Analyse UFAPEC 2011 par B. Loriers

26.11/ La coopération entre élèves, un bon plan pour apprendre ?

Introduction

Stimuler et faciliter les apprentissages sont les préoccupations quotidiennes des enseignants. Pour eux, plus question aujourd’hui de donner leur cours uniquement de manière frontale, en exposant unilatéralement leur programme. Une des stratégies pour que les élèves apprennent de manière efficace est de les faire réfléchir et échanger en petits groupes.

En effet, l’Ecole est un lieu qui offre aux élèves des rencontres entre milieux ethniques et socio-culturels différents, et entre plusieurs modèles familiaux. On observe que, dans les relations entre enfants et entre jeunes, l’ Ecole est une des institutions qui est la mieux placée pour installer la solidarité, la confiance en soi, la capacité de travailler avec d’autres dans le respect de la contribution de chaque élève, en fonction de ses compétences.

Qu’est-ce que l’apprentissage coopératif ?

Selon Doyon et Ouellet, l’apprentissage coopératif est[1]une organisation de l’enseignement qui met à contribution le soutien et l’entraide des élèves grâce à la création de petits groupes hétérogènes travaillant selon des principes préétablis, assurant la participation de tous à la réalisation de la tâche scolaire.

La coopération, par la constitution de petits groupes, permet aux apprenants de travailler ensemble à une tâche commune, sans la supervision immédiate de l’enseignant. En appliquant cette pédagogie, l’institution scolaire doit pouvoir offrir un cadre où les habiletés[2] sociales et cognitives de l’élève se développent, l’une plus que l’autre en fonction de chaque personnalité.

  • Habilités cognitives : argumenter, catégoriser, vérifier, questionner, synthétiser, juger … ;
  • Habiletés sociales : différentes paroles, différents gestes ou comportements qui amènent à développer des relations harmonieuses avec les autres, tels que respecter l’autre, attendre son tour, identifier des émotions (de soi et des autres), résoudre des problèmes, partager, écouter, être flexible, accepter un refus, se calmer, négocier, trouver des solutions, bref, construire la démocratie.

Rencontre

Monsieur Damien est instituteur en 3e primaire, et fait très souvent travailler sa classe en petites équipes, lors du cours de français, de math, d’histoire...

En début d’année, je donne une phrase en français, par exemple « La taupe capte la vibration du sol », et les élèves doivent réfléchir ensemble pour inventer d’autres phrases qui imitent cette structure. Les élèves comparent leurs réponses en petits groupes. De même, en math, je les fais réfléchir en équipes pour trouver un procédé qui résoudra par exemple l’addition de 471 et 386. Il existe différents chemins de trouver le résultat. Il y a d’abord un temps de découverte individuelle, puis mes élèves présentent le fruit de leurs recherches de manière collective, sur une affiche.

Pour cet instituteur, c’est important d’avoir un plan d’individualisation avant la disposition en équipes, de manière à ce que chaque élève intègre les consignes. De plus, le travail en sous-groupe est toujours bien limité dans le temps.Dans les petits groupes, chacun prend ses responsabilités : si je gagne, c’est tout le groupe qui gagne. Si je perds, c’est tout le groupe qui perd. Mais une des difficultés du travail en équipe est un certain « étiquetage » des élèves : quand un doubleur donne une bonne réponse, les autres ont tendance à ne pas l’écouter, alors que parfois, cet élève détient la bonne réponse.

Il propose aussi de coopérer avec les parents, puisque il invite quelques-uns à la fois pendant un cours, pour que les papas et/ou les mamans participent à la vie de la classe et se rendent compte des exigences et du fonctionnement du prof. Un suivi scolaire par la famille est certainement plus aisé après ce passage en classe.

Pourquoi coopérer ?

Abrami et al. (1996) distinguent trois catégories de motivations[3], qui influencent la volonté de coopérer avec les autres :

  • motivations liées aux résultats (récompense, reconnaissance, atteinte de l’objectif) ;
  • motivations liées aux moyens (en relation avec la tâche : son attrait, sa nouveauté, …) ;
  • motivations liées aux relations interpersonnelles : ces motivations sont activées par l’aide fournie et reçue des pairs ainsi que par le sentiment d’appartenance au groupe.

Dans le travail en équipes, le but commun est partagé : les enfants ne sont pas envieux, ils sont partie prenante de l’objectif et partagent les résultats, les informations. Dans un système compétitif, l’ambiance est à la rétention d’informations, à la rivalité, à la méfiance.

Dans un système coopératif, l’enfant est responsable de son action, mais aussi de celle de ses coéquipiers. Dans une logique de compétition, l’enfant est responsable seulement de ses actions.

La coopération suppose une mise de côté d’un naturel égocentrisme. Suis-je à l’école pour apprendre ou pour gagner ? Gaëtane Chapelle[4] explique que quand on apprend, on peut avoir divers objectifs en tête : je peux vouloir comprendre, apprendre, maîtriser la tâche, mais je peux aussi souhaiter mettre en avant mes compétences, vouloir être meilleur que les autres, être dans une logique de compétition.

Cette chercheuse met l’accent sur le déséquilibre que connait l’apprenant lorsqu’il assimile une nouveauté : cela remet en cause ce qu’il croyait. Ce conflit favorise l’apprentissage s’il peut être géré correctement par l’apprenant. Il existe en effet différentes manières de gérer ce déséquilibre. L’apprenant peut se poser des questions sur la tâche, sur le problème, sur les propositions des autres. Sa solution est-elle intéressante ? , Pourquoi l’adopte-t-il ? , Ma solution est-elle bonne ?

Celui qui apprend peut aussi se poser des questions sur sa compétence et celle de l’autre, en vivant le conflit comme une menace sur sa compétence, dont il faut se protéger. J’ai raison, c’est lui qui a tort! OU J’ai tort, c’est lui qui a raison!

Dans une régulation centrée sur la « tâche », le conflit est bénéfique à l’apprentissage, car cette régulation est favorable à une coopération entre élèves. La régulation relationnelle, elle, favorise la compétition. En compétition, si l’autre est meilleur, je suis moins bon. En coopération, si l’autre est meilleur, je peux en bénéficier, je n’en souffrirai pas.

L’interaction entre élèves qui fait que le succès de l’un dépend du succès de l’autre, pousse à la responsabilisation de chacun à l’égard du groupe. Cette interdépendance positive se distingue de l’interdépendance négative, qui engage les élèves à travailler les uns contre les autres.

La compétition semble diminuer le rendement au lieu de l’augmenter, car de nombreux enfants se retirent ou ne donnent pas tout, dans une situation qu’ils considèrent menaçante ou démoralisante : Je suis toujours le perdant.

En revanche, multiplier les échanges coopératifs entre enfants[5], dès le plus jeune âge, permet de :

  • faire émerger des soutiens mutuels ;
  • favoriser une saine gestion des conflits ;
  • encourager des comportements altruistes spontanés ;
  • amener la création et le respect des règles de vie sociale ;
  • écouter l’avis des autres et prendre conscience de leurs besoins ;
  • mieux connaître l’autre, son vécu, ses sentiments ;
  • favoriser les interactions positives entre enfants ;
  • donner verbalement son point de vue et le défendre.

Tout cela est plus efficace encore si l’on organise a posteriori un temps de parole sur la manière dont les choses ont été vécues par chacun.

L’enseignant a un rôle fondamental, celui d’apprendre aux élèves à exprimer et argumenter leurs idées, à mettre des mots sur leurs hypothèses. Chaque proposition de résolution doit être examinée avec la même crédibilité, quel que soit l’auteur. Toute proposition offre de l’intérêt et permet d’avancer, même si elle n’est pas pertinente. La confrontation d’erreurs permet de progresser[6].

Coopérer, oui, mais pas n’importe comment

Le travail en sous-groupes présente de nombreux avantages, mais de nombreuses recherches mettent en évidence qu’il ne permet pas de résoudre tous les problèmes pédagogiques. Voici quelques difficultés que l’enseignant va devoir surmonter en appliquant la coopération au sein de sein de ses cours.

  • gestion et organisation de la classe : augmentation du niveau de bruit, dissipation des élèves ;
  • difficulté d’évaluer des progressions individuelles ;
  • comportements de désinvestissement pour certains élèves plus faibles ;
  • mise en retrait des élèves les moins performants, en raison de leur manque d’influence sur les stratégies du groupe ;
  • certaines tâches ne se prêtent pas au travail de groupe : tâches qui ne requièrent pas de division du travail, …;

Beaucoup se lancent dans l’apprentissage coopératif sans savoir où ils vont. Le fait de regrouper les élèves en petites équipes ne mènent pas naturellement à une coopération efficace.

Il est nécessaire d’abord de contrôler la constitution des groupes. Ensuite, la coopération ne fonctionnera que si le contexte est sécurisant pour l’image de soi. Il s’agit ici de responsabiliser chaque apprenant, et de mettre en valeur le rôle de chacun.

On imagine aisément qu’il est plus facile de coopérer si la tâche est acceptée par tout le groupe, et si cette tâche est suffisamment complexe, mais pas trop, pour nécessiter la mobilisation des ressources diversifiées de tous les membres du groupe.

L’élève doit être mis en situation d’élaborer ses propres tâches et problèmes. Pour que cela soit possible, deux conditions sont nécessaires[7] :

  • Créer dans la classe un milieu coopératif de mutualisation des savoirs où l’on supprime la soumission, où l’on transforme le rapport d’autorité en un rapport de travail émancipateur.
  • L’attention doit être portée à la force créatrice du désir, qui motive l’action, les gestes, la pensée, l’activité. On considère dans la pédagogie coopérative que ce désir est moteur d’apprentissage.

Conclusion

Les objectifs de la coopération affichent une conception socio-constructiviste de l’apprentissage[8].Le rôle de l’enseignant et des apprenants est redéfini : l’élève est davantage acteur que dans un cours « frontal », et le prof devient une personne-ressource, garante des consignes.

L’UFAPEC prônela coopération entre TOUS les élèves. Le défi pour les enseignants, c’est que la pédagogie coopérative serve d’abord et avant tout l’enfant en difficulté. L’élève plus faible doit être porté, et non écrasé par ses pairs lors des travaux en équipes.

A l’école, mais aussi à la maison, la coopération entre les enfants est un esprit, une ambiance à instaurer, quelle que soit la forme que prend cette collaboration : jeu, sport, apprentissage, préparation d’un repas, …

Pour notre mouvement parental, pouvoir travailler avec ses pairs est essentiel pour vivre en société, développer un esprit critique et se remettre en question … au sein d’une société qui paradoxalement a tendance à mettre l’accent sur l’individu et la compétition entre individus.

 

Bénédicte Loriers

 

 

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[1]REY B., CARETTE V., DEFRANCE A., VAN LINT S., Création d’un outil d’évaluation des compétences des élèves à travailler en groupe destiné aux enseignants de l’école fondamentale et construit au regard des nouveaux socles de compétences, 2004, ULB, http://bit.ly/nNzw8m.

[2]DUBOIS Laurent, L’apprentissage coopératif :

http://tecfa.unige.ch/~laurent/didact/cooperation.htm

[3]In DUBOIS Laurent, L’apprentissage coopératif :  http://tecfa.unige.ch/~laurent/didact/cooperation.htm

[4]Professeur invitée à l’UCL et attachée à l’AGERS, Ministère de l’enseignement obligatoire. Gaëtane Chapelle était l’invitée de l’UFAPEC au dernier Salon de l’Education, pour une conférence sur la coopération dans les apprentissages.

[5]Pour aller plus loin, lire DRUART Delphine et WAELPUT Michelle, Coopérer pour prévenir la violence, éditions de boeck, 2005.

[6]VAN LINT Sylvie, Au bénéfice des « moyens », in revue PROF, septembre 2011.

[7]GO Nicolas, La pédagogie coopérative est un levier dans une école malmenée, paru dans Ouest France, le 9 mars 2010.

[8]Technique éducative dans laquelle chaque apprenant est l'agent de son apprentissage et de l'apprentissage du groupe, par le partage réciproque des savoirs (in Le Dictionnaire des sciences humaines).

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