Analyse Ufapec novembre 2013 par B. Loriers

27.13/ Construire une école citoyenne pour diminuer les violences

Introduction

L’éducation est considérée comme un moyen pour combattre la montée de la violence, du racisme, de l’intolérance[1]. La famille, l’école, les mouvements de jeunesse, les clubs de sports… sont autant de lieux d’apprentissage privilégiés pour acquérir un esprit d’ouverture, de citoyenneté et d’implication dans la vie collective.

L’UFAPEC s’interroge sur les leviers qui déclenchent chez tous les élèves le sens critique, le respect de chacun et le souci de l’intérêt général.

Dans les établissements scolaires, le projet d’établissement intègre souvent des organes de participation internes, qui permettent d’offrir des espaces d’expression des tensions et d’arbitrage des conflits, et ainsi, améliorer la communication entre les différents partenaires, en faisant circuler l’information de manière efficace.[2]

Le concept d’école citoyenne que nous allons analyser permet aussi de trouver quelques réponses aux incivilités dans les écoles. Cette notion d’école citoyenne impose un important questionnement des pratiques d’enseignement. Est-il possible de garder son rôle tout en ouvrant le dialogue avec les élèves ? Est-on prof et/ou éducateur ? Jusqu’où peut-on impliquer les élèves dans le fonctionnement de l’école ?

De quelles violences parle-t-on ?

L’institution scolaire engendre différentes formes de violence. En premier lieu, l’école a perdu de sa crédibilité, car elle offre parfois un diplôme, mais la promesse d’un emploi se fait rare : c’est une certaine forme de violence.

Le décalage entre la culture de l’école et la culture d’origine est souvent ressenti par les élèves comme une autre forme de violence.

Les élèves ressentent aussi un manque respect, parfois un abus d’autorité de la part de leurs profs.

Cela donne au quotidien le vol, le racket, la destruction, de nombreuses petites incivilités.

Du côté des enseignants, il existe une autre violence qui est le manque de reconnaissance structurelle ou institutionnelle de l’avancement de quelqu’un dans sa carrière, et d’autre part le fait qu’ils doivent sans cesse reconquérir leur statut de prof, leur autorité.

Et il y a encore tous les replis culturels et religieux : le port du voile, le vêtement approprié que demande l’école, la nourriture scolaire, la mixité dans les bâtiments, dans les cours, dans les travaux de groupes, dans les cours de gym…. Tant d’habitudes « culturelles » qui peuvent être ressenties comme de la violence par certains élèves.

Sortir de l’habituel rapport de force prof-élèves

L’école secondaire est construite comme la société, un espace segmenté où les gens ne se rencontrent pas forcément, et ont très peu de temps pour discuter. L’individualisme se traduit évidemment par énormément d’attentes, de revendications par rapport à l’école, et de la part de ceux qui y travaillent, très peu de moyens pour répondre à ces attentes. « Les élèves ne se connaissent pas forcément d’une classe à l’autre. Et chez les profs, c’est la même chose..[3] »

L’appréhension guide trop souvent le rapport entre le prof et ses élèves, et cette soumission des élèves détruit toute possibilité de construction de la citoyenneté. Bernard Defrance est philosophe, et a enseigné la psychopédagogie et de philosophie de l’éducation en  écoles normales. Il s’est penché sur le rapport de forces entre élèves et enseignants : «…du côté des élèves, l'obéissance se pervertit en soumission, et du côté du professeur, l'autorité se pervertit en pouvoir. [...] Dès lors que le maître assume tous les rôles dans la confusion des pouvoirs d'enseignement et d'évaluation, la recherche de la vérité se pervertit en recherche de la conformité, et les élèves vont se répartir en trois catégories principales : ceux qui vont s'employer, grâce à l'obtention des diplômes, à " passer de l'autre côté de la barrière " pour pouvoir à leur tour soumettre après s'être soumis : ils deviendront bons élèves, futurs " décideurs ". A l'opposé, ceux qui refusent, consciemment ou non, cet apprentissage systématique de l'hypocrisie, qui se retrouvent démunis devant l'exigence de mentir à eux-mêmes et devant les autres, risquant la marginalisation et l'exclusion. Enfin, la masse intermédiaire de ceux qui font juste ce qu'il faut pour " ne pas avoir d'ennuis ", qui formeront plus tard les majorités silencieuses indifférentes aux responsabilités civiques et manipulables au gré des influences médiatique (…).[4] »

Le concept d’«école citoyenne»

Pourquoi éduquer à la citoyenneté ? La Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique explique clairement l’importance d’une éducation à la citoyenneté. « Pour être reconnu par ses pairs, tout individu doit trouver sa place, ce qui implique une responsabilité personnelle quant à son intégration et sa participation à la vie collective. Les attitudes dont il devra faire preuve requièrent un apprentissage de savoirs, savoir-faire et savoir-être dont la responsabilité relève de la famille, d’une communauté organisée, et du monde scolaire quand celui-ci existe.[5] »

En fédération Wallonie-Bruxelles, le décret Missions de 1997 et le décret Citoyenneté de de 2007 organisent les structures mettant en place des pratiques démocratiques dans les établissements scolaires. Les principaux articles qui nous intéressent ici sont repris en annexe 1 de cette analyse.

Louis Porcher définit l’école citoyenne comme une institution dans laquelle « toutes les lois sont construites par tous les acteurs, dans le respect du cadre des Droits de l’homme, et selon une parité des droits et des devoirs[6] ».

Le projet d’école citoyenne se base sur deux grands principes: construire la loi ensemble avec tous les acteurs de l’école etimpliquer les élèves le plus possible dans la gestion du respect et dans la vie de l’école.

Mouvement des Institutions et des Ecoles Citoyennes (MIEC)

En fédération Wallonie-Bruxelles, une trentaine d’institutions (écoles, SAS d’écoute, Services d’accrochage scolaire, Maison de jeunes, …) se sont regroupées autour du MIEC depuis 2011.

Sous la houlette de son Président Jean-Luc Tilmant (enseignant et psychopédagogue), ce mouvement souhaite regrouper les professionnels de l’éducation qui souhaitent d’avantage de citoyenneté dans leur école, qui rencontrent des situations de violence scolaire, qui ont des pistes à proposer, des conseils à donner, ou qui cherchent des informations[7].

Dans son mot d’introduction au site du MIEC[8], Jean-Luc Tilmant cite Philippe Mérieu, qui propose 5 exigences éducatives dans le travail de (re)construction de repères.

  1. Rendre possible le vivre ensemble, promouvoir l’action collective en lieu et place de la juxtaposition des narcissismes individuels ;
  2. Référer l’interdit à ce qu’il rend possible, ne jamais confondre l’expression de la LOI fondatrice. N’imposer des règles qu’en fonction de leur fécondité.
  3. Faire alliance avec les bénéficiaires contre toutes les formes de fatalité  sociale, culturelle et groupale, ne jamais les condamner à reproduire ce à quoi ils semblent destinés.
  4. Mettre en place des situations qui permettent à l’enfant d’apprivoiser ses propres désirs et de ne pas en être esclave.
  5. Travailler avec nos enfants à instituer la sphère publique, à rétablir la frontière entre ce qui relève des choix privés et ce qui relève de la décision collective au service du bien commun.

Différents étapes pour construire une école citoyenne

Jean-Luc Tilmant a présenté[9], lors d’une conférence, différentes étapes qui peuvent servir à construire une école citoyenne. En voici les étapes.

1.    Construire la loi

Au début de l’année, on réunit toutes les classes pour poser une question : comment allons-nous vivre ensemble, dans le respect, cette année ? Qu’est-ce que je ne veux pas subir ? Que ne peut-on pas faire subir ? On appelle ça le miniforum. Dans chaque classe on va faire des listes, on va proposer des règles.

Ensuite, on va demander à minimum un volontaire par classe de venir pour faire la synthèse de ces règles. On reprend les règles qui sont proposées partout. Si elles ne sont pas proposées partout on ne les reprend pas, on négocie. On en synthétise la formulation à partir des propositions de formulation des élèves, dans un langage jeune.

Tous les élèves et acteurs de l’école sont prévenus et mis au courant des lois reprises.

Pour Bruno Derbaix,« cette loi reprend toujours le même contenu « global » Il y a une règle sur l’interdit de la violence verbale, l’interdit de la violence physique, le respect du matériel, l’interdit du vol. Enfin un appel à la tolérance, au vivre ensemble, un refus du racisme. L’important est que la formulation des règles de respect dans l’école vienne des élèves[10] ».

2.    Vivre avec la loi

Une fête est organisée, sous forme de Forum. Les lois sont lues, approuvées et applaudies, en présence de tous les acteurs :

  • Réalisation d’affiches qui décrivent les lois, valables pour l’année scolaire ;
  • Campagne pour les élections au conseil de citoyenneté : tous les candidats peuvent mener une campagne électorale dans l’école ;
  • Une élection désigne les représentants des élèves au sein du conseil de citoyenneté ;
  • Constitution du conseil de citoyenneté : les membres sont des représentants de toutes les fonctions de l’école (direction, enseignants, éducateurs, élèves)

A la fin du Forum, chaque élève reçoit une ceinture blanche :

  • Les montées de ceinture (blanc, orange, vert, marron, noir) sont tributaires du respect de la loi et de la maîtrise des compétences de savoir-être ;
  • Les ceintures noires siègent de droit au conseil, accueillent et parrainent les nouveaux, sont des moteurs dans les projets, et rappellent le respect des lois

Conclusion

Une difficulté majeure pour intégrer les élèves dans l’organisation de l’école réside notamment dans le fait que ces élèves vont se sentir avant l’heure de la génération du « dessus ». On ne peut pas leur laisser croire qu’ils sont maîtres à bord. Les enseignants doivent donc trouver un subtil juste milieu, entre le fait que les élèves peuvent donner leur avis à certains moments, mais qu’à d’autres moments ils n’ont pas le choix.

Quoi qu’il en soit, on comprend ici l’enjeu de l’éducation à la citoyenneté pour les enseignants : remettre en question leurs propres relations aux élèves. L’UFAPEC est consciente que chaque moment de construction collective et de mise en projetpermet aux individus de grandir, d’évoluer, de s’améliorer. Le défi de l’école d’aujourd’hui, lieu de socialisation par excellence, c’est d’intégrer le collectif de manière claire, et de se déconnecter davantage des singularités, pour retrouver le plaisir du vivre ensemble, et pour finalement lutter contre l’échec scolaire. A l’école et au sein dela famille, les adultes éducateurs doivent offrir l’occasion aux enfants et aux jeunes de d’entrer dans un comportement responsable et citoyen, en donnant du sens aux savoirs, en cultivant la prise de parole, le débat d’idées, le sens des responsabilités, la capacité à résoudre des conflits, l’engagement à servir, l’ouverture au monde.

L’école occupe une place essentielle pour faire de notre société une société plus juste, plus égalitaire, plus épanouie, plus créative et plus solidaire. Pour s’inspirer de l’école citoyenne, et en paraphrasant Albert Jacquart, « il ne suffit pas de fabriquer des hommes tous conformes à un modèle, ayant tous appris les mêmes réponses, mais des personnes capables de formuler de nouvelles questions. ».Mais pour qu’elle puisse remplir son rôle, émanciper, reconnaître les différences, promouvoir la solidarité, l’école a besoin d’être respectée par les parents, les professionnels, et les élèves. Que tous les partenaires se sentent écoutés dans l’école… cela protège contre toutes violences.

 

Bénédicte Loriers

 

 

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[1]Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme.

[2]LORIERS Bénédicte, Passer de la violence  scolaire à la participation démocratique pour stimuler nos enfants, analyse UFAPEC n°33.10.

[3]DERBAIX Bruno, ibidem.

[4]DEFRANCE Bernard, Le droit dans l’école, les principes du droit appliqués à l’institution scolaire, édictions Castells, 2000.

[5]Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme

[6]PORCHER Louis, L’éducation à la citoyenneté, Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle.

[7]www.miec.be

[8]www.miec.be

[10]DERBAIX Bruno, ibidem

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