Analyse UFAPEC 2011 par D. Moret

06.11/ L’apprentissage d’une seconde langue : deux poids, deux mesures dès le fondamental

Introduction

Dans la Déclaration de politique communautaire 2009-2014, le gouvernement de la Communauté française s’est fixé l’objectif ambitieux de généraliser la maîtrise d’une seconde langue. On peut y lire : Pour s’insérer socio-professionnellement et pour être citoyen du monde, la connaissance de plusieurs langues est désormais indispensable. De nombreuses études prônent le renforcement de l’apprentissage des langues par le biais de méthodes attrayantes, vivantes, qui placent l’élève en situation réelle, et ce dès le plus jeune âge. Tous les élèves doivent être capables de communiquer dans au moins une autre langue à la fin de leurs études[1].

Après le slogan « Tous bilingues en 2001 ! » lancé en 1996 par Laurette Onkelinx, l’ambition n’a pas changé et la maitrise d’au moins une langue étrangère reste une priorité de nos gouvernants. Mais quelles sont ces « méthodes attrayantes et vivantes », qu’entend-on par « dès le plus jeune âge » et que signifie « être capable de communiquer » ?
Nous avons entrepris de faire le point sur le sujet et d’aborder successivement la réalité dans le fondamental, puis dans le secondaire, et ensuite de nous pencher sur la méthode de l’immersion et les offres d’échanges linguistiques collectives ou individuelles telles qu’elles sont proposées en Communauté française.

Offre d’apprentissage dans le fondamental

L’usage et l’apprentissage des langues en Communauté française s’inscrit dans un cadre légal qui a évolué au fil des lois et décrets. La loi linguistique de 1963 a déterminé le régime linguistique de l’enseignement dans chaque région et réglementé l'apprentissage d’une seconde langue, autorisé en Wallonie mais non obligatoire. Bruxelles,[2] jouit dès le départ d’un statut particulier : le néerlandais est imposé à partir de la 3ème année primaire et est enseigné à raison de 3 heures par semaine en 3ème et 4ème et de 5 heures par semaine en 5ème et 6ème primaire. En Wallonie par contre, c’est seulement en 1998 qu’un décret rend obligatoire l’organisation d’un cours de langue à raison de deux périodes par semaine à partir de la 5ème année primaire. Les élèves peuvent choisir entre l’allemand, l’anglais ou le néerlandais. Lorsqu’on se penche sur la répartition géographique, on observe que le néerlandais prédomine en Brabant wallon (97 % des élèves de 6e) dans le Hainaut (71 %) et dans le Namurois (77 %). Dans les provinces de Liège (60%) et du Luxembourg (60%), c’est l’anglais qui occupe la première place.[3]
On le voit, légalement, rien n’est mis en place avant l’âge de 8 ans à Bruxelles et 10 ans en Wallonie. Or, des recherches en linguistiques menées entre autres à l’Université de Liège par Annick Comblain ont prouvé que si on veut espérer un rendement optimal lors de l'apprentissage d'une seconde langue, il est préférable, au vu des données théoriques sur le développement linguistique de l'enfant de s'y atteler le plus tôt possible. (...) Le moment idéal semble être la fin de la scolarité maternelle quand les bases de la langue maternelle sont relativement bien maîtrisées.[4]

En France aussi, des chercheurs attestent que les travaux des quinze dernières années montrent que, dès la naissance, l’oreille et le cerveau humains ont la faculté de percevoir et traiter des distinctions très fines entre les phonèmes appartenant aux langues maternelles. Cette sensibilité aux contrastes phonétiques s’amenuise progressivement au profit des seuls phonèmes de la langue de l’environnement.[5] Jean-Marcel Morlat, spécialiste dans l’enseignement du français langue étrangère, préconise, quant à lui, un début d’apprentissage vers 8-9 ans quand « au plan du langage, l’enfant devient capable de décontextualiser. À ce stade l’enfant serait en particulier plus rapide pour acquérir la morphologie et la syntaxe, et meilleur en compréhension auditive ».[6]

 
En débutant à 10 ans comme c’est le cas en Wallonie, on a déjà pris quelques années de retard même si spontanément certains établissements proposent des activités d’éveil dès la maternelle. Ce programme, proposé par la Communauté française, consiste à faire découvrir et comparer des matériaux linguistiques sonores et visuels variés aux enfants. L’éveil aux langues n’est donc pas une nouvelle forme d’apprentissage précoce, il s’agit plutôt d’approfondir l’intérêt pour la diversité linguistique et culturelle, de renforcer la motivation à apprendre des langues et de développer diverses aptitudes métalinguistiques[7] de nature à faciliter cet apprentissage[8].
 
De Grieve a décrit et évalué cet apprentissage précoce mis en place par 28 écoles libres subventionnées. De ses observations, il dégage des facteurs incontournables de réussite : l’implication de tous les membres de l’équipe éducative, les compétences linguistiques et pédagogiques ainsi que la personnalité du maître de langue, la qualité du projet et « la réalisation d’activités ludiques, attrayantes et significatives de communication EN langue étrangère plutôt qu’un cours DE langue moderne ».[9]Ces éléments sont essentiels pour tirer le meilleur parti de ce programme et force est de constater qu’il est pour l’instant peu mis en place faute de moyens.

Quels sont les objectifs poursuivis dans le fondamental ?

De même que pour la langue maternelle, les apprentissages liés aux langues modernes s'articulent autour de quatre compétences fondamentales : la compréhension à l'audition, la prise de parole, la compréhension à la lecture et l'expression écrite.
Les objectifs dans le fondamental, tels qu’énoncés par le SeGEC, sont clairement de développer des compétences communicationnelles : Il s'agit d'éveiller l'enfant à un autre mode de pensée et à un autre type de culture tout en suscitant chez lui l'audace et le plaisir de s'exprimer dans une autre langue qui contribue à l'épanouissement et à l'enrichissement de sa personnalité dans des dimensions d'intégration sociale, morale, affective et intellectuelle. Il s'agit également d'exploiter au maximum la souplesse de l'oreille encore présente chez l'enfant pré-pubère ainsi que sa spontanéité. Le cours de langue moderne, cours de communication et d'interaction sociale, fait partie intégrante de l'éducation et a sa place dans une pédagogie fonctionnelle et participative. C'est pourquoi, il importe que les activités s'appuient sur des situations réellement vécues en classe, qu'elles soient elles aussi fonctionnelles, qu'elles permettent à l'enfant d'apprendre à se servir de ce nouveau langage pour comprendre, se faire comprendre et entrer en contact avec d'autres personnes qui parlent cette langue dans un souci d'interculturalisme. [10]
Jean-Marcel Morlat insiste également sur cet aspect : le but d’un enseignement des langues doit véritablement être interculturel, et faciliter la découverte d’autres cultures. Des notions telles que le respect, l’ouverture d’esprit, le sens de l’écoute doivent être inculqués dès le plus jeune âge, car parler une langue ne signifie pas seulement comprendre une autre culture ; le linguistique est une chose, le culturel une autre.[11]
 
Communiquer doit rester le maître mot en termes d’apprentissage d’une langue ! Cela s’acquiert par des activités centrées sur les interactions orales. L’apprentissage doit être ludique, créatif et attrayant.
Mais dans la pratique ?
Une enquête[12 menée de 1999 à 2002 auprès de l’ensemble des chefs d’établissement des écoles fondamentales de la Communauté française et d’un échantillon de 498 maîtres de langues a mis en évidence les conditions de travail difficiles rencontrées par certains de ceux-ci : nombre d’écoles ou d’implantations élevé entre lesquelles courent les professeurs, effectifs des classes trop importants, difficulté d’accès au matériel didactique nécessaire, locaux inappropriés… en plus de la difficulté de trouver des professeurs comme l’a souligné Marie-Dominique Simonet lors d’une séance de la Commission de l’Education : la prestation inégale de périodes consacrées aux langues modernes dans l’enseignement primaire découle notamment de la qualification et du recrutement des enseignants.[13]
 
Face aux classes surpeuplées et aux manques de moyens, 8 enseignants sur 10 jugent difficile à très difficile les échanges dans la langue cible. L’organisation de contacts avec des locuteurs natifs de la langue cible est considérée comme très difficile par une petite majorité d’enseignants et au moins difficile par 9 enseignants sur 10. Trois quarts des maîtres de langues interrogés considèrent encore comme difficiles la prise en compte de l’hétérogénéité des groupes et l’apprentissage de la communication même si une large majorité considère qu’il est très facile ou au moins assez facile de motiver et d’intéresser les élèves.

Quelles méthodologies ?

Si l’on n’opte pas pour l’immersion, la langue maternelle et la langue étrangère ne peuvent s’étudier de la même façon car aux yeux des enfants, elle n’a pas la même valeur, le même impact dans ses relations à l’autre. L’enfant n’a fondamentalement pas besoin d’une seconde langue pour grandir. Comme le dit très bien le professeur Joubier : dans le cas de la langue qualifiée de maternelle, l’enjeu de son acquisition est vital pour l’enfant qui grandit, se construit psychiquement et se construit une identité en même temps qu’il entre dans la parole et acquiert la maîtrise du langage dans ses relation sociales au contact des autres. La langue dite étrangère est par nature secondaire, sur un plan temporel d’abord, et surtout parce qu’elle apparaît comme dénuée de sens pour l’enfant, car non rattachée dans son environnement de vie à un immédiat communicatif et affectif. La LE, au contraire de la LM, n’est pour les enfants ni un outil de communication, ni un vecteur de transmission de connaissances, au sein de l’école, de la famille et plus largement de la société dans laquelle ils évoluent.[14] 
 
Donner un sens concret aux apprentissages, travailler dans le sens d’un développement de la communication et non de la simple transmission de vocabulaire ou de grammaire est essentiel et permet à l’enfant de s’approprier une autre langue « concrètement » avec un vrai objectif communicationnel et cela dès le plus jeune âge.
 
Particulièrement pour l’apprentissage d’une langue, l’attitude de l’apprenant est fondamentale. C’est une des raisons pour lesquelles il importe de démarrer au plus vite l’éveil aux langues de façon ludique en privilégiant la participation active des enfants.

Evaluation des connaissances

Les compétences en langues modernes ne sont pas évaluées dans le cadre de l’attribution du Certificat d‘études de base (CEB). Le décret sur l'enseignement fondamental de 1998 a cependant prévu que les cours de langue organisés dans les deux dernières années du primaire doivent faire l'objet d'une évaluation externe organisée sous le contrôle de l'inspection de la Communauté française en collaboration avec les représentants des différents pouvoirs organisateurs. Dans son contrat pour l’école, en 2005, Marie Arena, alors Ministre de l’enseignement obligatoire, avait proposé l’organisation d’évaluations externes tout au long de la scolarité dont un cycle de 3 ans portant sur les langues modernes qui aurait dû débuter en 2008... En 2008[15], c’est le Ministre Dupont qui propose une première évaluation facultative fin 2009 en vue de sa mise en place définitive fin 2010 qui n’aura finalement pas lieu... Et enfin, en novembre 2011 devrait débuter le cycle prévu avec une première évaluation en 6ème primaire, suivie en 2012 par des tests en 2ème secondaire et en 2013 en 5ème secondaire. Treize années se seront écoulées depuis le décret !
Le report de la mise en place de ces évaluations peut être attribué aux changements de ministres mais est surtout clairement la conséquence d’une difficulté à évaluer des élèves qui ne sont pas tous logés à la même enseigne. A l’issue du primaire, on retrouve en effet des élèves comptabilisant en moyenne 4h par semaine pendant 4 ans et d’autres, seulement 2h par semaine pendant deux ans ! Idéalement, en plus de tests pour les trois langues et d’un test spécifique pour les élèves en immersion, il faudrait que l’Administration prenne en compte les niveaux de connaissance différents des élèves.

Conclusion

Face aux inégalités en termes d’offre entre les régions, il n’existe pas clairement un seuil minimum de compétences linguistiques souhaité à atteindre. Et comme nous le verrons dans l’analyse concernant le secondaire, ces niveaux différents contraignent les enseignants du secondaire à reprendre à zéro en première année commune.
Dans les programmes du fondamental, c’est l’oral qui est privilégié mais les moyens et les investissements dans cette matière sont insuffisants pour garantir un apprentissage de qualité pour tous les enfants. A la fin du primaire, les enfants savent à peine parfois se présenter ou formuler des salutations basiques. Bref que de temps perdu alors que, tout petits, les enfants sont ouverts, réceptifs à la découverte et n’ont pas de préjugés négatifs.
Ces conclusions rejoignent les positions exprimées dans le mémorandum de l’UFAPEC de 2009, à savoir principalement pour le fondamental : la suggestion de commencer l’ouverture aux langues le plus tôt possible ![16]
 
 
 
 Dominique Moret
 
 
 
 
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[2] et dans certaines communes wallonnes dites "de la frontière linguistique", c’est-à-dire Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq et Enghien. Dans les communes de Malmédy, Waimes, Baelen, Plombières et Welkenraedt, la seconde langue peut être soit l'allemand, soit le néerlandais.
[3] Chiffres de 2009
[4] COMBLAIN Annick, L’apprentissage des langues étrangères en milieu scolaire et préscolaire : quels résultats espérer ? http://hdl.handle.net/2268/13461
[5] Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale, 1995, n° 19, 11 mai, p. 1649
[6] MORLAT J.-M. L’enseignement précoce des langues étrangères. Quels enjeux pour le monde de demain ?  http://www.edufle.net/L-enseignement-precoce-des-langues, lien vérifié le 25/03/2011
[7] Aptitude à réfléchir, à porter un jugement sur les différentes composantes du langage et sur ses différentes modalités d'expression et de compréhension in IIDRIS, http://www.med.univ-rennes1.fr/iidris/cache/fr/34/3429 lien vérifié le 8/04/2011
[8] BLONDIN Christiane et MATTARD Catherine, Vers une implantation de l'éveil aux langues en Communauté française de Belgique in Les cahiers des sciences de l’éducation, 2008 http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/7565/1/BLONDIN-MATTAR-CAH25-26-2006-5.pdf
[9] W. DE GRIEVE, Expérimentation d’apprentissage précoce d’une seconde langue (1990-2000), s.l.n.d.
[10] Programme Intégré adapté aux Socles de compétences, FéDEFoC, Langues Modernes, p.3
[11] MORLAT J.-M. L’enseignement précoce des langues étrangères. Quels enjeux pour le monde de demain ?  http://www.edufle.net/L-enseignement-precoce-des-langues, lien vérifié le 25/03/2011
[12] Marie-Hélène STRAETEN et Christiane BLONDIN, Enseigner les langues dans le fondamental : un métier difficile mais plutôt apprécié,
[13] Parlement de la Communauté française de Belgique Wallonie-Bruxelles, http://www.pcf.be/req/info/document?id=001333849 lien vérifié le 16/03/2011
[14]JOUBIER A., Les rapports entre la langue maternelle et la langue étrangère dans l’enseignement précocehttp://www.edufle.net/Les-rapports-entre-la-langue, lien vérifié le 25/03/2011
[15] Annoncé dans la circulaire N° 2546 du 01/12/2008
[16] Mémorandum UFAPEC 2009, février 2009, http://www.ufapec.be/politique-scolaire/memorandum/memorandum-2009-2/ lien vérifié le 8/04/2011

 

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