Analyse UFAPEC 2009 par M-N. Tenaerts

08.09/ D’où viennent les savoirs d’aujourd’hui ?

Introduction

Les cours dispensés dans l’enseignement se doivent d’être en adéquation avec les programmes des cours. Ces programmes dépendent du réseau d’enseignement et du type d’enseignement et du socle de compétences à atteindre en fin de cursus scolaire.
Le rapport au savoir est défini par Bernard Charlot comme étant une « relation de sens et donc de valeur, entre un individu ou un groupe et les processus ou les produits du savoir »[1]. Les savoirs sont intégrés dans une dynamique qui prend en compte le psychisme de l’individu, son enracinement familial, sa culture sociale, à l’origine de ses motivations. C’est en fonction de ces éléments qu’ils prennent - ou non – un sens pour l’individu. Martine Fournier s’interroge également sur les savoirs que l’école se doit de transmettre : particulièrement, dans l’enseignement, les conceptions dominantes sur le savoir seraient celles des savoirs sacrés, révélés, intouchables dont nous aurions hérité »[2]

Scolarité, pédagogie et domination ?

D’après Jean-Claude Ruano-Borbalan, l’histoire de la connaissance et de la transformation des savoirs a été marquée par deux innovations majeures et qui sont l’invention de l’écriture et la généralisation de la forme scolaire de type européen[3]. Pour lui, la forme pédagogique occidentale a été rapidement diffusée à l’ensemble de l’espace chrétien. Il a été formalisé par Jean-Baptiste de La Salle, fondateur de l’Institut des Frères de l’Ecole chrétienne, sous le règne de Louis XIV et par les jésuites pour les collèges d’Ancien Régime. Selon Ruano-Borbalan, « la radicale nouveauté de la méthode lasalienne consistait, par exemple, à universaliser une forme scolaire pour un enseignement élémentaire, désormais destiné au plus grand nombre, en édictant des règles strictes s’appliquant autant aux élèves qu’aux maîtres : « des savoirs enseignés aux méthodes d’enseignement en passant par les moindres aspects de l’organisation de l’espace et du temps scolaire, rien n’est laissé au hasard, tout est objet d’écriture, de décomposition, de fixation de mouvements, des séquences, permettant ainsi une systémisation accrue et un enseignement simultané ». Cette forme pédagogique occidentale est née de la volonté de gouverner les esprits et d’éviter les errements de l’enfance ou de l’adolescence. Elle s’est avérée redoutablement performante pour la transmission des connaissances, mais surtout pour la canalisation des différences individuelles ou collectives : le mouvement de généralisation des écoles constitue, au début du XVIIè siècle une véritable ruée scolaire dans l’ensemble de l’Europe »[4].
 
Ensuite, ce sont les Etats-nations, érigés à la même période, qui se sont emparés de l’organisation scolaire et des contenus du cursus. L’objectif poursuivit étant de « maintenir tranquille la jeunesse urbaine et rurale et de lui inculquer les normes morales et sociales en vigueur »[5]. L’Etat a par ailleurs contribué à orienter la production des connaissances pour des raisons politiques : maintenir et développer une puissance nationale. La sélection des élites, d’après Ruano-Borbalan, est devenue l’un des fondements de la pratique des enseignants de l’institution scolaire dans tous les pays européens[6]. L’instruction scolaire avait pour volonté de maintenir les couches populaires dans un strict état de dépendance, grâce à l’existence de deux formes d’enseignement : l’un primaire, pour le peuple et l’autre secondaire, pour les élites sociales[7]. D’après André Chervel, agrégé de grammaire et docteur ès lettres, « l’affirmation des disciplines et des exercices scolaires influe directement sur les cadres de la pensée. En effet, déjà au XIXe siècle, un des fondateurs de la sociologie, Auguste Comte, affirmait : « c’est sous l’égide des savoirs que peut se comprendre et s’organiser la société. A la même période, la naissance des disciplines scolaires est aussi de la forme de mise en ordre du monde, à laquelle doivent se soumettre les individus, notamment à travers de la forme scolaire inventée au même moment »[8].
 
Si l’on prend le problème à l’inverse, c'est-à-dire que ce ne seraient pas les élites qui peuvent suivre l’enseignement secondaire mais bien que ce serait « l’école qui rend intelligent »[9], nous entamons l’approche de Bastien, professeur à l’Université d’Aix-en-Provence, en cognition humaine. D’après les recherches actuelles menées dans le domaine, les connaissances implicites ou explicites seraient nécessaires pour en acquérir de nouvelles. Pour Bastien, « toute connaissance nouvelle prenant nécessairement appui sur une connaissance antérieure, la difficulté vient alors de ce que pour une même connaissance, plusieurs précurseurs sont potentiellement possibles et qu’il existe donc plusieurs cheminements pour parvenir à la construction d’une connaissance nouvelle »[10]. Cette thèse bouleverse ainsi la forme scolaire établie par Jean-Baptise de La Salle, qui prétendait à l’homogénéisation des méthodes, de l’organisation et qui ne laissait aucune place à la différence (qu’elle soit individuelle ou collective). On peut dès lors se demander si les prétendues élites ne sont pas tout simplement les individus qui avaient un schème de pensée et une cognition comparables avec ce que de La Salle avait pu mettre en œuvre. La pédagogie était unique et ne correspondait, sans aucun doute, pas à tous les élèves.
 
Pour Jean-Pierre Astolfi, professeur de sciences de l’éducation à l’Université de Rouen, « les savoirs sont morts et mortifères ». Et de continuer : « Plutôt que d’utiliser la technique du pied dans la porte[11] pour faire passer les connaissances, l’enseignement devrait s’attacher à rendre les savoirs engageants, en suscitant la curiosité et l’activité des élèves, en rendant à la connaissance sa dimension jubilatoire »[12]. La technique du pied dans la porte est une technique de manipulation étudiée par la psychologie sociale et qui démontre le phénomène de demander un peu (autrement dit, d’ouvrir la porte) et d’en demander plus par la suite. Il est évident qu’Astolfi fait partie du mouvement de l’éducation nouvelle et qui rompt fondamentalement avec une vision passéiste de l’école et des pédagogies traditionnelles (cours que l’on qualifie de transmissif et qui écarte l’élève de la participation). Dans la même veine, Philippe Meirieu, psychopédagogue, insiste sur la nécessité de repenser l’école[13]. Pour lui, il faut absolument remettre l’élève au centre de la question car les élèves ne se sentent pas concernés par des savoirs strictement fonctionnels.
 
Tout comme le souligne Philippe Coulangeon, sociologue français, l’argumentaire développé par Bernard Lahire dans « la culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi » « souligne bien l’enjeu de l’école, lieu de transmission privilégié d’une compétence culturelle qui peut (et doit) être explicitée et ne se confond pas avec l’héritage, à travers la socialisation familiale, d’un système de dispositions génériques ineffable et globalement inconscient »[14]. Coulangeon insiste donc sur la dissociation nécessaire entre école et famille et sur le rôle primordial de l’école. Pour Bastien, « l’opinion veut que la réussite scolaire dépende de l’intelligence. Et si c’étaient les connaissances scolaires qui rendaient plus ou moins intelligents ? »[15]
 
Les programmes scolaires actuels tentent de répondre à cette demande en donnant les outils d’appropriation des savoirs aux élèves : les missions prioritaires de l’enseignement sont rédigées depuis plus de dix ans en Belgique et, contrairement aux méthodes lasaliennes, promeuvent le développement d’un individu quelque peu différent : « - 1°promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves; - 2° amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences ; qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle; 3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures; - 4° assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale »[16]. Ne sommes-nous donc pas confrontés à un nouveau paradoxe de la forme scolaire ?
 
 
 
Marie-Noëlle  Tenaerts
Sociologue, chargée d’études et d’analyses
 
 
 
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[1] GIROD R., « Que reste-t-il de nos connaissances ? », in « Sciences-Humaines », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[2] FOURNIER M., « L’école peut-elle encore transmettre des savoirs ? », in « Sciences Humaines » mensuel n°120, « L’enfant. De la psychologie à l’éducation », Octobre 2001
[3] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[4] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[5] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[6] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[7] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[8] COMTE A. cité dans FOURNIER M., « L’école peut-elle encore transmettre des savoirs ? », in « Sciences Humaines » mensuel n°120, « L’enfant. De la psychologie à l’éducation », Octobre 2001
[9] RUANO-BORBALAN J-C., « Des sociétés occidentales aux sociétés scolaires », Hors-série n°24 « La dynamique des savoirs », mars-avril 1999
[10] BASTIEN C., « L’école, ça rend intelligent », in « Sciences Humaines », numéro spécial n°5 « L’Ecole en questions »
[11] La technique du pied dans la porte est une technique de manipulation étudiée par la psychologie sociale et qui démontre le phénomène de demander un peu (autrement dit, d’ouvrir la porte) et d’en demander plus par la suite.
[12] ASTOLFI J-P. cité dans FOURNIER M., « L’école peut-elle encore transmettre des savoirs ? », in « Sciences Humaines » mensuel n°120, « L’enfant. De la psychologie à l’éducation », Octobre 2001
[13] Entretien avec Philippe MEIRIEU, in « Sciences humaines », numéro spécial n°5, « L’école en questions »
[14] COULANGEON P., « Mouvements a lu Bernard Lahire, la culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi », in « Mouvements », n°37, janvier-février 2005, pp. 151
[15] BASTIEN C., « L’école, ça rend intelligent », in « Sciences Humaines », numéro spécial n°5 « L’Ecole en questions »
[16] « Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et secondaire et organisant les structures propres à les atteindre », MB 23-09-1997


 

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