Analyse UFAPEC Août 2014 par A. Pierard

16.14/ La fratrie dans les familles recomposées

Introduction

La recomposition familiale est une réalité sociétale qui s’est développée ces trente dernières années avec l’augmentation du nombre de divorces et de séparations.

Cette réalité sociale, pour faire face à la fragilité du lien conjugal, a été accompagnée de lois pour défendre l’intérêt et le bien-être de l’enfant ainsi que le principe de la coparentalité, l’indissolubilité du lien parental :

  • La loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint de l’autorité parentale,
  • La loi du 18 avril 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et réglementant l’exécution forcée en matière d’hébergement de l’enfant.

L’enfant dont les parents ont divorcé ou se sont séparés est souvent confronté à la remise en couple de l’un ou l’autre de ses parents, voire des deux.

 « Plus d’un enfant sur dix vit aujourd’hui dans une famille recomposée.[1] »

Le nouveau conjoint du parent ayant souvent lui aussi des enfants, ils vont construire ensemble de nouvelles relations au sein de la famille recomposée.

Chantal VAN CUSTEM[2]définit la famille recomposée comme «  la mise en présence d’un nouveau couple avec des enfants issus d’une famille nucléaire précédente d’au moins un des deux partenaires, avec ou sans enfants biologiques du nouveau couple ».[3]

Effectivement, qui dit famille recomposée dit, dans de nombreux cas, fratrie recomposée pouvant comprendre des enfants du côté de chacun des conjoints, mais aussi des enfants du nouveau couple. Les fratries recomposées posent diverses questions touchant la famille elle-même mais aussi la société dans son ensemble.

On peut donc se demander ce qu’est une fratrie aujourd’hui ? Quelles relations s’établissent entre enfants au sein des familles recomposées ? Quels sont la place et le rôle de chacun ? Quelle force des relations fraternelles au sein des familles recomposées ?

La fratrie

Comme l’expliquent Régine Scelles, psychologue, et Irène Thery, sociologue, la fratrie est définie par des liens de consanguinité, de filiation mais aussi la cohabitation.

Au sein de toute fratrie, des liens se créent, des alliances se construisent, des conflits peuvent surgir. Le lien fraternel est un lien électif. Il y a un apprivoisement entre frères et sœurs. « Dans ce groupe, à tous les âges de la vie, à l’abri du regard et du jugement des « grands », de ceux qui « savent », l’enfant se crée un monde magique, invente des règles qui n’ont cours que dans ce contexte, font la fierté de tous et contribuent à asseoir la rassurante certitude d’appartenir à un groupe. Les mouvements d’amour, de haine, le fait d’être élu, d’élire, d’être rejeté et de rejeter, qui naissent et se déploient au sein de la fratrie, aident l’enfant à se connaître, à connaître l’autre, à gérer les conflits, à apprivoiser l’autre ou à le fuir s’il lui semble représenter une menace. La fratrie est le lieu privilégié de la parenté élective lorsque la fratrie est composée de plus de deux enfants ; la complicité n’étant pas la même entre tous, l’enfant expérimente les intérêts et difficultés posés par les différences de sentiments existant à l’intérieur d’un groupe fermé, leurs effets sur ce groupe et sur les individus qui le composent.[4] »

Le lien fraternel a un caractère unificateur et rappelle le caractère indissoluble du lien de filiation. Malgré les séparations et divorces de parents, ce lien reste fort et soude les enfants du couple face à la situation. « C’est bien parce que le lien fraternel relève aussi bien au plus haut point de la parenté que de l’amitié qu’il porte les espoirs d’une réconciliation des deux univers, au sein même des familles issues du démariage.[5] ». Irène Thery appuie ses propos en disant que « conserver l’entité fratrie, c’est dire que le divorce ne dissout pas la famille, qu’elle survit au couple.[6] »

« Lors de la séparation et de la recomposition familiale, les frères et sœurs prennent une importance particulière pour l’enfant, notamment par la permanence du contact qu’il maintient avec eux. Le frère ou la sœur devient la seule personne qui connaît l’univers familial du père et de la mère. Le seul avec qui il n’y a pas de rupture continuelle. Celui avec qui il peut partager le deuil, la culpabilité éventuelle ou la douleur du divorce, ou le poids d’un parent qui se positionne en victime.[7] »

Mais dans les familles recomposées, des relations fraternelles peuvent aussi se nouer avec les enfants du nouveau conjoint du parent et avec les enfants issus de cette union. Dans ces familles, le lien fraternel reste un lien électif, il ne faut pas les obliger à s’aimer. Anne-Laure Gannac, journaliste pour le magazine Psychologies, l’exprime clairement : « Dans toutes les familles, on a des affinités ou pas avec une sœur ou un frère. L’amour n’est pas une obligation. Pourquoi demander aux enfants des familles recomposées d’en faire plus ? La règle d’or est le respect de chacun.[8] »

Les spécificités de la fratrie recomposée

Tout comme le fait d’avoir des enfants, la recomposition familiale est le choix du couple et non celui de leurs enfants respectifs. La différence, c’est que ceux-ci sont déjà-là et doivent jongler avec ce choix après avoir du accepter la séparation de leurs parents, faire le deuil du couple parental uni.[9]

Dans les familles recomposées, chacun a un passé, les relations sont compliquées, la situation est parfois embarrassante, les liens sont à inventer, il faut faire avec l’histoire et les pratiques familiales de chacun…

Quels sont les liens entre les enfants dans une famille recomposée ? Comment définir les liens au sein des fratries recomposées ? Quel terme utiliser ? Quelle est la place de chacun des enfants ? Quelles alliances vont pouvoir se nouer entre les enfants ? Biologique ? Selon l’âge des enfants ? Selon leur sexe ?

Et comme l’exprime si bien Béatrice Copper-Royer, psychologue, « Pourquoi serait-ce si facile de faire vivre sous le même toit des enfantsqui arrivent d'horizons différents, avec des références éducatives souvent très éloignées et avec parfois en prime l'angoisse de trahir l'autre parent ?[10] »

Construction des relations

Selon les psychologues, il faut ensemble construire les relations et donner du temps aux enfants pour leur permettre de nouer des liens. « La complicité entre frères sera lente à construire car ils ne partagent pas des habitudes familiales. Il faudra pour cela créer des rituels de groupe favorisant les rencontres. Cenouveau lien de parenté, de partage de mêmes souvenirs et expériences ne sera possible que si le parent absent l’autorise. Sinon il en résultera une simple cohabitation hostile ou indifférente.[11] »

Le lien fraternel étant électif, reprenons les propos de Béatrice Copper-Royer : « ne forcez pas les sentiments, comprenez bien vite que les enfants n'ont aucune obligation d'amour, mais une obligation de respect, ce qui est différent.[12] »

Identité de la fratrie

Comme l’explique la Fondation Roi Baudouin, l’identité de la fratrie recomposée est fragile « car elle n’existe que par rapport au nouveau couple et a tendance à disparaître s’il se sépare. Les gardes ne sont pas toujours coordonnées et il peut y avoir des fratries à géométrie variable dans la maison. La difficulté est que l’enfant se retrouve brutalement et de manière imposée dans une position fraternelle vis-à-vis d’un(e) inconnu(e) avec qui il ne partage rien.[13] »

La recomposition peut donner une nouvelle place au sein de la fratrie, un ainé peut devenir second, un enfant unique perdre ce statut… Ce sont de réels bouleversements dans la vie des enfants qui demandent de se créer sa place au sein de la nouvelle fratrie. Nouvelle fratrie qui ne va pas se faire confondre les deux fratries. « Les deux fratries ne se confondent pas, loin de là. Elles peuvent cohabiter, se mélanger, mais elles se ressoudent dès qu’un problème surgit.[14] »

Quels termes utiliser?[15]

Différents termes peuvent être utilisés pour qualifier les relations entre enfants au sein des familles recomposées.

  • Demi-frère ou demi-sœur : frère ou sœur ayant un parent en commun, le père ou la mère.
  • Quasi-frère ou quasi-sœur : il n’y a pas de lien de sang entre eux, mais ils sont en lien de par la mise en couple de leurs parents.
  • Frère ou sœur par alliance :enfant du beau-parent dans la famille recomposée.
  • Beau-frère ou belle-sœur : enfant du beau-parent dans la famille recomposée, mais ces termes sont aussi utilisés pour parler des conjoints de ses frères et sœurs et des frères et sœurs de son conjoint.
  • Faux-frère ou fausse-sœur :terme utilisé par les enfants s’ils n’ont pas trouvé leur bonheur dans d’autres appellations, mais a une connotation négative de trahison.

Par rapport à ces différents termes,« La meilleure solution est de laisser choisir les enfants sur la façon dont ils souhaitent parler des enfants qui vivent avec eux dans les familles recomposées. (…) L’important reste l’équilibre d’un enfant, son bien-être, la compréhension de son identité, si ces trois facteurs sont réunis, ne vous inquiétez pas des termes qu’il choisira pour identifier les membres de sa nouvelle tribu.[16] »

A chacun de voir ce qu’il considère le plus approprié à sa situation. Chacun doit donc inventer le terme approprié, qui dira ce qu’il vit.

Accueil de l’enfant en visite

Comme vous pourrez le lire dans certains témoignages en annexe, il n’est pas toujours facile pour l’enfant de passer d’une famille à l’autre, de se retrouver un temps avec les enfants de son beau-père et puis un autre temps avec ceux de sa belle-mère.

Cela est encore moins facile quand l’enfant va chez l’un de ses parents en garde secondaire, car il est beaucoup moins présent dans cette famille et il peut être jaloux des enfants du beau-parent qui côtoieraient plus son propre parent.

« Il est difficile pour l’enfant qui vient chez son parent le week-end de voir celui-ci s’occuper à plein temps des enfants d’un autre… La jalousie est presque inévitable. Le parent doit tout faire pour que l’enfant ne se sente pas "de trop" ou un simple "visiteur". Il sera sensible au fait que sa venue est attendue et préparée. Toute la famille peut, par exemple, sortir ensemble, à chacune de ses visites. Mais il est aussi important de privilégier, au cours du week-end, un vrai moment de tête-à-tête. Un repas au restaurant peut devenir un rituel où l’on discute de ses études, ses loisirs, ses soucis… Bref, il doit savoir qu’il reste avant tout l’enfant de son père ou de sa mère, même s’il ne partage pas leur quotidien.[17] »

Enfant du nouveau couple

Si le couple de la famille recomposée a un enfant, celui-ci va quelque part assurer sa légitimité aux yeux des enfants, faire le trait d’union entre les deux familles et souder la nouvelle famille. « Pour l’enfant, cette naissance vient confirmer l’union entre son parent et le conjoint de celui-ci. Parce qu’elle soude la nouvelle famille, elle est généralement bien acceptée. Elle rassure des enfants fragilisés par l’éclatement d’une première famille et qui ont peur de revivre la situation. Tous les enfants craignent d’être délaissés au profit d’un petit nouveau. C’est pourquoi ils doivent pouvoir exprimer leurs inquiétudes avant d’être rassurés. Ils pourront, à leur rythme, envisager cette naissance comme une nouvelle pièce unique dans le "puzzle familial".[18] »

Mais il faut faire attention car « L’arrivée d’un demi-frère (ou sœur) peut clairement réactiver chez l’enfant les souffrances liées au divorce de ses parents.[19] »

Question de l’inceste

Au sein des fratries recomposées se pose parfois la question de l’amour, question embarrassante pour les parents et les enfants.

Les psychologues sont divisés à ce sujet. Pour certains, la création d’un couple parental introduit d’office l’interdit de l’inceste entre leurs enfants respectifs. Pour d’autres, vu qu’il n’y a pas de lien de sang entre eux, on pourrait accepter la relation. Si on suit cette voie, faudrait-il mettre des limites ?

Il n’y a pas de réponse claire à cette question. Comme l’exprime la Fondation Roi Baudouin, « Bien qu’il n’y ait aucun interdit juridique d’inceste entre des quasi-frères et sœurs, enfants des familles recomposées, les règles à appliquer ne sont pas évidentes. Il est compliqué de définir à partir de quel moment et de quelle proximité relationnelle l’inhibition du désir sexuel doit exister. Uniquement lorsqu’on vit sous le même toit ? Quand on vit ensemble pendant le week-end ? Quand on mange à la même table ? La situation est d’autant plus compliquée que la lune de miel du nouveau couple peut sexualiser l’ambiance. Ne serait-il pas opportun d’engager une réflexion sans tabous sur les relations sexuelles entre quasi-frères et sœurs, surtout lorsque ceux-ci sont élevés ensemble ? Pour certains, un interdit énoncé clairement permet à chacun de s’organiser et de se structurer de façon plus solide et de chercher son objet d’amour en-dehors de la famille. [20] »

Effectivement, cela pose question et il faut pouvoir en parler au sein des familles recomposées.

Conclusion

La fratrie se définit par des liens de sang et de filiation, mais aussi par la cohabitation et la coéducation. L’espace et le temps partagés ensemble, les relations établies, les pratiques familiales, l’appropriation de l’espace, etc., vont construire la fratrie au sein des familles recomposées.

Ces familles ont à construire le lien fraternel en transcendant les frontières de la consanguinité et de la filiation. Il est important de donner une place à chacun.

L’UFAPEC trouve important de ne pas forcer le lien fraternel entre enfants au sein des familles recomposées, mais, en douceur, de créer un esprit de famille et des liens entre les enfants en permettant le dialogue, sans vouloir effacer les liens de sang des fratries préexistantes à la recomposition familiale et en faisant preuve de tolérance pour chaque histoire familiale.

L’idée est d’ensemble se donner des repères, partager un même lieu de vie et des moments conviviaux, permettre à chacun de se sentir chez soi, pour construire la fratrie au sein de la famille recomposée.

 

Alice Pierard

 

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.

 



[1]CHABBERT Delphine, « Pour une reconnaissance des beaux-parents », article publié le 12 mai 2014, In le ligueur.be.

[2]Neuropsychiatre et thérapeute familiale.

[3]PICQUOT Virginie, « L’affiliation et le recadrage dans la rencontre avec une famille recomposée », mardi 3 juin 2008, In systemique.be.

[4]SCELLES Régine, « La fratrie comme ressource », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, n°32, janvier 2004, p 106.

[5]MARTIAL Agnès, op cit., § 8 du lien internet.

[6]Idem.

[7]Fondation Roi Baudouin, « L’enfant dans la famille recomposée », novembre 2008, p 21.

[8]GANNAC Anne-Laure, « Réussir sa famille recomposée », février 2004, In psychologies.com, p 5.

[9]Voir PIERARD Alice, La relation entre enfants et beaux-parents dans les familles recomposées, Analyse UFAPEC 2014, N°10.14.

[10]ACHEKIAN Audrey, « Famille recomposée : comment apaiser les tensions ? », mis à jour le 14 mai 2013, In Journaldesfemmes.com, p 5.

[11]MARTIAL Agnès, op cit., § 8 du lien internet.

[12]ACHEKIAN Audrey, op cit., p 2.

[13]Fondation Roi Baudouin, op cit., p 22.

[14]Idem.

[15]« Quasi-frère, demi-frère ou frère, quels termes choisir ? », publié le lundi 17 mars 2014, In Easy Tribu.

[16]Idem.

[17]GANNAC Anne-Laure, op cit., p 6.

[18]Idem.

[19]Fondation Roi Baudouin, op cit., p 22.

[20]Fondation Roi Baudouin, op cit., p 22.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK