Analyse UFAPEC 2010 par F. Baie

02.10/ Notre société impulse-t-elle un changement de comportement des adolescents par rapport à l’alcool ? 1e partie : les adolescents boivent-ils autrement ? Le Binge drinking, une nouvelle norme ?

Introduction

De quelle manière les jeunes boivent-ils aujourd’hui ? Boivent-ils plus, boivent-ils moins et surtout de quelle manière? En France, en Belgique les tendances sont-elles les mêmes ? Dans les médias, on entend parler de plus en plus de « Binge drinking ». Qu’entend-on par ce concept ? Faut-il s’en inquiéter ? Quelles sont les réflexions d’une association telle qu’« Infor Drogues » à ce sujet ? Entre acte déviant et normalité, où se situe le jeune dans ce mode de consommation excessif d’alcool ? C’est ce que l’UFAPEC va tenter d’examiner dans cette première analyse.

Définition du concept

Dans la définition la plus communément acceptée, la notion de « binge drinking » correspond à la consommation de 5 verres ou plus pour les hommes et 4 verres ou plus pour les femmes en une seule occasion », IREB (institut de recherches scientifiques sur les boissons, France). « Le "binge drinking" est une consommation occasionnelle, excessive d’alcool qui n’a d’autres buts que l’ivresse »[1]. Pour parler de « binge drinking », on utilise aussi d’autres expressions comme « biture express », « alcool défonce » ou « orgie d’alcool ». Ces expressions sont assez parlantes !

« Binge drinking » - En France

« Les jeunes boivent de moins en moins, mais sont plus souvent ivres »[2], c’est ce qui ressort d’une enquête conduite en 2005 par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies sur les jeunes de 17 ans. Basil Burlumi, journaliste spécialisé en sciences de l’éducation et travaillant pour le magazine Sciences humaines a relevé quelques chiffres interpellant provenant de cette enquête : « Selon les résultats publiés, l’alcool demeure la substance psychoactive la plus consommée par les jeunes, nettement devant le tabac et les autres drogues. Si son usage est globalement en baisse (92,5% des jeunes disent avoir déjà bu au moins une fois au cours de leur vie contre 94,6% en 2003), les ivresses régulières sont, elles, à la hausse : la part des jeunes qui déclarent avoir été soûls au moins dix fois dans l’année est passée de 6,6% à 9,6% sur la même période. Et presque un jeune sur deux (45,8%) déclare avoir bu plus de cinq verres en au moins une occasion au cours des trente derniers jours. Ce comportement d’alcoolisation est beaucoup plus répandu dans les pays anglo-saxons, où il est couramment appelé binge drinking »"

« Binge drinking »- En Belgique

En Belgique, le « Binge drinking » a également la cote ! On boit 4 ou 5 verres pour se mettre souvent en condition avant de se rendre à une fête, à une soirée entre « potes » ou durant la fête pour se mettre directement « à l’aise ». Cette forme de « biture express » a été mesurée par le SIPES (Service d’Information Promotion Education Santé) par une consommation d’au moins 5 verres d’alcool au cours d’une même occasion. Selon ce même Service, « Le binge drinking se révèle assez fréquent parmi les élèves de l’enseignement secondaire. Ils sont , en 2006, près d’un sur trois à avoir adopté ce comportement deux fois ou plus au cours des 30 derniers jours précédant l’enquête et un sur cinq à l’avoir expérimenté trois fois ou plus pendant le même laps de temps. Ce comportement est en légère augmentation par rapport à 2002. »[3].
 
L’analyse du SIPES montre également que le sexe, l’âge des adolescents ainsi que le type d’enseignement influence fortement le comportement des jeunes par rapport aux boissons alcoolisées: « Les garçons sont environ deux fois plus à risque d’adopter un usage abusif d’alcool que les filles. Les élèves plus âgés (18-20 ans) sont quant à eux, quatre fois plus à risque que leurs homologues plus jeunes (12-14 ans). Ce type de conduite se retrouve plus fréquemment dans l’enseignement professionnel et technique que dans l’enseignement général et connaît une légère augmentation significative en 2006 par rapport à 2002 » 
 
En 2008, le groupe « Les jeunes et l’alcool » a organisé une table ronde bruxelloise pour mettre en concertation des acteurs de terrain et des spécialistes pour trouver des pistes en faveur d’une consommation plus responsable et moins risquée chez les jeunes. C’est en effet en 2003 que l’asbl Univers Santé (UCL) initie la formation de ce groupe qui se veut multisectoriel et pluraliste, composé de neuf partenaires issus de la santé, de l’éducation et de la jeunesse dont certains sont très actifs en Région bruxelloise) (la Fédération des centres de jeunes en milieu populaire, la Fédération des Etudiants Francophones, Infor-Drogues, Jeunesse et santé, La Ligue des Familles, Prospective Jeunesse, le R.A.P.I.D., Latitude Jeunes et Univers santé qui pilote le groupe). Dans les actes de cette table ronde, on y apprend aussi que la Belgique se situe dans la moyenne européenne en ce qui concerne la consommation régulière d’alcool mais se situe dans le peloton de tête en matière de « Binge-drinking »[4].

Le « Binge-drinking » est-il vraiment un danger?

Selon Infor-Drogues, il serait bon de dédramatiser le « binge drinking ». En effet, les recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) préconisent « pour une consommation ponctuelle à moindre risque de ne pas boire plus de 4 verres standards en une seule occasion. Dès lors, entre une consommation « à moindre risque » et le « binge drinking » (consommation de 5 verres ou plus pour les hommes et 4 verres ou plus pour les femmes en une seule occasion),   il n’y a qu’un verre de plus par occasion… « Imaginons une enquête où les répondants se trompent légèrement, en parlant de leurs consommations passées : ils se rappelleraient avoir bu 4 verres au lieu de 5 verres (ou l’inverse) : la conclusion pourrait être « tout le monde consomme de l’alcool à moindre risque » ou « tout le monde consomme de l’alcool en binge drinking ». La différence de dramatisation entre les deux conclusions est énorme mais elle ne repose que sur une très légère différence, de plus fort subjective »[5].
 
Pour Infor-Drogues, il semble important d’objectiver la perception de ce phénomène dont l’association constate la dramatisation médiatique à outrance. 
Cependant, le livret rouge d’Infor –Drogues, intitulé « Alcool et autres drogues –Le vrai et le faux », nous met tout de même en garde sur la question du « Binge-drinking »: « L’overdose d’alcool existe bel et bien. Des personnes qui boivent de grandes quantités d’alcool en peu de temps (binge drinking), par exemple lors d’une fête, peuvent perdre conscience. C’est le coma éthylique, qui impose une hospitalisation immédiate car il peut entraîner la mort par arrêt respiratoire. L’abus d’alcool est dangereux, ce produit doit être consommé avec modération ».

Le « Binge-drinking » acte déviant ou norme ?

On pourrait se demander si cette nouvelle manière de boire est considérée comme normale parmi les jeunes et dès lors acceptée par le plus grand nombre. Le « Binge-drinking » ne devient-il pas, dans notre société, la norme entre pairs ? Une norme qui peut être aussi construite et encouragée par les médias (voir nos analyses 3 et 4). Le fait de boire beaucoup et très vite, en se mettant dans un état d’ivresse devient conforme pour le groupe. Si le jeune, faisant partie de ce groupe, ne boit plus de la même manière que les autres… c’est lui qui devient déviant par rapport à son groupe.

 
Pour notre société, le « binge-drinking » est considéré comme déviant. Du côté des jeunes, cet acte peut être banalisé et conforme.
 
Cette conception de la norme et de la déviance a été expliquée par Howard Becker en ces termes : « Ce que je veux dire, c’est que les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme déviants. De ce point de vue, la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un « transgresseur ». Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette »[6] . Il ajoute : « Cette démarche présuppose que ceux qui ont transgressé une norme constituent une catégorie homogène parce qu’ils ont commis le même acte déviant ».
 
Le regard de l’autre a encore une fois toute son importance dans ce phénomène de société  et l’appartenance au groupe y tient une place essentielle!

Se détacher des parents

En faisant d’un comportement bien particulier une norme qui appartient à un groupe, les adolescents essayent de se singulariser et de se détacher du monde des adultes. C’est ce que François de Singly tente de nous expliquer : « La distance vis-à-vis des parents, le détachement relatif de l’appartenance familiale ne se font pas seulement sur le mode de la déclaration de principe. Ils s’inscrivent dans des actes, dans des demandes d’horaire, dans une certaine prise de pouvoir sur soi. Ils sont des marqueurs d’une transformation identitaire »[7]. Emprunter un comportement bien particulier par rapport à l’alcool tel que « le binge drinking » peut devenir un acte normatif pour un groupe donné et représenter une véritable prise de pouvoir sur soi. François de Singly poursuit sa réflexion : « La « distinction », notion avancée par Pierre Bourdieu (1979) pour caractériser la lutte de classes, devient également centrale pour comprendre les rivalités entre les âges. Pendant la jeunesse, en effet, le processus d’individualisation (tel que nous l’avons défini) repose sur la recherche d’une nouvelle appartenance collective, susceptible de créer le détachement vis-à-vis de l’appartenance familiale »[8].
 
Marcel Rufo, pédo-psychiatre, que l’UFAPEC[9] a invité lors d’une conférence destinée aux parents de la région de Huy explique lui aussi ce phénomène de détachement en reprenant les propos d’un ado (Rufo, 2005) : « Ces jours-là, j’étais libre de mes parents. Le temps, la ville et le monde m’appartenaient. Je m’appartenais. J’avais besoin de mes parents et besoin de m’éloigner d’eux. Sans le savoir, ils m’aidaient à prendre de la distance ».
 
Si les jeunes ont besoin de se détacher, ils ont besoin aussi, paradoxalement, d’attachement ! Bernard De Vos, le délégué général aux droits de l’enfant parle des jeunes et de l’alcool en ces termes : « Il est important d’identifier le malaise que les jeunes peuvent ressentir, évoluant dans une société où les repères sont absents. Dans les programmes de prévention et d’éducation, il faut favoriser la participation des jeunes, reconnaître leurs compétences, poser un regard positif sur eux et les prendre au sérieux plutôt que de les prendre au mot. Ce qu’il manque aux jeunes in fine, c’est l’attachement, c’est-à-dire le sentiment d’être important dans le regard de quelqu’un »[10].

Conclusion

Le "binge drinking" correspond à une consommation excessive ponctuelle d’alcool. Ce comportement expose les jeunes à de nouveaux dangers (accident, coma éthylique, arrêt respiratoire).Aujourd’hui, la manière dont on consomme l’alcool a changé. On est passé d'un alcoolisme de convivialité à un alcoolisme beaucoup plus violent, qui a pour but d'enivrer extrêmement brutalement. Le but ce n'est plus seulement de boire avec des copains, mais d'avoir un flash alcoolique très rapide et d’atteindre au plus vite l’ivresse.
Certains jeunes  achètent des palettes de bières ou des bouteilles de Whisky dans les supermarchés dans le seul but de se mettre rapidement en état d’ébriété. Il s’agit pour ces jeunes de se mettre en condition pour se fondre directement dans l’ambiance. En arrivant à une fête en étant « cool », on se glisse plus facilement dans le groupe et on répond à la norme de ce groupe !
 
Le « Binge-drinking » devient, dans notre société, la norme entre pairs. Le fait de boire beaucoup et très vite, en se mettant dans un état de défonce devient conforme pour le groupe.
 
Le plaisir de se distancer ou de se distinguer des parents en empruntant un comportement « spécial » tel que le « binge drinking » permet aux jeunes de rentrer dans une nouvelle appartenance collective. A nous, parents, d’en être conscients et de maintenir « l’attachement » (dans le sens positif du terme)!
 
Même si certaines associations reconnues telles que « Infor Drogues » demande que l’on ne dramatise pas à outrance ce phénomène de « binge drinking », d’autres personnes reconnues dans le monde médical tels que le Docteur Gueibe, Psychiatre alcoologue à la clinique Saint-Pierre à Ottignies et formateur à l’Institut Perspective Soignante à Paris, mettent en garde de manière criante les parents : « Ce n’est pas le discours de la dépendance qu’il convient de tenir aux jeunes, mais celui des risques qu’ils prennent lorsqu’ils pratiquent le « binge drinking », cette inquiétante façon d’aller au plus vite à l’ivresse. L’alcool n’est pas alors la maîtresse qui prend son temps, elle peut être une tueuse à l’égal de la mante religieuse, qui tue celui qui s’est trop approché d’elle, qui l’a trop embrassé, trop étreinte ! L’alcool tue nos jeunes plus que toutes les autres drogues réunies »[11].
 
L’UFAPEC pense qu’il faudrait donc réfléchir à ces nouveaux comportements pour adapter des messages et des actions préventives. L’UFAPEC encourage les groupes de réflexion tels que le groupe « Les jeunes et l’alcool » pour mettre en concertation des acteurs de terrain et des spécialistes afin de trouver des pistes en faveur d’une consommation plus responsable chez les jeunes. L’UFAPEC pense qu’un regard multidisciplinaire ainsi qu’un travail en réseau sont indispensables et bénéfiques pour penser la « prévention » et réduire le comportement du « binge drinking ».
 
Si le « binge drinking » remporte un franc succès auprès de nos ados, nous devons pousser notre réflexion plus loin et ainsi nous interroger aussi sur leurs tentations? Quels sont donc les poisons licites qui leur sont proposés ? La pomme rouge qu’enviait Blanche neige aurait-elle trouvé une rivale dans une boisson alcoolisée et sucrée appelée « Alcopops » ? Le « Binge-drinking » ainsi que la consommation d’un certain type d’alcool ne devient-il pas, dans notre société, une norme encouragée par les pairs et surtout construite par les alcooliers et la publicité ?
 
Ce seront les objets de nos deux analyses suivantes…
 
 
 France Baie
 
 
 
 
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Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter,
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.
 


[2] Enquête conduite en 2005 par l’OFDT lors de l’appel de préparation à la Défense –www.ofdt .fr
[3] D. Favresse et P. de Smet, « Tabac, alcool, drogues et multimédias- Chez les jeunes en Communauté française de Belgique- Résultats de l’Enquête HBSC 2006 » Service d’Information Promotion Santé-SIPES-Novembre 2008
[4] « L’alcool chez les jeunes : qu’en est-il et qu’en faisons-nous ? » -Actes de la table ronde bruxelloise du 5 novembre 2008 –Edition d’Education Santé, d’Univers Santé et de Jeunes et alcool. –Univers Santé -www.jeunesetalcool.be
[6] H. Becker, « Outsiders », Métaillé, 1985.
[7] F. De Singly « Les adonaissants », ed. Hachette Littératures, p19, 2006
[8] F. De Singly « Les adonaissants », ed. Hachette Littératures, p23, 2006
[9] F. Baie « Détache-moi ! Se séparer pour grandir », in revue « Les Parents et l’Ecole », N°57 , p12-13, mars 2008
[10] « L’alcool chez les jeunes : qu’en est-il et qu’en faisons-nous ? » -Actes de la table ronde bruxelloise du 5 novembre 2008 –Edition d’Education Santé, d’Univers Santé et de Jeunes et alcool. –Univers Santé -www.jeunesetalcool.be
 [11]http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008

 

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