Analyse UFAPEC Septembre 2017 par M. Lontie

17.17/ Les vacances d'été nuisent-elles aux apprentissages ?

Introduction

L'UFAPEC s'est penchée dans le courant de l'année 2015 sur la question de rythmes scolaires[1]. Nous avions souligné à l'époque l'intérêt évoqué par plusieurs acteurs et experts de réduire la durée des vacances scolaires d'été de deux semaines au profit d'un rapatriement de celles-ci en cours d'année. Deux grands arguments appuyaient cet intérêt. Les médecins du sommeil ont d'abord mis en évidence que des congés d'une semaine en cours d'année ne permettent pas un véritable repos, car « le corps ne profite pas immédiatement du changement de rythme »[2]. L'intérêt résidait donc ici dans le fait de rallonger les congés de Toussaint et de Carnaval d'une semaine. Le deuxième argument majeur était que le cerveau humain est plus fatigué en période hivernale et qu'il était donc absurde d'avoir une longue période de repos en été alors que c'est le moment où on est le plus en forme. A l'époque, nous ne nous étions donc pas arrêtés sur une autre dimension de la question des rythmes, de l'apprentissage et des vacances : de longues vacances d'été ont-elles un effet sur les acquis de l'année scolaire précédente ? C'est cette question que nous explorons dans l'analyse que nous vous proposons ici.

Nous parlerons dans un premier temps de la littérature scientifique en la matière, qui nous vient essentiellement de recherches anglo-saxonnes. Nous questionnerons ensuite le caractère inégalitaire des vacances scolaires et les effets de cet état de fait sur les apprentissages (selon les études menées sur cet aspect spécifique). Cela nous conduira à faire le lien entre ces résultats et les pratiques, les perceptions des familles en ce qui concerne les vacances et les apprentissages. Enfin, avant de conclure, nous explorerons trois pistes pour réduire structurellement la perte des apprentissages en été. "Structurellement", cela signifie que ce sont des changements au niveau des structures et donc des institutions qui interviendraient. Il ne s'agit donc pas de pistes (pourtant nombreuses, disponibles aisément sur la toile et qui mériteraient certainement d'être testées et évaluées) pour permettre aux parents de préparer un programme de maintien des apprentissages pendant l'été pour leur enfant.

La perte des apprentissages en été, qui s’en préoccupe ?

Lorsque l’on cherche à s’informer sur la perte des acquis des élèves durant les semaines de vacances estivales, force est de constater que les ressources en la matière sont beaucoup plus nombreuses dans la littérature scientifique anglo-saxonne que dans la littérature francophone. Et on ne s’étonnera donc pas que, en ce qui concerne la francophonie, c’est au Québec que cette question retient le plus l’attention des pédagogues, des chercheurs en sciences de l’éducation et des politiques. Trois études canadiennes figurent d’ailleurs dans un article publié par cinq chercheurs américains en 1996[3], lequel s’appuie sur 39 études qui traitent du summer learning loss[4] (la plus ancienne de ces études remontant à 1906). Cet article reste une référence incontournable jusqu’à aujourd’hui, que ce soit à travers des publications universitaires[5], des sites spécialisés en éducation[6] ou des chroniques[7]. Parmi ces 39 études, certaines ont été menées en primaire, d’autres en secondaires et d’autres encore sur les deux niveaux d’enseignement.

Depuis, des états ou des pouvoirs locaux se sont emparés de la question aux Etats-Unis comme au Canada. Ainsi, Mélanie Valcin, une gestionnaire régionale de Québec et Nunavut (en charge de programmes d’alphabétisation et d’éducation des communautés autochtones dans ces régions du Canada), analyse dans un article l’intérêt des camps de littératie[8] pour contrer la perte des acquis en lecture durant les vacances d’été : « Les programmes d’apprentissage offerts durant la période d’été ont été déterminés comme un moyen efficace de contrer cette perte des acquis et de favoriser la réussite scolaire (Canadian Council on Learning, 2008). Collège Frontière, un organisme d’alphabétisation pancanadien, met sur pied des camps de littératie destinés aux enfants des Premières Nations, métis et inuits afin de réduire l’écart entre les enfants autochtones et non autochtones sur le plan de la réussite scolaire.[9] » Aux Etats-Unis, des think thanks[10] se sont également saisis de la question[11], à des fins commerciales notamment. En effet, la mise à disposition de camps d’été éducatifs est un business comme un autre et qui peut s’avérer très lucratif… Chez nous aussi.

Les vacances, source d’inégalités

Nous l’avions indiqué dans notre étude sur les rythmes scolaires[12], les longues vacances d’été sont un héritage du temps où les enfants étaient réquisitionnés par leurs parents pour aller travailler dans les champs. Les réalités économiques et sociales ayant considérablement changé depuis la fin du XIXe siècle, le statut des vacances a également fortement évolué. Sur d’autres aspects aussi (comme par exemple la raréfaction du statut de mère au foyer ou l’apparition des congés payés).

Aujourd’hui, et c’est certainement heureux, la grande majorité des parents voient les vacances comme un temps de repos pour les enfants, une occasion de faire autre chose que pendant l’année, de profiter des longues journées d’été et de s’amuser. Ceci dit, les enfants ne vivant pas tous dans le même environnement social ou économique, ils ne vivent pas les mêmes choses durant les vacances. Et, là aussi, se créent nécessairement des inégalités. Tant le type que la diversité des activités proposées aux enfants par leurs parents vont nécessairement avoir un impact sur la mobilisation des acquis scolaires et sur leur ancrage chez l’enfant.

S’il n’est pas nécessaire d’aller à l’autre bout de la planète pour éveiller son enfant à l’esprit de découverte, à la culture et à la complexité du monde, l’accès à une variété de ressources et les moyens nécessaires à cet accès sont évidemment déterminants. Il peut s’agir de moyens financiers, mais aussi de capacité de mobilisation des savoirs et savoir-faire à disposition. De nombreuses possibilités de stages sont proposées durant l’été en Belgique, à tous les prix. Mais l’accès à la variété a toujours un coût, que ce soit par le prix du stage ou par le prix de la mobilité (en particulier dans les zones rurales). Les vacances restent donc un moment durant lequel de grandes différences se marquent entre les enfants. En fonction des priorités éducatives des parents, mais aussi des ressources financières, matérielles et humaines disponibles. Et si nous devions donner un conseil aux parents qui nous lisent, ce serait de ne jamais oublier que les vacances doivent rester des vacances. Avec des moments de jeux, de lecture, de sport, de visites culturelles et autres (qui peuvent être source d’apprentissages nouveaux ou permettre le maintien des acquis) mais aussi avec des moments de repos et d’ennui. L’ennui est nécessaire à l’enfant, notamment pour lui permettre d’être créatif[13].

Ce qu’en disent les études

Ce que pointent avant tout Harris Cooper et ses associés, signataires du fameux article de 1996 sur le summer learning loss, c’est que les différentes études montrent une perte de minimum un mois d’apprentissage entre les tests soumis aux élèves au printemps et des tests identiques passés à l’automne suivant. « Un mois minimum », signifie que l’enseignant qui récupère les élèves à la rentrée de septembre a besoin de ce temps-là au moins pour remettre l’élève au niveau qui était le sien au printemps. Ce que les chercheurs ont remarqué, c’est que ni le genre, ni l’origine ethnique, ni le quotient intellectuel (QI)[14] n’ont d’impact sur la perte d’acquis durant l’été. En mathématiques, l’origine socio-économique n’a pas non plus d’impact. Mais au niveau de la langue et du langage, les pertes peuvent aller jusqu’à trois-quatre mois pour certains élèves, en particulier les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés ou dont la langue parlée à la maison est différente de la langue d’enseignement. D’où l’intérêt de développer des programmes spécifiques pour les populations concernées durant l’été.

L’hypothèse des chercheurs est que, comme nous l’avons déjà évoqué, les élèves de classe moyenne et aisées ont davantage l’occasion que les autres de lire, d’exercer la langue de différentes manières et que cela peut être plus aisément suscité par leurs parents eux-mêmes. Cette hypothèse concernant la langue et le langage se confirme d’ailleurs en regard des résultats en mathématiques. Pourquoi, en effet, la perte en mathématiques est-elle plus homogène ? Autrement dit, pourquoi tous les élèves, indépendamment de leur profil, accusent-ils le même retard à la fin de l’été en maths (comme cela est révélé par les études spécifiques) ?

En fait, nous dit Harris Cooper, les mathématiques sont généralement considérées par les parents comme une matière purement scolaire. Et donc elles n’ont pas leur place dans le cadre des vacances, prioritairement dédiées à la détente et à l’amusement. Contrairement à la lecture, au théâtre ou à d’autres activités liées à la langue et au langage, les mathématiques ne sont que très peu explorées dans leur aspect ludique ou dans leur usage journalier par les parents soucieux d’entretenir et de cultiver les aptitudes de leur enfant durant les vacances d’été. Et si des liens peuvent être faits entre la musique et les mathématiques, on reste loin d’un entretien des attendus scolaires en mathématiques à tout âge. Tandis qu’en ce qui concerne la langue, le simple fait de parler et d’utiliser un niveau de vocabulaire varié et adapté aux compétences de l’enfant entretient et cultive ses acquis scolaires. Il est évident que l’enfant qui n’a pas ou peu l’occasion d’exercer la langue d’enseignement dans le cadre de son environnement quotidien durant deux longs mois accusera un déficit d’autant plus important à la rentrée des classes…

Trois remèdes structurels

Dans un article synthétique[15], Harris Cooper identifie les trois remèdes les plus souvent cités que la société peut utiliser pour résoudre, au moins partiellement, la perte des acquis durant l’été.

La première solution consiste à allonger l’année scolaire. Cela s’entend en nombre de jours d’école. En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’année scolaire compte a priori 182 jours d’école. En fonction des aléas du calendrier, le gouvernement peut décider de fixer un jour en moins ou un jour en plus (soit 181 et 183 jours). C’est plus qu’en France, qui est passée de 144 à 162 jours suite à leur grande réforme des rythmes scolaires en 2014, et moins qu’au Japon où les élèves ont 240 jours d’école dont 30 jours consacrés exclusivement au sport[16]. Les élèves japonais ont cours du lundi au vendredi et doivent se rendre à l’école deux samedis par mois[17]. Les vacances d’été durent environ un mois. En hiver, les élèves ont deux semaines de break et, au printemps, trois semaines. C’est une solution coûteuse pour l’Etat et qui n’a généralement pas les faveurs des personnels de l’enseignement (et de leurs syndicats). Harris Cooper indique que plus de jours d’école signifie aussi augmentation des tâches et donc plus de fatigue accumulée pour les élèves et les enseignants. Si des aménagements peuvent être imaginés, les détracteurs de l’augmentation notent qu’il faudrait ajouter une trentaine de jours pour qu’une différence notable s’opère et que le surcoût engendré pourrait être plus judicieusement investi dans la qualité de l’instruction et dans la réduction de la taille des classes[18].

La deuxième solution serait d’investir dans les écoles de remédiation et de dépassement en été (summer schools). Si de tels programmes ont un réel effet sur la perte des acquis durant les grandes vacances, Harris Cooper remarque que les premiers bénéficiaires sont les élèves issus de la classe moyenne et que les effets sur les publics précarisés sont nettement inférieurs. Le procédé est aussi plus efficace pour les élèves du secondaire que pour ceux du primaire, dans des structures plus petites avec un accompagnement plus individualisé et que les bénéfices se marquent davantage en mathématiques qu’en lecture.

La troisième solution évoquée par Harris Cooper est celle qui était préconisée par l’UFAPEC dans son étude sur les rythmes scolaires et que nous avons évoquée en introduction : la modification du calendrier scolaire de sorte que les vacances d’été soient rabotées de deux semaines afin d’allonger les congés de Toussaint et de Carnaval d’une semaine. Harris Cooper n’indique pas de contre-indication à cette mesure dans son article.

Conclusion

La recherche scientifique fournit depuis des décennies toujours plus de matière à réflexion pour les acteurs institutionnels et les décideurs politiques en ce qui concerne les rythmes scolaires. Mais l'habitude sociétale, d'une part, et institutionnelle, d'autre part, semblent demeurer insensibles à ces apports. Du moins chez nous. Si nous ne sommes pas d'avis qu'il faille augmenter le nombre de jours d'école par an (les enfants sont déjà suffisamment sollicités par l'école et certains ont besoin de davantage de temps pour intégrer les attendus actuels ; nous pensons par ailleurs qu'il faut plutôt investir pour faire de l'école autrement que pour faire plus d'école), nous avons la conviction que le raccourcissement des vacances d'été afin d'alterner de manière régulière des périodes de 7-8 semaines de cours avec deux semaines de congé permettrait une meilleure récupération des élèves et des enseignants en cours d'année. Cela aiderait aussi à réduire partiellement les pertes d'apprentissage durant les vacances, en particulier chez les publics les plus précarisés ou issus de familles où on ne parle pas le français à la maison.

Au profit de ces profils spécifiques, la Fédération Wallonie-Bruxelles (mais pas seulement) aurait certainement à apprendre des expériences menées au Canada pour œuvrer à réduire la différence qui se marque durant les semaines d'été entre les élèves en matière de langue et de langage. Si nous devions constater chez nous (et il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas) des pertes d'apprentissage équivalant à trois-quatre mois de scolarité durant l'été chez certains élèves, pendant que d'autres perdent en moyenne un mois de scolarité, nous devrions questionner les politiques régionales, communautaires et locales qui conduisent à cette situation : Quelle conscience du terrain (communes, écoles, AMO…) eu égard à cette problématique ? Qu'est-il prévu concrètement et structurellement pour pallier ce problème ? A qui s'adressent les programmes ? Comment sont-ils financés ? Faut-il les généraliser ? Etc. Et nous devrions alors relativiser les difficultés des écoles accueillant une majorité d'élèves correspondant aux catégories les plus sujettes à la perte d'apprentissage durant l'été (et qui doivent donc combler un retard d'autant plus important à la rentrée). Sans les exempter de faire évoluer leurs élèves au maximum de leurs capacités avec les moyens mis à leur disposition, comme c'est d'ailleurs envisagé à travers le projet de gouvernance du Pacte pour un enseignement d'excellence...

 

 

Michaël Lontie

 

[1] LONTIE, M., Repenser les rythmes scolaires, Etude UFAPEC n° 16/15, août 2015 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2015/1615-rythmes-scolaires.pdf.

[2] Ibidem, p. 15.

[3] COOPER, H., NYE, B., CHARLTON, K., LINDSAY, J., GREATHOUSE, S., « The Effects of Summer Vacations on Achievement Tests Scores : A Narrative  and Meta-Analytic Review », in Review of Educational Research, Automne 1996, Vol. 66, n°3, pp. 227-268 : https://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=4&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwiM3YffkY7WAhWBaRQKHQBnAekQFghAMAM&url
=http%3A%2F%2Fashleyperkins.wiki.westga.edu%2Ffile%2Fview%2FThe%2BEffects%2Bof%2BSummer%
2BVacation%2Bon%2BAchievement%2BTest%2BScores.pdf&usg=AFQjCNGOhCheFMU2xsSrhwOvdeaYh0Em0Q
.

[4] Littéralement « perte d’apprentissage estival » en anglais.

[8] « Aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. » Cette définition émane de l’OCDE (Organisation de Coordination et de Développement Economique). Cf. http://www.oecd.org/fr/edu/innovation-education/39438013.pdf, p.12.

[10] Mot américain signifiant littéralement « réservoir de pensée ». Les think thanks sont en fait des « Cercle de réflexion émanant généralement d’institutions privées, et apte à soumettre des propositions aux pouvoirs publics ». Source de la définition : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/think_tank/10910449.

[11] Cf. par exemple Rand corporation, très active dans le domaine : https://www.rand.org/topics/summer-learning.html?page=2&query=%22Summer+Learning%22.

[12] LONTIE, M., Repenser les rythmes scolaires, p.5 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2015/1615-rythmes-scolaires.pdf.

[13] Cf. FLOOR, A., Et on apprend en rythme… Celui des enseignants ? Des parents ? Du lobby touristique ? Ou des enfants ?, Analyse UFAPEC n°22.10, 2010 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/2210-rythme.html.

[14] Le QI a été et reste particulièrement étudié aux Etats-Unis. Il a moins de succès chez nous : lire à ce sujet HOUSSONLOGE, D., L’intelligence émotionnelle, une des clés de la réussite scolaire, Analyse UFAPEC n°03.12, février 2012 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/0312-intelligence-emotionnelle.html.

[18] Argument à relativiser par d’autres études, comme nous l’avons présenté dans une analyse précédente : LONTIE, M., Peu d’élèves, gage de réussite ? Un accord sur la taille des classes, Analyse UFAPEC N°08.12, mars 2012 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/0812-taille-classes.html

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