Analyse UFAPEC 2009 par B. Loriers

11.09/ Comment la révolution numérique transforme-t-elle les métiers d’élève et d’enseignant ?

Constat

Les élèves d’aujourd’hui n’ont jamais connu de vie sans Internet : courrier électronique, recherche sur le web, clavardage, blogues, publication de vidéos, jeux en ligne, téléchargement de musique, etc.
De nombreux élèves apprennent avec ces nouvelles technologies, mais pas nécessairement dans le contexte scolaire. De ce fait, ces TIC[1] contribuent notamment à changer les relations que nos enfants ont avec les savoirs scolaires. Il s’agit là d’un des défis importants pour l’enseignement d’aujourd’hui.
La mission essentielle des enseignants en la matière est de faire évoluer les pratiques ludiques des élèves avec l’ordinateur vers des comportements plus « professionnels »[2].
 

Culture numérique, cyberculture

Nos ados sont plongés dans une culture numérique. On peut donner au numérique le titre de culture[3] puisqu’il induit de nouvelles pratiques sociales (le courriel, le « chat », le SMS), de nouvelles habitudes (conduite guidée par un GPS, achats en ligne, recherche d’informations, …), des arts nouveaux (l’art numérique), de nouveaux moyens de diffusion de la culture classique, de nouveaux moyens de production et de réalisation de la culture émergente (comme le cinéma numérique, les labels musicaux indépendants).

Décalage générationnel

En matière d’utilisation des technologies, le fossé générationnel entre élèves et enseignants (et les adultes en général) est de plus en plus important.
Pour Christine Dioni[4], les adultes ont majoritairement de l’outil informatique une perception beaucoup plus utilitaire et souvent ancrée dans une réalité professionnelle. Les adolescents entretiennent avec l’objet ordinateur une relation de complicité et de bienveillance qui découle de leurs usages principalement tournés vers des activités ludiques ou de communication.
 
Dans un essai[5] publié en ligne en 2001, Marc Prensky compare les élèves d’aujourd’hui à des natifs numériques, en les définissant comme des personnes grandissant dans un environnement numérique comme celui des ordinateurs, Internet, les téléphones mobiles et les baladeurs MP3 et MP4. Le terme est une analogie avec la notion d’autochtone, pour qui la religion, la langue, et les coutumes locales sont naturelles et vont de soi, à la différence des adultes, immigrants numériques, individus ayant grandi hors d’un environnement numérique et l’ayant adopté plus tard. Prensky parle d’accents numériques chez les immigrants, comme imprimer des documents au lieu de les consulter à l’écran.
 
Pour ce chercheur, le grand risque pour les enseignants immigrants qui sont récalcitrants aux nouveautés, est qu’ils soient confrontés à un désintérêt toujours croissant de la formation telle qu’elle est proposée dans la plupart de nos écoles. Selon Marc Prensky, au lieu de bannir certaines de ces technologies de la salle de classe, ne serait-il pas mieux de favoriser leur appropriation dans un contexte d'apprentissage afin que, par exemple, le téléphone cellulaire avec appareil photo et caméra numérique intégrée, qui semble terrifier tant de professeurs, puisse se métamorphoser en un puissant outil didactique, tout comme les jeux vidéo d'ailleurs ?
 
Marc Prensky[6] assure que tant d'heures passées devant les écrans ont forgé une génération d'élèves « mutants » dotés d'un  cerveau modifié,dont le numérique est la langue maternelle.
D’autre part, le natif numérique a le goût des tâches multiples et simultanées, préfère le visuel et le graphique au textuel et s'épanouit dans le jeu et l'interactivité. Le jeu est l'activité préférée du Digital Native, l'alpha et l'oméga de ses apprentissages et de son « être-au-monde ».
 

Critique de la notion «natifs numériques»

Ce concept de natifs numériques est à mettre en cause par le fait que ce terme rentre parfaitement dans l’argumentaire marketing de Marc Prensky pour vendre les jeux vidéos éducatifs de sa société.
 
De plus, quand Marc Prensky préconise l’usage des téléphones cellulaires, avec caméras numériques, jeux vidéos, … en classe, ou en suivi des cours, il risque très vite de se voir confronté à une fracture qui s’opère entre les élèves eux-mêmes.
 
D’autre part, certains spécialistes[7] prétendent que les implications des natifs numériques à l’école ne sont pas très importantes, et que certains enseignants ressentent une forme de panique morale face à leurs élèves qui sont tombés dans le numériques quand ils étaient petits.
 
Plutôt que de parler d’immigrants numériques, Jean-François Marchandise parle lui de prénumériques[8], qui regardent l’heure sur une montre, trouvent leur chemin sur une carte pliée en accordéon, lisent le journal, écrivent au stylo.
 
Le sociologue David White[9] est plus nuancé quand il avance que l’appropriation des services en ligne n’est pas liée aux compétences des internautes, mais elle semble dépendre de la façon dont ils voient et utilisent le web. Il distingue deux sortes d’utilisateurs du web : le résident et le visiteur. Le résident y voit un lieu de vie. Il utilise le web dans toutes les facettes de sa vie : professionnelle, les études, les loisirs. Le résident considère qu’une partie de sa vie sociale est vécue en ligne. Le visiteur y voit une collection d’outils, utilisée quand le besoin se fait sentir. Souvent, le visiteur réserve un moment particulier pour se connecter, plutôt que de s’asseoir devant l’écran et de maintenir sa présence à tout moment du jour.
Selon David White, cette distinction n’est pas polarisée. Il s’agit d’un spectre dont le résident et le visiteur forment les deux extrémités. Il est utile car il n’est ni basé sur le sexe, ni sur l’âge.
 
Il est certain que toutes ces typologies énoncées ci-dessus seront reçues par chacun en fonction de la conception et de l’usage qu’il a d’Internet. Par exemple, on peut très bien passer 8 heures par jour derrière son ordinateur, et ne pas se considérer comme un résident !
 

Internet peut modifier la relation au savoir

Face aux élèves qui utilisent la toile comme base de données et d’informations, les enseignants ne sont plus les maîtres absolus en matière de transmission des savoirs. La capacité des élèves de publier du contenu (texte, son, image, vidéo) facilement et de le partager à grande échelle semble changer la posture du professeur.
 
Internet intervient dans l’exercice du métier d’élève par les immenses ressources disponibles, sur tout et à tout moment, comme solution d’aide pour acquérir des connaissances, ou en complément ou substitution de l’apport des enseignants.
Pour Christine Dioni[10], cette prothèse facilite le travail scolaire dans un rôle d’assistance ou de renfort, et remplace souvent le soutien aux devoirs dans la sphère familiale ou scolaire.
 
L’étude de Christine Dioni relève la question de la responsabilisation des élèves[11] face à cette offre de solutions toutes faites sur le web.
Les enseignants et les élèves sont soumis à une difficulté supplémentaire : l’authenticité de la source d’information. Et pour les profs, il est parfois fastidieux de découvrir si le travail de l’élève relève d’un véritable travail de rédaction, ou d’un copier-coller.
On sent poindre ici l’inégalité de chances entre élèves en matière de réalisation de devoirs à la maison : ceux qui ont de l’aide ou non des adultes à la maison, mais aussi ceux qui sont ou non équipés en informatique.
 

Contrat didactique mis en cause

Lorsque la prothèse informationnelle permet de se dispenser de l’effort intellectuel dans une logique d’emprunt de ce travail fourni par d’autres pour le restituer comme étant le sien, elle pose certes une question déontologique majeure.
 
Au-delà du jugement moral, il faut voir aussi dans le plagiat une pratique qui transgresse un élément implicite et fondamental du contrat didactique, défini comme coopération fondée sur un système d’attentes réciproques[12]: l’enseignant attend de l’élève qu’il fournisse l’effort intellectuel nécessaire à l’appropriation des connaissances, et mesure l’importance de cet effort à travers des procédures d’évaluation du devoir rendu.
 
Dans la relation pédagogique, c’est sur ce critère de la transgression du contrat didactique que peut s’établir la démarcation entre usage et mésusage d’Internet, car elle met en cause le fondement même de cette relation : l’acquisition de connaissance.
 

L’ordinateur au service de la cause adolescente

L’usage des TIC fournit à l’élève  adolescent l’occasion d’un défi implicite lancé à l’enseignant, le moyen de se mesurer à lui : en classe, les situations créées avec les technologies donnent la possibilité d’inverser les rôles, de juger l’enseignant autant que d’être jugé. Analysée sous l’angle de la construction identitaire de l’adolescent, l’utilisation de l’ordinateur offre des possibilités d’afficher son refus de l’ordre scolaire[13].
 
Individuellement ou collectivement, elle donne matière à l’expression discrète d’une opposition envers l’enseignant et l’institution scolaire, et plus globalement, envers le monde des adultes et la société. L’ordinateur apparaît là encore aux yeux des élèves comme un objet complice au service de la « cause adolescente » à l’origine de leurs comportements technophiles pouvant évoluer vers l’addiction.   
 

Comment l’Ecole peut-elle s’adapter à ce tournant technologique ?

Le propre du métier d’enseignant est d’être plongé souvent dans l’incertitude, l’improvisation. Il doit s’adapter à un public de plus en plus hétérogène, notamment en ce qui concerne l’utilisation des nouvelles technologies. Le milieu scolaire n’échappe pas au constat fait dans d’autres sphères professionnelles : les TIC remettent en cause une organisation, mais aussi une identité professionnelle, et une inscription sociale en mouvement, donc les conditions mêmes de leur appropriation[14].
 
Le défi des enseignants est de créer des ruptures dans les comportements spontanés des élèves avant Internet, de se placer dans un rôle d’accompagnateurs de changement. Les profs ont pour nouvelle mission de faire évoluer chez les élèves une culture de loisirs numériques vers une culture numérique scolaire.
 
Parallèlement, l’enjeu pour l’institution scolaire est de proposer à son personnel des dispositifs qui accompagnent leur remise en cause et font bouger leurs pratiques ainsi que les normes et les valeurs de la culture scolaire, pour pouvoir s’adapter à cette mission nouvelle. La vétusté des parcs informatiques présents dans les écoles est un souci quotidien pour les enseignants, quand ils ne sont pas soumis aux virus ou aux vols d’équipements. Sans parler de l’utilisation abusive de certains sites …en un clic la page est tournée dès que le prof survient !

Pour l’UFAPEC, la notion de natifs numériques, largement critiquée, correspond cependant à une certaine réalité et pose des questions que l’institution scolaire ne peut ignorer. Comme cela existe pour d’autres professions ou d’autres compétences, la validation des acquis de l’expérience des enseignants, sous forme de formation continue, serait une façon de les rassurer
[15].

 

Bénédicte Loriers

 

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[1] Technologies de l’Information et de la Communication.
[2] DIONI Christine, Métier d’élève, métier d’enseignant à l’heure numérique, 2008. http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00259563/fr/
[3] GENIN Christophe, Culture numérique, une contradiction dans les termes ? http://www.archimuse.com/publishing/ichim04/0461_Genin.pdf
[4] DIONI Christine, op cit.
[5] Marc Prensky est chercheur, et concepteur de jeux vidéos, consultant en TICE (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement).
[6] PRENSKY Marc, op cit.
[7] Bennett, Maton et Kervin (2008) http://www.cheeps.com/karlmaton/pdf/bjet.pdf
[10] DIONI Christine, op cit.
[11] DIONI Christine, op cit.
[12] MERCIER A., Le contrat didactique et ses effets, 2001, disponible sur http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/roux/index.html
[13] DIONI Christine, Rapport de recherche Pratiques et usages des TIC par les lycéens, 2005. Disponible sur http://praxis.inrp.fr/praxis/projets/regulTIC
[14] SAINT-LAURENT-KOGAN AF et METZGER JL, Où va le travail à l’aire numérique ? Mines, Paris, 2007.
[15] Internet offre aussi des expériences d’écoles innovantes. On peut lire des exemples d’activités intégrant les TICE [15], de l’école de Chateaudun (Amiens) notamment : http://blogs.ac-amiens.fr/generalistes/gen_chaeaudun/

 

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