Analyse UFAPEC 2009 par B. Loriers

06.09/ Images télévisées et violences de notre société

Constats 

Plusieurs enquêtes[1] démontrent l'existence incontestable d'un lien de causalité entre la violence de la télévision et le comportement agressif de certains enfants. Certains véhiculent l’idée que la violence télévisée ne rend pas les jeunes plus agressifs, elle est parfois considérée comme exutoire[2]. Le sujet a été débattu notamment lors d’une conférence-débat organisée par une association de parent, avec le soutien de l’UFAPEC[3].

Qu’en penser ? Nous proposons de confronter les positions et permettre au lecteur de se forger sa propre opinion.
 

Définition : la violence télévisée

La violence est présente dans les images qui montrent des agressions physiques ou/et psychologiques de certains personnages sur d’autres ou sur eux-mêmes[4].

Le problème que soulève une définition très précise de la violence à la télévision est que cette définition peut aussi devenir passablement restrictive[5]. Compte tenu des nombreuses formes que prend la violence à la télévision, il pourrait être extrêmement difficile d'en arriver à une définition normalisée qui soit à la fois complète, succincte et non ambigüe.

1.     Réglementation du CSA
Les notions de dignité humaine et de protection des mineurs sont reprises à l’article 9 du décret du 27 février 2003 sur la radiodiffusion. Le CSA, soit d'initiative, soit sur base de plaintes de téléspectateurs, exerce un contrôle a posteriori (c'est à dire après la diffusion des programmes), constate l'infraction et peut sanctionner l'éditeur en cas de violation de ces dispositions. En ce qui concerne la télévision, les modalités d’application de ce décret sont prévues dans l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 1er juillet 2004 sur la protection des mineurs contre les programmes susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental et moral. Cet arrêté prévoit une classification des programmes et une signalétique adaptée à 4 catégories de programmes :
-10 : programmes comportant certaines scènes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des moins de 10 ans ; Diffusion : libre.
-12 : films interdits en salles aux moins de 12 ans ou programmes susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral, notamment lorsque le scénario recourt de façon systématique et répétée à la violence physique ou psychologique ; Diffusion : pas avant 20h en semaine, pas avant 22h les vendredis, jours fériés, veilles de jours fériés et vacances scolaires.
-16 : films interdits en salles aux moins de 16 ans et programmes à caractère érotique ou de grande violence, susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral ; Diffusion : pas avant 22h.
-18 : programmes pornographiques ou de très grande violence et susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral. Diffusion : uniquement en crypté et grâce à un code d'accès personnel.
 
2.     La violence télévisée propre à chaque époque
L’effet de la violence à la télévision varie selon plusieurs facteurs: le contexte socioculturel du téléspectateur, l’âge et le sexe, la santé psychologique, …
Selon Serge Tisseron[6], la violence des images à la télévision est relative à chaque culture et à chaque époque, comme le prouve le fait que des images qui semblaient très violentes il y a vingt ans peuvent apparaître anodines aujourd'hui.
 
3.     La violence télévisée propre à chaque personne
Des images qui sont violentes pour un spectateur ne le sont pas forcément pour un autre[7]. En questionnant des enfants, on découvre combien chacun d'entre eux peut juger violentes des images qui laissent les autres indifférents. Par exemple, un enfant handicapé avait jugé terriblement violentes des images montrant des victimes d'accidents de la route obligées de se déplacer en fauteuil roulant.
 
4.     Violence cachée
Cette violence n'est pas toujours liée au contenu explicite des images, mais parfois à leur cadrage et à leur montage. Certains films contemporains proposent ainsi des juxtapositions de plans qui durent chacun quelques secondes et qui sont susceptibles de provoquer une tension nerveuse et une angoisse sans que la cause puisse en être identifiée par le spectateur. Pour Serge Tisseron[8], de plus en plus de bandes sons utilisent un mélange de percussions, de bruits cardiaques et de rythmes respiratoires qui troublent leurs auditeurs, surtout s'ils sont jeunes, sans qu'ils en comprennent la raison. A la limite, une image apparemment anodine peut être reçue comme terriblement violente. C'est ce qui s'est passé il y a quelques années avec un dessin animé japonais qui a provoqué des crises d'épilepsie chez plusieurs jeunes spectateurs. Mais sans avoir ce caractère extrême, beaucoup de spectacles contemporains, et notamment de dessins animés destinés aux enfants, peuvent provoquer des états de sidération et d'angoisse seulement par leur construction et leur montage.
 

Effets de la violence télévisée

Le débat classique oppose deux thèses contradictoires concernant les effets de la violence au petit écran.
 
1.     Effet mimétique
Le psychopédagogue belge Marcel Frydmann[9] a observé que les élèves qui avaient vu un film contenant des combats « rejouaient » ces combats en récréation, après la projection du film. Pour Frydmann, il arrive assez souvent que le jeune auteur d’un délit cite le film ou la séquence qui lui a inspiré la manière de commettre son forfait.
 
L’idée est celle de la mimésis, conduite d’imitation bien présente chez les enfants, dont les facultés imitatives sont évidentes.
 
Critiques de la mimésis
Pour Michel Souchon, l’imitation des enfants ne porte en général que sur des conduites relativement peu importantes[10] (modes vestimentaires ou langagières, par exemple). Imiter un western en rejouant les scènes vues, ce n'est pas tirer “ pour de vrai”. Lorsqu'il y a imitation réelle, la télévision fournit la manière de procéder ; elle n'est pas la cause du passage à l'acte qui relève de motivations plus fortes.
 
2.     Effet cathartique
Une part de la violence spectaculaire permet une décharge libératrice des passions et de la violence interne, ce que les anciens Grecs appelaient la catharsis[11]. Les tenants de la catharsis montrent que le fait de représenter quelque chose dans un récit, un théâtre ou un film oblige le créateur comme le spectateur à prendre distance par rapport à ce qui est montré (à travers la technique, le style, la réflexion, …). Ce jeu dramatique, objective les passions, qui, de latentes, deviennent manifestes et hantent moins celui qui les éprouve et qui est parvenu à leur donner une forme physique, mais surtout symbolique et plus intellectuelle que passionnelle.
 
Critique de la catharsis
Pour Liliane Lurçat[12], la catharsis n’est pas valable pour les enfants, et il se produit, par contre, une contagion émotionnelle, une imitation très forte chez les enfants, qui portent les mêmes vêtements, arborent les mêmes cartables, mangent les mêmes céréales le matin. Les émotions, cela s’attrape de la même manière. Leur raison est mise de côté.
On cible leur pensée automatique. C’est une technique, pas un hasard, qui consiste à induire leur désir ou à leur faire croire que la violence, c’est la norme.
 

Apprendre à regarder la télévision

De plus en plus, la télévision tente de s’adresser à un public le plus large possible. Elle essaie de prendre beaucoup de place dans la maison, par séduction.
Outre la responsabilité des pouvoirs publics, des parents, et de l’école, il convient d’affirmer en premier lieu la responsabilité de l’industrie de l’audiovisuel. Concurrence des chaînes oblige, l’audiovisuel est devenu une véritable culture de masse, qui fabrique des produits de plus en plus violents pour retenir les téléspectateurs, attaquer leurs émotions, provoquer une excitation. On le comprend de suite : la place des parents est primordiale pour palier les manques de scrupules de certaines émissions ou films : il est indispensable de sensibiliser les parents aux effets nocifs de certaines images et de les encourager à se préoccuper de ce que regardent leurs enfants, à en parler avec eux[13]. De plus, toutes les initiatives qui visent à apprendre aux enfants à décrypter les images vont dans le bon sens. La multiplication des chaînes câblées et des réseaux cryptés rend le paysage audiovisuel océanique : quand on a à sa disposition des dizaines de chaînes, il est difficile pour les parents de se repérer.
 
Quant à l’école, il n’y a pas vraiment de programme d’éducation aux médias, ni de pédagogie imposés par le ministère. Les enseignants font donc preuve de créativité : les élèves pourront produire des médias (articles de presse, reportage radio…), les analyser, les déconstruire (étude de la relation son/image…), étudier simplement les aspects théoriques des médias (schéma de Jakobson, Barthes…), partager les sentiments éprouvés au contact de tel média, jouer avec les médias… [14]
 
Pour y éprouver des émotions comme devant une situation réelle, nous devons provisoirement suspendre notre jugement et y croire comme tel. Mais pour pouvoir prendre de la distance par rapport à elles, nous devons être capables à tout moment de percevoir ces images comme des constructions dont nous sommes appelés à notre tour à nous donner nos propres constructions.
Thierry De Smedt[15] voit deux raisons qui rendent l’éducation à la télévision nécessaire. La première est que le meilleur moyen de contenir l’influence discrète et complexe des programmes télévisés est d’en faire un sujet de réflexion.
 
Apprendre aux jeunes qu’il vaut la peine de s’interroger sur ce que portent les médias et sur leurs conséquences positives ou négatives sur nos sensibilités et nos comportements, c’est leur offrir un nouveau degré de liberté en prenant conscience des influences qui les touchent. Ce faisant, ils découvrent que nos sensibilités sont parfois très différentes. Il n’existe pas d’échelle pour mesurer la violence de ce que montre un média. Chacun est sensible à sa manière à des scènes, des images et des sons.
Vivre en société, c’est aussi apprendre la diversité des sensibilités. La seconde raison d’une éducation aux médias face aux programmes télévisés est qu’il existe peut-être une autre violence médiatique, liée aux techniques du marketing médiatique. Chloé Delaume décrit[16] son sentiment amer d’être « formatée » par les émissions et les publicités. Ce ciblage permanent du téléspectateur est probablement une violence plus frustrante pour les jeunes. Faute d’une éducation aux stratégies médiatiques et à leurs techniques de mobilisation de nos désirs, les jeunes ne parviennent pas à donner un nom et une origine aux sentiments qu’ils éprouvent face à l’écran. Au contraire, en comprenant mieux de quoi sont faits les médias, ils en saisissent mieux les enjeux, les qualités et les défauts.
Certains sites Internet[17] proposent des exercices à utiliser en classe pour apprendre à approcher l’image de manière critique, à la décrypter. De plus, des animations ponctuelles se déroulent régulièrement au sein de nos établissements scolaires, parfois en collaboration avec l’association de parents, afin d’inciter les adultes, parents et enseignants, à réfléchir à un bon usage de la télévision, propre à la situation de chaque famille.
 

Conclusion

Les effets de la violence télévisée ne sont pas mécaniques, ils varient selon le milieu familial, l'entourage affectif de l'enfant, les valeurs qui lui sont transmises par ailleurs. L'école a certainement un rôle à jouer. Cet univers audiovisuel en perpétuelle mouvance n’est pas simple à appréhender : donner des outils, dialoguer en famille, …En définitive, l’éducation aux médias a pour objectif de former des citoyens conscients et responsables. Il s’agit développer l’esprit critique, même si la télévision, loin sans faut, ne peut expliquer à elle seule l’agressivité de nos enfants…
Les prochains mois devraient voir naître des actions émanant du tout nouveau Conseil supérieur de l’éducation aux médias[18], dont l’UFAPEC est partie prenante.
 
Concernant ce lien entre visionnage d’actes de violence et agressivité, L. Bastide[19] estime que l’honnêteté scientifique consisterait à dire que l’on ne peut rien prouver. Il souligne l’intérêt que l’on peut avoir à accabler la télévision de tous les maux.
 
Effectivement, la télévision montre de la violence mais l’UFAPEC insiste sur le fait que la télévision est d’abord le reflet de notre société.
La télévision n’invente pas la violence qu’elle montre. La place que l’agressivité prend à la télé est celle qu’on a bien voulu lui laisser prendre. Pour l’UFAPEC, la télévision est trop souvent taxée de responsable des violences, et elle permet de masquer facilement des phénomènes tels que le manque de repères éducatifs.
 
 
 
Bénédicte Loriers


[1] Notamment les recherches de Jeffrey Johnson, université de Columbia. www.sciencepresse.qc.ca/archives/2002/man010402.html.
[2] Notamment LARIVEY Michelle, Colère et violence, http://www.redpsy.com/infopsy/colere.html
« La distance maintenue par la nouvelle ou la fiction nous permet de nous substituer aux protagonistes sans culpabilité ou encore de nous délecter sans remords du spectacle. Cela équivaut à une soupape pour évacuer la colère de tous les jours que nous réprimons parce que nous n'osons pas la vivre ».
[3] Conférence du 2 avril 2009 par Paul de Theux (Média-animation) sur le thème « La télévision pour nos enfants : quand, combien, comment ? », oganisation de l’AP de l’école ND à Meux, avec le soutien de l’UFAPEC.
[4] BERMEJO BERROS Jesus, Mon enfant et la télévision, éditions de Boeck, 2008.
[5] ALTER Suzan, La violence à la télévision, Division du droit et du gouvernement du Canada, 1997. http://dsp-psd.tpsgc.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/CIR/953-f.htm
[6] TISSERON Serge, Des images violentes à la violence des images, quelle prévention ?, juin 2003.
[7] TISSERON Serge, id.
[8] TISSERON Serge, id.
[9] FRYDMAN Marcel, Télévision et violence, Bilan et réponses aux questions des parents et éducateurs, Charleroi, éditions EMPS et EMIS, 1993.
[11] SOUCHON Michel, op cit.
[12] Lurçat Liliane, in revue « L’humanité » du dimanche 5 janvier 1997.
[13] En exemple, les images du JT sont souvent angoissantes pour les enfants, car trop peu mises en contexte. Les enfants peuvent dès lors s’imaginer que la violence montrée à la télévision est la norme. Ils ont trop peu de recul, n’imaginent pas que certaines images sont mises en scène.
[14] Le nouveau décret « culture–école » du 24/03/2006 permet d’obtenir des subventions pour des projets de collaborations entre les écoles et des partenaires culturels.
[15] DE SMEDT Thierry, professeur d’éducation aux médias UCL, in « Les parents et l’école », revue UFAPEC n°52.
[16]DELAUME Chloé, J'habite la télévision, Gallimard, 2006.
[18] Moniteur belge du 15 octobre 2008.
[19] BASTIDE L. L’image, une école de la violence ?, in Les jeunes et les médias en France, Hachette, 2000.

 

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