Analyse UFAPEC 2010 par M-N. Tenaerts

11.10/ Le paradoxe de l’alimentation à l'école : entre abondance et risques

Introduction

Professionnels de l’éducation et professionnels de la santé s’interrogent sur les pratiques alimentaires dans les écoles, que ce soit au niveau de la distribution des en-cas ou encore des repas chauds proposés dans les établissements de l’ensemble de la Communauté française, tous réseaux confondus. En effet, bien que « manger » soit souvent appris lors de la socialisation primaire par diverses prescriptions ou recommandations, au sein de la famille, de nombreuses interrogations sont posées quant aux rôles des écoles par rapport à la problématique suivante : quel est le risque nutritionnel auquel les enfants sont confrontés dans une société dite de l’abondance au niveau des offres et pratiques alimentaires ? Nous détaillerons dans cette analyse tout d’abord ce qui est proposé comme offre dans les établissements de la Communauté française, nous aborderons ensuite la question de la construction socioculturelle de nos pratiques alimentaires en prenant notamment comme exemple l’origine de la collation de dix-heures. Enfin, nous observerons l’exemple d’une action menée dans diverses écoles : A table les cartables.  

Etat des lieux en CFWB

Une étude menée par la Communauté française fait l’état des lieux des pratiques culinaires et de l’organisation des cantines et autres restaurants[1] dans les différents réseaux. Cette étude nous révèle que la fréquentation des cantines, bien qu’elles soient organisées dans 75,9% des écoles secondaires et 83,1% des écoles fondamentales, reste relativement faible : 22,7%. En outre, les produits le plus souvent proposés sont les gaufres, les biscuits et les produits laitiers. L’offre de fruits est très faible (une école sur dix). Les hypothèses concernant cette faible distribution porte sur un problème de demande et sur le caractère périssable de ces produits.

Une recherche menée par l’ULB-PROMES (sur l’évolution des comportements alimentaires) dévoile des résultats plus que surprenants : la prévalence de l’obésité varie en fonction du type d’enseignement (en défaveur de l’enseignement technique et professionnel) ; la consommation de fruits et légumes au moins une fois par jour est en net recul (77% en 1986 ; 50% seulement seize ans plus tard) ; enfin, la consommation de boissons riches en sucres et en graisses est en augmentation. En effet, selon cette même étude, « plus de 50 % des jeunes déclarent boire des boissons sucrées gazeuses ; 60% des élèves consomment quotidiennement des friandises sucrées ; la consommation régulière de frites décroît dans le temps tandis que celle de hamburgers (ou hot dogs) reste plus stable ; 24 % des filles et 20 % des garçons ne prennent jamais de petit déjeuner les jours d’école, etc. »[2] Ces comportements sont dès lors considérés comme comportements à risque pour la santé : surpoids, carences nutritionnelles, etc.

Manger, une pratique culturelle

Les sciences humaines se sont attachées à comprendre les pratiques culinaires sous l’angle de la construction socioculturelle. Pierre Bourdieu, par exemple, a analysé les pratiques alimentaires sous le prisme de l’habitus. Pour cet auteur, l’habitus est l’intériorisation des normes sociales et culturelles d’un groupe de référence. Le rapprochement des goûts et styles de vie ont leur origine dans l’habitus de classe. On observe en effet des pratiques communes, des corrélations entre les capitaux socioculturels et les pratiques alimentaires, de même pour ce qui est des loisirs, etc.

Plusieurs variables à dimension sociale et culturelle et qui ont une incidence prépondérante sur les pratiques culinaires ont été mises en lumière. D’après la brochure éditée par la Communauté française « Politique de promotion des attitudes saines sur les plans alimentaire et physique pour les enfants et les adolescents », l’observation d’une diminution de l’activité physique est flagrante. De plus, « en 10 ans une évolution négative des facteurs de santé suivants : la surcharge graisseuse ; la force ; la souplesse ; l’endurance cardiorespiratoire »[3]. La sédentarisation est dès lors une variable à prendre en considération, renforcée par les nouvelles technologies (télévision, Internet, jeux vidéo, etc.). De plus, les enfants et adolescents sont confrontés à une avalanche de produits au packaging[4] plus qu’attrayant pour des produits dont on ne connaît réellement que peu ou prou la composition (boissons énergisantes, candy bars, sodas, chips, etc.) L’argent de poche que les enfants et adolescents possèdent désormais permet la consommation hors « contrôle » (via notamment les nombreux distributeurs prévus à cet effet). D’après une étude du CRIOC, « 6 enfants sur dix entre 7 et 18 ans reçoivent de l'argent de poche de leurs parents. Ceux de 7 à 8 ans qui en bénéficient (33% pour cette tranche d'âge) ont en moyenne, mensuellement, 10,50€. Entre 9 à 10 ans, ce montant est de 11€, et grimpe à 24€ pour les 11 - 12 ans. Entre 15 et 17 ans, les jeunes qui bénéficient d'argent de poche reçoivent en moyenne, mensuellement, 37€, et ces montants augmentent encore pour les plus âgés »[5]. Enfin, la conciliation du travail-famille amène certains parents à privilégier les repas préparés, les repas individuels ou encore à laisser le choix aux enfants et ados de ce qu’ils vont manger à l’école. Ces nouvelles configurations ont dès lors un impact sur les pratiques et les choix alimentaires. 

Les dix-heures : une construction socioculturelle

Prenons l’exemple d’une pratique banalisée et normalisée entre autres par les publicités massives : les dix-heures. Pour le pédiatre Girardet, la collation telle qu’elle est perçue et consommée doit être revue. « L’habitude de proposer une prise alimentaire supplémentaire en fin de matinée aux enfants des écoles maternelles s’est instaurée au cours de ces dernières décennies. Initialement constituée par la distribution d’un verre de lait, elle avait été instituée par le gouvernement de Pierre Mendès-France en 1954 pour lutter contre les états de carence et de malnutrition qui n’étaient pas rares à l’époque. Ces situations sont devenues exceptionnelles en France alors qu’au contraire l’obésité infantile connaît une progression alarmante »[6]. Du verre de lait, nous sommes passés à une conception très différente du dix-heures. Les publicités, largement diffusées par les médias de masse, tendent à corroborer la représentation que nous avons de ces en-cas. Barres chocolatées pour plus d’énergie, deux biscuits enrobés de caramel et chocolat qui coupent la faim, une barre de chocolat caramélisée et ça repart, etc. sont autant d’arguments qui plaident en faveur de cette collation. Et pourtant ! Pour le comité de nutrition de la société française des pédiatres, l’apport alimentaire de dix-heures est inadapté et superflu : il « déstructure les rythmes alimentaires en proposant une prise alimentaire extra-prandiale[7], l’enfant apprend qu’il peut manger sans avoir faim, ce qui favorise le grignotage, la collation est trop riche en graisses et en sucres et mal adaptée sur le plan des horaires (trop éloignée du petit-déjeuner et trop proche du dîner)[8]

Les défenseurs de la collation, quant à eux, relèvent les risques d’une suppression de cette même collation : « la suppression de tous les produits sucrés risque de provoquer un attrait plus prononcé encore pour ces aliments ; seulement un adolescent belge sur dix avale un petit déjeuner digne de ce nom, enfin, certains enfants déjeunent très tôt ce qui peut donc repousser le repas suivant à plus de quatre heures, de quoi sérieusement diminuer les performances scolaires »[9]. Il ne fait nul doute que la collation se justifie par elle-même si elle est saine. Nous noterons dans ce cadre la double injonction paradoxale à laquelle les publicitaires nous demandent de faire face : quand un produit riche en glucides et en lipides est annoncé, une petite phrase défile en bas de l’écran ou en fin de message publicitaire pour rappeler la nécessité de manger cinq fruits et légumes quotidiennement….pour être en bonne santé !  

A table les cartables : actions menées en CFWB

Au regard des différents constats énoncés supra, la Communauté française a mis en place un forum en décembre 2000 intitulé “L’Alimentation à l’école : derrière un marketing juteux, un projet de promotion de la santé … un enjeu de société”. Pour donner suite à ce forum, une charte a été élaborée « A l’école d’une alimentation saine ». Cette charte s’inscrit idéalement en parallèle d’un plan d’action au sein de l’école. Elle a pour objectif de mettre en partenariat les directeurs, enseignants, les équipes d’encadrement des cantines et de confection de repas, les membres du pouvoir organisateur, les représentants de la médecine scolaire, les familles et les enfants eux-mêmes[10]. Ce document soulève différentes thématiques et propose un état des lieux de diverses activités menées dans les écoles : de l’aménagement du réfectoire par les élèves à la confection des repas, de nombreuses initiatives sont proposées et permettent d’ouvrir les horizons pour de nouvelles idées, de nouvelles collaborations entre les différents acteurs de terrain. En collaboration avec l’asbl Question Santé, l’UFAPEC vous propose également la « boite à tartines idéale » en annexe.
 
L’Ufapec soutient vivement les collaborations menées dans ce cadre. Face aux constats alarmants, il est plus qu’utile de se fédérer pour défendre une alimentation de qualité au sein des écoles. Il n’est pas tant question de bannir les distributeurs de sodas et de barres chocolatées mais de soulever une prise de conscience face à ces enjeux, que ce soit au niveau de la famille comme au niveau de l’école.
 
 
 
 
Marie-Noëlle Tenaerts 
 
 
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Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.
 


[1]Rapport de l’état des lieux des pratiques culinaires et de l’organisation des cantines et autres restaurants en Communauté française, disponible sur le site :
[2] PIETTE D et coll. : La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994 ?
Université Libre de Bruxelles. Ecole de Santé Publique. Département d’Epidémiologie et de Promotion de la Santé. Unité de Promotion Education Santé, décembre 2003
[3] CFWB, « « Politique de promotion des attitudes saines sur les plans alimentaire et physique pour les enfants et les adolescents », p. 5
[4] Packaging : emballage du produit
[5] Etude du CRIOC, disponible en ligne : http://www.oivo-crioc.org/textes/778.shtml
[6] GIRARDET J-P., « La collation de dix-heures à l’école : une habitude à perdre », in Journal de pédiatrie et de puériculture n°17, 2004, pp. 408-410
[7] Extra-prandiale : en dehors des repas.
[8] D’après GIRARDET J-P., « La collation de dix-heures à l’école : une habitude à perdre », in Journal de pédiatrie et de puériculture n°17, 2004, pp. 408-410
[9] Visio-écoliers : la collation dans tous ses états.
[10] CFWB, A l’école d’une alimentation saine, « A tables les cartables », p. 2  

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