Analyse UFAPEC décembre 2019 par JP. Schmidt

29.19/ Le Pouvoir Organisateur, un engagement bénévole...mais pour faire quoi ?

Si on payait mieux les bénévoles, ça donnerait peut-être envie à plus de gens de travailler gratuitement
Philippe Geluck

Introduction

Une fois la porte de l’école passée, vous rencontrez toute une série d’acteurs qui la font vivre. Beaucoup d’entre eux sont visibles comme les élèves, les professeurs, les parents, les éducateurs, le personnel de garderie, la direction, etc. Généralement, un des acteurs l’est peu et pourtant son rôle est indispensable : le pouvoir organisateur (PO). Qu’est-ce qu’un PO ? Quel est son rôle et à quoi sert-il ? Suivant les réseaux, le PO fonctionne selon ses spécificités propres. Nous explorerons ici plus spécifiquement les PO du réseau d’enseignement libre catholique. L’une de ses spécificités est que ses membres sont bénévoles. Pour gérer une école, les membres d’un PO doivent assumer de lourdes responsabilités. Quelles sont-elles ? Qu’est-ce que cela implique pour le fonctionnement de l’établissement ? Qu’est-ce que cela suppose ? Quelles missions doivent-ils remplir ? Le PO d’une école doit-il se faire connaitre auprès des acteurs de l’établissement qu’il dirige ? Quelle relation entretient-il, d’ailleurs, avec ceux-ci ?

La question de l’engagement

L’enseignement régi en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) se distingue par l’organisation complexe des écoles en plusieurs réseaux d’enseignement :

  • Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE)[1]. C’est le réseau organisé par la Communauté française. WBE est l’organisme public autonome, depuis février 2019, auquel la Communauté française délègue, en tant que pouvoir organisateur de l’enseignement, ses compétences.
  • Le Conseil de l’Enseignement des Communes et Provinces (CECP)[2]. Le CECP aide les communes et les provinces, agissant en qualité de pouvoirs organisateurs, à remplir leur mission d’éducation et d’enseignement au niveau de l’enseignement fondamental, de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement secondaire artistique à horaire réduit.
  • Le Conseil des Pouvoirs Organisateurs de l’Enseignement Officiel Neutre subventionné (CPEONS)[3]. Le CPEONS, agissant également pour les communes et les provinces, se préoccupe de l'enseignement secondaire, de l'enseignement supérieur, de l'enseignement de promotion sociale et des centres de guidance psychosociale.
  • La Fédération des Etablissements Libres Subventionnés Indépendants (FELSI)[4]. Le terme indépendant recouvre les notions de pluralisme et de non-confessionnalité.
  • Le Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SeGEC)[5].

C’est dans ces deux derniers réseaux que nous trouvons des PO constitués en ASBL. L’organe de décision est l’assemblée générale et la gestion quotidienne est assurée par le conseil d’administration, représenté sur le terrain par une direction. Les membres du PO sont des volontaires, plus souvent désignés comme bénévoles. Qu’est-ce que cela veut dire être volontaire à la tête d’une école ?

Que dit la loi en Belgique francophone ?

La loi sur le volontariat de 2005[6] donne la définition suivante du volontariat :

Pour être qualifiée de volontariat, l’activité est exercée :

  • gratuitement et librement, elle est pratiquée « sans rétribution, ni obligation » ;
  • au profit d’autrui, à une ou d’autre(s) personne(s) que soi ;
  • dans une organisation à but non lucratif (ASBL, fondation, service public…), hors du cadre familial et privé (l’entraide entre voisins ou au sein d’une famille n’est pas considérée comme du volontariat) ;
  • en-dehors de son contrat de travail : une personne ne peut pas être occupée à la fois comme travailleur rémunéré et comme volontaire pour une même tâche auprès d’un même employeur. Le bénévolat ne peut pas servir à éviter de payer des heures supplémentaires.

Peut-on affiner cette définition ? Une association basée au Canada[7] décrit cinq qualités importantes que doit rencontrer le bénévole :            

  • d’abord, le bénévole doit savoir faire preuve de solidarité ;
  • le bénévole doit posséder une bonne capacité d’écoute ;
  • de plus, il sait reconnaître ses limites ;
  • par ailleurs, le bénévole doit faire preuve de respect et d’empathie ;
  • finalement, le parfait bénévole a le souci d’un travail de qualité.

L’enseignement catholique en Fédération Wallonie-Bruxelles, ce sont 759 Asbl PO et 10.000 volontaires[8]. Ces chiffres montrent l’ampleur de l’investissement de l’engagement volontaire pour faire « tourner » l’enseignement catholique. Mettre ces éléments en perspective peut faire pressentir les responsabilités incombant aux personnes qui s’investissent dans un PO. Peut-on exiger d’un volontaire (bénévole) un engagement et une responsabilité que l’on attend dans le chef d’un professionnel ? Comment conjuguer les deux aspects ? Le bénévole vient-il pour donner un coup de main ou cherche-t-on plutôt un volontaire riche de compétences dans un domaine précis ? L’évolution de la loi met, dans certains cas, en péril le fonctionnement de certaines ASBL. En faisant voter le code des sociétés et associations, le gouvernement a accru la complexité et la responsabilité des administrateurs de ces ASBL, au risque de voir certaines d’entre elles disparaître faute de pouvoir compter sur des experts prêts à s’engager bénévolement.

La question des responsabilités

La liberté d’association permet d’adopter un fonctionnement propre tout en se donnant des moyens pour l’exercer… Donc chaque PO peut pratiquer son œuvre de manière singulière.

Concrètement, le PO organise une ou plusieurs écoles, ordinaires ou spécialisées et emploie du personnel éducatif, enseignant, administratif, ouvrier... Il établit un projet pédagogique global et installe le conseil de participation.[9] Le SeGEC précise, quant à lui, le rôle général d’un PO et ses responsabilités. Dans les faits, le PO est l’organe responsable du fonctionnement de l’école. Il assure les fonctions de vigilance, de contrôle et de prévision. Assumer la responsabilité d’un établissement d’enseignement c’est donc :
 - être garant de sa bonne gestion dans tous les domaines : pédagogie, finances, administration, gestion du personnel, infrastructures et patrimoine, sécurité et bien-être ; - garantir les bonnes relations avec les partenaires proches (les centres PMS, les autres écoles et PO, les services diocésains, des associations locales…) et veiller à positionner l’école dans son environnement ;
- avoir une vision de l’avenir et en tenir compte dans tous les domaines de la gestion.[10]

Une fois le cadre placé devant le bénévole prêt à mettre la main à la pâte, l’engagement reste propre à chaque individu. Celui-ci rentre inévitablement dans un fonctionnement particulier au PO dans lequel il compte assumer ses responsabilités. Le bénévole doit, dès lors, très vite en cerner les contours pour apporter sa pierre à l’édifice soit par sa personnalité, soit par ses compétences.

Pour Stéphane Vanoirbeck, directeur du service PO du SeGEC : On voit de tout dans le fonctionnement des PO. Certains PO se forment, se rajeunissent, prennent la voie de la fusion (dans un certain nombre de cas, les procédures se sont arrêtées, faute d’accord satisfaisante entre les parties.). D’autres ne fonctionnent plus de façon idéale, se réunissent peu ou concentrent l’ensemble des responsabilités sur une seule personne, voire sont peu enclins au respect des différentes législations... Il est difficile de quitter le règne du « On a toujours fait comme ça...[11] Connaitre les éléments et les enjeux de la gestion d’un établissement n’impose-t-il pas des compétences nouvelles et particulières ? Stéphane Vanoirbeck le dit clairement : La gestion d’un PO, si en plus celui-ci regroupe plusieurs établissements, doit se professionnaliser par des compétences spécifiques difficiles à trouver...[12]

La liberté d’association reste préservée par cette volonté qu’affiche le volontaire de donner du temps à l’école, qui parfois est l’ancienne école de son enfant, mais il semble bien que des compétences spécifiques soient absolument nécessaires. Alors, comment faire ? Mutualiser les forces et les moyens ? Fusionner les PO d’une entité au risque ou pas pour ces « super » PO d’être déconnectés de la réalité du terrain ? Tous les PO s’associent-ils à cette vision des choses ? Peut-on procéder et gouverner de la même manière dans chaque établissement ? Comment cela se passe-t-il concrètement dans les écoles ?

A la lecture du décret Mission de 1997[13], on constate que les pouvoirs des PO se sont accrus. Le PO est souverain dans l’adoption et l’application d’un projet d’établissement, dans l’écriture du projet pédagogique et éducatif de l’école ainsi que dans sa responsabilité de désigner la direction (à qui il confiera toutes ces tâches) et les membres du personnel. Par ailleurs, le PO doit s’assurer de l’existence d’un conseil de participation (CoPa), seule instance de concertation qui permet de réunir tous les acteurs et partenaires de la communauté éducative. Le PO est garant de son bon fonctionnement. Le PO a également, depuis le décret du 30 avril 2009, le devoir de laisser les parents se constituer en associations de parents (AP) et de susciter cette initiative s’il n’y a pas d’AP dans l’établissement qu’il gère.

Régulièrement, à l’UFAPEC, nous recevons des coups de fil de parents surpris, inquiets, déstabilisés ou même en désaccord par rapport à des choix posés dans les écoles au sujet des méthodes pédagogiques, de la désignation de professeurs pour telle ou telle classe... Si ces choix sont discutés ou remis en question, c’est qu’il y a notamment méconnaissance de l’acteur PO tant dans ce qu’il représente que dans qui le représente. Une explication claire de ses responsabilités et de ses choix permet bien souvent de lever la rumeur ou le trouble dans l’établissement.

Depuis peu, les objectifs poursuivis par le politique obligent chaque école à définir son plan de pilotage, en cohérence avec son projet d’établissement. L’établissement identifie parmi quinze thématiques celles qui nécessitent des actions nouvelles à mettre en œuvre prioritairement. Il en va de la responsabilité du PO de l’école d’entrer dans un processus collaboratif au niveau de l’équipe pédagogique et éducative ainsi que de veiller, lors des réunions du CoPa, à tenir compte de l’avis de tous, dont les élèves et parents, dans ce nouveau processus.

On le voit, les responsabilités du PO sont énormes. Le PO se sent-il encore libre dans ses mouvements et capable de répondre à toutes ces exigences ? Certains PO en prennent la mesure, en perçoivent la complexité et partagent leur engagement, d’autres semblent plus réservés...

La question de l’image

Concrètement, les réseaux d’enseignement n’ont pas de pouvoir contraignant sur les PO. Le PO reste maitre à bord et maitre de son sort, mais bien entendu, il ne peut pas faire « n’importe quoi » au risque de perdre des subventions (cf. mise en place du plan de pilotage dans chaque établissement, devenant ensuite contrat d’objectifs, les pouvoirs publics reconnaissant l’engagement pris par l’école, contrat d’objectifs qui sera donc évalué) ou même tout simplement perdre des élèves, au risque, et cela arrive, de fermer l’établissement. Afin que tous les acteurs de l’école (enfants, parents, enseignants, éducateurs, personnel administratif et ouvrier, direction) comprennent bien le rôle que le PO a à jouer, le dialogue est nécessaire. Il permet aussi à chacun de trouver sa juste place dans l’établissement.

Il n’y a pas de généralités en la matière. Un certain nombre PO prennent le temps de se faire connaître dans leur école via le site internet de l’établissement, des courriers généraux ou personnalisés… Mais cette constante est rare. En effet, bien souvent les parents ne connaissent pas les membres du PO, ils ne les voient pas. Ils ne savent même pas ce qu’est un PO, à quoi il sert dans l’école. Un coup de sonde, qui n’a rien de scientifique, montre que sur une centaine de sites d’établissements de l’enseignement libre catholique (quand il y en a un), il y a vingt sites où le PO prend la peine de se présenter et de détailler brièvement ses missions. Le site web d’une école est pourtant le premier lien avec les parents en quête d’un établissement pour leurs enfants. Nous constatons la difficulté de créer pour chaque école ce premier outil de communication et nous le regrettons, 

Cela nous amène à la question suivante : le PO n’a-t-il pas un devoir d’information : devoir pédagogique, déontologique d’expliquer ses responsabilités et ses travaux et d’expliquer les contraintes dans lesquelles il doit naviguer pour une meilleure compréhension et adhésion aux enjeux actuels de l’école ? Des PO le font naturellement et l’expliquent régulièrement. Il y a des PO qui invitent tous les représentants de la communauté éducative lors de la réunion mensuelle de leur conseil d’administration. Cette ouverture permet de se connaître, de bien déterminer qui fait quoi dans l’école, de suggérer, d’appréhender les événements et ou échéances futures de l’établissement. Cette même ouverture peut favoriser un partenariat sain et constructif et délimite les contours de la dynamique et de la culture d’école. En outre, la présence d’une association de parents et le bon fonctionnement du conseil de participation (dans lequel, rappelons-le, siègent à part égale tous les acteurs de l’écoles, élèves et parents compris) peut aider à favoriser la rencontre entre acteurs et une compréhension sereine des attentes et des difficultés de chacun.[14]

Nous n’avons pas parlé de la question de la représentativité. Comment se constitue un PO ? Comment vit-il ? Comment se perpétue un PO ? Tout en respectant la liberté d’association, les PO doivent faire face, comme nous l’avons déjà souligné, à des enjeux cruciaux de management et de gouvernance. Au-delà de l’engagement et du défi qu’il représente, chaque membre du PO doit pouvoir œuvrer à l’amélioration de la qualité de son fonctionnement. Solliciter telle ou telle compétence, et par corollaire telle ou telle personne, apparait dès lors comme une nécessité. Des parents nous rapportent régulièrement qu’ils s’interrogent sur le mode de recrutement au sein de leur PO, sur leur manque de renouvellement, d’investissement et de proactivité… L’avenir de l’enseignement catholique se joue aussi à ce niveau.

Conclusion

Le PO vit au jour le jour et avance à son rythme. Il est bien souvent constitué de personnes souhaitant s’engager pour le bien-être de l’élève et de l’équipe éducative et pour le bon fonctionnement de l’école.

Plusieurs défis attendent quotidiennement les membres d’un PO, sans parler de sa bonne gouvernance, de la qualité de son fonctionnement et de sa capacité à communiquer son engagement et ses responsabilités. Se montrer, mettre un visage, identifier la fonction, s’ouvrir à la communauté éducative, construire ensemble et ne pas diriger l’école de son piédestal sont aussi des défis à relever par le PO.

Tout en comprenant et partageant les réelles difficultés des PO, l’UFAPEC, dans son Mémorandum 2019, les encourage, au renouvellement des projets pédagogiques, éducatifs et d’établissement et à l’adaptation nécessaire aux réalités de l’école d’aujourd’hui. L’UFAPEC demande donc de :
1. Faire en sorte que les PO soient formés et sensibilisés à la dynamique pédagogique de l’école.
2. Faire en sorte que les PO soient formés et sensibilisés à l’intérêt du renouvellement des projets pédagogiques, éducatifs et d’établissement.
3. Encourager les PO à se faire connaître, à se renouveler et à accueillir des membres disposant de profils variés.[15]

Pour que les écoles de l’enseignement libre se perpétuent et se renouvellent, il faut que des femmes et des hommes s’y engagent bénévolement et prennent leur responsabilité de PO avec tout ce que cela comporte. Mais il convient aussi que les pouvoirs publics assurent la possibilité de cet engagement bénévole en permettant à tous les volontaires, que sont aussi ces membres de PO, d’exercer leurs tâches sans que ne leur soient attribuées des responsabilités légales ou décrétales que seuls des spécialistes experts sont capables de comprendre et d’assumer.

 

 

Jean-Philippe Schmidt

 

 


[8] Cf chiffres du SeGEC, Pouvoirs organisateurs, conjuguer volontariat et professionnalisme, Entrées Libres, n°127, Mars 2018.

[9] Cf. UFAPEC, FAPEO, Démocratie scolaire : la représentation collective des parents au conseil de participation, Octobre 2019, p. 9.

[11] Cf Vanoirbeeck, S., Pouvoirs organisateurs, conjuguer volontariat et professionnalisme, Entrées Libres, n°127, Mars 2018.

[12] Idem.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK