire ceci à un tel et pas aux autres ? », « Je ne suis pas juste ». Maintenant il y a des professeurs qui ont compris que, si j’enlève mes lunettes, je ne sais plus rien faire, donc je dois comprendre que, si un élève a des troubles et que si je ne lui mets pas certains aménagements en classe, il ne pourra rien faire non plus. « Oui, mais quand il sera dans le supérieur, on ne lui fera pas de cadeau ». Je leur réponds que les aménagements continuent dans le supérieur et que cela va parfois plus vite que dans le secondaire. J’ai aussi eu une fois une question : « Est-ce que, sur son diplôme, ce sera noté qu’il a eu certains aménagements ? » Heureusement, ce n’est qu’anecdotique.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée en prenant cette fonction ?

Les exigences de certains parents par rapport à leurs enfants et à ce qu’ils estiment que l’école doit mettre en place. Ils me prennent parfois pour une logopède et ils voudraient que je règle tous les soucis, alors que je vois leur enfant une heure toutes les quatre semaines dans mon bureau. Des parents attendent beaucoup de l’école et ne font pas toujours tout ce qu’il faut de leur côté. Mais, d’autre part, on a des parents très reconnaissants et qui nous disent merci pour tout ce qu’on fait. Hier, on a eu une réunion pour les élèves en intégration et on a rencontré des parents vraiment heureux, qui remercient pour tout.

On fait déjà beaucoup de choses par rapport à d’autres écoles. On sent qu’il y a des parents démunis et qui ont besoin d’un coup de pouce. Parfois les parents qui ont leur enfant en intégration pensent que la personne de l’intégration va pouvoir tout faire. Or elle n’accompagne l’enfant que quatre heures par semaine. Par exemple ceux qui débutent les tablettes devraient faire des stages en plus, se former à la maison, tout ne peut pas être fait à l’école.

Un beau souvenir ?

Très récemment, une réunion avec les parents d’enfants de 1e année en intégration, avec des parents qui ont les larmes aux yeux parce qu’ils sont tellement heureux qu’on s’occupe de leur enfant et que l’on fasse tout ce qu’on peut pour que leur enfant puisse rester dans l’enseignement ordinaire.

La soirée « mamans boîte à outils » de l’UFAPEC et l’APEDA où des parents viennent nous dire merci.

Voir les enfants qui s’épanouissent à l’école et qui vont vers leurs projets, pas forcément ici à l’école. On leur a donné un petit coup de pouce et ils sont arrivés là où ils voulaient arriver. Ça c’est gai. Souvent en fin de journée, on a tendance à ne retenir que le négatif. Mais quand on reçoit des mails des parents au retour des rapports et qu’ils disent qu’ils sont contents, cela ça fait du bien.

Quels freins rencontrez-vous encore ?

Je ne rencontre pas de freins des élèves eux-mêmes, si ce n’est que certains sont ennuyés de venir près de moi.  En 1e et 2e, j’essaie de les voir une fois par mois en plus de tous ceux qui ont eu trois échecs à leurs bulletins et les doubleurs. Et j’essaie de les voir quand ils n’ont pas de cours généraux. En 2e, parfois, l’intervalle entre deux rendez-vous est de 5-6 semaines. Pour les 3e, c’est plus long : 7-8 semaines. Cela dépend un petit peu des difficultés qu’ils rencontrent.

Les autres freins concernent les parents qui ne sont pas toujours très collaborants et qui sont très exigeants. Les professeurs ne sont pas toujours d’accord avec les aménagements ou alors ils oublient. Ils vont, par exemple, barrer en rouge une évaluation d’un dyslexique et mettre manque de travail. En attendant, on a cassé un peu l’enfant. Je dois alors réparer les pots cassés, car c’est à moi tout de suite que les parents téléphonent. Je dois essayer alors d’un peu temporiser les choses.

J’ai carte blanche de la direction et je suis soutenue à 200 %. C’est fondamental. Quand il y a parfois des soucis avec des parents, la direction me soutient. J’ai suivi pas mal de formations la première année et cela a toujours été oui.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Notre nouveau projet a démarré en septembre. On voudrait aussi mettre quelque chose sur pied en extrascolaire pour les enfants à haut potentiel qui sont très sensibles et pas toujours écoutés. On a une radio à l’école et beaucoup d’enfants à haut potentiel (HP) se sont retrouvés comme animateurs radio sans le savoir. On est en réflexion, car nous avons peur de le faire à l’école pendant les heures scolaires et de risquer alors qu’ils se sentent fort stigmatisés. On a envie de mettre sur pied un espace de paroles, mais on réfléchit encore à l’organisation pour qu’ils ne se sentent pas ciblés mais qu’ils puissent discuter entre eux et échanger des choses. On aimerait aussi pouvoir sensibiliser les profs au haut potentiel. C’est, en effet, difficile de savoir comment les aider.

Nous avons aussi le projet d’organiser une soirée sur le thème des élèves HP. Nous avons également le projet de faire des animations en 2e en classe, car certains élèves à besoins spécifiques se sentent stigmatisés. Quelques autres élèves pensent que c’est de la tricherie. Ils ne comprennent pas toujours que certains soient équipés d’un PC avec correcteur orthographique.

Quelque chose à rajouter ?

Je trouve qu’il y a de plus en plus d’enfants avec des troubles d’apprentissage, je ne sais pas s’il y en a plus ou si c’est mieux diagnostiqué. Mais je trouve qu’un poste comme le mien est indispensable dans chaque école. Même si on ne sait pas toujours faire tout ce qu’ils demandent, c’est important d’au moins les écouter et leur dire que, même s’ils sont différents des autres, ils ont plein de qualités, de ressources. C’est vraiment important de mettre en avant leurs points positifs et leurs forces même si on ne sait pas tout résoudre. C’est vraiment important de les entendre et de les écouter.

 

 

Interview réalisée par Anne Floor le 7/11/2019.

 

[1] PIA : Plan individel d’apprentissage

[2] Secrétariat général de l’enseignement catholique.

[3] Nombre total de périodes professeurs.

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