Analyse UFAPEC novembre 2014 par A. Floor

23.14/ Marche parrainée, fancy-fairs, ventes en tout genre par les élèves pour financer les écoles, qu’en penser ?

Introduction

Mon enfant revient de l’école, enthousiasmé à l’idée de participer à une marche parrainée avec sa classe. L’argent récolté financera les frais d’aménagement de la cour de récréation. Le voilà parti à l’assaut des sonnettes du voisinage. L’école ne reçoit-elle pas des subsides pour de tels travaux ? Pourquoi serait-ce aux voisins à subventionner l’ensei­gnement ?  Parfois, en tant que parents, nous avons l’impression que nos enfants et nos jeunes sont embarqués dans des actions pour récolter de l’argent sans trop en comprendre le sens. Est-ce bien le rôle des élèves que d’autofinancer des activités d’école, de contribuer à la prise en charge des frais échus à l’école ? Quelle attitude adopter en tant que parents devant ce genre de sollicitations ? Soutenir, encourager la demande de l’école ? Apprendre à nos enfants à développer une attitude commerciale en démarchant dans la famille, les amis, les voisins par la vente de marqueurs, lasagnes ou objets en tout genre ? Ou, comme certaines familles qui peuvent se le permettre et en font le choix, protéger ou « soulager » l’enfant de ce genre de démarches en achetant directement le stock à vendre ou en donnant un gros billet pour la nage parrainée ?

Par cette analyse, nous allons essayer de comprendre pourquoi ce financement alternatif est aussi important et comment l’expliquer au mieux aux enfants, aux parents. Nos enfants ont-ils bien conscience de ce qu’ils font et pourquoi ils le font ? Se sentent-ils concernés ? Peuvent-ils eux-mêmes en parler ? Est-ce nécessaire, éducatif et citoyen d’impliquer des jeunes dans cet aspect financier de l’école ? Cette collecte de fonds s’accompagne-t-elle d’une démarche éducative avec des objectifs multiples à la clé ou la seule chose qui importe est le financement de l’école ? Nous évoquerons aussi certaines dérives pour lesquelles nous avons été interpellés.

Pourquoi ce financement alternatif des écoles ?

De nombreuses écoles sollicitent leurs élèves pour alimenter leurs caisses via l’organisation de marches parrainées, la vente de marqueurs, de t-shirts à l’effigie de l’école et autres. Il est important de rappeler que l’enseignement libre percevait il n’y a pas si longtemps jusqu’à 58 % du subventionnement par élève perçu par les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Depuis peu et pour respecter les accords de la Saint-Boniface, ce pourcentage est passé de 58 à 75 %. Mais l’enseignement libre n’a pas perçu un euro de plus, c’est le financement du réseau officiel qui a été raboté pour que les 58% du libre correspondent à un rapport de 75 % de l’accord de la Saint-Boniface[1]. Par ailleurs, pour les bâtiments scolaires du réseau libre, l’Etat n’intervient que pour une partie des intérêts d’emprunt, le capital et le restant de l’intérêt restant à charge du Pouvoir Organisateur (PO). En bref, la Fédération Wallonie-Bruxelles finance 100 % des bâtiments de son propre réseau, 60 % du capital pour le réseau des communes et des provinces et 0 % du capital pour le réseau libre. D’un autre côté, les congrégations religieuses, mécènes historiques de notre réseau, n’ont plus les capacités financières pour intervenir comme avant : les écoles libres se doivent donc de trouver des financements alternatifs. Lorsqu’ un comité des fêtes ou une Association de Parents existe dans l’école, cette association peut organiser des activités qui rapportent de l’argent afin de soulager les charges financières qui pèsent sur l’école et le PO. Les fancy-fairs, marchés de Noël et autres festivités poursuivent donc cet objectif. Il existe aussi parfois des mécénats privés. Rappelons qu’il ne peut pas être demandé de paiement de minerval aux parents[2] d’élèves fréquentant l’enseignement fondamental et secondaire.

Peut-on demander aux enfants de récolter de l’argent pour leur école ?

Il n’existe pas d’interdiction dans la loi de demander aux enfants de récolter de l’argent pour améliorer le cadre de vie, le fonctionnement de leur établissement scolaire, de leur club sportif, de leur mouvement de jeunesse… Au niveau purement juridique, les collectes à domicile ou porte à porte à des fins d'agrément ou pour des buts scientifiques, littéraires, politiques, philosophiques, religieux, etc., ne sont pas soumises à une autorisation communale, provinciale…Ainsi, le porte à porte pour soutenir un club littéraire, un groupe politique ou simplement pour apporter de l'argent à un club sportif, à des citoyens en particulier, est tout à fait autorisé. La raison de cette liberté est que le public est suffisamment armé pour apprécier s'il doit ou non répondre à ce genre de sollicitations[3].

Au niveau éthique, nous pouvons cependant nous demander si c’est bien le rôle de nos enfants que de collecter ainsi de l’argent par du porte à porte. Nos enfants ne deviendraient-ils pas des appâts pour inciter les parents à dénouer les cordons de leur bourse ? Les écoles, les mouvements de jeunesse, les associations n’abuseraient-elles pas de nos enfants en les « utilisant » pour compenser un manque de subventionnement ? Les adultes prennent-ils le temps d’expliciter clairement aux enfants pourquoi l’argent est récolté et à quoi il est destiné ?

Solliciter les enfants à rechercher de l’argent pour leur école pourrait-il être bénéfique ?

C’est peut-être une occasion pour l’enfant de s’investir positivement pour son cadre de vie et de participer ainsi au mieux-être de tous. On peut aussi présupposer qu’en rendant les enfants acteurs de l’embellissement de leur milieu de vie, ils seront plus enclins à respecter les locaux, les sanitaires, l’ameublement… Cela peut également être une opportunité pour eux de prendre conscience de certaines réalités et entre autres du fait que le confort a un certain coût (chauffage, sanitaires …). Etre capable d’expliquer à des adultes le projet de l’école, oser faire le tour des maisons du voisinage, téléphoner aux membres de la famille… sont autant d’apprentissages qui confrontent les enfants et les jeunes à leur capacité à communiquer, à leur éventuelle timidité, … Certains enfants feront preuve de beaucoup de débrouillardise et se révéleront d’excellents ambassadeurs, vendeurs. Alors que d’autres n’oseront pas franchir le pas soit par manque de temps (retour tardif à la maison après l’étude et la garderie), soit parce qu’ils ne connaissent personne dans leur voisinage, soit parce que leur famille est moins étendue. Le réseau social des parents risque de jouer alors un rôle important et cela pourrait devenir discriminatoire si les enfants « meilleurs vendeurs » sont récompensés individuellement ou si ceux fréquentant des quartiers ou milieux plus aisés récoltent plus.

Nous sommes aussi nombreux à avoir ouvert notre porte pour nous retrouver face à des enfants qui ne savaient pas très bien pourquoi ils vendaient ou recherchaient des signatures.

Prendre du temps pour expliquer aux enfants à quoi servira l’argent, pourquoi l’école en a besoin fait, selon nous, partie de la démarche éducative.

Pratiques discutables

Il existe aussi des pratiques plus que discutables dont nous avons eu connaissance par des appels téléphoniques ou mails dans nos bureaux. Une école récompense la récolte de plus de 50 euros pour une marche parrainée par le cadeau d’une place de cinéma. Gratifier ainsi individuellement les élèves qui ont récolté le plus ne nous semble pas faire partie d’une démarche éducative et respectueuse mais vise plutôt à cultiver une concurrence malsaine

Une alternative aurait été de susciter une émulation vers un objectif global à réaliser ensemble (faire plus que l’an dernier, faire mieux que l’autre classe, récompenser l’ensemble de la classe en fonction des recettes cumulées de chacun…).

De même récompenser un élève ou une classe par des cadeaux qui mettent en avant une enseigne en particulier contrevient à l’article 41 du pacte scolaire : Toute activité et propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés. Une commission appelée « Commission Article 42 » veille au respect de cet article 41 du pacte scolaire. Un site internet (http://www.commissiondupactescolaire.cfwb.be) présente les missions de la Commission, expose qui a me droit de déposer une plainte et comment le faire, il liste également les avis déjà remis par la commission (jurisprudence…). Pour le dépôt de plainte, un parent isolé ne peut le faire, seule l’Association de Parents de l’école concernée peut le faire. L’UFAPEC peut aussi conseiller une AP affiliée dans ses démarches si elle désire déposer une plainte.

Il existe d’autres situations pour lesquelles les enfants ne sont pas directement vendeurs, mais où ils joueront un rôle non négligeable dans la décision des parents d’adhérer ou non à la collecte de fonds. Il n’est en effet pas anodin de glisser un papier informant d’une action dans le cartable de l’enfant. Certaines écoles proposent l’achat de sweat-shirts à l’effigie de l’école par la distribution d’un papier dans le cartable des enfants. Ceux-ci sont donc mis au courant de l’action et risquent de mettre une certaine pression pour avoir le pull de l’école. Se posent là plusieurs questions : utilité de l’achat, prix, pression du groupe, volonté d’appartenance au groupe, peur de l’exclusion de l’enfant. Soulignons cependant que cela fait aussi partie de l’éducation de nos enfants de pouvoir leur dire non et de motiver nos refus. Les actions d’une grande surface qui propose aux parents durant une période déterminée de réaliser leurs achats chez eux afin de faire bénéficier l’école de leur enfant d’un retour financier posent question en termes d’éthique publicitaire. Il y a fort à parier que les enfants (s’ils sont mis au courant de l’action) inciteront leurs parents à se rendre dans ladite grande surface. En effet, selon la direction générale de la Santé et de la Protection des Consommateurs, les enfants constituent une cible de choix pour les publicitaires et ce pour trois raisons principales. Deux tiers des produits consommés dans l’enfance le sont encore à l’âge adulte, les enfants sont de plus en plus les prescripteurs des achats effectués par leurs parents et l’influence des pairs dans la cour de récréation est à prendre sérieusement en compte. L’école représente donc le lieu idéal pour diffuser des messages publicitaires à l’intention des enfants : c’est là qu’ils se trouvent tous rassemblés et le lieu même tend à garantir l’intérêt et la qualité des messages qui y circulent[4].

Dans les deux cas précités, peut-être aurait-il mieux valu privilégier le mail ou l’information directe aux parents afin de respecter leur libre choix ?

Communiquer sur l’après : qu’est-ce qui a été réellement acheté ou réalisé  avec l’argent récolté ?

Les enfants et les parents s’investiront d’autant plus facilement qu’ils sont informés de la gestion et de la destination de l’argent récolté. Et tous les moyens sont bons pour communiquer. Lors d’une animation dans une école, nous avons été séduits par l’originalité et l’impact visuel d’une grande éprouvette affichée sur un mur du réfectoire. Cette éprouvette était graduée et remplie au ¾ de sable. A côté de chacune des graduations se trouvait le nom de l’activité qui avait apporté de l’argent. Ainsi on pouvait voir rapidement l’apport financier de chaque activité pour l’aménagement de la cour de récréation de l’école.

Conclusion

Les enfants sont de bons petits vendeurs. En effet, nous serons plus enclins à donner de l’argent à notre petit voisin qui vient faire du porte à porte qu’à un illustre inconnu. Les écoles en abuseraient-elles ?En tant qu’adultes, réfléchit-on en profondeur à la façon d’organiser une activité de financement lorsque l’on sollicite la participation des enfants ? Ceux-ci ont-ils bien conscience de ce qu’ils font et pourquoi ils le font ? Se sentent-ils concernés ? Peuvent-ils eux-mêmes en parler ? Cette recherche de fonds s’accompagne-t-elle d’une démarche éducative, avec des objectifs multiples à la clé, ou ce qui importe est seulement le financement de l’école ? Comment est abordée la notion de concurrence ? Concurrence malsaine entre élèves ou émulation vers un objectif global à réaliser ensemble (faire plus que l’an dernier, faire mieux que l’autre classe…) ? Les enfants jouent aussi un rôle clé dans les comportements d’achats de leurs parents. Mais n’est-ce justement pas aux parents à résister à ces pressions de leurs enfants, même si l’argent récolté sert à financer un projet d’école ou d’une association ? Est-ce bien leur rôle que de compenser un manque structurel de financement de l’enseignement ? Ne faudrait-il pas plus radicalement laisser nos enfants en dehors de toute récolte de fonds et les préserver ainsi de toute pression financière ? Ou d’un autre côté, ne serait-ce pas plutôt à encourager, car la débrouillardise, la tchatche leur seront bien utiles pour s’insérer dans notre société ? L’école ainsi s’ouvre peut-être au monde actuel…

 

Anne Floor

 

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[1]Pour plus de précisions sur ce volet financier, voir http://enseignement.catholique.be/libreavous/images/memorandum_2014_web.pdf, pages 34 et suivantes.

[2]Exception faite des élèves inscrits en 7è année de l’enseignement secondaire général.

[3]S. Smoos, Porte-à-porte pour demander des étrennes… quelles sont les obligations ?, Espace Police et Sécurité du site internet de l’Union des Villes et Communes de Wallonie asbl. http://www.uvcw.be/articles/3,196,41,41,3954.htmlien vérifié le 06/11/2014.

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