Analyse UFAPEC juin 2014 par A. Floor

11.14/ Le Q.I. pour crâner ?

Introduction

Rien de plus simple actuellement que de passer un test de quotient intellectuel (Q.I.) ; les sites gratuits pullulent, certaines revues proposent des formulaires à compléter pour s’amuser, les enseignants se plaignent d’entendre à tort et à travers que certains de leurs élèves sont à haut potentiel… Que se passe-t-il ? Pourquoi un tel engouement ? Que représente en réalité le Quotient Intellectuel ? Quelles sont les conséquences d’une telle banalisation ? Pour bien comprendre le phénomène, nous allons d’abord découvrir les avancées scientifiques en termes de diagnostic. Nous allons voir combien les approches ont fort évolué depuis le début du XXe siècle et découvrir que le grand public n’a pas encore vraiment intégré ces changements. Or le regard porté sur ces enfants et ces adultes est extrêmement important et va déterminer la manière dont ils pourront être accompagnés et grandir harmonieusement dans le respect de qui ils sont.

Du Q.I. aux intelligences multiples

L’intérêt scientifique pour l’origine de l’intelligence remonte à Francis Galton et son Hereditary Genius [1](1869).Il y étudie la biographie d’hommes célèbres et défend l’idée que le génie est héréditaire.

Alfred Binet[2] et Théodore Simon[3]mettent au point, en 1905, une première échelle métrique de l'intelligence[4] à la demande du Ministère de l'Instruction Publique pour essayer de résoudre un problème de pédagogie lié à l'instauration de la scolarité obligatoire en France. Cette échelle métrique d’intelligence vise à repérer les enfants susceptibles de rencontrer de grandes difficultés scolaires afin de mettre en place des aménagements pédagogiques. Il attire aussi en 1910 l’attention sur le cas d'enfants trop intelligents et pour qui l'enseignement n'est pas adapté. L’échelle de Binet-Simon permet d’attribuer à chaque sujet son « âge mental », c’est-à-dire l’âge auquel des enfants « normaux » accomplissent des performances analogues aux siennes[5].

Lewis M. Terman[6] fera évoluer cette échelle de mesure vers le quotient intellectuel c’est-à-dire le rapport entre l’âge mental et l’âgé réel, multiplié par 100. David Wechsler[7] en 1939 modifiera encore le mode de calcul du QI et le QI de type Wechsler régulièrement actualisé va s’imposer comme l’échelle d’évaluation de l’intelligence. Il est encore utilisé actuellement même si le QI ne rend pas compte de la complexité de l’intelligence comme l’écrit Jean-François Marmion : il (le Q.I.) constitue l’héritage du début du XXè siècle, au temps où l’on définissait l’intelligence comme une faculté globale, unique, ou comme un ensemble d’aptitudes dotées d’un dénominateur commun (le facteur « g »).[8]

Actuellement, cette vision unitaire de l’intelligence (centrée uniquement sur le Q.I. et les aptitudes logico-mathématiques et verbales) est remise en cause par de nombreux psychologues. Le Q.I. serait un indicateur correct pour mesurer les performances intellectuelles requises dans un contexte scolaire mais d’autres formes d’intelligence doivent être prises en compte. Howard Gardner[9] et Robert Sternberg[10] (1985-1988) défendentune conception pluraliste de l’intelligence. Gardner (1993) en étudiant des enfants atteints d’autisme ou du syndrome de William observent que ces enfants ont généralement un déficit intellectuel couplé à des dons extraordinaires dans un domaine précis. Autant de preuves selon lui que l’intelligence n’est pas unique mais bien multiple. Il a ainsi mis en avant huit formes d’intelligence indépendantes les unes des autres mais susceptibles d’interagir entre elles : l’intelligence verbo-linguistique ; l’intelligence visuo-spatiale ; l’intelligence musicale- rythmique ; l’intelligence corporelle-kinesthésique ; l’intelligence interpersonnelle ; l’intelligence intrapersonnelle et enfin l’intelligence naturaliste. L’objectif de Gardner n’était pas de « tester » et de « classer » les individus. Carine Doutreloux[11] nous explique qu’il souhaitait cerner le fonctionnement de la personne à travers ce prisme et ainsi indiquer les types d’intelligence plus marqués chez une personne (zones de confort) au détriment d’autres moins marqués.

Sternberg, quant à lui, définit trois formes d’intelligence : l’intelligence analytique, l’intelligence pratique (bonne capacité d’adaptation au contexte qui permet d’acquérir rapidement des connaissances dites « tacites ») et l’intelligence créative qui permet d’être efficace dans des situations nouvelles.

Cette approche pluraliste contribuera à améliorer l’estime de soi des élèves vivant un parcours scolaire difficile ; elle permettra en effet de mettre en évidence leurs forces et leurs atouts malgré de mauvais résultats scolaires. En Belgique francophone, il a d’ailleurs été décidé de parler de « hauts potentiels[12] » afin de mettre en avant l’idée de potentialités multiples, différentes chez chaque individu. Cette expression inclut aussi la notion d’éducabilité et donc aussi le risque de passer à côté de ces potentialités. D’où l’importance de sensibiliser notre société aux Hauts Potentiels afin de les accompagner au mieux, de leur apprendre à connaître leurs forces et leurs faiblesses et à maîtriser leurs failles.

Cri d’alarme de psychologues face aux dérives d’une société en mal de QI

En 2005, 9 psychologues rédigent un article-pétition[13] visant à interpeller et faire réfléchir les psychologues quant aux dangers d’une utilisation et interprétation simpliste du Q.I. par le grand public. Cet article recevra le soutien de 700 praticiens. Il est né de l’inquiétude de certains psychologues face à l’engouement de notre société à faire évaluer et à noter les capacités mentales d’un individu. Le grand public est en effet curieux de connaitre ses performances intellectuelles, d’où la multiplication des tests gratuits en ligne couplée à une flambée de publications sur le thème en librairie, …Le sujet intéresse, attire, mais cette mode a malheureusement des effets pervers. Les psychologues sont de plus en plus souvent confrontés à des parents qui souhaitent connaître le Q.I. de leur enfant afin de savoir quel avenir lui est ouvert. Avec la conviction qu’un .Q.I. est une mesure simple, un public fragilisé tente de trouver des principes explicatifs aux difficultés et obstacles qu’il rencontre. Un Q.I. bas ou élevé devient alors la cause unique de difficultés pourtant complexes. Cet indice dirige des parents en désarroi vers des solutions inappropriées et caricaturales, alors que des analyses psychologiques approfondies pourraient fournir une aide pertinente et efficace[14].

Malheureusement la représentation sociale que notre société a du Q.I. repose souvent sur une conception unidimensionnelle de l’intelligence, représentation d’il y a à peu près un siècle. Conception qui fige l’individu dans un chiffre où le Q.I. devient une fatalité, un destin. Le grand public n’a pas suivi l’évolution scientifique et les conséquences de la révélation du Q.I. d’un enfant dans ce contexte-là peuvent être durablement désastreuses. Que son Q.I soit élevé ou faible, l’enfant court le risque d’une stigmatisation. La révélation du Q.I. de leur enfant est, pour la plupart des parents, le début d’un malentendu ou d’une obnubilation qui masque durablement la démarche d’interrogation et d’analyse qui les a conduits à la consultation psychologique. (…) L’annonce du Q.I. à l’enfant et aux parents a des implications profondes et pose une vraie question morale et déontologique dont les psychologues doivent absolument évaluer les conséquences[15].

L’intelligence ne se réduit pas qu’à un Q.I.

Le Q.I. est donc à prendre avec des pincettes, ce n’est pas juste une valeur. On ne s’improvise pas calculateur de Q.I., l’interprétation des résultats doit être réalisée par un intervenant formé. De plus, un psychologue ne se basera jamais uniquement sur le Q.I. pour évaluer l’intelligence d’un enfant. Le Q.I. n’est pas un but en soi mais doit s’intégrer dans une évaluation globale incluant d’autres tests (et pas seulement d’intelligence), ainsi que des données qualitatives (cliniques, socioculturelles, biographiques…). Seule la mise en relation des différentes données psychologiques aident à construire une interprétation cohérente et dynamique du fonctionnement mental. C’est la convergence des signes et des indices qui donne ensuite du sens à la démarche d’examen[16]. Les psychologues insistent dans leur article sur le professionnalisme, la rigueur et la déontologie dont chaque praticien doit faire preuve. Le Q.I. est une écriture condensée et signifiante dont l’interprétation nécessite une formation clinique solide et une connaissance experte de la méthode utilisée[17].

Jacques Lautrey va même plus loin. En effet, selon lui, le Q.I. n’aurait plus de raison d’être, il préconise d’ailleurs un abandon progressif de celui-ci. Le QI est certes un concept souvent mal compris mais c’est aussi un concept qui n’est plus vraiment adapté aux connaissances scientifiques actuelles sur l’intelligence[18]. Les psychologues à l’origine de l’article-pétition  rappellent également un devoir de réserve et de prudence. Certains refusent occasionnellement de transmettre les résultats car les conditions de l’examen ne sont pas satisfaisantes. D’autres adoptent cette position de manière permanente : ils craignent en effet une utilisation inappropriée des résultats : un certain nombre de professionnels craint à juste titre la surinterprétation des résultats, les utilisations réductionnistes ou les exploitations administratives et sociales d’un Q.I. bas, élevé ou même dans la moyenne[19].

Conclusion

Ce n’est finalement pas le chiffre qui est important mais plutôt de comprendre le fonctionnement d’un enfant ou d’un adulte qui vient consulter un spécialiste souvent parce qu’il se sent en décalage. Le bilan va pouvoir aider l’enfant et ses parents à comprendre en quoi il est différent, pourquoi et ce qui peut être mis en place pour qu’il évolue harmonieusement.Selon Carine Doutreloux, il faut comme parent composer au jour le jour et surtout ne pas avoir peur de son enfant. Il est essentiel pour tout le monde de bien comprendre ce que c’est que d’être à haut potentiel, de comprendre leur souffrance existentielle[20].De même pour un adulte qui comprend enfin pourquoi il se sentait en souffrance, cela peut être un véritable soulagement, comme en témoigne Monique de Kermadec[21] dans son livre « L’Adulte surdoué » : Les adultes que je reçois ont longtemps vécu avec leur différence secrètement, comme un aspect négatif de leur personne dont ils ne pouvaient parler. Lorsqu’ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ne souffrent pas d’une pathologie psychiatrique, c’est pour la plupart l’occasion d’un redémarrage. Le regard que porte la société sur les enfants, les jeunes et les adultes à haut potentiel peut parfois être erroné et induire des comportements ou des jugements inadéquats.

N’oublions pas que derrière un Q.I. quel qu’il soit, il y a une personne qui cherche à grandir et à trouver sa place.

 

Anne Floor

 

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[1]F. Galton, Hereditary Genius, Macmillan and Company, 1869.

[2]Pédagogue et psychologue français

[3]Médecin français

[4] Binet A., Simon Th., Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux, in: L'année psychologique. 1904 vol. 11. pp. 191-244.

[5]J-F. Marmion, Le QI est-il cuit ?, Magazine des Sciences Humaines n°190, février 2008. http://www.scienceshumaines.com/le-qi-est-il-cuit_fr_21822.html

[6]Professeur de psychologie cognitive américain.

[7]Psychologue américain.

[8]J-F. Marmion, op.cit.

[9]H. Gardner, Les Intelligences multiples, Retz, 2004.

[10]Sternberg, R. J., Successful intelligence, Simon & Schuster, 1996.

[11]Présidente d’EHP Belgique. Extrait du compte-rendu d’un atelier sur les enfants à Haut Potentiel organisé par l’UFAPEC en octobre 2013, consultable sur la partie privative du site de l’UFAPEC.

[12]Enseigner aux élèves à hautspotentiels,AGERS, 2013. Disponible gratuitement ou téléchargeable sur le site www.enseignement.be.

[13]Collectif, Des psychologues s’interrogent sur le QI et certains de ses usages, Journal des Psychologues, n°230, septembre 2005. http://snpsyen.voila.net/aufildesjours/article_psy_et_qi.pdflien vérifié le 27/06/2014.

[14]Collectif, op.cit.

[15]Collectif, Des psychologues s’interrogent sur le QI et certains de ses usages, Journal des Psychologues, n°230, septembre 2005.

[16].Collectif, op.cit.

[17]Collectif, op.cit.

[18]J. Lautrey, Pour l’abandon du QI : les raisons du succès d’un concept dépassé, in Marie Duru-Bellat et Martine Fournier, L’intelligence de l’enfant. L’empreinte du social, Sciences Humaines Editions, 2007, p.5.

[19]Collectif, op.cit.

[20]Extrait du compte-rendu d’un atelier sur les enfants à Haut Potentiel organisé par l’UFAPEC en octobre 2013, consultable sur la partie privative du site de l’UFAPEC.

[21]M. de Kermadec, L’adulte surdoué, Albin Michel, 2011.

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