Analyse UFAPEC novembre 2018 par B. Loriers

21.18/ Le parent envahisseur à l'école, reflet de notre société individualiste ?

Introduction

La confiance des familles envers l’école était auparavant importante, et les parents intervenaient peu dans le contexte scolaire. Ce temps est révolu et les parents ont obtenu une véritable place en tant que partenaires constructifs au sein des établissements scolaires. L’UFAPEC, organisation représentative des parents et des associations de parents de l’enseignement libre en Fédération Wallonie-Bruxelles, salue les récents décrets et les nombreux projets d’écoles, qui offrent aux parents la possibilité d’être actifs dans l’école, que cela soit au sein du conseil de participation, de l’association de parents, d’un groupe de travail spécifique dans l’école, etc.

Cependant, de plus en plus de parents vont au-delà des relations de partenariat.  Se pose dès lors la question de savoir si la place que prennent les parents au sein de l’école est- toujours adéquate, respectueuse des enseignants ? Qu’est-ce qu’un parent envahisseur ? Quelle est la marge de manœuvre de l’intervention des parents dans l’école ? Jusqu’où peuvent-ils aller dans leur engagement pour aider leur enfant ? En quoi l’ingérence du parent-roi est-il un frein pour le travail de l’enseignant ?

On entend souvent parler du phénomène de l’enfant-roi… Peut-on y voir un lien avec le phénomène du parent envahisseur ? Comment enrayer ce problème du client-consommateur qui peut faire des dégâts à l’école comme ailleurs ? Le phénomène du parent envahisseur dans le cadre scolaire serait-il lié à un phénomène qui touche notre société dans son ensemble, à savoir la compétition et le « chacun pour soi » ? Notre système scolaire, micro-société, serait-il le reflet de notre monde de consommation où le client est roi ?

Définition du parent envahisseur

Le terme « envahisseur » peut être défini comme l’ennemi qui envahit[1]. Le terme ennemi, appliqué au cadre scolaire, suppose qu’il n’y a pas de relation constructive entre ce parent (envahisseur) et les membres du personnel éducatif. Le verbe « envahir » signifie occuper brusquement, et de vive force[2].

Le parent envahisseur est un parent-roi dans le sens où il sème ses exigences et dicte la conduite du prof, bafouant au passage le cadre scolaire et la gestion de classe[3]. Pour la journaliste Isabelle Maher, il sait tout et il ne doute pas, il ne montre ni confiance ni ouverture, il exige, impose, accuse, il multiplie les appels et les courriels, il s’adresse directement à la direction, il n’a plus confiance dans le système d’éducation[4].

Nous avons interrogé un ancien directeur d’école, pour qui le terme de parent-roi semble bien trop fort, il préfère le terme de parent envahisseur. Le parent-roi serait un parent qui ne respecte pas le projet de l’école, le cadre et les limites. Le parent envahisseur peut très bien respecter les horaires de l’école et les contraintes de dates…. Mais ce parent est trop souvent présent dans l’enceinte de l’école, comme s’il était chez lui, pour soit contester un avis émis sur son enfant, un choix posé par l’école ou soit tout simplement pour être reconnu et entendu et ce, tous les jours de la semaine. Ces parents n’ont pas de limites et ce sont bien souvent ses pairs qui lui font la remarque de ce débordement récurrent, souvent inconscient. Il faut reconnaitre que le parent envahisseur pense agir de bonne foi dans l’intérêt de son enfant[5].

On peut aussi définir le parent envahisseur comme un parent qui veut garder le contrôle sur la vie de son enfant, et s’assurer que tout ce à quoi il sera exposé est en accord avec ses valeurs[6]. Mais est-il possible de tout contrôler ? On ne peut évidemment pas reprocher aux parents de s’impliquer dans la vie scolaire de leur enfant. La question est de savoir jusqu’où les parents peuvent intervenir dans l’école. Les parents qui interviennent à l’école de manière constructive constituent un atout pour l’équipe éducative. Mais l’intervention des parents est-elle constructive quand il y a manque de confiance et de respect vis-à-vis de l’institution scolaire dans son ensemble ?

Représentations que l’on se fait du parent envahisseur

  • Point de vue du parent envahisseur

Le parent envahisseur est persuadé que l’école ne comprend pas son enfant, et il revendique d’être LE spécialiste de son enfant, personne ne le connait mieux que lui. Il est persuadé, souvent de bonne foi, d’avoir raison, de tout faire pour la réussite de son enfant. Bien souvent, ce parent semble rechercher une reconnaissance personnelle. Il estime que ce n’est pas parce qu’il émet une suggestion ou qu’il fait une remarque d’orthographe qu’il remet en cause les compétences du corps professoral. Certains se demandent si le droit à la désobéissance constructive serait devenu illégitime. Le droit de parler librement, de faire valoir ses idées, d’être ouvert sur d’autres choses estimées plus justes, deviendrait-il interdit ?[7] ».

Mais le parent envahisseur, tellement impliqué, a-t-il le recul nécessaire pour savoir ce qui est bien pour son enfant et pour l’école ?

  • Point de vue de l’enseignant

Une enseignante du primaire explique : tous les parents ne sont pas comme ça, mais cette minorité nous gruge temps et énergie, et elle nous mine littéralement[8].

De plus, les équipes éducatives remarquent que le temps consacré à ces parents parfois trop intrusifs ne l’est pas pour les enfants.

Les exemples de débordements de la part de certains parents ne manquent pas : justificatifs de retard qui manquent de sérieux, non-respect des horaires scolaires ou même du temps scolaire (les enfants partent en vacances durant les jours d’école) et donc bouleversement des routines, refus que son enfant réalise telle activité, telle punition ou tel devoir, lise tel bouquin. Certains parents n’hésitent pas à débouler dans la classe sans même prendre rendez-vous.

De nombreux enseignants quittent l’enseignement, entre autres, par manque de reconnaissance, de respect, par manque de valorisation de leur métier de la part de parents trop interventionnistes.

Pourquoi cet avènement du parent envahisseur ?

Il s’agit très souvent de conflits basés sur des incompréhensions. Pour Rollande Deslande, chercheuse québécoise sur les liens école-familles, ces tensions sont issues d’un manque de communication et de compréhension des rôles de chacun. Ils ne sont pas sur le même diapason. L’enseignant a deux clients : l’élève et son groupe. Le parent, lui, n’a que son enfant et, de plus en plus, cet enfant est devenu un véritable projet de vie[9].

D’autre part, notre société individualiste, du chacun pour soi, fait aussi oublier l’aspect collectif qui devrait primer dans nos écoles. Un monde de compétition et de performance n’est-il pas aussi un facteur favorisant l’émergence de ces envahissements ?

Une autre explication au phénomène de parent-roi serait notre société de consommation, qui aurait transformé le rapport des familles à l’école. Aujourd’hui, l’école serait devenue un service et les parents ses clients.

Au-delà de l’école, le client-roi est partout. Il pose ses propres diagnostics médicaux en naviguant sur le Web, demande de changer de conseiller financier pour obtenir de meilleurs taux, hésite à suivre les recommandations du ministère de la Santé et des Services sociaux concernant la vaccination, et n’a plus confiance (ou presque) en ses élus ni en les médias. Il n’a confiance qu’en lui-même, et encore. Avoir le bras long est probablement une caractéristique de l’homme postmoderne[10]. Certes l’esprit critique est à garantir dans notre vie de citoyen, et dans nos rapports avec le monde scolaire, mais n’est-il pas normal de faire a priori confiance aux enseignants à qui on confie son enfant et de reconnaitre leurs compétences ? Les parents d’élèves n’ont-ils pas intérêt à trouver un juste milieu entre le fait de tout avaler, de tout accepter de l’enseignant et de l’école, et le fait de tout critiquer et de ne jamais faire confiance en l’équipe éducative ?

Pour un directeur d’école, qui a voulu rester anonyme, le phénomène du parent envahisseur est aussi lié à un sentiment de culpabilité des parents. Parfois, ces parents sont des parents absents qui sont remplacés à la maison par des baby-sitters après 16h. Les enfants sont, bien souvent, alors, en manque de repères. Les parents le constatent, ils culpabilisent et attaquent donc l’école.

Il y a encore la question de la non-reconnaissance des parents. Des parents qui ne se sentent pas reconnus, entendus dans leurs compétences parentales, tout spécialement dans les milieux précarisés ou étrangers dans lesquels la culture familiale est très éloignée de la culture scolaire. Des parents peuvent se sentir critiqués, jugés et condamnés par l’école et auront d’autant plus besoin de contester, revendiquer, critiquer, envahir. C’est peut-être leur seule façon de communiquer, d’exister ou d’être entendu par l’école.

Lien entre parent envahisseur et enfant-roi ?

Dominique Houssonloge, chargée de missions à l’ UFAPEC, explique l’avènement de l’enfant-roi : l’individualisation de notre société où prime l’épanouissement de chaque individu, les mères au travail qui culpabilisent et tentent de compenser et d’être disponibles à 100 % lorsqu’elles sont à la maison, la diminution du nombre d’enfants par famille, la reconnaissance de l’enfant comme personne suscitée par Françoise Dolto, l’émergence des droits de l’enfant, tous ces éléments ont encore participé à donner une place centrale à l’enfant mais aussi à rendre la tâche éducative plus complexe et plus exigeante[11]. Le parent envahisseur vient avec ses propres exigences, s’imagine qu’il est le seul dans la classe et dans l’école. L’enfant voit son parent devant lui comme exemple, et se rend compte soit du respect que son parent porte aux enseignants, soit il comprend que dans sa famille, il n’y a aucun scrupule à détourner les normes scolaires ; lorsque les parents ne respectent pas l’enseignant, il n’y a aucune raison que l’enfant le fasse.

Mais que l’on ne se méprenne pas, tous les enfants de parents envahisseurs ne sont pas des enfants-rois. Toutefois, ces enfants sont plongés dans un conflit de loyauté, tiraillés entre l’enseignant et ses parents. Pour Michèle Henrichon, institutrice primaire, l’enfant dont le parent est en désaccord avec l’école vit un stress, une pression inutile : il ne sait plus à qui donner raison en plus de vivre un conflit de loyauté. Cela le rend anxieux et il n’est plus disponible pour les apprentissages[12]. Ce conflit de loyauté de l’élève est expliqué par le sociologue Antoine Baby : comment peut-on logiquement obliger ses enfants à se rendre à l’école tous les matins, comment peut-on penser qu’ils aiment aller à l’école si l’image que nous leur en donnons est celle d’un repère de paresseux, de parasites et d’incompétents ? ». Il est de sens commun que, pour aimer l’école, nos enfants ont besoin de savoir que, de façon générale, nous avons confiance en l’école. La société toute entière a intérêt à ce que l’école établisse avec la famille une relation positive de confiance entre deux partenaires égaux[13].

  • Témoignage d’une jeune, enfant d’un parent envahisseur

Ma mère n’arrêtait pas de me justifier et de me défendre auprès des profs, des amis, de la direction..., commente une adolescente sur un blog. Arrivée en secondaire, la jeune s’est sentie larguée par sa mère, qui la jugeait alors capable de régler ses conflits elle-même. Ma mère n’étant plus là pour me coacher, j’ai été le souffre-douleur des élèves et des profs. N’ayant aucun outil pour me défendre, j’en paie encore le prix dans ma vie en société aujourd’hui[14], dit-elle.

 

Conclusion                   

Il semble bien que le phénomène du parent envahisseur à l’école soit lié à un phénomène plus large, qui touche notre société toute entière, celui de l’individu qui vit dans le « chacun pour soi ». L’école constitue une micro-société, et l’institution scolaire risque, si on n’y prend garde, de devenir le miroir de notre société de consommation, où le client a tous les pouvoirs.

La confiance entre les parents et l’école est une véritable préoccupation, un enjeu de taille et un fil conducteur pour l’UFAPEC. Nous sommes convaincus que l’implication constructive des parents et qu’un bon climat « école-familles » sont source de bien-être et de réussite pour chaque élève. Finalement, enseignants et parents œuvrent dans un même objectif : l’épanouissement des enfants et des jeunes.

Le Pacte pour un enseignement d’excellence ne dit pas autre chose quand il inscrit le renforcement de la démocratie scolaire comme ligne de force. (…) Le Groupe central s’accorde sur la nécessité d’élaborer le ROI de l’établissement et ses modifications dans le cadre d’une dynamique participative associant élèves, enseignants, parents, etc. Ceci signifie concrètement que le ROI devra être au minimum soumis à l’avis du Conseil de participation[15].

Le Parlement de la Communauté française confirme cette direction quand il renforce[16]dans chaque établissement les missions du Conseil de participation qui se voit chargé de remettre un avis sur le plan de pilotage, de débattre et de remettre un avis sur le règlement d'ordre intérieur de l'établissement et, le cas échéant, de l'amender et de le compléter. Pour l’UFAPEC, il s’agit là d’une grande avancée pour les parents puisque ces derniers peuvent enfin débattre du ROI de l’école, en collaboration avec les autres partenaires.

Si le phénomène du parent qui envahit l’école à tort et à travers reste minoritaire, il peut nuire au climat de l’école et à la confiance qu’entretiennent les familles avec l’équipe éducative. Ces ingérences peuvent être endiguées par la mise en place ou le renforcement des structures où les parents peuvent s’exprimer, certes au nom du collectif, mais où l’expression réfléchie a sa place. Enseignants et parents n’ont pas à devenir les meilleurs amis du monde, mais, dans l’intérêt de l’élève, il est utile qu’ils apprennent à travailler ensemble et à se faire confiance. Cela passe immanquablement par une reconnaissance des compétences et une définition claire des rôles de chacun.

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] In Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2009.

[2] Ibidem.

[3] CHOUINARD Marie-Andrée, Les parents-rois s’installent à l’école, in revue Le Devoir, 17 février 2007 : http://www.ledevoir.com/societe/education/131550/les-parents-rois-s-installent-a-l-ecole

[4] MAHER Isabelle, Le règne du parent-roi prend de l’ampleur, 30 août 2015 : http://www.journaldemontreal.com/2015/08/29/le-regne-du-parent-roi-prend-de-lampleur

[5] Témoignage recueilli le 8 octobre 2018.

[6] MAHER Isabelle, op cit.

[7] PLUMAT Emmanuelle, L’illusion du bon usage des punitions à l’école : http://www.fapeo.be/analyse-2017-0915-lillusion-usage-punitions-a-lecole/, analyse FAPEO 2017.

[8] CHOUINARD Marie-Andrée, op cit.

[9] CHOUINARD Marie-Andrée, op cit.

[11] HOUSSONLOGE D., Le risque de l’hyperparentalité: être parent, mais jusqu’où ? , analyse YFAPEC 2015 :http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2015/1915-hyperparentalite.pdf

[12] MAHER Isabelle, op cit.

[13] BABY Antoine, L’arrogance de certains parents, Presses de l’Université du Québec : https://www.puq.ca/blogue/2013/03/l%E2%80%99arrogance-de-certains-parents/

[14] MAHER Isabelle, op cit.

[15] Pacte pour un enseignement d’excellence, avis n°3 du Groupe Central : http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/05/PACTE-Avis3_versionfinale.pdf, 7 mars 2017, p. 308 à 310.

[16] Article 18 du Décret du 13 septembre 2018, modifiant le Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage, contractualisant les relations entre la Communauté française et les établissements scolaires : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/45594_001.pdf, p.25.

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