Analyse UFAPEC décembre 2019 par L. Vandebroek

25.19/ Je m’appelle « gros » aux yeux de certains, suis-je si différent ?

Introduction

Plus connu sous le nom de « Gros Lard », « Mammouth », « Bouboule », « Porcinet », « Mastodonte », etc., l’enfant « obèse », outre le fait de faire controverse dans le monde de la santé, ne peut vivre sans être dévisagé, discrédité, déprécié, comparé, exclu… par notre société. [1] Il est souvent mis au-devant de la scène, non pas pour être valorisé ou applaudi mais bien pour être moqué.

Face à ce fléau, les parents s’interrogent, se posent des questions. Effectivement, tête de turc pour certains, bouc émissaire pour d’autres, le jeune obèse subit à longueur de journée toutes les formes de discrimination (brimades, menaces, agressions physiques, etc.) avec pour seul motif invoqué : un corps arrondi.

De plus, avec le développement toujours plus important du numérique et de l’audiovisuel, la société (les médias notamment) ne cesse de diffuser des images d’individus au corps « idéal, parfait », mince. Ces publications constitueraient presque une norme à suivre au risque d’être incompris, stigmatisé, discriminé, exclu.

Dans cette analyse, il s’agit de comprendre la manière dont ce concept est source de ségrégations.

Sous le prisme de l’obésité, l’enjeu est de taille : il s’agit de lutter contre les discriminations grossophobes en milieu scolaire. Dans l’idée que les enfants doivent s’émanciper à l’école et en famille, peut-on laisser passer cette forme de harcèlement ? [2]

Culte de la minceur, inévitable ?

Georges Vigarello, historien des représentations du corps, s’est penché sur la question. À chaque époque correspond son lot de valeurs et de représentations. L’imagerie du corps en a fait les frais.

Ainsi au Moyen-Âge, une personne « forte » inspire le bon mangeur, la santé, le prestige ainsi que la réussite sociale. Plus tard, à travers ses peintures baroques, le peintre Rubens vante déjà les femmes enrobées. À l’inverse, un individu au profil filiforme était considéré comme pauvre, puisqu’il n’avait pas les ressources nécessaires pour pouvoir s’alimenter suffisamment, vivre décemment.

Plus tard, la société évolue, progresse, prône l’activité, l’efficacité. La grosseur n’a donc plus vraiment sa place et est associée à la paresse, la lourdeur… Cela ne veut pas dire pour autant que la maigreur est préconisée. Disons que certains indicateurs d’amaigrissement émergent tels que le corset, la ceinture, la restriction alimentaire.

Le temps s’écoule et, en particulier à partir du XXe siècle, la tendance s’inverse… Le corps se dévoile. La société prône le culte de la minceur. Cette dernière serait synonyme de maîtrise de soi, volonté, performance contrairement à l’obésité dont le terme plus péjoratif signifierait : paresse, laisser-aller, idiotie, laideur, incapacité, saleté, etc. La machine est lancée… Campagnes, publicités, médias et marché de la minceur s’immiscent dans la vie des hommes. À titre d’exemple, la féminité se caractérise désormais par une silhouette élancée, athlétique. [3]

Qui participe à cela ?  

Pour l’ASBL « Question Santé », trois acteurs jouent un rôle prépondérant dans les représentations des jeunes. [4]

·L’agroalimentaire

Ce secteur produit des denrées alimentaires issues de l’agriculture et les modifie. En effet, les industries ajoutent parfois des condiments, du sucre, des matières grasses, des exhausteurs de goût, etc. Cela impacte considérablement la santé et la silhouette des personnes et pourtant, on les présente au grand public comme des produits sains et bons.

·La médecine

Elle défend un enjeu primordial, celui de la santé. Il est évident que l’obésité n’est pas sans risque [5]. Ainsi, des processus de médicalisation existent afin d’éviter toute surcharge pondérale. Néanmoins, il serait peut-être pertinent de s’interroger sur la façon dont le corps médical procède (maladresse, moralisation, responsabilité affectée aux jeunes, etc.). Quelle image veut-on diffuser ? Notamment, les chirurgies esthétiques, les opérations (sleeve, bypass, liposuccion) qui ne sont pas sans risque ne seraient-elles pas davantage sollicitées à des fins esthétiques que médicales ?

« Je me souviens de ce gynécologue qui m’a demandé ce qu’il pourrait bien voir au milieu de tout ce gras ; de cet échographe qui m’a dit que je lui faisais perdre du temps tout en creusant le trou de la sécurité sociale. Résultat : je laisse mon corps en friche » [6] raconte Gabrielle Deydier sur le plateau de TV5MONDE, auteure du livre : On ne naît pas grosse.

·Les médias

Il existe une dualité entre deux types de médias :

  • L’un prônant l’obésité

D’une part, on pousse à la consommation de nourriture favorisant le stockage de graisse. En effet, combien de publicités n’affichent pas des aliments nuisibles à la santé : hamburgers, boissons sucrées et alcoolisées, pizzas… ? La mauvaise alimentation est partout. Les fabricants usent de l’esthétique pour attirer le regard du consommateur et ce, particulièrement lors d’une fringale.

  • L’autre favorisant la minceur

Par ailleurs, les médias véhiculent constamment des images de personnes au corps « parfait » vers lesquels il est nécessaire de tendre (norme). On approuve les femmes et les hommes au visage lisse, au corps ferme et fin, bien proportionné… In fine, le jeune en quête d’identité incorpore ces reproductions et se voit influencer, peut-être à son insu. La publicité l’a bien compris et en joue. Elle s’approprie ses complexes et propose des « remèdes » (produits et techniques) censés parfaire le physique. Le cinéma et la littérature également ont tendance à donner une vision très minimaliste des personnes au corps généreux. Elles jouent dans la plupart des cas deux rôles : soit celui d’un individu gentil, drôle, serviable, maladroit, naïf – soit d’un personnage menteur, vantard, indiscipliné, peu crédible… Dans les deux éventualités, le personnage obèse incarne rarement le premier rôle et remplit souvent une fonction : celle de faire rire.

« Que met-on dans la tête de nos enfants ? La pub, les images photoshopées.... Quels dégâts ça peut faire aux jeunes et moins jeunes … Ma fille de 7 ans est ronde. Je surveille pourtant son alimentation. A l’école déjà on lui fait des remarques sur son ventre, ses cuisses. Je lui apprends qu’on est tous différent et qu’elle est magnifique. » [7]

Grossophobie : quelles conséquences pour le jeune ?

Avant toute chose, clarifions ce terme encore peu exploité. En voici une définition : « Hostilité envers les personnes grosses ou obèses. La grossophobie repose sur des préjugés selon lesquels les personnes grosses le sont parce qu'elles le veulent bien. Une position qui se manifeste par des comportements stigmatisant et discriminant à l'égard des personnes en surpoids.[8] »

À l’école, en famille, dans les espaces publics, une majorité de jeunes sont régulièrement stigmatisés. Les individus sont blâmés et exclus en raison de leurs caractéristiques physiques. Dès lors qu’ils n’intègrent pas la norme, ils font l’objet de nombreux stéréotypes et dénominations : négligent, sale, faible, laid, etc. Des regards, des comportements dénigrants, des commentaires désobligeants de la part d’autrui rythment leur quotidien. Cela implique des effets tant sur le plan psychologique que social. À l’extrême, le suicide peut paraître pour le jeune la solution la plus satisfaisante.

« On me poussait contre les murs ou par terre, on me faisait des croche-pieds, on me bousculait et on m’appelait « grosse vache » ou « bonhomme Michelin ». « Ils mettaient des pointes de compas ou de ciseau sous ma chaise pour me faire dégonfler. Ils prenaient mes affaires et les balançaient dans la classe. Dans les douches, on me coinçait pour me dire « T’as pas honte de te déshabiller ? ». Quand on courait, ils disaient : « Elle va s’essouffler et mourir d’un arrêt cardiaque ». » [9]

À force d'être laissé-pour-compte et perçu comme une proie, le jeune (au ressenti parfois négatif) peut être amené à déprécier son corps (jugé illégitime), à perdre confiance en lui, à se sous-estimer, à développer de l’anxiété, de la culpabilité, à s’isoler et j’en passe ...

« […] Tout cela fait que tu perds confiance en toi, tu te barricades, tu te crées un mur pour ne pas montrer que ça te touche, tu te crées une carapace pour faire face à tout cela. Mais, au plus profond de moi, cela me touche toujours, car c’est un sujet dont je n’aime pas parler. En plus, notre société n’aide pas à nous relever, elle ne fait que continuer à nous enfoncer, le regard des gens n’a pas changé. » [10]

Son réseau social est également touché et se voit restreint. Effectivement, tout échange peut paraître compliqué face à cette société dans laquelle la différence est mal perçue. Certains sociologues comme J-F Amadieux ont notamment démontré les multiples difficultés d’un jeune obèse à entreprendre des études supérieures, de trouver un stage, un emploi et même d’avoir un partenaire… Les femmes rondes auraient d’ailleurs tendance à se marier avec des hommes de statut social plus faible et inversement. Dès lors, l’avenir du jeune serait-il en quelque sorte prédéterminé par son obésité ?

« […] Quand j’étais à l’école primaire, j’étais toujours mise à l’écart dans les travaux de groupe et dans la cour de récréation. Personne ne voulait jouer avec moi, […]. J’avais beau aller vers les autres, ils me rejetaient tous car j’étais en surpoids et métisse. » [11]

Pour Jean-Pierre Poulain, sociologue à l’université de Toulouse, « Les personnes obèses sont plus souvent caractérisées par leur poids que par d’autres attributs sociaux. Le statut de “gros” ou de “grosse” prend le pas sur toutes les autres qualités du sujet »[12]. Assurément, combien de jeunes ne se sont pas vu refuser un travail en raison de leur poids ? Combien de médecins avancent de prime abord l’hypothèse de la mauvaise alimentation pour justifier l’obésité d’un jeune ? À l’école, dans les cours de sport, lors de la constitution des équipes, combien ne choisissent pas leurs membres sur base de critères purement physiques ?

Pistes et conclusion

Nous vivons dans une société dans laquelle la forme du corps prédomine sur d’autres caractéristiques. La minceur devient un idéal à atteindre, une norme puisqu’elle est la conséquence d’une situation sociable propice, de la maîtrise de soi, de la volonté, etc. Dans ces convictions, une personne charnue sera souvent considérée comme différente du commun, déviante et son parcours se verra prendre un tout autre chemin. L’exclusion et la discrimination feront partie de son quotidien. Pourtant le corps ne serait-il pas la définition de chacun ?

Prendre conscience des différents aspects de l’obésité et de ses conséquences va pouvoir aider tout un chacun à évoluer dans ses propres représentations et donc dans sa manière d’interagir avec des personnes souffrant de surpoids ou d’obésité.

Rétrospectivement, ne serait-il pas tout aussi pertinent de cibler et travailler sur les représentations véhiculées par partisans ou influenceurs des jeunes tels que les marques, la mode, les chaînes de fast-food, les industries qui promulguent majoritairement des biens non adaptés aux morphologies dites « hors norme » (ex : chaises, tenues vestimentaires, espaces, etc.), mais aussi qui transmettent, généralisent des idées, des idéaux constamment ?

L’UFAPEC est convaincue que l’épanouissement et la réussite de l’enfant passent par le bien-être et le bien-vivre dans le milieu scolaire. D’ailleurs, en référence au Pacte pour un enseignement d’excellence, l’institution soutient douze revendications dont celle-ci : « une lutte active et proactive contre la violence et le harcèlement dans le cadre scolaire ».

Dès lors, à partir du moment où l’enfant souffre physiquement, psychiquement, moralement à la suite d’un problème de poids, il est essentiel de réunir les acteurs en présence, dont le centre PMS, afin de trouver une solution sans plus tarder. École et famille, premiers lieux de prédisposition à la socialisation pour le jeune semblent être les premiers concernés. Il est donc préférable qu’ils collaborent afin de lutter contre ces discriminations grossophobes. Comment ? En favorisant l’écoute, l’information, le dialogue, l’éveil de conscience, etc.

Selon la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation, « aborder le problème dès qu’il surgit et chercher à le résoudre, afin de ne pas laisser s’installer un schéma récurrent dans lequel l’enfant devient une victime » semble la solution première [13]. On se réfère toujours à l’adulte dans ce cas. Il est également dans le devoir de ce dernier d’instaurer le respect mutuel.

D’autres institutions interviennent également dans l’intérêt du jeune et de sa famille. Les AMO (services d’aide en milieu ouvert) traitent par exemple toutes sortes de questions relatives à l’épanouissement du jeune, aux relations avec son milieu (familial, scolaire, territorial, etc.). Leurs missions sont de l’ordre de l’écoute, l’information, la prévention, l’accompagnement social, le soutien. Les Centres Infor Jeunes aussi poursuivent comme finalité d’informer, de conseiller, d’aider le jeune sur des thématiques très variées, tout ceci dans l’objectif d’en faire un CRACS (citoyen, responsable, actif, critique et solidaire) [14].

De nombreuses institutions et structures abordent les questions du harcèlement chez le jeune, en milieu scolaire et ailleurs. Le réseau prévention harcèlement [15] a vu le jour en 2014 afin que les différents intervenants se rencontrent et unissent leurs forces pour aider les jeunes qui subissent du harcèlement. Un groupe de travail s’est principalement penché sur les questions de discrimination. À noter également qu’en Belgique, Unia, anciennement Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations, existe. [16] Cette structure fait d’ailleurs partie du Réseau prévention harcèlement.

 

 

Laura Vandebroek

 

 


[1] Vandebroek L., Obésité juvénile : parlons santé !, Analyse UFAPEC n°24.19, décembre 2019, http://www.ufapec.be/nos-analyses/2419-obesite-sante.html

[2] Enseignement.be. Document?: Décret « Missions » du 24 juillet 1997 http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=401

[3] Arnoult, A. (2013). Georges Vigarello, Les métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité. http://journals.openedition.org/lectures/11909

[4] Obésité, les normes en question—Manger Bouger. (s. d.). http://mangerbouger.be/Obesite-les-normes-en-question

[5] Vandebroek L., Obésité juvénile : parlons santé !, Analyse UFAPEC n°24.19, décembre 2019, http://www.ufapec.be/nos-analyses/2419-obesite-sante.html

[6] Grossophobie?: Cette discrimination méconnue qui touche les personnes grosses. (s. d.). https://information.tv5monde.com/terriennes/grossophobie-cette-discrimination-meconnue-qui-touche-les-personnes-grosses-209264

[7] Réactions de parents à propos d’une photo divulguée sur Facebook.

[8] Grossophobie?: Définition simple et facile du dictionnaire. (s. d.). https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/grossophobie/

[9] Moustique.be. Grossophobie?: « Les gros sont les derniers qu’on peut encore insulter en toute impunité ». (s. d.). https://www.moustique.be/23513/grossophobie-les-gros-sont-les-derniers-qu-peut-encore-insulter-en-toute-impunite

[10] Extrait d’un témoignage anonyme. Voir l’intégralité en annexe.

[11] Extrait d’un témoignage anonyme. Voir l’intégralité en annexe.

[12] La discrimination ordinaire des personnes obèses. (2016, novembre 8). La Croix. https://www.la-croix.com/Sciences/Sante/La-discrimination-ordinaire-personnes-obeses-2016-11-08-1200801530

[13] La Ligue de l’Enseignement, |’Enfant en surpoids?: Comment réagir face aux moqueries à l’école ? https://ligue-enseignement.be/enfant-en-surpoids-comment-reagir-face-aux-moqueries-a-lecole/

[14] Pierard A., Former des CRACS, un enjeu d’actualité ?, Analyse UFAPEC n°22.19, décembre 2019, http://www.ufapec.be/nos-analyses/2219-cracs.html

[15] https://www.reseau-prevention-harcelement.be/

[16] Il est joignable et gratuit au 0800 12 800 (Belgique) ou au +32 (0)2 212 30 00 (à l’étranger) et sur leur site www.diversite.be ou https://www.unia.be/fr.

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