Analyse UFAPEC 2010 par B. Loriers

06.10/ Compétition ou coopération dans les apprentissages ?

Constats

Chaque enseignant forme des individus, alors qu'il délivre des savoirs et des compétences à un groupe. De l'autre côté, l'élève est pris dans une même ambigüité[1] : une logique d'apprentissage individuel, tout en ayant à investir une énergie considérable dans les relations avec ses pairs. Il n'est donc pas étonnant que nombre de pédagogues se soient interrogés sur l'influence des relations entre enfants sur l'apprentissage et l'acquisition de connaissances. Faut-il, pour favoriser leur apprentissage, mettre les enfants en compétition ou, au contraire, les faire coopérer ? Une pression supplémentaire est issue de notre société : les enjeux scolaires s’étant considérablement alourdis, l’enfant ou l’adolescent étant très tôt confronté à des verdicts scolaires qui engagent son avenir[2], la densité du travail scolaire et la tension qu’il suscite sont plus fortes aujourd’hui qu’hier.

L’apprentissage compétitif ou coopératif

L’apprentissage compétitif pourrait être défini comme une recherche simultanée par deux ou plusieurs personnes d’un même avantage, d’un même résultat[3].
 
L’apprentissage coopératif consiste[4] à faire travailler des élèves ensemble au sein de petits groupes. Il comporte quatre caractéristiques essentielles :
  • L’interdépendance positive: les efforts de chaque membre sont nécessaires pour le succès du groupe.
  • L’interaction facilitatrice: les membres s’encouragent et s’aident réciproquement.
  • La responsabilité individuelle: personne ne peut faire cavalier seul.
  • Le traitement cognitif par le groupe: les membres doivent régulièrement réfléchir ensemble sur leur façon de fonctionner.
Les résultats obtenus par l’apprentissage coopératif portent sur différents aspects de la vie en classe (en comparaison avec l’enseignement traditionnel) :
  • Sur le plan personnel: augmentation de l’estime de soi. Les interactions conduisent les élèves à se considérer compétents.
  • Sur les plans cognitif et scolaire: amélioration de la motivation à apprendre, de la complexité du raisonnement et des résultats scolaires, génération plus fréquente de nouvelles idées et solutions, meilleur transfert de ce qui est appris depuis une situation vers une autre. Les élèves apprécient également davantage l’enseignant: ils le perçoivent comme plus compréhensif et plus aidant.
  • Sur le plan relationnel et social: augmentation sensible de l’appréciation réciproque, baisse du racisme et du sexisme, des incivilités et de la délinquance, du harcèlement et de la violence, ainsi que de la toxicomanie, meilleure intégration des élèves handicapés, augmentation des comportements altruistes.
Pour certains chercheurs, et ils sont nombreux, la coopération est beaucoup plus efficiente que la compétition en matière d’apprentissages. Par exemple, une synthèse de Marcel Crahay[5] sur 122 études expérimentales ou quasi expérimentales compare différentes modalités pédagogiques : la compétition des élèves entre eux, la coopération au sein de groupes mis en compétition, la coopération sans compétition entre groupes et l'individualisation (dans laquelle les résultats de chacun n'ont aucun effet sur les autres). Lorsque l'on évalue les acquis des élèves avant et après ces différents dispositifs d'apprentissage, les résultats sont clairs : la coopération est plus efficace, et ce dans de nombreuses matières (mathématiques, lecture, sciences, etc.), mais à la condition de ne pas constituer de trop grands groupes.

Développer des compétences sociales et intellectuelles

Dans notre société occidentale, l'emprise de la concurrence est telle que souvent elle contraint les individus à se comparer en permanence les uns avec les autres. Cette comparaison a des effets importants sur l'expression des compétences des élèves : autant celles impliquées dans la gestion de leurs relations sociales que celles requises par leurs apprentissages scolaires. Pour Pascal Huguet[6], cette compétition est vérifiable dès la maternelle. C'est en effet en comparant la manière dont l’enseignant réagit à leurs propres actions et à celles de leurs camarades que les jeunes enfants comprennent comment obtenir certaines récompenses (félicitations, encouragements) et éviter certaines sanctions (réprimandes, privations diverses). Ce faisant, ils apprennent les normes et les valeurs en vigueur dans la classe. Rester attentif, ne pas courir, respecter les autres, autant de règles d'abord assez floues dont la signification exacte et les conditions d'application seront peu à peu intégrées sous l'autorité de l'adulte ; mais aussi, et surtout, sous l'effet des comparaisons auxquelles se livrent sans cesse les enfants entre eux, contribuant ainsi à leur propre socialisation. L'élève développe ainsi ce que l'on peut appeler une « compétence sociale », c'est-à-dire une capacité à comprendre les attentes de sa culture d'appartenance et, sur cette base, à interagir de manière efficace avec ses semblables.
A partir de l’enseignement primaire, les comparaisons entre pairs alimentent davantage la connaissance de soi. Encore incertains de leurs compétences intellectuelles, les enfants accordent alors énormément d'attention aux résultats de leurs camarades de classe (surtout ceux de même sexe qu'eux) de manière à se situer les uns par rapport aux autres dans les différentes disciplines.
 

Apprentissage basé sur la compétition : Danger pour le sentiment d’appartenance à l’école !

Des pratiques pédagogiques donnant priorité à l’apprentissage de chaque élève, qui tentent de favoriser le développement optimal des potentialités de tous les élèves, quel que soit leur acquis de départ, paraissent rendre plus facile l’établissement de relations de qualité entre enseignants et élèves[7]. A contrario, des pratiques pédagogiques centrées sur la sélection et la promotion des élèves les plus brillants, qui instaurent de facto des inégalités de traitement entre élèves, semblent rendre plus difficiles le développement de relations de qualité entre enseignants et élèves. Parallèlement, on observe une association forte entre types de pratiques pédagogiques et sentiment d’appartenance à une communauté scolaire. Des pratiques centrées sur l’apprentissage de tous les élèves semblent faciliter le développement d’une identité scolaire positive, d’un sentiment d’intégration au sein del’école. Inversement, des pratiques centrées sur la compétition et la discrimination entre bons et mauvais élèves paraissent compliquer le développement de ce sentiment d’appartenance.
Les effets se marquent aussi bien au niveau de la motivation et de l’absentéisme des élèves qu’au niveau des comportements agressifs, du rejet et des conflits entre élèves.

Que le meilleur gagne, oui mais …

Faut-il privilégier une logique d'apprentissage individuel ou de groupe ? Cette question soulève le débat. « Que le meilleur gagne », diront les partisans d'une méritocratie. Rappelons que la notion de méritocratie suggère que le système scolaire offre des chances égales à tous, dont chacun pourra tirer parti selon ses mérites[8]. L'égalité des chances, ce sera essentiellement une égalité d'accès à l'école, et d'accès à des ressources d'égale qualité, laissant s'exprimer une concurrence loyale et se déployer des inégalités d'un autre ordre, des inégalités de talent, de motivation... Or pour Marie Duru-Bellat, derrière l'égalité des chances, le modèle de la sélection naturelle n'est jamais bien loin : dans une société où les places sont inégales et où l'enjeu est d'obtenir la meilleure possible, l'égalité des chances, c'est l'égalité dans les modalités de la sélection ; c'est la chance égale (selon son mérite, après une juste compétition) d'accéder à des places inégales. L'égalité de l'égalité des chances est donc très temporaire, puisque in fine, il s'agit bien de reproduire une situation d'inégalité.
Pour Rolland Viau[9], des activités axées sur la compétition plutôt que sur la collaboration ne peuvent motiver que les plus forts, c’est-à-dire ceux qui ont des chances de gagner.

Et si la compétition saine était un atout ?

Véronique Lagarde explique[10] que la motivation des élèves peut être suscitée par certaines techniques, dont la compétition par le jeu. Dans le jeu, la compétition peut s'exercer entre élèves mais aussi avec soi-même ou encore entre équipes, plus supportable pour bien des élèves. Il y a une différence entre la compétition dans un jeu, sans conséquence dans la réalité, et la compétition par les notes d'un devoir, au pire rendu aux élèves par ordre décroissant, ou la compétition par la remise de Prix en fin d'année. Mais cette condition, là encore, n'est pas valable pour tous les élèves: certains aiment jouer, pas d'autres; certains aiment la compétition, pas d'autres.
Il ne faut pas se voiler la face : une compétition entre élèves offre une saine émulation, une motivation, une envie d’apprendre : supprimer l'échec au nom de l'égalité, c'est aussi supprimer le succès et du même coup prendre le risque d'enlever toute motivation à apprendre.
Pour Martine Rioux[11], par la nature même de l’humain, la compétition a toujours existé et continuera d’exister. La coopération est essentielle, mais on a toujours besoin de savoir ce que l’on vaut par rapport à autrui. D’ailleurs, il ne faudrait pas penser que compétition exclut coopération, comme si la première était nécessairement malsaine.
 
On peut rêver, comme Albert Jacquard, d’une école sans compétition où tous les élèves seraient placés sur le même pied d’égalité, où personne ne serait meilleur qu’un autre. De même, on peut croire, comme lui, que l’esprit de compétition cause l’individualisme, que le capitalisme transforme la société en véritable jungle de la concurrence.
 
Selon Martine Rioux, on ne peut nier la réalité : les jeunes sortiront tôt ou tard de l’école et mettront les pieds dans « la vraie vie ». Ils devront se battre pour obtenir l’emploi de leurs rêves. De savoir qu’ils ont atteint la compétence « structurer son identité » ne les aidera pas à décrocher un emploi dans un laboratoire de recherche, mais un 95 % en chimie pourra faire une différence. Puis, un jour, leur employeur les évaluera par rapport aux autres employés avant de déterminer du pourcentage de leur augmentation salariale. 

Conclusion

Par rapport à tout cela, l’UFAPEC prône avant tout que l’école soit un lieu où l’élève se construit, s’épanouit, même si notre société est souvent qualifiée de jungle.
D’autre part, pour notre mouvement parental, la coopération est efficiente mais un minimum de compétition sans stigmatisation de l’élève est nécessaire. On a tous besoin de se situer par rapport aux autres. On a besoin de connaître des échecs pour mieux se relever, pour se motiver à faire mieux la prochaine fois, pour trouver l’énergie nécessaire au dépassement de soi. On a besoin de connaître nos forces et nos faiblesses, de savoir que l’on excelle dans une discipline en particulier et qu’on doit travailler plus fort dans une autre. L’école doit être la première à offrir ces repères.
 
Bénédicte Loriers
 
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[1] CHAPELLE Gaëtane, Compétition ou coopération, in Revue Sciences Humaines, Hors-série n°45, « L’enfant », Juin, juillet, août 2004.
[2] GLASMAN Dominique, Une enfance sans temps mort, revue Sciences Humaines, grand dossier n°8, septembre, octobre, novembre 2007 : L’enfant du 21ème siècle.
[3] Définition du petit Robert 2009.
[4] Jonhson David W., Jonhson R. T. et STANNE M. B., Cooperative learning methods: A meta-analysis, 2000. www.clcrc.com/pages/cl-methods.html
[5] CRAHAY Marcel, L'école peut-elle être juste et efficace ? De l'égalité des chances à l'égalité des acquis, De Boeck, 2000.
[6] HUGUET Pascal, Bon ou mauvais élève, in Revue Sciences humaines Mensuel n°142, octobre 2003.
[7] GALAND Benoit, prévenir les violences à l’école : quelle place pour les pratiques d’enseignement ?http://www.preventionviolence.ca/pdf/galand.pdf
[8] DURU-BELLAT Marie, L’école pourrait-elle réduire les inégalités? , in Revue Sciences Humaines, n°136, mars 2003 : « Les nouveaux visages des inégalités ».
[9] VIAU Rolland, des conditions à respecter pour susciter la motivation des élèves. http://www3.ac-nancy-metz.fr/ien-yutz/IMG/pdf_conditions_pour_susciter_la_motivation.pdf
[11] RIOUX Martine, où est passé l’esprit de compétition ? 28 novembre 2006 : http://www.infobourg.qc.ca/sections/editorial/editorial.php?id=11241

 

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