Analyse UFAPEC mars 2020 par B. Loriers

02.20/ La pollution sonore à l’école, une fatalité ?

Introduction

Les élèves ont besoin de calme pour apprendre… Pourtant, les écoles sont soumises à des niveaux de décibels parfois beaucoup trop élevés dans les classes, cantines, salles de sport, salles polyvalentes, cours de récréation. Nous entendons et lisons que les nuisances sonores sont une préoccupation majeure pour les élèves et le corps enseignant, mais aussi pour les parents et les associations de parents. De nombreuses écoles ne sont pas adaptées au nombre croissant d’élèves. Le bruit à l’école pourrait-il être en partie la cause de nombreux malaises d’enseignants et à l’origine de mal-être ou d’échecs chez les élèves ? Réfléchir aux nuisances sonores dans l’enceinte de l’école et les réduire est un réel enjeu de santé publique.

Les sources de pollution sonore sont multiples dans et autour de l’école. Bruits extérieurs (voitures, train, bus, camions, travaux, etc.), et bruits internes à l’école : sonneries, déplacements dans les couloirs, récréations, activités dans les locaux voisins, travaux de groupe, discussions, jeux, cris, ventilateurs, distributeurs de boissons, frigos, pieds de chaises, chute d’objets, manipulation de matériel, … Des matériaux peu absorbants peuvent également réverbérer l’énergie sonore[1].

Au bruit subi à l’école s’ajoute encore, pour certains élèves, une utilisation intensive d’écouteurs et la participation à des concerts et fêtes, à des niveaux sonores souvent excessifs, ce qui a pour effet une surexposition au bruit. Le danger de l’exposition au bruit dépend du niveau sonore et de la durée d’exposition. En dépassant régulièrement la dose de bruit tolérable, les jeunes abîment leurs oreilles.

Le bruit a-t-il réellement des effets sur les élèves et l’équipe éducative ?

Nous nous demanderons aussi si tous les élèves sont égaux face à la problématique de la pollution sonore, ou si le traitement du bruit à l’école dépend du milieu socio-culturel. Nous verrons ensuite s’il existe des pistes réalistes pour les écoles qui souhaiteraient diminuer la pollution sonore.

Effets néfastes du bruit

Le bruit se définit comme un phénomène acoustique produisant une sensation auditive considérée comme désagréable ou gênante. C’est un mélange confus de sons sans harmonie, en opposition à la musique[2].

Avant d’aborder les effets néfastes du bruit, notons les recommandations en termes de décibels à ne pas dépasser à l’école. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déterminé des valeurs guides spécifiques au milieu scolaire[3] :

En classe, l’OMS recommande que le niveau sonore de fond n’excède pas 35 dB pendant les cours afin de pouvoir entendre et comprendre les messages parlés.

En salle de repos, 30 dB pendant la sieste permettent d’éviter des perturbations du sommeil.

Au réfectoire, le bruit ambiant global devrait idéalement ne pas dépasser 75 dB afin que les élèves puissent converser entre eux sans élever excessivement la voix. Ces valeurs constituent un idéal à atteindre sur le long terme.

La perception et la résistance au bruit sont propres à chaque personne. La gêne ressentie dépend du niveau sonore mais aussi de l’état de fatigue, du moral, du moment de la journée[4]. Des études indiquent des liens entre le bruit et la santé. Elles observent des effets néfastes sur l’audition, sur la fatigue et sur le stress, ce qui peut produire une baisse de la capacité à exécuter des tâches cognitives (apprentissage, tâches complexes, résolution de problèmes) et une baisse de la concentration, voire des troubles du comportement (agressivité)[5].

Dans un local bruyant, les élèves seront moins concentrés et comprendront moins facilement les paroles de l’enseignant. Une étude a prouvé qu’en termes d’apprentissages, un niveau sonore trop élevé entraîne : des difficultés de communication ou de compréhension des consignes, des troubles de l’apprentissage de la lecture et est un obstacle à la résolution de tâches complexes[6]. Associé à une équipe finlandaise, des chercheurs de l’ULB ont montré que le cerveau des enfants perd plus rapidement que celui des adultes la capacité à suivre le rythme des mots et des phrases au fur et à mesure que l’intensité du bruit augmente[7].

Les enseignants peuvent aussi souffrir de dysphonie : détérioration du timbre de la voix, qui devient rauque, cassée, à cause d’une altération des cordes vocales. Lorsque l’acoustique d’un local est mauvaise, l’enseignant doit élever le ton, forcer sur sa voix pour se faire entendre. En agissant ainsi, l’enseignant s’abîme les cordes vocales et perd l’usage de l’instrument indispensable à son métier : sa voix[8]. C’est une pathologie reconnue comme maladie professionnelle.

Nous avons rencontré une enseignante qui nous a raconté à quel point le bruit est pénible pour elle, au quotidien. Mes élèves sont issus de milieux sociaux privilégiés, ils sont relativement respectueux des règles en classe et, pourtant, tous les petits bruits sont vraiment une entrave au bon déroulement des cours, à la concentration des élèves, mais aussi à notre santé d’enseignant. Simplement, quand 25 élèves changent de couleur de bic, régulièrement et tous ensemble en même temps, ce bruit est vite insupportable. Mais le véritable problème est la taille des classes : 25 élèves en moyenne pour moi. C’est très fatigant, et plus nous vieillissons, plus nous devenons ultra-sensibles aux bruits qui nous entourent[9].

Pas tous égaux face au bruit ?

Tous les élèves sont-ils sur pied d’égalité concernant les effets néfastes du bruit ? Pour Christophe Vermonden, de l’asbl Empreintes, si tous les élèves semblent sur pied d’égalité face à la non-prise en compte technique des questions acoustiques, les conséquences sociales, elles, ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Le bruit constitue un facteur aggravant d’inégalité des chances dans le fonctionnement du système scolaire. Des études ont prouvé l’impact des nuisances sonores sur les apprentissages de la lecture et sur la résolution de problèmes. A titre d’exemple, si un élève ne comprend pas quatre mots d’une phrase moyenne, il n’en comprendra pas le sens. Or, ce sont les élèves socio-culturellement défavorisés qui sont les premiers touchés et ceux dont les familles bénéficient le moins de moyens de « rattraper la sauce »[10]. Mais quel que soit le milieu socio-culturel, la prise en charge du bruit à l’école ne dépend-elle pas de la sensibilité des adultes, des enfants et des jeunes qui « font » cette école, et de leur volonté d’améliorer le bien-être à l’école ?

D’autre part, certains élèves, certains enseignants n’entendent plus le bruit, par une sorte d’accoutumance. Ils vivent avec… sans prendre conscience, peut-être, de l’impact que cela peut avoir sur eux.

Prise de conscience et pistes

Diminuer le bruit à l’école demande à chacun de d’abord prendre conscience du bruit qu’il provoque et, ensuite, d’identifier les différents bruits qu’il perçoit. Cela peut faire l’objet d’un moment ludique en classe.

Le bruit fait partie du quotidien des adultes et des élèves qui fréquentent l’école. Comment pourrait-il en être autrement ? Au gré de nos rencontres et de nos lectures, nous avons pu relever quelques solutions réalisables qui réduisent le bruit : aménager les espaces (plafond acoustique, tentures, vieilles balles de tennis aux pieds des chaises, etc.), aménager les horaires pour la cour de récréation et la cantine, établir avec les élèves un bilan sonore avec sonomètre et ressentis personnels dans les différents espaces, offrir la possibilité d’utiliser un casque, aménager un coin calme quand c’est possible, changer la sonnerie par de la musique. Faire des maths et des sciences en abordant le bruit et les instruments de mesure. À la place de crier pour demander le calme, utiliser un instrument de musique, une couleur, chuchoter, taper dans les mains un certain rythme, lever le bras sans rien dire. Prévoir une récréation avant le repas pour se défouler, rédiger une charte contre le bruit avec les élèves, etc. Toutes ces solutions peuvent s’inscrire dans le projet de l’école, en créant ou en renforçant les relations école-familles.

Précisons que cette préoccupation des nuisances sonores est reprise dans le Pacte pour un enseignement d’excellence. L'acoustique dans les salles de cours et autres locaux scolaires (réfectoires, salles de gym) est aussi à prendre en considération pour améliorer la qualité de la vie à l'école, aussi bien celle des élèves qui doivent être à même de bien entendre les cours, que celle des professeurs qui doivent pouvoir travailler sans se casser la voix[11].

Conclusion

On l’a vu, les effets du bruit à l’école ont des conséquences vraiment néfastes sur la santé des élèves et de l’équipe éducative, et inévitablement sur le bien-être et les apprentissages. C’est une préoccupation importante pour les adultes et enfants qui vivent dans l’école, mais aussi pour les parents. C’est dans ce contexte que l’UFAPEC a rédigé plusieurs recommandations dans son Mémorandum 2019, en rapport avec le bien-être à l’école : veiller à ce que chaque enfant bénéficie d’une qualité d’infrastructure suffisante et saine pour son bien-être et nécessaire à son apprentissage et son épanouissement (…), augmenter les moyens de l’école afin que tous les enfants, quelle que soit leur école et quel que soit leur âge, puissent manger dans le calme et dans des conditions de sérénité[12].

La pollution sonore à l’école n’est pas une fatalité. Nous avons pu noter quelques pistes réalistes à mettre en œuvre pour plus de sérénité à l’école. Des solutions durables peuvent être trouvées au sein de l’association de parents et du conseil de participation, dans un partenariat constructif. Finalement, « bien penser » les écoles du point de vue acoustique ne pourrait-ce pas être considéré comme une véritable démarche citoyenne ? Cette prise en charge ne dépend-elle pas de l’importance accordée au bien-être et au vivre ensemble ? Une piste transversale à toutes les solutions proposées est de conscientiser et responsabiliser les élèves : chacun est responsable du niveau de décibels émis en classe et dans l’école. Faire prendre conscience des bruits permet de limiter leur production et donc de prévenir de nombreux épuisements d’enseignants et mal-être d’élèves.

 

 

Bénédicte Loriers

 


[1] MOREAU C., Comment mettre le bruit en sourdine ? in revue PROF, n°41, mars, avril, mail 2019.

[2] L’environnement sonore à l’école, op cit., p. 6.

[3] Valeurs reprises dans : L’environnement sonore à l’école, Dossier pédagogique niveau fondamental de Bruxelles environnement, Bruxelles, septembre 2015, p. 13 : https://environnement.brussels/sites/default/files/user_files/be_dp_bruit_fr.pdf

[4] MOREAU C., Comment mettre le bruit en sourdine ? op.cit.

[5] ROZEC C. Le bruit à l’école : enjeux sanitaires, incidences sur l’apprentissage http://www.afpssu.com/dossier/le-bruit

[6] I L’environnement sonore à l’école, op cit., p. 18.

[8] L’environnement sonore à l’école, op cit., p. 18.

[9] Témoignage d’une enseignante en 5e et 6e secondaire, recueilli par Bénédicte Loriers le 28 décembre 2019.

[10] VERMONDEN C., Rencontres jeunes et bruit, on va s’entendre, p. 31. https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/Bilans_RencontresJeunesEtBruit_092009_FR.PDF

[11] Pacte pour un enseignement d’excellence, avis n°3 du Groupe central, p. 295 : http://enseignement.be/download.php?do_id=15735

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