Analyse UFAPEC décembre 2014 par A. Pierard

26.14/ Le service citoyen : quels apports pour le jeune et la société ?

Introduction

Le service citoyen, à bien distinguer du service civil,  est un dispositif qui permet aux jeunes de se mettre pendant plusieurs mois au service de la société dans différents domaines. Il s’adresse aux jeunes qui ont du temps devant eux, souhaitent se rendre utiles, sont à la recherche de projets constructifs, valorisants et solidaires et veulent prendre du temps pour réfléchir à leur avenir. Il s’agit d’un engagement envers la collectivité, d’une participation active à la société.

Quelle place lui donner dans notre société actuelle ? Selon la Plateforme belge pour le service citoyen, il a une place importante à prendre en tant que période de transition, de maturation et de socialisation des jeunes de par les valeurs et principes actifs qui l’animent : solidarité, cohésion sociale, entraide, échange, convivialité, émancipation, brassage social, engagement, don de soi… Mais qu’en est-il réellement ? Est-ce l’avis de tous ?

Le service citoyen s’adresse-t-il à tous ? Quels bénéfices le jeune peut-il retirer de cette participation à la société ? Quelle utilité pour la société ? Quelle reconnaissance du service citoyen dans la société belge aujourd’hui ?

Un engagement volontaire

Faire son service citoyen, c’est, sur base volontaire, « s’engager pendant 6 mois à temps plein au service de missions utiles à la collectivité dans des secteurs aussi variés que l’aide aux personne, l’environnement, la solidarité, l’éducation par le sport, l’accès à la culture,…[1] ». C’est pour les jeunes de 18 à 25 ans un moyen de s’investir dans la société et d’en être acteur en partageant des valeurs et en bénéficiant d’une formation, d’une assurance et d’une reconnaissance (entre autres par un défraiement journalier).

Depuis maintenant quatre ans, plusieurs promotions sont ouvertes aux jeunes pour leur proposer, par leur engagement volontaire, de contribuer de façon durable au développement de la société en s’investissant dans un domaine ou l’autre.

Durant les six mois du service citoyen, le temps du jeune est divisé en trois parties :

-          70% du temps est passé au sein de l’organisme d’accueil pour la mission principale ;

-          20% du temps est consacré à la formation, l’échange entre jeunes, l’évaluation mais aussi l’élaboration de chantiers communs ;

-          10% du temps est réservé à une mission complémentaire dans un autre secteur et/ou à une mission d’échange communautaire, c’est-à-dire au sein d’une des deux autres communautés du pays (pour les francophones, en communauté néerlandophone ou en communauté germanophone).[2]

·        La Plateforme belge pour le service citoyen[3]

Née de la rencontre entre plusieurs associations en 2007, la plateforme rassemble à l’heure actuelle plus de 30 associations. Elle promeut la réalisation de services citoyens par les jeunes, un engagement au service de la société, la formation et le développement personnel des jeunes. Elle assure des missions de lobbying, de recherche, de promotion et de communication concernant l’engagement citoyen des jeunes. La plateforme « assure la coordination générale & le suivi des jeunes en service et des tuteurs ; dispense une partie des formations; organise les temps d’échanges & d’évaluation ; indemnise, défraie & assure les jeunes en Service Citoyen ; octroie les certificats de participation.[4] »

·        Les organismes d’accueil

Ces organismes d’utilité publique accueillent les jeunes quatre jours par semaine durant la période fixée pour leur service citoyen. Ils assurent un tutorat accompagnant les jeunes dans la réalisation de leurs missions et les forment dans une perspective citoyenne. « L’organisme d’accueil : accompagne et suit le jeune dans la réalisation de sa mission ; forme le jeune à la réalisation de sa mission dans une perspective citoyenne et d’intérêt collectif ; veille à ce que la missions ne se confonde pas avec des emplois mais constitue un renfort d’utilité sociale, une plus-value par rapport au projet existant.[5] »

Quels bénéfices pour le jeune et la société ?

Selon les diverses sources utilisées, les bénéfices que peut retirer le jeune du service citoyen sont :

  • le développement d’une conscience responsable et solidaire ;
  • l’acquisition de compétences personnelles, citoyennes et professionnelles ;
  • la construction d’une citoyenneté responsable, critique, active et solidaire (CRACS) ;
  • l’apprentissage par l’expérience ;
  • une expérience sociale et humaine permettant une meilleure connaissance de soi-même ;
  • une expérience à valoriser dans leur futur parcours de vie.

Des questions sur l’impact réel sur la vie des jeunes se posent. Quels bénéfices effectifs du service citoyen pour les jeunes ? Est-ce que ça conduit à leur employabilité ? A leur insertion dans la société ? Y a-t-il des échecs ? Si oui, qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce qui est mis en œuvre ? Pour répondre à ces questions, il faudrait analyser la suite du parcours des jeunes touchés. Il semblerait que nous sommes encore trop tôt dans la mise en place du service citoyen pour pouvoir connaitre l’impact de celui-ci sur le parcours des jeunes. La Plateforme a diffusé des statistiques concernant le profil des jeunes concernés. Il serait intéressant d’avoir des données concernant la suite du parcours de ces jeunes.

Jean Blairon[6], directeur de l'asbl R.T.A. à Namur, service de formation agréé pour le secteur de l'aide à la jeunesse et organisme d'éducation permanente, évoque trois apports :

  • suspendre la contrainte du temps

« Ce dont les volontaires témoignent est que l'année citoyenne permet de diminuer une double violence temporelle. La première concerne le fait d'être soumis à un temps vide, vécu comme sans « à-venir », comme le dit Pierre Bourdieu, un temps non mobilisateur, vécu comme un trou noir possédant sa propre énergie démobilisatrice. La seconde est celle d'une pression forte, exercée par l'entourage direct et indirect, souvent aussi par des services, pour se projeter, en sortir au plus vite, se déterminer sans plus attendre. (…) L'année citoyenne offre donc une suspension de la pression temporelle et une caution à cette suspension (l'expérience du volontariat étant dotée d'un capital symbolique fort). En même temps, l'année citoyenne est l'occasion de faire l'expérience, pendant une durée suffisante,  d'un temps valorisé et valorisant.[7] »

  • arrêter le supplice de l’introspection inutile

« Dans plus d'un cas, l'identification d'un tel projet est même la condition pour recevoir de l'aide (au CPAS, dans l'aide à la jeunesse), d'où des anticipations hasardeuses de la part de jeunes qui cherchent à « rassurer » les adultes, faisant précocement l'expérience de la fausseté (c'est-à-dire de la sincérité formatée). Au cours de l'année citoyenne, au contraire, le « projet personnel » (appelé maturation) est la conséquence possible d'une diversité d'expériences, il arrive à la fin du cursus.[8] »

  • miser sur les interactions et la socialisation

« L'année citoyenne est donc le théâtre d'une double confrontation : confrontation d'un univers culturel donné à des tâches inconnues ; confrontation à l'altérité des identités assignées (jeune réputé privilégié traversé par une volonté d'engagement qui est aussi  un doute sur la trajectoire légitime ; jeune stigmatisé  confronté à des possibles existants et non rêvés ou rejetés).[9] »

Concernant les bénéfices pour la société, l’engagement du jeune sert la collectivité. Dans ce sens, le service citoyen est donc bénéfique pour la société selon le domaine dans lequel le jeune va s’impliquer : environnemental, culturel, éducatif, humanitaire…

Quelle diversité du public touché ?

Parmi les principes qui animent le service citoyen, l’on retrouve la solidarité, la convivialité et le brassage socio-culturel. Selon Dominique Burge, « Ce sont des jeunes d’horizons très différents aux niveaux géographique, social et culturel et c’est une manière pour eux de se rencontrer. Mais c’est aussi l’occasion de découvrir le cadre dans lequel ils vont s’engager pour 6 mois.[10] » La diversité est au cœur du projet de par l’ouverture à tous les jeunes et l’importance donnée à la rencontre, au vivre-ensemble et à l’inclusion de tous.

La diversité est-elle réellement présente ? Quels sont le statut, le niveau de certification, les milieux socio-culturels des jeunes qui se présentent pour exercer un service citoyen ?

Les statistiques présentées par la plateforme[11] montrent qu’il s’agit surtout de :

  • garçons (58% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013 et 66% pour les statistiques 2014 de Bruxelles) ;
  • bruxellois (33% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013) ;
  • demandeurs d’emploi (64% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013 et 67% pour les statistiques 2014 de Bruxelles), étudiants (14% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013) ou bénéficiaires du CPAS (12% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013) ;
  • jeunes ayant au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur (77% pour les statistiques cumulées de 2011 à 2013 et 100% pour les statistiques 2014 de Bruxelles)

Ces statistiques prouvent que même si la plateforme promeut un service citoyen ouvert à tous, ce sont surtout des jeunes sans diplôme du supérieur et sans emploi qui s’inscrivent au service citoyen. Qu’est ce qui fait que la plateforme touche surtout ce public ? Qu’est-ce qui attirent particulièrement ces jeunes vers le service citoyen ?

Le service citoyen semblerait être pour eux un lieu d’insertion sociale, une seconde chance de montrer de quoi ils sont capables et de montrer qu’ils en veulent, qu’ils sont prêts pour s’intégrer dans la société et dans le marché de l’emploi. Parce que, finalement, la véritable intégration dans la société ne passe-t-elle pas nécessairement par l’emploi ?

Quelle promotion du service citoyen ?

La plateformepromeut le service citoyen et défend le fait que« Le Service Citoyen répond en outre à plusieurs enjeux contemporains tels que la relégitimation du collectif, la difficulté de transition vers la vie active, le délitement du lien social, l’ouverture à l’autre, l’accès aux droits fondamentaux, l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, la sensibilisation aux valeurs démocratiques, aux bienfaits de l’État de droit...[12] »

Le service citoyen est-il la seule réponse possible aux enjeux soulevés par la plateforme ? L’école n’a-t-elle pas un rôle à jouer, elle aussi, dans la socialisation et la transmission des valeurs ? La plateforme donnerait au service citoyen des missions auxquelles les différents lieux de socialisation du jeune peuvent répondre (école, activités extra-scolaires, mouvements de jeunesse…). Les différents acteurs de l’éducation doivent aider les jeunes à devenir des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires. Le décret « Missions » et le décret « Citoyenneté »[13] font de l’école un lieu d’éducation citoyenne. L’école a pour finalité de« préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.[14] ». La mise en place du service citoyen par la plateforme soulève-t-elle un manque de ce côté-là? Le service citoyen comblerait-il des lacunes de l’école dans sa capacité d’émancipation, de sociabilisation et d’employabilité du jeune ?

Quelle reconnaissance du service citoyen ?

Il existe actuellement plus de 200 programmes de service citoyen, civique ou volontaire de par le monde. Chaque pays a ses propres critères pour définir les jeunes concernés (généralement entre 16 et 25 ans), la nature (nationale ou internationale) et la durée du service (de 6 mois à 2 ans). Qu’en est-il de la reconnaissance du service citoyen en Belgique ? Que peut-on retirer de l’exemple donné par d’autres pays ?

Un cadre légal est demandé par la plateforme.« Sans cadre légal, cette initiative utile pour les jeunes et la société ne pourra jamais prendre son envol. L’Allemagne, sur ce point donne l’exemple: le service y est reconnu et les jeunes reçoivent une indemnité plus importante.[15] » La reconnaissance, l’institutionnalisation du service citoyen en Belgique est le but ultime de la plateforme. Celle-ci demande donc qu’il y ait comme dans d’autres pays un cadre légal conférant un statut aux jeunes qui par le service citoyen s’engagent volontairement au service du bien commun. La plateforme demande aux décideurs politiques d’élaborer une loi pour organiser, réguler, reconnaitre et donner un statut aux jeunes en service citoyen. « La loi est indispensable pour donner un statut aux jeunes. Dans la mesure où l’engagement porte sur une longue période de 6 mois à temps plein. Le jeune a besoin d’un statut, d’une indemnité pour pouvoir vivre pendant ce semestre et d’une reconnaissance par rapport à un engagement qu’il a donné à la société.[16] »

Comment nos gouvernements fédéral, régionaux et communautaires vont-ils recevoir ces propositions et en tenir compte ?

La situation dans différents pays et la demande pour une reconnaissance en Belgique soulève de multiples questions. Qu’est-ce qui fait que le service citoyen est aujourd’hui si utile pour certains jeunes ? Y-a-t-il un manque concernant le développement de la citoyenneté et la solidarité dans la formation des jeunes ? Faut-il réintroduire le service militaire et le service civil pour tous, comme certains le réclament ?

L’éducation des jeunes à la citoyenneté et à la démocratie est essentielle et doit apporter une réponse à la crise de sens et de lien social dans notre société individualiste. L’école, comme les autres lieux d’éducation et le service citoyen, est un lieu important pour inculquer des valeurs et défendre l’esprit de solidarité.

Au niveau international, allons-nous vers un service civil européen comme le propose la présidence de l’Union Européenne ?

 « À l'occasion du début de la présidence italienne de l'Union Européenne, le premier ministre italien, Matteo Renzi, a tenu un discours très applaudi à Strasbourg. Il a souligné l'importance stratégique d'un Service Civil Européen : "Il n'y aura pas une Europe digne de ce nom sans le Service Civil Européen pour nos jeunes, et pour les nouvelles générations".[17] »

Vu ce qui est proposé actuellement dans différents pays du continent et le positionnement pris par l’Italie, présidente de l’Union Européenne, soyons vigilants à ce qui sera mis en place prochainement tant au niveau belge qu’au niveau européen.

Conclusion

Nous sommes à un moment charnière de l’évolution et de la reconnaissance du service citoyen en Belgique : la plateforme le promeut depuis quelques années, demande un cadre légal et que les politiques s’emparent de la question.

Diverses questions doivent guider la réflexion de tout un chacun sur le sujet et le développement du service citoyen : Le service citoyen permet-il réellement à des jeunes de tout horizon de participer activement à la construction de notre société en s’engageant volontairement, de se sentir utiles, de préciser leur projet d’avenir, de rencontrer et de s’ouvrir à d’autres milieux socio-culturels, de redonner un sens à leur vie ou pour être très caricatural est-ce de la main d’œuvre gratuite pour la collectivité? Le service citoyen, est-ce que ça marche dans le concret ? Quels bénéfices réels les jeunes peuvent-ils en retirer ? Le service citoyen répond-il à un manque dans la formation scolaire des jeunes ? De certains jeunes ?

L’UFAPEC est en faveur du service citoyen pour autant que l’on reste vigilant sur son objectif premier : permettre aux jeunes de devenir des citoyens responsables, critiques, actifs et solidaires (CRACS).

Nous sommes favorables à une reconnaissance légale du service citoyen qui doit rester non-obligatoire et accessible à tous. De par l’optique qui lui est donnée et les valeurs qui y sont prônées, c’est pour les jeunes une expérience constructive, valorisante et intégratrice dans leur parcours de vie.

 

 

Alice Pierard

 

 

 

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[1]Infor jeunes Bruxelles, « Service Citoyen. Et si tous les jeunes s’engageaient plusieurs mois pour la solidarité? »

[2]Les chantiers communs réunissent les jeunes en service citoyen autour d’une même activité d’utilité sociale.

[3]Site internet de la Plateforme : http://www.service-citoyen.be/accueil

[4]Infor jeunes Bruxelles, op cit.

[5]Idem.

[6]BLAIRON Jean, « Un service citoyen en Belgique ? Les enseignements de l’expérience Solidar-cité », intervention lors du séminaire de recherche et de réflexion sur le Service Citoyen, 1er février 2010.http://intermag.be/lien-champ-associatif-institutions/260-un-service-citoyen-en-belgique-les-enseignements-de-lexperience-solidar-cite

[7]BLAIRON Jean, op cit., p 2.

[8]Idem, p 3.

[9]Idem, p 3.

[10]BURGE Dominique, « Le "Service Citoyen" peu reconnu en Belgique », mis à jour le 14 avril 2013, sur le Site de la RTBF.

[12]Mémorandum de la Plateforme pour les élections européennes, législatives et régionales du 25 mai 2014, p 2.

[13]Décret « Missions » : décret du 24 juillet 1997 définissant les missions  prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.

http://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_01.php?ncda=21557&referant=l01

Décret « Citoyenneté » : décret du 13 décembre 2007 relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la communauté française.

http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/31723_000.pdf

[14]Décret « Missions », p 4.

[15]BURGE Dominique, op cit.

[16]Idem.

[17]Page d’accueil du site internet de la Plateforme : http://www.service-citoyen.be/accueil

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