Analyse UFAPEC 2010 par J. Feron

10.10/ L'image est-elle dangereuse ?

Faits

Jusqu’à la fin du XXe siècle l’enfant, grandissait dans un bain de langage. La parole et sa maîtrise étaient les fondements du développement et de la communication entre les individus. Aujourd’hui, l’enfant est immergé dans un monde d’image dès sa naissance. Cette mutation importante de nos sociétés postindustrielles n’est pas sans conséquences.[1] 

La société de consommation a induit une prise de pouvoir mercantile de l’image dans l’espace public. Nous vivons dans une société de la communication, donc de l’image. Nous en sommes continuellement bombardés. Cela va continuer, s’amplifier. L’image a pris une place centrale dans la vie courante, elle est devenue un bien de consommation. Car outre notre position de récepteur d’images, aujourd’hui, chacun est susceptible d’en produire et d’en diffuser très facilement (entre autre grâce aux images numériques et à Internet).

Enjeux

L’explosion du nombre d’images auquel nous sommes confrontés, change nos comportements et nos rapports à l’écrit, à l’objet, au temps. Nous ne sommes pas encore complètement conscients des conséquences que ce matraquage continu de messages, codes, invitations, … a sur nos comportements et sur ceux des jeunes générations. Pourtant il est utile de rappeler quelques notions fondamentales, car l’image est un signe complexe qui nécessite d’être décodé pour le comprendre pleinement, sous peine de malentendus, de manipulation ou de confusion.

L’école, lieu d’apprentissage et d’ouverture est l’endroit idéal pour permettre aux élèves d’acquérir un sens critique et une approche décodée des images et de leurs canaux, épaulés par des enseignants formés à l’éducation aux médias.

En effet, ce travail de distanciation demande des efforts, des connaissances que bien souvent on n’a ni le temps ni l’envie de faire ou d’acquérir. Pareil pour les enfants et les ados friands d’images et grands consommateurs d’écrans. Souvent ces images leurs sont destinés avec des intentions bien précises dont ils ne sont pas toujours conscients (majoritairement, le but étant d’en faire des consommateurs).

Problématique

L’image est fondé sur la ressemblance, l’empreinte, le symbole. De ce fait elle imprègne notre imaginaire de toute sa force.[2] Elle nous enveloppe et nous attire, nous sommes prêts à tout pour croire en elle et en son illusion.

L’image est ambivalente, elle montre ce qui n’est pas là, représente ce qui absent. A la fois être et ne pas être l’idée, la chose représentée.

Rappel de quelques notions fondamentales :
L’image est une trace du réel mais elle est toujours bien différente de la réalité, ne serait-ce que par ce qu’elle est issue d’une fabrication et donc sujette à interprétation.
 
L’image n’est pas la réalité. Cette obsession du réalisme nous fait s’opposer « ce que l’on voit » et « ce que l’on croit voir ». Pourtant, l’image n’est ni vraie ni fausse, elle n’est que ce qu’elle donne à voir. C’est le texte, la légende ou le contexte qui accompagne cette image qui nous confronte à la réalité de ce que nous voyons. C’est bien ce qu’illustre « La trahison des images » -tableau bien connu- de Magritte par exemple. L’intention de Magritte étant de souligner que l’image d’une pipe, aussi réaliste qu’elle soit, ne sera jamais une « vrai » pipe que l’on peut manipuler et fumer.
 
L’image est une création de l’esprit et de la culture et de ce fait, son environnement, son contexte, son insertion dans un cadre plus large sont des conditions essentielles à sa compréhension.[3]

Pouvoirs de l’image ? Quels sont ses dangers ? Débat

« L’idée que les images auraient en elles-mêmes un pouvoir particulier qui entraînerait la conviction du spectateur ne date pas d’aujourd’hui et son origine est à chercher du côté des réflexions sur l’icône religieuse[4]. » Depuis cette époque, notre perception n’est plus de l’ordre du divin ni de la superstition, même si le fétichisme est loin d’avoir disparu. 

Depuis l’avènement de la société de l’image, de nombreux sociologues et philosophes ont prédit tous les maux suite aux dangers divers auxquels nous soumet la domination de l’image. « Accusée de nous influencer, de nous manipuler, de détourner notre intérêt pour le monde vers des leurres, de participer à l’aliénation collective, de mener l’Occident à sa perte ![5] ».
1.     La séduction de l’image
L’image est séduisante pour plusieurs raisons :
  •  Le plaisir est immédiat, car notre pensée se relâche au contact de l’image, comme pour les rêves, elle fait appel à notre imaginaire. Il n’y a pas de distanciation automatique comme pour le langage où l’aspect symbolique des mots nous détache plus des choses.
  • A priori, l’approche des images est facile : leur compréhension demande moins d’effort que de déchiffrer un texte, il ne faut pas nécessairement maîtriser les codes (l’alphabet par exemple) pour l’appréhender[6].
  • Contrairement au discours parlé ou écrit, on entre dans l’image par où l’on veut. Le sens de lecture n’est pas obligatoirement linéaire, même s’il existe. La posture mentale qu ‘elle nécessite est donc très différente[7].
  • L’image est le véhicule favori d’une culture de masse, dans l’idée qu‘elle cultive la satisfaction par opposition à une culture d’éducation qui est une culture d’apprentissage.
  • Elle envoie des messages qui soulagent, font rêver, endorment la conscience et masquent la vérité.
  • L’image joue sur l’affectif : on s’attache aux sujets/objets qu’elle nous montre. Le désir est très fort, car il n’y a pas de distanciation.

Depuis Juvénal (poète satirique latin de la fin du 1er siècle), on peut penser que « du pain et des jeux » suffisent à nourrir le peuple. L’image semble être une nourriture à la hauteur de toutes les espérances.

2.     La manipulation par l’image
Dans le fait que le sens critique s’exerce plus difficilement avec les images, la manipulation qu’elles entraînent se fait de façon plus naturelle, intentionnellement ou pas.
  • Par nature, l’image est donc sujette à l’interprétation. Pour une communication idoine, la connaissance de codes identiques entre les parties étant indispensable, il est évident qu’une compréhension erronée ou incomplète est vite arrivée. Et avec la multiplicité des messages, la multiplicité des erreurs devient de la désinformation.

    Dans le cas particulier de l’image d’information, ce sont souvent les journalistes eux-mêmes qui entretiennent l’ambiguïté « que l’image serait une ‘preuve’, alors qu’elle n’est jamais qu’un ‘témoignage visuel’, soumise comme tel à tous les aléas de la déformation, du point de vue, des raccourcis et même de l’intention de tromper[8]». Bye bye Belgium[9], la fausse édition spéciale du journal télé diffusée le 13 décembre 2006 en est une illustration exemplaire : le débat qui s’en est suivi au sein même de la profession journalistique concernait en fait le «contrat implicite de véracité» entre le journaliste et son spectateur.
     
  • La forme extrême de manipulation, la propagande, trouve en l’image son alliée privilégiée. En effet, c’est au début du XXe siècle, avec la massification des médias, que la propagande prend une ascension fulgurante. Mais « la manipulation des esprits est l’effet d’un système politique et pas seulement des images[10] ».
 
« (…) condamner l’image en général comme facteur incapacitant de la pensée est tout simplement faux. C’est la répétition des mêmes images (ou des mêmes mots) qu’il faut incriminer dans le matraquage publicitaire ou les informations ressassantes ; l’abondance et la diversité des images constituent au contraire un enrichissement.[11] »
Dès que les images se contredisent, le sens critique renaît constate Daniel Bougnoux.
3.     Le mimétisme induit par l’image
Autre danger mis en avant de façon récurrente est « l’idée de la mimésis ; conduite d’imitation bien présente chez les enfants, dont les facultés imitatives sont évidentes.[12] »
  •  De nombreuses études tendent à faire un lien entre la violence regardée en images (particulièrement à la télé) et les comportements violents. Cependant, « l’honnêteté scientifique consisterait à dire que l’on ne peut rien prouver d’après L. Bastide[13]. »
  • En ce qui concerne ce phénomène d’imitation, il est étonnant de constater, que les études menées sur le sujet, concernent dans une grande majorité des cas, la violence ou le sexe.

Pourtant, si l’induction mimétique était avérée pour des comportements violents, pourquoi ne le serait-elle pas pour des comportements altruistes et courageux, également relayés en masse chez les héros en images ?[14]

4.     L’image qui fait écran
L’image peut agir comme un film séparateur entre le spectateur et le monde.
  • Un risque est de se contenter de ces images que nous voyons, ne pas aller plus loin dans l’information, dans la compréhension, d’arrêter tout autre type d’approche[15].
 « …l’effet de réel crée par la photographie a pu faire croire que l’image faisait partie de son modèle ou qu’elle en était l’émanation directe. La photographie numérique va nous libérer de la croyance en l ‘effet de réel. ‘La photographie adhère à la réalité’, disait Barthes : l’image numérique l’en décolle[16]. »
L’image nous infantilise ainsi dans le sens où notre monde se réduit à ce que j’en vois, à ce que je peux en contrôler. « Éduquer, c’est aider le petit d’homme à se dégager de cet infantile pour accéder à la conscience que l’univers n’est pas réductible à ce qu’il peut en penser, que le monde et les autres peuvent lui résister, qu’il n’a pas le pouvoir absolu sur les êtres et les choses…[17] ».
5.     La distanciation de la réalité
  • Nous préférons nos illusions à la réalité. Les images et plus particulièrement les images virtuelles nous offrent un univers « autre » à portée de la main. Le danger du repli dans ces mondes virtuels est d’abord dû à un isolement relationnel et non l’inverse. Là ce ne sont pas les images elles-mêmes qui sont en cause, mais bien la place qu’on leur donne.
  • La sidération : l’abandon total de nos facultés de discernement et « d’intentionnalité de la conscience[18] ». Plus fort que la séduction, la sidération est définie par Philippe Meirieu « comme un moment où le sujet est, en quelque sorte, happé par un trou noir et ‘disparaît dans sa propre jouissance narcissique’. On est, comme disent les gamins, ‘scotché’ : aucune mise à distance n’est possible[19]. »

    Dans la sidération, l’intentionnalité de la conscience est complètement anesthésiée. « Aujourd’hui, la sidération est inscrite dans une gigantesque machinerie commerciale : l’objectif est de ‘scotcher’ les individus le plus souvent et le plus longtemps possible, de les sidérer à jet continu[20]. »
« Toute image nous fait courir le risque de la confondre avec la réalité. Pourtant (…) nous ne pouvons pas nous empêcher d’y adhérer, émotivement et corporellement comme à des vérités.
Les images ne nous convainquent pas qu’elles reflètent le monde, mais elles savent le plus souvent nous en persuader.»[21]

Conclusion 

« L’Occident a appris à traiter les images comme des signes. Cette conception de l’image lui a permis, depuis la Renaissance, de s ‘approprier le monde. Mais elle l’empêche aussi aujourd’hui de comprendre les enjeux des nouvelles formes d’images. Tel est le véritable danger. Ce n’est pas l’image qu’il faut redouter, c’est l’insuffisance de nos outils conceptuels traditionnels face à elle[22]. »

La multiplication des images, leur omniprésence plus particulièrement sous forme d’écrans, ne va pas ralentir. Au contraire avec le développement continuel de nouvelles applications, nous allons vers une interpénétration, une interactivité grandissante des supports et des utilisations. Quelle grande avancée technologique n’a pas fait craindre l’abêtissement et la perte de notre culture ?
 
L’image et ses médias sont ce que nous en faisons. Comme la société elle-même. Pour en appréhender la complexité croissante et en maîtriser les facettes, le devoir d’éducation devient toujours plus important, plus difficile. En tant qu’adulte, nous ne maîtrisons par toujours les codes des images et de leurs outils de diffusion. Dès lors, comment guider et rendre nos enfants autonomes face à la déferlante d’images et de supports de celles-ci ?.
 
Reprenons l’idée de Bertrand Prévost, pour qui le pouvoir des images en elles-mêmes ne serait qu’une croyance, que c’est leur « efficacité symbolique » qui prime. Efficacité ne fonctionnant qu’en des contextes et des rituels précis[23].
Pour rester maîtres de ces images qui nous échappent, pas de formule magique. Nous devons acquérir des réflexes de distanciation, d’esprit critique, de décodage et de tri parmi la sollicitation permanente des images, animées ou non. Nombreux sont ceux parmi les jeunes générations qui ont déjà mis en place certains mécanismes de défense « naturels » pour eux : la multiplication des modes de communication, le tri sélectif sur un écran, le partage avec les pairs,…
 
L’UFAPEC encourage les parents à s’informer et à se former aux images et aux technologies qui les véhiculent comme Internet, dans un soucis d’éducation et de dialogue avec leur(s) enfant(s).
L’UFAPEC stimule et encourage tout projet dans les écoles pour initier les élèves aux images, à leur fabrication, à leurs codes et à leurs utilisations, ainsi qu’aux outils liés à celles-ci.
L’UFAPEC demande que les programmes d’Enseignement soient plus précis et concrets concernant l’éducation à l’image et aux medias tant en primaire qu’en secondaire.
L’UFAPEC demande qu’un volet d’éducation à l’image et aux médias soit intégré systématiquement dans la formation de base et continuée des enseignants[24].
 
A nous de penser et d’appliquer l’éducation à l’image dans le sens que nous voulons, vers plus d’autonomie et de choix lucides pour tous.
 
 
 
Julie Feron
 
 
 
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[1] LAURU D. et LE FOURN J.Y., « Ouverture à l’image » in Enfance et Psy n°26 2005/1
[2] LAURU D. et LE FOURN J.Y., « Ouverture à l’image » in Enfance et Psy n°26 2005/1
[3] MELOT MICHEL, « L’image n’est plus ce qu‘elle était », in Documentaliste-Sciences de l’information 2005/6, vol.42 p.361-365.
[4] MEYRAN REGIS, « La manipulation par l’image » in Sciences humaines Hors série n°43 « Le monde de l’image » déc. 2003-fév. 2004
[5] TISSERON Serge, «  Le bonheur dans l’image », Ed. Synthélabo, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1996, p.8.
[6] « Il ne faut pas avoir peur des images » Entretien avec Daniel BOUGNOUX, in « Le monde de l’image » Sciences humaines n°43, Hors série déc 2003- fév 2004.
[7] Idem.
[8] TISSERON Serge, « Les bienfaits des images », Ed. Odile Jacob, Paris 2002, p.138.
[9] émission spéciale de la RTBF, considéré par la chaîne comme un docufiction, et qualifié de canular par une partie de la presse, au début de laquelle le présentateur vedette du journal télévisé annonce la déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre.
[10] MEYRAN REGIS, « la manipulation par l’image » in Sciences humaines Hors série n°43 « Le monde de l’image » déc. 2003-fév. 2004.
[11] « Il ne faut pas avoir peur des images » Entretien avec Daniel BOUGNOUX, in « Le monde de l’image » Sciences humaines n°43, Hors série déc 2003- fév 2004.
[12] LORIERS Bénédicte, « Images télévisées et violences de notre société », analyse UFAPEC 2009, http://www.ufapec.be/nos-analyses/0609-images-televisees-et-violences-de-notre-societe/
[13] ibidem.
[14] DE SMEDT Th. « La télévision provoque-t-elle la violence ? » in Les parents et l’école revue UFAPEC n°52décembre 2006, p.13.
[15] « Il ne faut pas avoir peur des images » Entretien avec Daniel BOUGNOUX, in « Le monde de l’image » Sciences humaines n°43, Hors série déc 2003- fév 2004.
[16]MELOT MICHEL, « L’image n’est plus ce qu‘elle était », in Documentaliste-Sciences de l’information 2005/6, vol.42 p.361-365.
[17]MEIRIEU Ph., « L’enfant, l’éducateur et la télécommande », Entretiens avec Jacques Liesenborghs, Bruxelles, Editions Labor, octobre 2005.
[18] idem
[19] ibidem
[20] ibidem
[21]TISSERON S., « Petites mythologies d’aujourd’hui »», Ed. Aubier, Paris 2000.
[22]TISSERON Serge, « Le bonheur dans l’image », Ed. Synthélabo, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1996.
[23]Prévost Bertrand, « Pouvoir ou efficacité symbolique des images », L’Homme, n°165 «Images et anthropologie» janvier-mars 2003,
[24] Mémorandum UFAPEC 2009 

 

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