Analyse UFAPEC avril 2013 par A. Floor

06.13/ Troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité : complexité en famille et à l’école

Je trouve que le courage de ces enfants est remarquable. Malgré leurs nombreuses difficultés, ils donnent toute l’énergie qu’ils peuvent pour y parvenir, que ce soit à l’école ou à la maison. Malgré les obstacles, ils continuent à se battre et, à chaque fois, à faire du mieux qu’ils peuvent. Chapeau !

Une neuropsychologue.

Introduction

Comment faire la distinction entre un enfant au comportement difficile et un jeune atteint de TDA/H ? Comment encadrer et accompagner des élèves atteints du trouble de l’attention quand on est enseignant, quand on est parent, quand on est animateur extra-scolaire ? Etre TDA/H ou avoir un enfant TDA/H, c’est un phénomène de mode, une nouvelle méthode pour se faire remarquer, pour se mettre en avant ? Lors d’une animation dans une école secondaire du Brabant wallon, nous avons été touchés et interpellés par les témoignages de parents d’enfants TDA/H. Les parcours scolaires de ces enfants sont souvent chaotiques et les parents ont exprimé leur soulagement de sentir leur enfant enfin accueilli pour qui il est dans l’établissement scolaire actuel. Ils ont unanimement témoigné de leur solitude tout au long de la scolarité de leur enfant en difficulté. Ils ont aussi évoqué les nombreux jugements auxquels ils ont dû faire face quant à la manière d’éduquer leur enfant, quant à leur « faute » par rapport aux comportements de leur enfant et à la manière parfois brutale dont certaines écoles évacuent ces enfants qui dérangent.

Il semble régner un malaise autour des troubles de l’attention, malaise dans les écoles, dans les médias, dans les familles. Les informations diffusées sont parfois contradictoires ou manquent de nuances. Il nous a semblé important en tant qu’organisme d’éducation permanente de faire le point sur ce trouble qui touche 3 à 5% des enfants en âge scolaire. Il est essentiel pour les personnes atteintes de TDA/H, pour les proches d’enfants ou d’adultes atteints de ce trouble que leur syndrome soit bien compris pour garantir une approche respectueuse et la plus adéquate possible. L’UFAPEC déplore aussi le fait que certains parents déclarent trop vite, sans diagnostic médical préliminaire que leur enfant est TDA/H. Ce qui provoque confusion et méfiance auprès des enseignants qui se retrouvent parfois avec les ¾ de la classe qui ont des troubles de l’apprentissage.

Lors de la table-ronde de rentrée organisée en septembre dernier par l’UFAPEC, Fanny Demeulder[1] a fait remarquer l’effet pervers de parler plus qu’avant des difficultés d’apprentissage : de plus en plus d’enfants sont « catalogués » comme dys ou TDAH… mais hélas, au détriment du vrai TDAH, à qui un enseignant dira parfois qu’il est juste mal élevé. Il faut être conscient que l’enseignant peut être mal informé ou que de nombreux parents sont venus le trouver… d’où l’intérêt de le faire moins, mais avec les bonnes personnes (un enseignant qu’on sent réceptif). Par ailleurs, les jugements sur la manière d’éduquer leurs enfants n’aident en rien les parents, ils sont trop souvent et trop facilement jugés responsables du trouble de leur enfant. En tout cas une chose est sûre c’est que la façon d’exercer l’éducation parentale n’est en rien responsable du TDA/H. Les symptômes peuvent s’aggraver chez un enfant qui souffre de problèmes familiaux ou qui est victime d’abus ou de violences. Mais il est certain que le TDA/H ne s’acquiert pas par apprentissage[2]. Cette analyse vise à expliquer clairement ce qu’est le TDA/H, et ce qui fait que ce trouble d’origine neurologique est particulier d’une part, parce qu’il met à mal l’autorité de tous les adultes et d’autre part parce qu’il existe un traitement médical. Nous allons ensuite montrer dans l’analyse suivante en quoi l’adolescence vient encore complexifier à la fois le diagnostic et la prise en charge pour voir ensuite ce qui concrètement peut aider un enfant ou un ado TDA/H à trouver sa place à l’école, en famille, lors de ces loisirs…

TDA/H, c’est quoi ces 4 lettres ?

TDA/H = Trouble déficitaire de l’attention avec/ sans hyperactivité. C’est l’appellation la plus communément utilisée actuellement. Auparavant, on parlait d’enfant hyperkinétique, d’enfant hyperactif ou d’enfant instable.

Ces 4 lettres évoquent donc à la fois des difficultés d’attention et un déficit de contrôle entraînant impulsivité et hyperactivité. Ces trois composantes constituent les trois piliers du diagnostic : le déficit d’attention, l’hyperactivité et l’impulsivité. De manière concrète, le déficit d’attention se manifeste notamment par une distraction accrue, des difficultés d’organisation et des oublis intempestifs, malgré une intelligence tout à fait normale. Ces problèmes d’attention sont souvent accompagnés d’une difficulté à anticiper les conséquences de ses actes et donc d’une tendance à agir de manière impulsive. Enfin, l’hyperactivité peut être soit motrice, résultant en une agitation permanente, soit intellectuelle, caractérisée par un passage du coq à l’âne.

Il existe trois expressions cliniques du TDA/H :

  • Le TDA/H avec inattention prédominante ou TDA (DSM-IV 314.00[3]) ;
  • Le TDA/H avec impulsivité/hyperactivité prédominante (DSM-IV 314.01) ;
  • Le TDA/H mixte (DSM-IV 314.01), forme la plus fréquente qui associe à des degrés divers, difficultés attentionnelles, hyperactivité motrice et impulsivité.

Les symptômes du TDA/H ont une intensité fluctuante. Un TDA n’est donc pas l’autre. Certains souffriront plus de problèmes d’attention tandis que d’autres seront davantage hyperactifs et impulsifs. Chaque enfant qui présente des troubles de l’attention est différent de l’autre. Ils ont tous leur spécificité, chacun prend les choses à sa façon sur le plan affectif. Chaque enfant peut présenter à des degrés divers l’un ou l’autre symptôme. La distractibilité, l’impulsivité, l’hyperactivité, la fatigabilité, le décrochage, le syndrome d’opposition et de provocation, une difficulté avec les limites et les interdits… sont des traits caractéristiques des enfants TDA/H, affirme Isabelle Leroy, neuropédiatre. Ce trouble toucherait environ 5% des enfants mais seule une faible part est actuellement diagnostiquée comme telle.

Tordons le cou aux idées reçues

Le TDA/H n’est pas causé par des facteurs externes comme une mauvaise éducation parentale, des facteurs socio-économiques, de la paresse, un manque de motivation. Une mauvaise alimentation, trop de temps passé devant la télévision, un manque d’exercice physique n’ont pas provoqué l’apparition du trouble.

Mais il est vrai que les enfants et les ados atteints de TDA/H doivent plus que les autres mener une vie équilibrée, structurée et avoir des limites claires. Dans l’hyperactivité, personne n’est en faute. L’enfant est de bonne volonté, et les parents sont de bons parents. Ce qui ne signifie pas que le premier n’aura pas d’efforts à fournir, ni que les seconds ne devront pas modifier leur attitude, car le TDA/H impose une éducation très contrôlée.[4]

Le TDA/H n’est pas nouveau, ce n’est pas une nouvelle manière pour se faire remarquer : le TDA/H a été identifié en 1845 par l’Allemand Hoffman. Il a établi à l’époque une première description assez complète sur le plan comportemental et psychoaffectif. Hoffman a même illustré ses explications à l’aide de bandes dessinées, accompagnées de comptines qu’il a créées pour son fils aîné. Ce livre « Der Struwwelter-Crasse-Tignasse » raconte l’histoire de son fils « Zappelphilipp », ce qui signifie « Philippe-qui-gigote-sans-cesse ».

Utiliser le terme hyperactif ou hyperkinétique plutôt que TDA/H provoque la croyance qu’il faut ne pas tenir en place pour être TDA/H. Or beaucoup d’enfants, d’adolescents et d’adultes présentent un trouble déficitaire de l’attention sans hyperactivité. C’est pour cette raison que de nombreuses filles ne sont pas diagnostiquées car, plus fréquemment que les garçons, elles ne présentent pas d’hyperactivité ou d’impulsivité[5].

Causes

De multiples travaux font envisager des origines diverses et souvent multifactorielles au TDA/H. Il y aurait combinaison de facteurs neuro-biologiques avec des facteurs psycho-affectifs. Les examens structurels et fonctionnels du cerveau utilisant les services d’imagerie de pointe ont révélé des différences significatives entre les personnes atteintes de TDA/H et les autres, mais il est actuellement impossible de dire si ces images reflètent la cause ou la conséquence du trouble[6]. Le TDA/H résulterait donc d’une perturbation du fonctionnement cérébral. Selon l’hypothèse la plus communément admise, il se produirait chez ces enfants un déséquilibre des systèmes de communication entre certaines zones du cerveau. Cela induirait des difficultés à filtrer les informations venantde l’extérieur. Quelques gènes anormaux ont déjà été identifiés chez les patients atteints de TDA/H : le gène DAT1 transporteur de dopamine et le gène D4 récepteur de dopamine[7]. Ces enfants éprouvent dès lors des difficultés à faire le tri entre toutes les stimulations extérieures, et sont constamment distraits par tout ce qui se passe autour d’eux.[8]Cela provoquerait également une incapacité à contrôler ses actions. Le cerveau n’exerce en effet plus sa fonction de contrôle des actions spontanées, pour voir si elles sont bien adaptées à la situation. Ce qui explique l’impulsivité.

Pour une majorité de l’opinion scientifique, les causes du TDA/H seraient donc d’ordre biologique, à savoir un dysfonctionnement neurologique, et se transmettraient de façon héréditaire. Cependant d’autres facteurs entrent en ligne de compte et peuvent aggraver les symptômes : naissance prématurée, poids trop faible à la naissance, tabagisme ou toxicomanie de la mère pendant la grossesse.[9]Un environnement familial peu structuré, des traumatismes à répétition, la présence de troubles du comportement (agressivité, violence…) sont des facteurs clairement associés au développement du TDA/H. Si des patients ont hérité de facteurs génétiques de prédisposition à développer la maladie, les événements de la vie et la manière dont ils leur font face peuvent fortement influencer l’expression et l’intensité des symptômes[10].

Le neurobiologiste François Gonon[11] remet en cause l’origine génétique et biologique du trouble et l’usage de médicaments dans le traitement : « Il est indiscutable qu'elle (la rilatine) en soulage à court terme la majorité des enfants souffrant du TDAH : on observe chez eux une amélioration de l'attention », explique François Gonon. « Mais elle améliore aussi l'attention chez les sujets sains. Ce type de stimulant est d'ailleurs connu pour augmenter les performances de travail de tout un chacun… »[12].

Troubles associés possibles

Le TDA/H pur n’existe que dans 20 % des cas. Pour le pourcentage restant (80 %), il est accompagné de troubles associés, notamment en ce qui concerne la psychomotricité (maladresse), les apprentissages (dyslexie) ou le comportement relationnel et affectif.

Diagnostic

Etablir le diagnostic de TDA/H n’est pas chose aisée. En effet, il n’existe pasd’examen médical aussi évident qu’une prise de sang, un scanner … pour poser un diagnostic. Il faut au contraire observer le comportement de l’enfant dans les différents lieux qu’il fréquente (école, maison, loisirs, sports, mouvements de jeunesse…), évaluer ses facultés de concentration, déterminer son état psychologique et affectif. Tout cela nécessite du temps et l’intervention de plusieurs professionnels différents (diagnostic multidisciplinaire). Les spécialistes se basent sur deux outils principaux : les échelles d’évaluation, d’une part, et les tests neuropsychologiques[13] de l’autre. Un médecin est le seul habilité à diagnostiquer l’enfant et ce sont principalement les neuropédiatres[14] et les pédopsychiatres[15] qui sont spécialisés dans cette pathologie. Le médecin va collecter des informations auprès des parents, des enseignants, demander les antécédents familiaux et personnels complets de l’enfant. Les questionnaires doivent être remplis par un spécialiste car les réponses seront variables en fonction du degré de sensibilité des personnes interrogées : Le problème des questionnaires est que les réponses sont souvent teintées de jugements de valeurs et dépendent des « seuils de tolérance » des personnes interrogées. C’est pourquoi malgré leur apparente simplicité, ces questionnaires doivent être remplis par un spécialiste familiarisé à leur maniement. Un tel spécialiste pourra notamment évaluer dans quelle mesure le comportement incriminé est plus marqué que celui d’autres enfants du même âge et de développement intellectuel identique[16].

Les tests neuropsychologiques font le bilan des capacités intellectuelles, de ses fonctions d’attention, de planification, d’inhibition. Celle-ci consiste à « filtrer » les diverses réactions possibles et à sélectionner la plus adéquate au vu de la situation. Un bilan psychologique du degré d’anxiété, de dépression ou d’agressivité pourra être fait également.

Comme le TDA/H est très souvent associé à d’autres troubles spécifiques d’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, déficit de la motricité fine, latéralisation…), un bilan logopédique et psychomoteur pourra compléter l’anamnèse.

Prise en charge conseillée

Comme les comportements d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité se rencontrent à des degrés divers chez la plupart des enfants, la dénomination TDA/H ne peut s’appliquer qu’aux personnes présentant ces symptômes de manière excessive et permanente, sous peine d’abus. On ne parlera de TDA/H que lorsque le trouble est persistant (depuis au moins 6 mois), qu’il est apparu relativement tôt dans le développement de l’enfant et surtout s’il a des retentissements au niveau des apprentissages scolaires, des interactions sociales ou du ressenti émotionnel. Dans le cas où le TDA/H représente une souffrance pour l’individu, trois formes de traitement peuvent être envisagées. Le traitement psychologique (thérapie cognitivo-comportementale, psycho-dynamique, familiale) aborde l’aspect comportemental du phénomène, les difficultés de confiance en soi de la personne ou encore le soutien psychologique aux proches. Des remédiations neurologiques (logopédie, psychomotricité, rééducation neuropsychologique) peuvent également être mises en place en vue de rééduquer les mécanismes de la connaissance chez l’enfant. Enfin, il existe un traitement médicamenteux permettant d’accroître la faculté d’attention de l’individu souffrant de TDA/H.

Ces trois voies sont généralement considérées comme complémentaires, aucune d’entre elles n’apparaissant comme la panacée universelle. Le volet médicamenteux du traitement pose toutefois question pour différentes raisons : effets secondaires du médicament ; déresponsabilisation du sujet, de sa famille et des enseignants ; passivité du sujet quant à la prise en charge de son trouble. Comme la nature biologique du TDA/H n’est pas encore acceptée par tous, y compris dans le monde scientifique, l’approche médicamenteuse est régulièrement remise en question et engendre bien des polémiques.

L’approche qui semble la plus appropriée est multidisciplinaire tout comme le diagnostic. L’enfant est envisagé dans son ensemble et les différentes composantes du traitement proposé seront adaptées à chaque cas. Une telle approche globale augmente les chances de succès mais est coûteuse et demande beaucoup de disponibilité et de ressources aux parents. En effet, trouver divers professionnels qui conviennent à l’enfant à proximité de chez soi relève souvent du parcours du combattant. Le fait de devoir mener l’enfant chez plusieurs thérapeutes prend énormément d’énergie et de temps ; il arrive parfois qu’un des deux parents doive renoncer à ses activités professionnelles ou les réduire pour mener à bien un tel marathon et toutes les familles ne peuvent pas se le permettre. On peut aussi se demander si l’enfant ou l’adolescent ne tirerait pas parfois plus de bénéfices à souffler et lâcher la pression au calme plutôt que de courir d’un thérapeute à l’autre avec le travail scolaire à réaliser en plus, par après. Il arrive d’ailleurs très fréquemment qu’à l’adolescence, le jeune rejette tout ou partie de son traitement à cause du temps que cela lui prend, des remarques de ses camarades. Les parents et les soignants demandent un remboursement plus élevé des médicaments et une intervention financière plus importante dans la prise en charge de la logopédie, de la psychomotricité, des psychothérapies et surtout après l’âge de 12 ans. En effet, passé ce seuil, les remboursements sont complètement supprimés.

Paroles de soignants aux parents[17] :

Le TDA/H n’est pas une fatalité irréversible. C’est par un travail commun et de longue haleine que nous verrons une amélioration. Tout doit se faire en nuances, avec réflexion et prudence. Un enfant n’est pas l’autre, les familles sont différentes et les contextes scolaires sont différents. Un conseil valable à un moment donné peut ne plus l’être à un autre moment. C’est un long chemin où les professionnels sont là pour vous accompagner, doser le soutien nécessaire mais sans jamais décider à votre place. Votre rôle de parents est important : ni médecins, ni thérapeute, mais aimants inconditionnels. Même s’il est différent, votre enfant n’est pas étranger au clan familial. Vous pouvez l’aimer tel qu’il est.

Paroles de soignants au monde politique[18] :

Est-ce que vous pouvez imaginer une seule seconde en quoi consiste la prise en charge d’un enfant hyperactif ?

C’est un suivi régulier par le neuropédiatre afin d’évaluer un traitement médicamenteux qui n’est pas remboursé. C’est une prise en charge chez un logopède pour les difficultés scolaires, qui n’est pas remboursée au-delà d’un certain nombre d’années. C’est une rééducation neuropsychologique pour les troubles attentionnels et d’inhibition, qui n’est pas remboursée. C’est un suivi psychologique pour les difficultés d’intégration sociale et d’estime de soi, qui n’est pas remboursé. Comment les parents peuvent-ils s’en sortir financièrement (et psychologiquement, mais c’est un autre débat) avec de telles charges ? Ici encore, c’est la loi du plus riche qui l’emporte. Les parents qui ont les moyens peuvent prendre en charge leur enfant, mais pour les autres …

Pourquoi ce trouble neurologique pose-t-il tant de problème à l’école ? Et en famille ?

Diagnostic complexe

Multidisciplinaire, il repose principalement sur la discussion entre le médecin et les proches de l’enfant en question. En effet, il n’existe pas de test biologique permettant d’établir la présence du trouble avec certitude.

Les examens que l’enfant ou l’adolescent va subir sont donc très nombreux, coûteux financièrement, en temps et en énergie. Il n’existe pas suffisamment de centres multidisciplinaires auprès desquels l’enfant pourra être testé par une équipe et non plus par différents soignants de manière individuelle. Les listes d’attente dans ces centres sont donc longues et il arrive parfois que des parents excédés et épuisés par ce parcours du combattant se tournent vers leur médecin traitant pour lui demander un diagnostic et un traitement alors qu’il n’est pas spécialisé dans le domaine.

Charlotte, 34 ans, a découvert récemment qu’elle était atteinte de TDA/H[19] : Le fait de découvrir soudain l’existence de ce problème dans ma vie, et de mettre un nom dessus, cela crée des remous ! D’abord une sorte de soulagement, parce qu’on comprend tout à coup pourquoi tellement de choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû. Tout s’éclaire ! Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt ? Et puis tout de suite après, vient un regret intense, une impression de gâchis. Parce qu’on n’a pas su prendre à temps les mesures nécessaires pour éviter tous ces déboires.

Querelles d’écoles entre soignants

On l’a vu plus haut, l’établissement du diagnostic est un travail de longue haleine et il arrive souvent que les parents reçoivent tellement d’informations contradictoires qu’ils ne savent plus à qui ils peuvent faire confiance. Et en effet l’approche du TDA/H est culturellement marquée. Dans les pays anglo-saxons l’approche sera plutôt neurobiologique tandis que dans les pays latins, on prendra plus en compte le contexte familial, social et psychologique dans lequel évolue l’enfant. La Belgique, par sa position centrale, est dès lors tiraillée entre les deux approches et voit parfois des querelles violentes éclater entre les tenants de l’une ou de l’autre[20]. On observe d’ailleurs en Belgique une forte disparité quant à la consommation de Rilatine entre les régions : En Belgique, 89 doses de Rilatine sur 100 sont vendues en Flandre[21]. Le diagnostic se fait beaucoup plus facilement en Flandre et il s’effectue sur base d’échelles d’évaluations de comportements alors que dans la partie francophone du pays, on effectue de plus en plus d’examens neuropsychologiques qui mettent en évidence les fonctions perturbées, ce qui permet la mise en place de rééducations spécifiques. Les Flamands s’accordent pour la grande majorité pour dire que le TDA/H est un trouble neurologique qui doit être traité par des médicaments et des thérapies comportementales. La psychoéducation (séances d’informations pour parents et enfants) fait aussi partie du traitement. Ils recourent plus rarement aux psychothérapies et rééducations neuropsychologiques.

La maman de Guillaume témoigne[22] : Je relis son énorme dossier, ses bulletins, je repense à son histoire et cela semble si évident ! Si c’est bien un TDA/H, comment ne l’a-t-on pas vu plus tôt, dès les tests à XXX ? On aurait gagné plus de 3 ans de souffrance pour lui et pour toute la famille, 5 ans même, si l’on avait été mieux orienté plus tôt.

Les enseignants, aussi, se sentent un peu perdus et désorientés face à la multitude d’informations parfois contradictoires. Le concept d’hyperactivité reste flou à leurs yeux ; ils perçoivent une certaine « immaturité » du sujet au sein du corps médical qui leur semble délivrer des avis contradictoires, et cela les rend méfiants. Ils font remarquer qu’ils ont toujours connu des enfants « difficiles » et que le fait qu’ils portent un autre nom ne change pas grand-chose.[23]

Ils déplorent aussi le manque de formations concrètes pour la prise en charge pédagogique de ces enfants. Il nous faut des pistes concrètes, parce que même en sachant ce qu’est le problème, on ne sait pas nécessairement comment le travailler au niveau pédagogique. Nos formations restent souvent au stade de l’information sans atteindre les méthodes pratiques.

Ça m’intéresserait surtout de voir comment font les autres dans leurs classes. Chacun de nous a ses petits trucs, mais on travaille beaucoup par essais et erreurs. On apprendrait plus avec les autres enseignants qu’avec un formateur. Comment gérer la différence, la violence parfois, comment adapter les normes sans donner aux autres l’impression d’une injustice ? Comment travailler sur la tolérance, mais sans stigmatiser…

Contacts difficiles entre parents et enseignants

Les relations sont souvent tendues car le TDA/H est un trouble du comportement. L’enfant perturbe la classe et empêche parfois l’enseignant de faire son métier. Il peut vite devenir la bête noire de la classe.

Jordan, 21 ans : A l’école primaire, ça s’est plus ou moins bien passé, malgré des cotes de discipline catastrophiques. Après, j’ai commencé à avoir réellement des problèmes pour me concentrer. Cela me mettait hors de moi de rage, je m’énervais tout de suite. Je me bagarrais pour un rien, je cassais des chaises, j’ai même mis le feu à l’école une fois, avec un copain. Je n’ai jamais voulu faire de mal à personne, parce que je savais que le problème était chez moi et pas chez les autres. Mais mon agressivité me dépassait souvent …[24]

Les parents en viennent à redouter les rencontres avec les enseignants car ils se sentent souvent perçus comme des « mauvais parents », laxistes, ultra-protecteurs. Ils hésitent à annoncer en début d’année de quoi souffre leur enfant, par crainte de le voir définitivement étiqueté. Dans le cas des TDA/H, le Centre PMS est souvent appelé à jouer les médiateurs : Les enseignants disent parfois : on ne voit jamais les parents, pourtant on les a déjà convoqués plusieurs fois. Mais les parents n’ont peut-être pas envie d’aller à l’école pour encore s’entendre dire que leur gosse a été insupportable. On essaie alors de réconcilier les parents avec l’école et l’école avec les parents ; ce qui n’est pas toujours facile…[25]

Michelle, maman de Guillaume : En troisième année, l’enfer commence réellement. Aux récréations, en classe, Guillaume se comporte mal partout, n’écoute pas…Il s’isole socialement, est persuadé que l’école entière le déteste et l’agresse. Alors, il frappe avant. Tous ses profs se plaignent de lui au point que je n’ose plus aller en salle des profs à l’idée d’être encore interpellée sur son comportement.[26]

Effet pervers du traitement médicamenteux

A côté des autres troubles de l’apprentissage, le TDA/H est le seul trouble qui puisse être traité par des médicaments. Comme nous l’avons dit plus haut, le TDA/H est bien un trouble neurologique. La dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie, la dysphasie, la dyspraxie et la dysgraphie ne peuvent être traités par des médicaments. Cette incursion du médical pour les TDA/H dans l’univers scolaire pose beaucoup de questions en termes de responsabilité et de prise en charge scolaire tant en Belgique que dans d’autres pays comme le Canada : L’un des aspects les plus troublants avec l’usage croissant de l’étiquette TDA/H dans nos écoles est que cela constitue une incursion du médical dans un domaine qui était antérieurement celui des éducateurs. Autrefois, si un élève avait des difficultés d’attention, les enseignants s’interrogeaient ainsi :

  • Comment cet enfant apprend-il le mieux ?
  • Quel type d’environnement d’apprentissage devrais-je créer pour favoriser l’utilisation de ses propres habiletés naturelles ?
  • Comment puis-je transformer mon cours pour obtenir son attention ?

(…) Aujourd’hui, avec la prédominance du paradigme biologique, un enseignant est plus porté à se poser des questions comme : « Est-ce que cet enfant souffre du TDA ou du TDA/H ? », « Est-ce que je devrais le faire évaluer ? », « Est-ce que la médication l’aiderait ? », et d’autres interrogations qui l’entrainent loin de sa fonction première d’éducateur. Les adeptes de ce point de vue ne sont pas très intéressés ni très motivés à déterminer le style d’apprentissage d’un enfant hyperactif, impulsif ou distrait. Ils veulent simplement un diagnostic et un traitement médical du problème[27].

Etiquette, stigmatisation

Une fois que l’enfant ou l’adolescent est diagnostiqué TDA/H, le danger est de ne voir plus que son trouble et les effets négatifs de celui-ci. Or justement, cet enfant et cet adolescent ont besoin d’être porté, encouragé, stimulé positivement. Ils ont besoin de vivre des succès en s’épanouissant dans des activités qui ne les mettent pas en difficulté. Ils doivent y trouver amusement, détente et plaisir, plus question ici de performance et de réussite. Ils pourront ainsi davantage croire en eux-mêmes et ne pas être que TDA/H. Il est essentiel que l’information véhiculée par les médias et auprès des enseignants soit positive et qu’elle aille au-delà de l’aspect « problèmes ou difficultés ». Les qualités de créativité, de dynamisme, de sensibilité et de curiosité méritent d’être mises en avant et en évidence. L’estime de soi est un levier essentiel à l’intégration de l’élève dans l’école et plus tard dans sa vie professionnelle. Quand on demande aux adultes atteints de TDA/H quel est le facteur qui a le plus influencé leur réussite, ils répondent fréquemment que c’est un enseignant qui croyait en eux. Si un enseignant peut aider un enfant à mieux réussir à l’école, plus tard, en tant qu’adulte, il aura une meilleure estime de soi. Il utilisera au mieux son potentiel pour réussir sa vie et aura moins de troubles psychiques. Il sera un individu plus intégré, plus heureux, qui aura réussi à faire de sa différence sa force[28].

Témoignage de Pierre, 50 ans :A l’époque, on ne parlait pas de TDA/H, ni même d’hyperkinésie. Et j’en suis très heureux ! Je crois que ma vie aurait été fichue si j’avais été catalogué, comme on le fait aujourd’hui. Je me serais senti différent, j’aurais sans doute été mis sous médicaments, bref, on m’aurait vu comme un « malade ». Sans compter que cette étiquette de TDA/H, c’est quand même la reconnaissance officielle qu’on est un « emmerdeur » ! Connaissant ma tendance à la révolte, je crois que cela aurait été bien pire ! (…) Aujourd’hui, avec le recul, je pense que j’ai mis mon hyperactivité à profit. Elle m’a toujours donné une énergie formidable et une grande créativité. Je vois cela comme une chance dans ma vie, qui m’a permis d’oser entreprendre des choses et de les réussir. Je n’aurais pas voulu qu’on me donne des médicaments pour que je reste bien sage dans le troupeau !

Conclusion

Enseigner à un élève atteint de TDA/H peut être très déstabilisant, surtout pour les enseignants qui ne sont pas sensibilisés à ce trouble. Une méthode, une stratégie qui fonctionne à un moment n’aura peut-être plus d’effet le jour suivant. Ces élèves forcent les adultes qui les côtoient à la créativité, à la patience, à l’empathie et surtout à la mise en place de limites claires et cohérentes. Comme le témoigne une enseignante, pour des enfants qui ont des facilités, à la limite je ne suis pas nécessaire, tandis que pour ces enfants-là, je suis plus utile. Les parents, la fratrie d’un enfant TDA/H sont au cœur de tensions familiales. Les relations avec l’entourage sont souvent houleuses : les parents insistent beaucoup sur le fait que leur enfant TDA/H, même s’il empoisonne la vie de son entourage, ne le fait jamais « exprès ». Ils le décrivent le plus souvent comme un enfant très attachant, plein du désir d’être aimé, du désir de bien faire. Un enfant en demande constante de contacts, de câlins, d’amitié, et qui, hélas, est le plus souvent intensément frustré dans cette attente, soit parce que les autres se détournent de lui, soit parce que lui-même est incapable de recevoir les marques d’amitié ou d’amour[29].

Ces enfants ont besoin d’adultes chaleureux, respectueux et soucieux de s’informer de leur trouble. Il est dès lors essentiel que les futurs enseignants comme les enseignants en fonction aient l’occasion de se former, de s’informer et de partager leurs expériences et leurs pratiques pédagogiques. L’UFAPEC insiste pour que des formations de qualité soient organisées pour les enseignants, les directions, les agents PMS et les éducateurs.

La création de plate-forme d’échanges de bonnes pratiques pourrait aussi épauler les enseignants. Les parents, quant à eux, ont besoin de soutien pour porter, encadrer et encourager leur enfant. Ils se sentent souvent désemparés et bien seuls face à des enfants qui ne correspondent pas aux stéréotypes habituels. Les échanges entre parents qui vivent les mêmes questions, les conférences, les rencontres avec des spécialistes renforcent les parents et leur permettent de sortir de leur isolement. L’UFAPEC souhaite que de tels soutiens soient rendus accessibles à tous et pris en charge financièrement. La création de centres multidisciplinaires allègerait en outre la prise en charge de ces enfants et de ces ados qui n’auraient plus à rencontrer plusieurs professionnels dans des lieux différents sans concertation aucune. Ils bénéficieraient au contraire du regard multiple d’une équipe qui  réadapterait son champ d’action en fonction de l’évolution et des besoins de l’enfant ou de l’adolescent. Les parents et les enseignants ne se trouveraient plus désorientés face aux avis souvent contradictoires des experts. Un meilleur remboursement des prises en charge thérapeutique sur une plus longue durée permettrait à toutes les familles d’encadrer et de soutenir leur enfant et leur adolescent dans la durée.

L’UFAPEC insiste sur la nécessité de rappeler à chaque acteur qui côtoie un enfant ou un adolescent TDA/H que personne n’est responsable du trouble de l’attention et qu’il est important de s’unir pour aider l’enfant à développer son potentiel et à faire de sa différence sa force. Comme le témoigne Désirée sur le site de l’asbl TDA/H : A force de devoir faire face depuis mon plus jeune âge aux défis que provoquait mon TDA/H, je suis devenue mature plus vite que les autres enfants. J'ai appris à connaitre mes forces et mes faiblesses. J'ai pris l'habitude de travailler dur pour atteindre mes buts. Cette capacité d'adaptation, de faire face est devenue petit à petit une force. J'ai apprivoisé mon TDA/H et maintenant je suis prête à relever tous les défis ![30]

 

Anne Floor

 

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.



[1]Enseignante coordinatrice pour les élèves en difficulté dans un établissement d’enseignement secondaire.

[2]Extrait du compte-rendu d’une conférence organisée par l’AP de l’Institut de la Providence de Jodoigne – « Hyperactivité, déficit de l’attention, ou tout simplement enfant turbulent ». http://users.skynet.be/fb698343/parent/HYPERACTIVITE.pdf.

[3]Le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder : manuel de diagnostic créé par l’Association américaine de psychiatrie) énumère des critères bien précis pour poser le diagnostic d’un des trois sous-types du TDA/H.

[4]Extrait d’une interview du Prof. M.P. Noël par M.F. Dispa, Gaël n°185 de mars 2004.

[5]P. De Coster, A-G. de Longueville, Dr. X. Schlögel, TDA/H à l’école, p.16, Wolters Plantyn, 2007.

[6]Ibidem, p.22.

[7]Ibidem, p.22.

[8]Fondation Roi Baudouin, Les grands chantiers du TDA/H, p.8, Bruxelles, décembre 2005.

[9][9]Ibidem, p.8.

[10]Docteur P. Oswald, Comprendre et traiter le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), p. 44, Vivio, 2006.

[11]François Gonon est neurobiologiste et professeur à l’Université de Bordeaux et chercheur au CNRS.

[13]La neuropsychologie est la discipline qui étudie les liens entre le fonctionnement du cerveau et le comportement.Elle s’intéresse à l’étude des modifications cognitives: perte et compensation (langage, mémoire, attention, fonctions exécutives, espace, praxies etc.), émotionnelles, comportementales après une lésion cérébrale ou dans le cadre d’une maladie. http://www.ffn-neurologie.org/grand-public/exploration/evaluations-neuropsychologiques/index.phtml.

[14]Le neurologue pédiatre assure la prise en charge prise en charge des enfants et adolescents présentant un trouble du système nerveux central (cerveau ou molle) ou du système nerveux périphérique (nerfs ou muscles). Définition issue du portail du service de neurologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc http://www.saintluc.be/services/medicaux/neuropediatrie/index.php

[15]La pédopsychiatrie est une branche de la psychiatrie concernant l'étude et le traitement des troubles mentaux chez l'enfant et l'adolescent. http://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/p%C3%A9dopsychiatrie/15229.

[16]Fondation Roi Baudouin, Les grands chantiers du TDA/H, p.14, Bruxelles, décembre 2005.

[17]Extrait des messages de soignants aux parents tiré de « Les grands chantiers du TDA/H », p.21, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, décembre 2005.

[18]Extrait des messages de soignants au monde politique tiré de « Les grands chantiers du TDA/H », p.21, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, décembre 2005.

[19]Tous les témoignages sont issus du dossier sur les TDA /H réalisé par la Fondation Roi Baudouin. Fondation Roi Baudouin, Les grands chantiers du TDA/H, Bruxelles, décembre 2005.

[20]Ibidem, p. 9.

[22]Fondation Roi Baudouin, Les grands chantiers du TDA/H, p.13, Bruxelles, décembre 2005.

[23]Ibidem, p. 26.

[24]Ibidem, p. 17.

[25]Ibidem, p. 27.

[26]Ibidem, p. 23.

[27]T. Amstrong, Extrait de Déficit d’attention et Hyperactivité, Editions de la Chenelière, Canada, 2001.

[28]Asbl TDA/H, TDA/H et Scolarité, Belgique, 2010.

[29]Fondation Roi Baudouin, Les grands chantiers du TDA/H, p.12, Bruxelles, décembre 2005

[30]http://www.tdah.be/tdah/tdah/temoignages/temoignage-d-adulte

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK