Analyse UFAPEC décembre 2012 par M. Lontie

32.12/ Neues Lernen, le plaisir d’apprendre

Introduction

Qu’est-ce que les « Neues Lernen » ? Et d’abord, qu’est-ce que ces termes allemands signifient ? Littéralement, ils pourraient être traduits par « Nouveaux apprentissages ». Concrètement, il s’agit d’une dynamique pédagogique qui vise à varier les modes d’apprentissage dans le but de répondre au fonctionnement multiple du cerveau humain. En effet, les outils développés aujourd’hui dans le cadre des Neues Lernen sont héritiers de théories de la neuropsychologie et de la pédagogie. Nous commencerons notre analyse en appréciant les deux théories qui constituent actuellement l’axe principal du développement des Neues Lernen : la suggestopédie de Georgi Lozanov et la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner.

Si grand nombre, voire toutes les matières enseignées à l’école pourraient se faire selon la dynamique des Neues Lernen, celle-ci a d’abord fait ses preuves dans l’apprentissage des langues étrangères. Encore aujourd’hui, ce sont les enseignants de ces matières qui recourent le plus souvent aux outils et techniques des Neues Lernen. A ce jour, deux écoles du réseau libre confessionnel en Fédération Wallonie-Bruxelles proposent des cours de langues suivant une méthode qui suit cet héritage, développée au niveau européen par une américaine qui enseigne au Lichtenstein, Beckie Moore, sous l’appellation « Atelier Neues Lernen » : l’Institut Saint-Joseph de Ciney et la Communauté scolaire libre Georges Cousot de Dinant, une école à vocation technique et professionnelle. A l’Institut Saint-Joseph, c’est un professeur du secondaire supérieur qui s’est un jour intéressé à la démarche. Cet intérêt fut suscité par de nouvelles formations proposées par la cellule Europe du SeGEC[1], à l’initiative de son responsable, Bruno Mathelart. A la suite de cela, des outils ad hoc ont été élaborés par le SeGEC et proposés aux enseignants des deux écoles et en fonction des besoins spécifiques à chaque âge. Ces enseignants ont à leur tour été formés. Notre analyse présente en son corps une double rencontre : dans un premier temps, le lecteur sera plongé dans l’atmosphère d’une classe d’anglais de 2ème secondaire, celle d’Isabelle Broers. Nous aurons ensuite un aperçu de la vision de Bruno Mathelart quant aux Neues Lernen, à leur intérêt, à la suite de leur mise en place dans notre réseau.

Pour conclure, il nous faudra interroger les objectifs de la dynamique « Neues Lernen » ainsi que ses avantages, ses limites et ses possibilités de développements futurs. Enfin, nous proposerons un positionnement global, au regard de ce que nous aurons développé au fil de l’analyse.

Les théories fondatrices

Chronologiquement, la première des théories fondatrices des Neues Lernen, c’est la suggestologie, développée dans les années ‘60 par un médecin et psychopédagogue bulgare du nom de Georgi Lozanov. Il s’agissait en fait pour lui de « trouver la clé du contrôle conscient de l’inconscient »[2]. Ses théories se sont traduites par le développement de pratiques pédagogiques sous le nom, mieux connu, de « suggestopédie ». Avec la suggestopédie, l’enseignement se pratique désormais par la suggestion et l’activation de diverses zones du cerveau qui participent aux apprentissages sans en avoir l’air. Car en fait, la suggestion fait partie de nous et de notre relation avec ce qui nous entoure : nous n’en avons généralement pas conscience parce que la majeure partie du travail se réalise dans notre inconscient. Mais pour apprendre quelque chose en particulier, il faut une activation. Soit une programmation consciente du travail que l’on voudra suggérer à l’inconscient. Le rapport relationnel avec l’enseignant et avec les autres apprenants est essentiel dans cette pratique pédagogique. Idem pour le rapport aux choses et à l’environnement. La suggestopédie donne une place prépondérante à l’émotion quand les pédagogies traditionnelles accordent cette place à la raison. Elle propose une « atmosphère plaisante des cours fondés sur des exercices de groupe et sur des dialogues vivants qui savent faire leur place à l’émotion, à la fantaisie, à l’humour et à la poésie »[3]. Outre les moments d’activité, des moments de « passivité active » sont dégagés : écoute de dialogues avec fond musical, relaxation favorisant la mémorisation d’éléments vus ou entendus récemment,…

Une autre théorie essentielle au développement des Neues Lernen est la théorie des « intelligences multiples » d’Howard Gardner[4], laquelle remonte au début des années ‘80. Selon cette théorie, il existe chez l’homme plusieurs types d’intelligence, qui n’utilisent pas forcément les mêmes régions du cerveau. Gardner en distingue huit : le type intrapersonnel (favorisant la concentration, la réflexion individuelle), le type interpersonnel (aimant la vie de groupe, collaborant et se formant au contact des autres), le type naturaliste (développant des structures, faisant des regroupements et des découpages, notamment en lien à l’environnement), le type kinesthésique (s’engageant physiquement et apprenant en agissant), le type musical (assimilant mieux les contenus rythmés ou entendus sur fond musical), le type spatial (ayant besoin d’images, de graphiques, de diagrammes ou schémas), le type linguistique (pensant en mots, aimant les dialogues et ayant besoin de supports écrits) et le type logico-mathématique (cherchant à résoudre des problèmes, calculant, déchiffrant, programmant). Chez les individus, les différents types se développent de façon inégale, au gré de la génétique, des rythmes de développement, des affinités et des habitudes, des sollicitations de l’environnement (par exemple familial). Ce qui ne signifie pas que nous fonctionnons selon un seul type, mais que nous sollicitons plus volontiers certains types que d’autres. Or, les pédagogies traditionnelles favorisent certains types plutôt que d’autres (intrapersonnel, linguistique et logico-mathématique essentiellement).

Les Neues Lernen ont pour objectif avoué de varier les activités en fonction de cette multiplicité d’intelligences en nous. Ceci au bénéfice de tous : ceux qui ne fonctionnent pas avec les types sollicités dans les apprentissages traditionnels se voient mieux respectés et voient un plus grand intérêt dans ce qui leur est communiqué et enseigné (ce qui explique en partie les difficultés de scolarité de nombre d’entre eux dans le cadre d’un enseignement traditionnel[5]) ; ceux qui fonctionnent prioritairement avec ces types d’intelligences sont amenés à s’enrichir d’autres modes de fonctionnement.

Une atmosphère vivifiante

« Institut-Saint-Joseph de Ciney. Un vendredi. 13h00. La sonnette retentit dans la cour. Les petits attroupements se font et se défont au compte-goutte. Les élèves convergent vers un endroit indiqué, qu’ils connaissent. Ils savent où ils sont attendus. Les uns vont vers les vestiaires de la salle de gym, d’autres ont cours dans le bâtiment « Europe ». Presque comme un seul homme, les profs surgissent de leur local, sis dans le bâtiment « Béjart ». Certains ont encore le goût du café aux lèvres. Parmi eux, Isabelle Broers. Elle est prof de langues modernes dans le secondaire inférieur. Aujourd’hui, à cette heure-ci, elle a cours d’anglais avec les deuxièmes dans l’une des deux salles de classe dédiées aux Neues Lernen. Celle-ci se trouve dans le bâtiment « Icare ». Les professeurs de langues suivant la méthode Neues Lernen y ont entreposé une grosse partie de leur matériel. Dans une armoire et dans un coin. Car la classe est partagée avec l’option théâtre. La pièce est encore vide mais les élèves commencent à s’agglutiner autour de la porte. Il n’y a pas de bancs. Les chaises sont alignées serrées le long des baies vitrées, ce qui laisse un grand espace libre au centre de la classe. Sur le dossier, nous remarquons des petits cartons de couleurs. Quatre couleurs, pour quatre lettres : « T », « E », « A », « M ». Une lettre et une couleur par chaise. Avant de laisser entrer les élèves, Isabelle Broers demande l’aide de quatre volontaires. Les doigts se lèvent, quelques élèves sautillent et sollicitent le professeur de quelques « Moi, Madame ! ». Aussitôt choisis, les quatre volontaires se ruent dans la classe et installent les chaises en cercle. La chaise « T1 », suivie de la chaise « E2 », suivie de la chaise « A3 », suivie de la chaise « M4 », suivie de la chaise « T5 » et ainsi de suite. Ceci fait, les volontaires distribuent les cartons avec les mêmes lettres et couleurs chiffrées aux élèves qui entrent. Chacun doit s’asseoir sur la chaise correspondant à son carton. Pour moi, ce sera la T13. Isabelle Broers m’explique :

  • Ce système nous permet de créer facilement et rapidement des sous-groupes de travail. Tous les « T » ensemble, tous les chiffres impairs, ou, le plus souvent, on les fait travailler par quatre, en équipes (team, en anglais). Dans ce cas chacun a un rôle prédéterminé par sa lettre. Le « T » recentre le groupe sur la tâche et veille au respect du timing (task & time), le « E » encourage l’ensemble de l’équipe (energy), le « A » est le porte-parole de l’équipe (announcer) et le « M » se déplace si nécessaire et rassemble le matériel utile (movement & material). Comme les attributions sont redistribuées à chaque cours, les élèves auront pu occuper sur l’année plusieurs fois chaque rôle, qui réclame des compétences chaque fois différentes. En plus, ce système permet de ne pas avoir toujours les mêmes élèves ensemble dans les groupes et assis à côté du même camarade de classe à chaque cours.

Le cours commence, par une petite séance de « Brain Gym »[6]. Mme Broers fait résonner la classe d’une musique entraînante et c’est parti pour un peu de gymnastique ! Le tout en anglais :

  • Put your elbows on your knees. Rhythmically, one-two ! With liveliness ! Higher your knees, Jessica ! And now… stretching of the arms and fingers ![7]

Désormais tous assis, des murmures, des mots glissés aux creux des oreilles et des petits rires se déclarent çà et là. Ma présence intrigue les élèves, qui s’interrogent. Ce qui n’échappe pas à Mme Broers. Elle décide d’en tirer profit :

  • Well, as you can see somebody joined us today. He’ll stay for the whole lesson. Who wants to ask him a question?[8]

Et les questions fusent. Parfois en anglais, parfois en français. Dans le second cas, Isabelle Broers rappelle :

  • In English, please ![9]

Je réponds à leurs questions, en anglais.

Le cours continue. Une élève est interrogée sur les verbes irréguliers vus pendant les cours précédents, puis une autre et encore un autre. Les infinitifs sont écrits sur des cartons et posés au sol. Les élèves prennent les cartons les uns après les autres et donnent la forme du simple past[10]. Puis inversement, on passe du simple past à l’infinitif. Ils sont volontaires et ils seront notés. Ceux qui ne sont pas sélectionnés sont déçus. Car ils ont étudié. Ce sera pour une autre fois.

Changement d’activité. Par deux, les élèves ont vingt minutes pour répéter deux morceaux du dialogue qui sert d’épine dorsale à l’ensemble des activités du moment ; ils en sont au dialogue 4. Les élèves ont déjà répété et ils se sont munis d’artefacts pour les aider dans leur jeu théâtral. A l’issue du temps imparti, plusieurs groupes présenteront le dialogue. Toujours aussi volontaires, ils sont notés pour leur prestation.

La dernière activité du jour consiste à retravailler autour du vocabulaire du dialogue 4. Mais pas n’importe comment. En équipes de quatre, en « team », les élèves doivent reclasser les mots sous forme de « Mind Map »[11] (cf. exemple du ‘Time management’ ci-dessous).carte de time managementChaque groupe décide lui-même comment il va classer les mots. Ensuite, chacun recopie pour lui le diagramme. En guise de devoir, Mme Broers demande aux élèves de faire un dessin à côté d’une majorité de ces mots, pour en favoriser la mise en mémoire par une accroche visuelle. Elle vérifiera au prochain cours que la tâche a bien été réalisée. Il ne reste plus qu’à tout replier et ranger, dans un brouhaha croissant : les portes du weekend s’ouvriront toutes grandes dès que le seuil de la classe aura été passé ! »

 cartes classées selon un shéma au sol

 Faire bouger les élèves, mais d’abord faire bouger les profs

Professeur pendant 15 ans, Bruno Mathelart ne conserve pas que de bons souvenirs de ses années d’apprentissage : « la manière de m’enseigner les choses ne me correspondaient pas ; je ne peux pas dire que j’étais heureux d’apprendre ; ce qui ne m’a cependant pas empêché de devenir prof… ». Il passe ensuite par le Centre d’Animation en Langues, une asbl qui avait pour mission d’encourager de façon créative la communication et l’ouverture à la culture et à la langue de l’autre. C’est dans ce cadre qu’il se rend en Autriche pour une rencontre internationale où il anime un atelier basé sur un conte qui existe en 29 langues. Il y rencontre la pédagogue américaine Beckie Moore, qui anime alors un atelier sur les Neues Lernen. Elle développe des cours selon cette méthode au Lichtenstein. Très vite, Bruno Mathelart mord à l’hameçon et s’investit dans un projet devenu européen. C’est en 2002 qu’il rejoint la Cellule Europe du SeGEC. Grâce à la FOCEF[12], le CECAFOC[13] et Actions-Langues Verviers[14],il propose progressivement des outils et des formations à destination des enseignants : « Avant de faire bouger les élèves, il faut d’abord faire bouger les profs ». Et il faut qu’eux aussi voient l’intérêt, mordent à leur tour à l’hameçon. Bruno Mathelart nous dit : « Les Neues Lernen, ce n’est pas seulement une méthode qui s’intéresse aux intelligences multiples, c’est une philosophie de l’éducation et une philosophie de l’apprentissage. (…) Cela réclame des compétences en termes de management des intelligences et les professeurs ne sont pas formés à ça via leur formation initiale. Il y a des contraintes propres, qui sont autant de chances :

  • il faut veiller à développer toutes les formes d’apprentissage
  • il ne faut pas abandonner ce qui ne correspond pas à sa personnalité (par exemple, certains profs ne sont pas nécessairement prêts à faire du « Brain Gym », d’autres rechignent à faire des jeux de rôle,…)
  • le secret du succès des Neues Lernen réside dans la surprise et le changement, il faut perpétuellement varier le cadre et les types d’activités (sortir dehors, changer les lieux d’apprentissage, échanger de classe avec un autre enseignant, fusionner les classes, bouger, faire de la relaxation, utiliser des images, recourir au chant, au théâtre, à la musique classique, baroque[15] et autres,…)
  • ·l’idéal, c’est de travailler en équipes de professeurs, en pointant les qualités, les compétences et les originalités propres à chacun, ce qui demande le temps de la coordination et la contrainte de se mettre au même rythme.
  • s’adapter aux aléas du système scolaire tel qu’il s’impose (rythmes scolaires, moyens matériels,…).
  • la variété et le type d’activités impliquent une grande clarté des consignes, un rappel du cadre à chaque instant et un respect permanent de ce cadre et des consignes.
  • enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut pouvoir obtenir le respect de ses élèves et leur rendre ce respect ».

Laisser du temps au temps

Mais tout ne repose pas uniquement sur les seules épaules du professeur. La question du matériel est importante. Tant Isabelle Broers que Bruno Mathelart nous ont d’ailleurs parlé de la richesse des infrastructures et du matériel mis à disposition des enseignants de Neues Lernen au Lichtenstein... Il est par exemple intéressant d’avoir un local dédié : cela permet d’avoir un lieu pour le stockage du matériel (propre au Neues Lernen ou pas[16]) ou d’afficher des informations sur les murs qui restent en permanence disponibles au regard des élèves. En effet, les Neues Lernen nécessitent des infrastructures particulières, des aménagements horaires particuliers et du temps. « Il faut laisser du temps au temps », martèle Bruno Mathelart. Les cours de 2ème et 3ème langue ne dépassent pas 4h mais, nous dit-il, dans l’idéal, il faudrait que les élèves suivent la méthode Neues Lernen sous le modèle 3h+2h. C’est possible actuellement, mais l’heure d’activité complémentaire doit alors proposer autre chose que du « pur apprentissage ». Ainsi, à Dinant, le professeur de rhétorique qui dispense les cours selon la méthode bénéficie d’une heure supplémentaire sous forme de « coordination pédagogique ». Mais pourquoi est-ce si important de regrouper les heures quand on fait des Neues Lernen, indépendamment du fait que ça permet de gagner un peu de temps sur les intercours ? En fait, il y a au moins trois raisons essentielles à cela. La première, c’est qu’il faut chaque fois préparer la classe de façon ad hoc et en fonction des activités du jour. La deuxième, c’est qu’une séance de cours de Neues Lernen doit passer par plusieurs phases différentes pour être complète : une phase de mise en activité, une phase de rappel rapide d’éléments vus récemment, une mise en contact avec des éléments ou du vocabulaire complètement nouveau, une phase d’écoute active de dialogues, un peu de grammaire[17], une phase d’écoute passive de dialogues, des activités de réappropriation de choses apprises précédemment, une phase de relaxation… Et même si chaque cours ne doit pas systématiquement passer par chacune de ces phases, c’est un programme qu’il serait impossible à tenir en 45 minutes ! La troisième, c’est que le principe des Neues Lernen, c’est le « learning by doing » (apprendre en faisant), et qu’évidemment ça prend du temps. En insistant sur la communication et en variant les dispositifs de relation et d’expression au détriment d’un apprentissage plus technique de la langue, il est clair que l’on peut s’attendre à des résultats différents quant au type de connaissance que l’élève aura d’une langue. Ici, c’est l’usage qui compte, plus que la justesse et la rigueur, plus que la connaissance des exceptions. Ce n’est pas grave si l’élève commet des erreurs. L’important, c’est qu’il comprenne le message et qu’il soit capable d’y répondre en se faisant comprendre. La crainte de l’erreur a tendance à paralyser les élèves, ce contre quoi les Neues Lernen entendent lutter. Un autre idéal lié à la nécessité de laisser le temps au temps pour donner à la méthode toutes ses chances d’efficience serait, selon Bruno Mathelart, que les élèves qui ont commencé à étudier une langue avec les Neues Lernen continuent avec ce mode d’apprentissage jusqu’à la fin de leur cursus secondaire.

Conclusion

Mais concrètement, qu’apportent les Neues Lernen ? Quels sont leurs avantages et, a contrario, quelles sont leurs limites ? Ce que doivent apporter les Neues Lernen, c’est d’abord un apprentissage plus rapide et efficace d’une matière. En effet, l’objectif essentiel des Neues Lernen est d’imprimer les apprentissages dans la mémoire à long terme, de favoriser les usages futurs. Ceci, pour tous les élèves, dans l’écoute de ses capacités particulières, et dans le souci de créer un cadre où chacun prend plaisir à apprendre. Pour le moment, l’accent est porté sur l’apprentissage des langues étrangères. Non sans raison. Dès les années ’60, la suggestopédie avait montré son efficacité dans ce domaine en particulier. Par ailleurs, et il s’agit ici d’une appréciation d’ordre pratique, dans l’apprentissage des langues tout est prétexte à étude ; ceci permet une grande modularité, intéressante pour l’enseignant qui doit toujours varier et surprendre son public. Mais attention, Bruno Mathelart le remarque bien, les autres cours pourraient très bien être enseignés dans la perspective des Neues Lernen. En fait, il apparaît que l’apprentissage par les Neues Lernen repose pour beaucoup sur la personnalité de l’enseignant et sur sa capacité à faire bénéficier aux élèves de ses qualités et sensibilités. En ce sens, elles sont adaptables à tous les cours et à tous les publics en fonction des qualités personnelles du professeur.

En ce qui concerne la Fédération Wallonie-Bruxelles en général, et l’enseignement libre en particulier, il est un peu prématuré d’évaluer les effets des Neues Lernen sur les compétences réellement acquises par les élèves étant donné que ceux qui ont commencé avec la méthode en première année sont aujourd’hui en cours de troisième. Il faudra attendre la fin d’un cycle complet d’étude pour observer les acquis en regard de ceux obtenus par les méthodes traditionnelles. A Ciney, les professeurs des autres cours remarquent cependant que les élèves qui suivent les cours de langue via la dynamique des Neues Lernen (les élèves ont en effet le choix de la suivre ou de préférer la méthode traditionnelle) sont plus participatifs et s’expriment davantage en classe. Mais ceci n’est pas encore mesurable et il s’agit d’appréciations subjectives et partielles. Ce que l’on peut cependant déjà affirmer suite à notre passage chez Isabelle Broers, c’est que les élèves prennent plaisir à participer aux activités proposées. Le pari sera réussi si ces élèves peuvent montrer qu’ils s’expriment avec davantage d’aisance dans la langue cible, qu’ils ont moins de réticences à engager une conversation avec un natif et qu’ils ont emmagasiné un ensemble de mots, d’expressions et de structures de phrases suffisants pour y parvenir à leur sortie du secondaire. A Ciney, les enseignants relèvent toutefois déjà quelques bémols au vu des objectifs fixés au départ. S’il était préalablement prévu que les élèves travaillent douze dialogues en deux ans, dans les faits ils ne sont qu’à la moitié du chemin. Les professeurs éprouvent une autre déception, nous dit Bruno Mathelart : « à leurs yeux, les productions des élèves manquent d’envergure ».

Bruno Mathelart entend continuer à développer les Neues Lernen dans notre réseau. Il constate d’ailleurs une demande croissante d’informations et de formations en provenance d’enseignants et d’établissements. C’est pourquoi il envisage plusieurs mesures pour soutenir le projet. Un groupe d’accompagnement composé d’un panel varié d’experts sera mis en place, comme c’est le cas pour l’immersion. Un dossier avec les caractéristiques, les forces et les faiblesses de l’outil sera constitué. Il devra apporter de la clarté et rassurer les enseignants qui ont besoin de règles et de modèles d’évaluation et répondre à une question précise : cet outil permet-il d’atteindre les socles de compétences[18] ? Outre cela, Bruno Mathelart veut soutenir les projets en cours et développer des projets pilotes dans les autres provinces (à ce jour seule Namur est représentée). Il pense aussi organiser des formations de formateurs, d’abord pour le cours d’anglais, qui proposeraient l’approche d’une large panoplie d’outils. Enfin, il souhaiterait aussi toucher les familles et verrait bien des petites séances d’informations à destination des parents.

L’UFAPEC se réjouit de cette dernière initiative et appuie l’exploration de nouvelles dynamiques d’apprentissage. En particulier lorsque l’objectif majeur de ladite dynamique est d’améliorer les compétences de TOUS les enfants et de leurs modes de fonctionnement, d’appropriation et d’acquisition individuels. En tenant compte de ses apports divers, l’approche des Neues Lernen nous semble donc être une piste souhaitable à explorer pour participer à la lutte contre l’échec et le décrochage scolaire. Ceci dit, les outils actuellement mis en place doivent encore faire certaines preuves ; il faut leur en laisser le temps. Concernant les langues, il était urgent d’explorer des pistes nouvelles et axées davantage sur l’expression et l’usage régulier et répété de la langue cible. L’immersion fut une première réponse, laquelle doit encore être évaluée (notamment quant au rapport gains/coûts). Les Neues Lernen, grâce notamment aux apports de la suggestopédie, apportent une alternative selon nous intéressante (notamment pour les cours de langue dans le qualifiant). Ceci à plus forte raison que le rédacteur de la présente analyse a lui-même donné des cours sur base des techniques proposées par les Neues Lernen à un public adulte voici quelques années et que nous avons pu apprécier leurs apports bénéfiques. Il nous fallait voir comment cela pouvait être intégré dans notre système scolaire et pour un public plus jeune. Nous y avons vu de nombreuses promesses. Restons cependant prudents et saluons la sagesse des projets pilotes actuels. L’usage des Neues Lernen n’a pas été généralisé et le choix est laissé à chacun d’opter pour la méthode que l’on souhaite pour son enfant. Le mieux, sans doute, et quand ce choix est possible, est de laisser l’enfant essayer les deux possibilités d’apprentissage qui lui sont offertes et de le laisser décider ce qui lui parle et lui convient le mieux.

Enfin, pour être plus efficientes, les Neues Lernen nécessitent des infrastructures et des moyens particuliers. Ceci ne signifie pas qu’on ne peut pas faire de Neues Lernen avec peu de moyens mais qu’avec davantage de moyens, les possibilités de varier les formes d’apprentissages (nous l’avons pointé l’un des secrets essentiels de la dynamique) seront plus aisées et un tel cours sera plus facile à mettre en place par l’enseignant. Autre élément crucial : le fait de disposer d’un local dédié. En termes de nombre d’élèves, la classe que nous avons visitée était une classe de langue « normale », constituée de 24 élèves. Nous pouvons supposer que l’on pourrait faire mieux avec moins d’élèves – mais pas nécessairement beaucoup moins puisque le nombre permet la variété et donc la richesse des interactions au fil des cours[19]. Reste à savoir si toutes les écoles désireuses d’entrer dans ce type de projets auront les moyens humains et matériels de le faire dans de bonnes conditions (à défaut de conditions idéales). Le plus important, c’est que la dynamique soit soutenue par tous les acteurs à chaque niveau de la chaîne, de l’élève à l’enseignant en passant par la direction, le Pouvoir Organisateur et les parents. D’où la nécessité d’une implication et d’une information de chacun en fonction de ses besoins.

 

Michaël Lontie

 

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.

 



[1]Le SeGEC, pour Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique, représente les PO (Pouvoirs Organisateurs) des écoles du réseau libre catholique.

[2]LERÈDE, J., « La suggestopédie de Lozanov, une révolution dans l’enseignement ? », in Revue des sciences de l’éducation, volume 6, n°1, 1980, p. 137 : http://id.erudit.org/iderudit/900273ar.

[3]Ibidem, p. 138.

[4]Celle-ci avait déjà été évoquée dans une précédente analyse de l’UFAPEC : HOUSSONLOGE, D., L’intelligence émotionnelle, une des clés de la réussite scolaire, Analyse UFAPEC n°03.12, février 2012 :

http://www.ufapec.be/nos-analyses/0312-intelligence-emotionnelle/.

[5]C’est ce qu’ont démontré les recherches de Raymond Leblanc menées sur bas du modèle des intelligences multiples dans les années ’90 : LEBLANC, R., « Une difficulté d’apprentissage : sous la lentille du modèle des intelligences multiples », in Les difficultés d’apprentissage, Volume XXV, n°2, automne-hiver 1997 : http://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/25-2/r252-02.html.

[6]Il s’agit de gymnastique réalisée simultanément à des activités cérébrales, comme par exemple des rappels d’apprentissages antérieurs. Le « Brain Gym » fait donc office d’échauffement à la fois physique et cortical.

[7]Traduction : « Mettez vos coudes sur vos genoux. En cadence, un-deux ! Avec entrain ! Plus haut tes genoux, Jessica ! Et maintenant… étirement des bras et des doigts ! ».Le professeur ne parle qu’anglais aux élèves. Si, pour une raison particulière, le recours au français s’impose, un lieu y est dédié dans un coin de la classe.

[8]Traduction : « Bien, comme vous pouvez le constater quelqu’un s’est joint à nous aujourd’hui. Il va rester pour toute la leçon. Qui veut lui poser une question ? »

[9]Traduction : « En anglais, s’il vous plaît ! »

[10]Le simple past correspond à l’imparfait, en français.

[11]Les Mind Maps (ou Mind Mappings, appelées parfois « cartes heuristiques » en français), sont des diagrammes constitués de manière à faire correspondre des éléments entre eux dans un sens déterminé et logique pour l’esprit (lien sémantique). Les Mind Maps permettent de faire coïncider des fonctions différentes du cerveau : logique, langage, image, spatialité, séquence, globalité,… et favorisent donc la mémorisation pour des types d’intelligence variés. Nous reviendrons sur cette dimension ultérieurement.

[12]Formation Continuée des Enseignants du Fondamental (enseignement ordinaire).

[13]Centre de formation du SeGEC.

[14]ASBL qui a pour objet la promotion et l'apprentissage vécu des langues étrangères.

[15]Les travaux de Lozanov avaient montré que la musique baroque (Corelli, Bach, Haendel…) a un effet bénéfique sur le processus de mémorisation. Lors de la lecture des dialogues en classe, le bénéfice peut d’ailleurs être augmenté en alternant avec d’autres phases de mémorisation en diffusant des musiques plus entraînantes et proposant des ruptures, des envolées et des retours au calme (Beethoven, Wagner ou des musiques plus contemporaines), le rythme et l’intonation de lecture se calquant sur la musique.

[16]Avoir un dictionnaire accessible facilement, par exemple. « Car pourquoi supprimer les outils et ne retenir des langues que les aspects périlleux ? », questionne Bruno Mathelart.

[17]A propos de la grammaire, Bruno Mathelart souligne : « Les Neues Lernen ne font pas l’économie de la grammaire, mais ce qu’elles refusent, c’est de faire de la grammaire pour de la grammaire ».

[18]« Pour tous les réseaux, pour toutes les écoles, pour toutes les classes, les socles de compétences définissent les compétences de base. Approuvés à l'unanimité des partis démocratiques par le Parlement de la Communauté française, les socles sont le contrat de base entre l'école et la société. Les programmes définiront les méthodes les plus adéquates pour atteindre les compétences définies dans les socles. Ils ne pourront ni en rajouter, ni en retrancher. Les outils pédagogiques aideront à les atteindre. Les épreuves d'évaluation à valeur indicative s'apprécieront à l'aune des socles ». Définition des socles de compétences issue du site officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les matières d’enseignement : http://www.enseignement.be/index.php?page=24737.

[19]Cf. LONTIE, M., Peu d’élèves, gage de réussite ? Un accord sur la taille des classes, Analyse UFAPEC, n°08.12, mars 2012 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/0812-taille-classes/.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK