Analyse UFAPEC juin 2017 par JPh. Schmidt

09.17/ Entre coopération et compétition, les valeurs sportives ont-elles encore un sens ?

 « Pour gagner, il faut risquer de perdre. »
Jean-Claude Killy

 

Introduction

Depuis des décennies, le sport fait partie de nous, de notre société, de notre quotidien. Pratiqué à l’école ou en privé, le sport véhicule des valeurs nobles ancrées dans notre mémoire populaire grâce, notamment, à Pierre de Coubertin, désireux de populariser le sport. Il y réussira en remettant l’Olympisme à l’honneur en 1896. « Le plus important aux jeux olympiques n'est pas de gagner, mais de participer, car l'important dans la vie ce n'est point le triomphe, mais le combat ; l'essentiel, ce n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu » aurait-il énoncé. Respecter les valeurs sportives universelles et promouvoir une saine émulation apparaissent indispensables. Mais qu’en est-il réellement ? Une compétition agressive aurait-elle pris le dessus à force de médiatisation indigeste ? La coopération et le respect de l’autre appartiendraient-elles au passé ? La société est-elle responsable de cette perte d’équilibre et de repère pour le sportif averti ou pour le sportif du dimanche ?

Pour comprendre les enjeux d’une mise en perspective des valeurs sportives et de s’en faire une opinion, nous aborderons les contextes que le sportif rencontre et nous interrogerons sur les notions de compétition et de coopération. Puis, nous verrons en quoi il est important de trouver un judicieux équilibre entre ces deux notions. Enfin, nous poserons la question de la nécessité de faire vivre ces valeurs, dès le plus jeune âge, dans l’optique de développer des compétences citoyennes appréciables pour nos écoles et toute la société.

Un contexte

Depuis des décennies, le sport est devenu une part importante de l’économie mondiale. « Avec le déclin des idéologies, le sport apparait comme une sorte de nouvelle religion, le seul mode universel et accessible. Il offre des investissements affectifs, abrite des symboles et nourrit des mythes. Qui plus est, le sport se prête fort bien à la dramaturgie du petit écran. »[1] Depuis l’essor de la télévision et par corollaire l’accroissement du nombre d’événements sportifs mondiaux, l’argent parait contrôler bien des domaines. Le sportif doit performer, doit être vu (message publicitaire) au risque de mettre sa santé en péril. Il existerait là une première tension entre lois de l’économie et exigence d’une éthique sportive. Bien que le sport doive rester avant tout une passion, un plaisir, les personnes qui en font leur métier s’obligent par contrat à se surpasser pour établir des records ou obtenir des titres. S’y retrouvent-elles ? Le sociologue Michel Caillat affirme que « L’évolution du sport depuis plus de trente ans n’est en rien positive. Il y a une aggravation des situations. Elle était prévisible. Les dérives – dopage, profit, violence – vont s’accentuer. La concurrence généralisée et le progrès sont les deux axes de la logique de la compétition, il ne peut en être autrement. Le sport tel qu’on le connait aujourd’hui est né avec le système capitaliste, il a les mêmes tares que lui, il évoluera comme lui. » Ça, c’est le contexte dans lequel doit vivre le sportif professionnel. Le sportif amateur, quant à lui, vit son sport de manière volontaire et personnelle. Il se donne des défis qu’il essaie de relever avec le but, conscient ou non, d’un dépassement de soi. On le voit, le sport amateur et le sport professionnel vivent des réalités différentes. La distinction entre les deux s’avère pertinente, mais les opposer serait une erreur. Le sport professionnel a ses codes, parfois éthiques, mais dominés surtout par l’argent et le profit. Le sport rémunéré est source de dérives, mais peut être source de défis positifs en tout genre. Le sport amateur vit sans doute davantage de principes éthiques où l’esprit sportif et son accessibilité au plus grand nombre servent, entre autres, l’intérêt général. Mais des dérives existent là aussi. Les classes populaires y ont-elles facilement accès, par exemple ? « Pour certains enfants, la pratique du sport ne va pas de soi. Parce que certaines familles ont peur de pousser la porte des clubs ou parce que certaines disciplines ne sont pas connues », expliquent Carine Vassart et Claire Kramme.[2]

Au regard de ce constat, quelle image pour les familles ? Quel est l’impact de ce sport spectacle et médiatique auprès des jeunes ? Est-ce que chacun peut s’aventurer dans la pratique d’un sport ? En est-il capable ? Et à quel prix ?

Compétition versus coopération ?

Que l’on soit professionnel ou amateur dans sa pratique d’un sport, nous rencontrons deux notions aux vertus bien différentes que sont la compétition et la coopération. La compétition[3] c’est l’action de chercher à obtenir en même temps que d’autres un même titre. La coopération[4] c’est l’action de s’aider, de s’entendre entre les membres d'un groupe en vue d'un but commun. Alors contradiction ou équilibre possible ?

Albert Jacquard[5] élargit le propos : « Par mille canaux, notre société nous amène à croire que le moteur de la vie est la compétition. On ne parle que de gagneurs ; il nous faut, parait-il, préparer les enfants à entrer dans cette catégorie, faute de quoi ils seront des perdants, des minables. Cette vision effrayante du sort humain a envahi le domaine de l’activité physique ; on ne parle plus que de sport de compétition, oubliant que l’origine de ce mot est le vieux français « desport » qui signifiait amusement. Oui, il s’agit de s’amuser. Pourquoi vouloir sauter plus haut que X ou courir plus vite que Y ? Il est important de sauter aujourd’hui plus haut que moi hier, de courir plus vite que moi. Pour y parvenir, j’ai sans doute besoin de l’exemple des autres. Chaque affrontement peut être bénéfique à condition qu’il soit vécu comme une occasion d’enrichissement, non comme une possibilité de victoire. Dans la lutte entre deux hommes ou entre deux groupes d’hommes, deux issues sont possibles : ou bien ils sont tous les deux gagnants, s’ils ont su surmonter leur antagonisme, s’écouter, se regarder et finalement se sourire : ou bien ils sont tous les deux perdants, s’ils ont cherché à se détruire l’un l’autre, à s’ignorer, à se haïr. »

Si l’esprit est présent, le sportif trouvera dans sa passion l’envergure suffisante de se dépasser. Dans les sports collectifs comme individuels, l’entrainement rend possible la performance, performance comprise sans connotation négative. Le débat doit revenir au sportif. C’est lui qui place le curseur. C’est lui qui définit les valeurs auxquelles il croit et les concrétise. Cette approche apparait normale. Pour tout individu, différentes raisons encouragent la pratique d’un sport. Il participe, simplement, suivant les règles du sport choisi. Il respecte ces règles, il accepte l’enjeu d’une compétition saine faite d’émulation, de dépassement de soi et de remise en jeu d’un titre, d’un trophée. Enfin, il se grandit dans le partage et la coopération. La pratique reste ludique et le sportif y trouve son compte.

Des lieux

Pour vivre pleinement ces enjeux de compétition et de coopération, on observe que des organismes ont ressenti le besoin de créer des chartes.

L’académie des sports[6] est une institution française fondée en 1905. Sur le modèle des autres académies françaises, ce collège de quarante-six membres réunit des personnalités afin de réfléchir aux enjeux du sport. Dans un manifeste, l’académie souhaite affirmer les valeurs du sport. Elle insiste sur le fait que le mot « valeur » doit être compris ici comme un principe moral de référence qui guide des comportements. Etre sportif impose une obligation d’exemplarité fondée sur le respect scrupuleux de termes comme la loyauté, le respect, le contrôle de soi, le dépassement de soi, la joie dans le sport. L’académie insiste sur le fait de respecter ces valeurs. C’est en effet, la manière la plus efficace de tirer de la pratique sportive un profond sentiment d’épanouissement et de progrès. En un mot, de se donner la chance d’ajouter une dimension supplémentaire et heureuse à son aventure humaine.

En fédération Wallonie-Bruxelles, l’Adeps[7] est un repère pour toute envie sportive. Elle a pour mission de promouvoir, d’organiser et d’encadrer des activités physiques et sportives auprès de la population francophone de Wallonie et de la Région de Bruxelles-Capitale. « L’Adeps, c’est une passion », se définit-elle. La passion du sport à tout âge, seul, en famille, entre amis. L’Adeps est là pour faire découvrir le sport à tout un chacun. Elle souligne que faire du sport, c’est apprendre à se connaitre, à partager avec les autres, savourer le monde qui nous entoure et enfin s’épanouir. On peut y faire du sport toute l’année. C’est aussi prendre confiance en soi avec l’envie de s’améliorer ensemble, l’envie d’être utile, l’envie de voir ce que l’on va réaliser, de repousser ses limites, de se surpasser dans le respect de soi et des autres. Le sport doit être une source de bien-être partagé. L’Adeps est aussi un service pour les écoles, les collectivités, les fédérations sportives et les particuliers. Elle encadre également cinquante sportifs de haut niveau.

Lors de la Conférence générale de l’UNESCO de novembre 2015, la charte internationale d’éducation physique est modifiée pour garantir un meilleur accès à l’activité physique.  Cette charte internationale[8] met l’éducation physique, l’activité physique et le sport au service du développement humain, et engage chacun et chacune, en particulier les gouvernements, les organisations sportives, les entités non gouvernementales, le monde des affaires, les médias, les éducateurs, les chercheurs, les professionnels du sport et les bénévoles, les sportifs et leur personnel d’encadrement, les arbitres, les familles, ainsi que les spectateurs, à s’engager à respecter la présente Charte et à la diffuser, de sorte que ces principes deviennent une réalité pour l’ensemble des êtres humains.

Par ailleurs, l'Agence mondiale antidopage (AMA)[9] a été fondée en 1999 à titre d'organisation internationale indépendante. Elle est composée et financée à parts égales par le mouvement sportif et les gouvernements. Ses activités principales comprennent la recherche scientifique, l'éducation, le développement antidopage et la supervision de la conformité au Code mondial antidopage (le Code)[10] –  le document harmonisant les règles liées au dopage dans tous les sports et dans tous les pays. L'AMA œuvre en faveur d'un monde où tous les sportifs évoluent dans un environnement sans dopage.

N’est-il donc pas envisageable à la lecture de ces exemples de préserver l’éthique sportive ? Bien sûr, le dopage et la corruption sont présents, il faut les éradiquer, c’est une évidence ! Mais ceci doit-il occulter l’implication honnête de millions de sportifs de par le monde ? Non, le sport n’est pas corrompu par nature, et pourtant… Il peut l’être quand celui-ci se pratique à un haut niveau. La place laissée au financier et chefs d’entreprise ou politiciens douteux semble peu opportune. On le voit, à l’échelle locale ou internationale, le cadre est là. Des commissions existent comme le tribunal arbitral du sport[11] pour gérer différents litiges.

Des valeurs

Le sportif aime le sport. Il s’entraine, prend du plaisir, respecte son entourage, se respecte lui-même. Dès le plus jeune âge, individuellement ou collectivement, amateur ou professionnel chacun doit prendre la mesure qui lui convient. Donner l’envie dans des structures ou infrastructures adéquates doit rester la priorité de notre société. Un environnement propice suggèrerait une pratique propre. La promotion de la pratique sportive pour tous, sous toutes ses formes et à tous les âges doit constituer un axe directeur de la politique sportive de la Communauté française. Les bénéfices attendus semblent nombreux : effets positifs sur la santé, facteur d’intégration sociale, vecteur d’éducation à certaines valeurs, impact en termes d’image d’une société saine et vigoureuse.

Des valeurs existent, elles ne peuvent être placées dans les mains de quelques personnes. Il faut replacer l’amoureux du sport au centre des débats. Cela ne devrait-il pas inciter les décideurs politiques à mener une réflexion sans ambiguïté sur la réelle portée sociale du sport ?

Sport et Citoyenneté[12] prend trois positions en ce sens.  « La première est que le sport n'a pas de valeurs spécifiques mais qu'il peut, venir en renfort ou en substitution aux valeurs que l'on devrait retrouver dans l'école, la famille, l'entreprise, la religion… Cela induit de considérer les politiques actuelles d'intégration et d'éducation par le sport, en particulier l'identification de bonnes pratiques et la redistribution de subsides par certains organismes, comme partiellement infondées et parfois inefficaces.

La deuxième position fait le constat que les valeurs proclamées ne sont pas toujours respectées et qu'elles donnent lieu parfois à de profondes dérives : discours et attitudes belliqueuses, corruption, dopage, nationalisme, inégalité entre les genres… L'éducation à la citoyenneté par le sport se fonde ainsi parfois sur des valeurs qui sont les mêmes que celles qui entraînent une certaine forme d'exclusion (lorsqu'elles sont liées, par exemple, à la performance).

L'enseignement du sport, en particulier à l'école, prend alors toute sa place. Rêvons d'une société où les éducateurs et professeurs d'éducation physique sportive transmettent à nos enfants les outils pour être des adultes responsables et respectueux, des citoyens engagés. Remettons les valeurs du sport au cœur de l'innocence morale de nos enfants. »

L’UFAPEC souhaite que le sport par le cours d’éducation physique soit promu à l’école. C’est un élément indispensable à la construction globale de la personnalité. Le professeur d’éducation physique doit conduire les apprentissages et susciter le plaisir d’apprendre pour tous les élèves, sans exception. L’école reste un lieu essentiel où tous les jeunes doivent vivre et bénéficier d’apprentissages solides.

Conclusion

Il apparait que les valeurs gardent leur sens dans le sport quand on sait de quoi on parle. L’origine du sport, la cohabitation maitrisée entre compétition et coopération peuvent apporter leur lot de réponses aux exigences médiatiques, financières et aux tentatives de performance perfusée. Revenir à l’essentiel permet de garder ce sens. La société mérite mieux que le sport business. Il faut reconsidérer le sportif lambda comme acteur de sa vie sportive et certainement remettre les valeurs du sport au cœur de la vie de nos enfants.

Dans cette mise en place du sens des valeurs du sport, la question de la formation, tant sportive que scolaire, suggère la mise en place d’une société saine, libre et en accord avec ses principes. Pour cela, il faut que notre société soit convaincue que la pratique du sport peut être un partenaire de l’éducation dans l’acquisition de savoirs et dans l’apprentissage de la vie en groupe par la compréhension, le respect, la tolérance et le respect des règles. Il est possible de faire du sport autrement. Le sport reste une école de la vie. La recherche de performance et de victoires sont louables à condition d’accompagner le sportif dans sa quête de… sens.

 

Jean-Philippe Schmidt

 

 

[1] Source : Exploits à tout prix, Jean-François Bourg, https://www.monde-diplomatique.fr/1995/06/BOURG/6416 - Juin 1995

[2] Vassart, C. et Kramme, C., L’extrascolaire au cœur de l’intégration, une initiative du Fonds Baillet Latour, gérée par la Fondation Roi Baudouin, Présentation et Rapport d’impact 2013-2016, novembre 2016

[5] Jacquard, A., Abécédaire de l’ambigüité, Seuil, Paris, 1989

[7] Administration de l’éducation physique et du sport (Adeps) - http://www.sport-adeps.be/index.php?id=6684

[12] Sport et Citoyenneté est un groupe de réflexion dont l’objet social est l’analyse des politiques sportives et l’étude de l’impact sociétal du sport. https://www.sportetcitoyennete.com/

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