Analyse UFAPEC 2011 par D. Houssonloge

07.11/ Va te faire intégrer ! 1e partie : L’apprentissage du français à l’école, clé pour l’intégration des élèves d’origine immigrée.

La langue n’annihile pas les différences culturelles et sociales, mais elle les rend audibles les unes aux autres.
Alain Bentolila
 

Réussite scolaire des élèves d’origine immigrée

C’est un fait établi, la Belgique, comme de nombreux autres pays occidentaux, est aujourd’hui une mosaïque de peuples et de cultures. La multiculturalité est une chance, mais ne se réussit qu’à certaines conditions.

« Va te faire intégrer ! », cette phrase entendue dans une cour de récréation d’un élève à un autre, est représentative de certains stéréotypes de la société quant aux populations immigrées.[1] Si la notion d’intégration est fondamentale, elle signifie non pas assimiler l’Autre mais l’accueillir dans sa différence tout en conservant notre propre identité, comme l’écrit Alain Touraine, « Vivre ensemble à la fois égaux et différents, n’est-ce pas la quadrature du siècle ? La mondialisation de l’économie nous mélange dans les supermarchés de l’information et de la consommation, mais ne nous aide pas à nous comprendre ; et lorsque nous cherchons refuge dans notre identité ou dans une communauté homogène, nous en venons inévitablement à rejeter l’Autre dont la différence apparait vite comme une menace. »[2]

La maitrise de la langue, et donc du français, est un élément d’intégration de premier ordre mais dans quelles conditions et à quel prix pour l’élève ? L’enquête PISA montre que le résultat moyen des élèves belges en lecture (mais aussi en mathématiques) est plus avancé d’environ deux années scolaires, par rapport au résultat moyen des élèves immigrés non européens scolarisés dans le pays. [3] Le constat en termes de réussite scolaire pour ces élèves est éloquent et valable pour toute l’Europe : « Les élèves immigrés sont des apprenants motivés et ont une attitude positive envers l’école. Malgré cela, leurs performances sont souvent moindres que leurs pairs autochtones »[4].

Mais plus inquiétant pour notre système scolaire, les résultats des enfants d’immigrés sont quasi identiques à ceux des immigrés de la 1e génération. Nous allons approfondir dans cette analyse la question de  ces immigrés de la 2e génération.[5]

Des recherches montrent aussi que les jeunes parlant une autre langue que le français à la maison obtiennent de moins bons résultats.[6] Dominique Lafontaine, chercheuse à l’Université de Liège, commentant les résultats PISA, précise que ces élèves dont le français n’est pas la langue maternelle encourent un risque de retard trois fois plus élevé que les autres.[7] Ajoutons encore une difficulté à se positionner entre deux cultures : celle de la langue maternelle et celle du français de l’école.

L’Ecole qui accueille et instruit les élèves immigrés ou enfants d’immigrés est une fois de plus bien seule et démunie faute de politiques claires et ambitieuses de notre gouvernement. A ce jour, rien n’est prévu dans nos écoles pour accompagner ces enfants nés en Belgique, voire naturalisés Belges, dans l’apprentissage du français, première condition à une intégration réussie. Précisons que les élèves issus de l’immigration partagent leurs faibles performances en lecture avec les autres élèves de milieux socio-économiques défavorisés tout aussi étrangers à la culture de l’écrit.[8]

Difficultés d’appropriation du français

La maitrise de la langue est capitale. Voici comment le programme de français du Secrétariat de l’Enseignement Catholique la définit : « La langue constitue l’accès à l’exercice de la raison et de la communication. De même, elle contribue à la construction de l’identité. Sa maitrise favorise grandement la réussite scolaire, l’insertion socioprofessionnelle et l’émancipation sociale. »[9]
L’école projette l’enfant dans le monde de l’écrit (lecture, écriture). Pour les enfants dont le milieu familial maitrise la langue écrite, l’entrée se fera naturellement et aisément. Pour les autres, le français de l’école restera très souvent hermétique, source de découragement, de décrochage puis d’exclusion. Le passage de l’écrit à l’oral est semblable au passage d’un monde à l’autre, d’une culture à l’autre. C’est comme si, explique Xhavière Remacle du Centre Bruxellois d’Actions Interculturelles, l’enfant passait d’un monde, d’une culture à l’autre. La culture du dialogue à bâtons rompus pour l’oral à une pensée linéaire avec un début et une fin sous forme de monologue pour la culture de l’écrit[10] : « L’élève qui ne parle pas français comme langue maternelle est un enfant qui peut manquer de repères dans son environnement scolaire, non seulement parce qu’il a des « manques » en matière de compétence langagière, mais aussi, et surtout, parce qu’il se trouve dans une culture linguistique et scolaire différente. »[11]

Pour les enfants immigrés dont les parents parlent une autre langue à la maison et qui ont été peu ou pas scolarisés, la difficulté est double : maîtriser le français comme langue seconde et maîtriser le langage écrit.

Les représentations de l’enseignant : d’une finalité technique à une finalité socio-culturelle de la langue

Très vite, un enfant d’origine immigrée peut développer une attitude de frilosité voire de rejet par rapport au français : « Le délabrement de la médiation familiale, que ne peuvent ou ne savent compenser les institutions éducatives, a pour conséquence que bien des enfants dès leur plus jeune âge se trouvent en situation d’insécurité linguistique ».[12]

Une fois de plus cela nécessite chez l’enseignant un recul et une prise de conscience par rapport à sa pratique mais aussi par rapport à ses propres codes socio-culturels. L’idée que l’enseignant est d’abord un passeur plutôt qu’un assimilationniste est revenue plus d’une fois lors de la journée d’étude du SeGEC consacrée à l’interculturalité[13] : faire découvrir à l’élève la culture et la langue du pays d’accueil et non lui imposer.
 
De même, trop souvent, le professeur ne perçoit que la finalité technique de la langue : pour lui, enseigner le français signifie d’abord transmettre des connaissances en grammaire, en conjugaison, en syntaxe, en orthographe alors que, comme l’explique Jean-Luc Vanschepdael du SeGEC, « Un non-lecteur ou un faible lecteur a souvent de bonnes raisons de ne pas lire. Il peut se sentir étranger au monde des livres et ne pas voir d’utilité à la lecture. Il est en effet difficile de devenir lecteur dans un milieu qui ne l’est guère ou qui ne valorise pas la lecture. La lecture n’est pas qu’une question de savoir-faire technique, elle est aussi une pratique sociale et culturelle. Partager ses représentations sur la lecture, se donner des raisons de lire et donc d’apprendre à lire, apprendre à s’orienter dans le monde des livres et dans les lieux du livre sans s’y sentir perdu, tels sont les objectifs des activités de familiarisation. Ces activités seront particulièrement utiles aux élèves issus d’un milieu étranger au monde des livres et/ou ne percevant pas de sens à la lecture ».[14] 
 
L’analyse de l’école en France que fait le linguiste Alain Bentolila vaut pour notre système d’enseignement : « Il aurait donc fallu que cette école se transformât en profondeur dans son organisation, sa pédagogie, la formation de ses maîtres et ses finalités professionnelles. [ …] Si elle a réussi la massification de ses effectifs, elle a complètement raté sa démocratisation. On a voulu croire et faire croire, que l’école avait le pouvoir de mettre à sa mesure ces élèves venus d’ailleurs sans changer sérieusement ses habitudes et ses moyens d’action, et cela n’a évidemment pas marché. Le résultat a été la constitution de ghettos scolaires, l’ouverture de voies cachées de relégation et la tolérance de couloirs honteux de l’illettrisme qui traversent aujourd’hui notre école. Si une véritable faille culturelle fracture et pervertit notre école, c’est parce que, malgré discours et annonces faits par les ministres de droite et de gauche, la question de la maîtrise de la langue n’a jamais sérieusement été prise en compte ».[15] 

Pistes de remédiation et conclusion

Parmi les pistes à creuser, citons, entre autres, les arts du langage, la dimension expérientielle (apprendre par l’expérience), des pédagogies interculturelles, des compétences (méta)linguistiques et transdisciplinaires.[16]

Dès le plus jeune âge, mettre tous les enfants en contact avec des livres est fondamental. Marie Bonnafé l’explique dans Les livres c’est bon pour les bébés et évoque son association ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations réunissant tous ceux qui s’occupent de transmission culturelle dès la petite enfance). Les bambins accompagnés de leurs parents découvrent enfin des livres à manipuler, regarder, feuilleter et écoutent l’histoire contée par des professionnels.  
 
« Non seulement, les enfants les plus défavorisés sont prêts à découvrir le plaisir du livre, mais les parents les plus en difficulté sont, eux aussi, émus de cet intérêt inattendu et, à leur tour, prennent des livres en main. Ce qui paraissait irréversible change».[17]

Au Québec, le ministère de l’Education, au moyen de sa politique d’intégration, a développé le projet Elodil d’éveil aux langues. Il permet à la fois de reconnaître les langues d’origine, de s’ouvrir à la diversité linguistique et prendre conscience du rôle du français comme langue commune : « pour un savoir-vivre ensemble dans une société francophone, démocratique et pluraliste ». Il s’agit d’un Programme métaphonologique plurilingue. Des élèves de maternelle sont mis en contact avec les bonjours, comptines numériques (1,2,3), et les chansons d’anniversaire dans différentes langues. Cette activité permet aux élèves immigrés de se faire entendre. Tous les enfants s’interrogent sur le plurilinguisme, les représentations qu’ils ont des langues, l’origine des langues, les pays où l’on parle ces langues. Les enfants prennent conscience que le « bilinguisme ne rend pas idiot ».[18]

Christian Haccour, inspecteur aux Services Diocésains de Liège, rappelle que la lecture ne sera efficace que dans la mesure où elle est associée à la notion de plaisir pour avoir envie de recourir aux diverses formes de messages écrits pour imaginer, s’émerveiller, comprendre les autres, s’informer, mettre en mémoire…[19]
 
Parmi les outils réalisés par Jean-Luc Vanschepdael pour le secondaire différencié (pour les élèves qui n’ont pas obtenu leur CEB en fin de primaire), les activités suivantes illustrent assez bien le propos : écrire pour se dire, imaginer et créer en expérimentant par exemple des dimensions graphiques de l’écriture, recopier ou produire des textes avec des supports (papiers, matières, objets) et des outils d’écriture variés (porteplume, plume d’oie, pastels, traitement de texte…) en jouant sur les ressources de la typographie ou de la mise en page, en soignant l’écriture des lettres ou des lettrines à la manière des calligraphes ou des enlumineurs, créer un alphabet figuré ou imaginaire, créer des typographies inventées à partir d’écritures étrangères, créer des mots images, des graffitis ou des signatures, des cryptogrammes, des logos…[20]
 
En conclusion, notre société est multiculturelle et nos écoles comptent de nombreux élèves d’origine immigrée. Ces élèves sont en échec ou courent un risque d’échec puis d’exclusion sociale beaucoup plus importants parce que dès le départ, ils ne maitrisent pas le français. Face à ces freins linguistiques et culturels, rien n’est mis en place en termes de moyens, de pédagogies adaptées et de formation des enseignants pour permettre à l’Ecole de la Réussite[21] d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés. Des expériences qui ont fait leur preuve sont à développer comme familiariser l’enfant avec les livres dès le plus jeune âge, éveiller l’enfant aux langues dans une dimension socio-culturelle et de métalangage (attitude de réflexion sur la langue), sensibiliser l’élève à l’interculturalité et enfin, développer la notion de plaisir et de créativité dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
 
Déjà, dans son Mémorandum 2009, l’UFAPEC insistait sur la nécessité d’améliorer la maitrise de la lecture. Notre mouvement d’éducation permanente et de parents insiste encore, en écho aux Assises de l’Interculturalité, sur l’urgence absolue d’intensifier les investissements consentis pour que tous les élèves maîtrisent la langue de l’enseignement.
 
A nous de choisir quelle société et quels citoyens nous voulons pour demain comme Bentolila le résume très justement : « L’apprentissage de la langue conditionne le destin scolaire et social de chacun de nos enfants. Qui sait parler, lire et écrire, sait penser par lui-même, mais aussi réfléchir avec les autres, accepter l'autre, trouver sa place en société. Or tout se joue très tôt dans cet apprentissage fondamental de la langue, qui est aussi celui de la différence. " A nos enfants, nous devons apprendre que la langue n'est pas faite pour parler seulement à ceux que l'on aime, mais qu'elle est faite surtout pour parler à ceux que l'on n'aime pas. C'est en leur transmettant avec autant de bienveillance que d'exigence les vertus pacifiques du verbe que l'on peut espérer qu'ils en viennent aux mots plutôt qu'aux mains. »[22]
 
 
 
Dominique Houssonloge
 
 
 
 
Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.


[1] La langue et l’intégration des immigrants sous la direction de James Archibald et Jean-Louis Chiss, L’Harmattan, Paris, 2007.
[2] Alain Touraine, Pourrons-nous vivre ensemble ? Égaux et différents. Fayard, 1997
[3] Dominique Lafontaine,Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 13-14/2003, p. 88
[4] Commission européenne, rapport Education et formation 2010
[5] Concernant les primo-arrivants, voir l’analyse UFAPEC, Accueil et intégration des élèves d’origine immigrée par Julie Feron. 2008, http://www.ufapec.be/nos-analyses/accueil-et-integration-des-eleves-d-origine-immigree/
[6] Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité. EME, 2007
[7] Dominique Lafontaine,Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 13-14/2003, p. 82
[8] Philippe Hambye et Silvia Lucchini, Diversité sociolinguistique et ressources partagées. Regards critiques sur les politiques d’intégration linguistique en Belgique, 2005.
[9] 1er degré d’Observation 1ère A – 2ème Commune, 2005
[10] « Nos élèves venus d’ailleurs et leur double mémoire », journée organisée par le Service de pastorale scolaire, Services diocésains de Bruxelles-Brabant wallon, 15 mars 2011, Bruxelles.
[11] La langue et l’intégration des immigrants, op. cit, pp. 316-317
[12] Alain Bentolila, Le Verbe contre la barbarie. Apprendre à nos enfants à vivre ensemble. Odile Jacob, 2008.
[13] Journée d’étude du SeGEC Vers une société multiculturelle. Quels enjeux, quelles bonnes pratiques ? 21 mars 2011, Champion. - http://admin.segec.be/documents/4446.pdf
[14]Jean-Luc Vanschepdael, Français. Guide pratique du Cadre de référence 1er degré différencié. A l’usage des enseignants. 2008. http://admin.segec.be/documents/4446.pdf
[15] Alain Bentolila, op. cit., pp. 76-77
[16] La langue et l’intégration des immigrants, op. cit., p. 326
[17] René Diatkine in Marie Bonnafé, Les livres, c’est bon pour les bébés. Calmann-Lévy, 1994,2001, p.
[18] Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité. EME, 2007, p. 19-22
[19] Les Parents et l’Ecole, n° 35. 2002
[20] Jean-Luc Vanschepdael, op. cit.
[21] Décret Missions 1997
[22] Alain Bentolila, op. cit.

 

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK