Analyse UFAPEC décembre 2016 par A. Pierard

34.16/ L'enfant, un messager entre l'école et les parents ?

Introduction

L'éducation des enfants se fait avant tout dans deux sphères importantes de la vie : la famille et l'école. A cet effet, la collaboration entre parents et enseignants favorise le bien-être de l'enfant, sa réussite scolaire, son épanouissement, etc.

L'enfant passant fréquemment d'un milieu à l'autre, il y a une réelle interpénétration des systèmes. L'école fait partie de la vie quotidienne familiale, alors que celle-ci s'invite, par l'enfant, au sein de l'établissement scolaire. La relation école-famille ne se fait pas seulement lors des contacts directs, mais aussi de manière indirecte par l'enfant. Celui-ci est le premier messager entre ses éducateurs. Il est un acteur à part entière à placer au cœur des relations école-familles. Beaucoup d'informations transitent par lui[1]. Quelles sont ses responsabilités d'agent de liaison entre la famille et l'école ? Quelle est sa place adéquate dans les relations entre parents et enseignants ? Toute communication entre l’école et la famille peut-elle passer par lui ?

Outils et moments de communication

L'école ayant un rôle à jouer dans l'éducation des enfants, la communication entre parents et enseignants, par différents moyens, a tout son sens. "La division du travail éducatif crée entre la famille et l’école un système d’interdépendance et de communication beaucoup plus dense et complexe qu’entre la famille et le monde du travail des adultes. Parents et enseignants se surveillent mutuellement. Ils se concertent parfois à propos de leurs attitudes éducatives, ils s’ignorent en d’autres occasions ou pratiquent un " dialogue de sourds ". Cependant, même lorsque les relations directes sont rompues ou réduites à leur plus simple expression, parents et enseignants restent interdépendants et continuent à communiquer à travers l’enfant.[2]" Différents outils de communication sont utilisés en poursuivant un objectif commun : l'épanouissement de l'enfant.

Les réunions de parents, les rencontres, les appels et l'échange de courriers ou courriels permettent un dialogue direct entre les partenaires.

Les messages oraux et écrits transmis par l'enfant, les documents échangés, le bulletin et le journal de classe font circuler des informations entre la classe et la maison sur le comportement, le travail, les devoirs, les sorties, etc. Tout cela transite alors par l'élève messager. C'est la part la plus dense de la communication école-famille.

Dans l'utilisation des outils de communication, Bruno Humbeeck, psychopédagogue, soulève l'importance de la co-éducation centrée sur l'enfant et son vécu. Co-éduquer, ce n'est pas co-enseigner, ni co-gérer, ni éduquer la famille, mais bien mettre en place les conditions pour une relation école-famille dans laquelle la communication porte avant tout sur le bien-être de l'enfant et son évolution. Co-éduquer, c'est envisager l'enfant comme sujet d'éducation dans les deux sphères (familiale et scolaire). Il devient alors la source principale et l'objet de l’échange communicationnel.[3]

Dans ce sens, il semble judicieux de choisir des moyens de communications répondant aux besoins des deux parties ; de saisir les différentes opportunités de communication ; de mettre en place des stratégies pour créer/développer un lien de confiance ; de se concerter en vue de collaborer et d'harmoniser les actions.

L’enfant comme messager

Agent de liaison entre les parents et l'école, l'enfant n'est pas un médium inerte, mais bien un intermédiaire à considérer comme un acteur prenant partie dans les relations entre parents et enseignants. Il peut avoir une influence active dans le déroulement des relations. Il n'est pas seulement l'objet des communications, mais bien une personne à part entière ayant un rôle de relais des informations.

L'enfant agit et crée l'interface entre l'école et sa famille de différentes manières, dans l'idéal en transmettant des messages, des informations, des remarques ; en montrant des documents scolaires (journal de classe, bulletin, cahiers, etc.) ; en racontant sa journée ; en étant présent lors d'entretiens ; etc. Mais dans la réalité, l'enfant peut se comporter différemment en fonction de ses intérêts, et cela de manière consciente ou inconsciente. C'est ce que nous montre la théorie du "go-between" que nous développons ici.

Tout élève est un messager entre l'école et la famille, mais la place qu'il va prendre dans la dynamique, son appropriation des informations, les stratégies de communication qu'il va utiliser, etc. seront différents selon son âge. Un élève de fin de primaire fera par exemple davantage le filtre qu'au début de sa scolarité.

  • Go-between

Les contacts directs (formels ou informels, collectifs ou individuels) ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Les contacts indirects par l'enfant (transmission de documents officiels ou non, messages oraux) sont beaucoup plus nombreux. La théorie du go-between développée par Philippe Perrenoud, sociologue, insiste sur le rôle d'agent de liaison actif. L'enfant peut intervenir de manière sélective et stratégique dans les échanges entre parents et enseignants. "Il peut rendre possible ou au contraire vider de leur sens les communications directes. L’enfant n’a pas toujours intérêt à ce que tout soit clair entre ses parents et l’enseignant. (…) Il s’agit en réalité d’un être doué de stratégies, conscient d’être l’objet et l’enjeu des contacts entre les adultes qui l’entourent dans sa scolarité.[4]"

L'intensité des liens entre les partenaires éducatifs et l'espace entre les deux sphères permettent à l'enfant de grandir et de construire son autonomie. La double appartenance de l'enfant lui permet de développer des stratégies de communication visant à sauvegarder sa liberté. "Que cela soit dans sa famille, dans sa classe ou entre ces deux lieux, il existe une marge de manœuvre à l’intérieur de laquelle il peut élaborer des stratégies plus ou moins rationnelles, conscientes et cohérentes afin de faire face aux actions socialisatrices des adultes.[5]"

  • Stratégies d’action

L'enfant a un certain contrôle sur la communication, son sens et l'effet du message. Il peut développer, de manière consciente ou non, des stratégies d'actions pour influencer l'interprétation des messages. "Go-between, l’enfant conduit ses propres stratégies ; il prend des risques, forme des projets ; il gère des conflits et des alliances ; il discute, il négocie, il décide, à l’instar de n’importe quel adulte. (…) si l’enfant met souvent son action au service de certains intérêts ou de certains projets, rien ne permet d’affirmer qu’il pense constamment la communication entre ses parents et ses maîtres dans une perspective stratégique.[6]"

L'enfant peut déformer, altérer, atténuer ou accentuer le contenu du message ; laisser planer une certaine ambiguïté ; égarer ou oublier le document ; choisir le moment de la transmission, le ton, les commentaires. Par exemple, il pourra oublier de montrer une note négative à propos de son comportement, ou choisira le moment le plus adéquat pour la présenter à ses parents ; ou encore, il pourra présenter les événements en sa faveur, etc. De manière générale, il alterne entre quatre types de stratégies (selon le document scolaire et son contenu) : l'adhésion, la soumission, la persuasion et la manipulation. [7]

Comme l'explique Walther Tessaro, docteur en sciences de l'éducation, "en s'exprimant sur les stratégies auxquelles ils ont recours dans les situations de la vie scolaire, les élèves nous ont dévoilé leur façon d’organiser les interactions avec les adultes et confirmé l’importance générale du contexte : le type de message, le destinataire, le domaine concerné ou le moment déterminent en effet les stratégies utilisées et rares sont les élèves qui ont recours de manière systématique au même type de stratégies. L’hétérogénéité des pratiques, révélée par les entretiens que nous avons menés, participe à la richesse de la dynamique scolaire.[8]"

Il nous semble important d'y faire attention et d'en tenir compte, car cela peut parfois être source de malentendus, voire de conflits entre la famille et l'école. Quel pouvoir laisser à l'enfant dans la communication entre parents et enseignants ? Faut-il croire l'enfant sur parole quand il transmet un message oral ou fait part d'un évènement du quotidien ?

L’enfant, un message ?

Parents et enseignants se parlent à travers l'enfant. Il y a une réelle mise en circulation d'informations par les messages qu'il transmet dans les deux sens, mais aussi par l'expression d'un milieu de vie (valeurs, comportements) ou du fonctionnement de l'établissement scolaire (vécu journalier, évocation de méthodes d'apprentissages ou de sanctions données). L'enfant n'est pas seulement un messager, mais aussi un message. Il fait circuler des valeurs en donnant force de loi aux jugements de l'école, en rapportant des propos parentaux sur les méthodes d'enseignement, la quantité de devoirs, etc.

Raconter à la maison ce qui s'est passé en classe se fait beaucoup plus que de narrer la vie familiale à l'école. A ce niveau, l'enseignant va faire attention à ce qui se passe en classe, mais aussi à ce qu'il dit, car cela pourrait être rapporté au parent…

L'enfant entend des critiques et conseils venant d'un côté ou de l'autre. Il peut être téléguidé, voire pris dans un conflit de loyauté, par exemple quand ses parents lui conseillent une autre méthode que celle exposée par l'enseignant pour faire ses calculs. Il peut aussi sentir que tout ne doit pas être rapporté. Il ne va pas forcément répéter à la maison que l'enseignant s'est moqué de lui parce qu'il avait des vêtements usés ou une mauvaise orthographe.

Ce n'est pas toujours facile pour l'enfant de savoir sur quel pied danser… "Si l’on s’exclame devant son enfant que tel exposé n’est franchement pas intéressant, comment pourrait-il mettre tout son cœur à l’ouvrage ? Pourquoi s’en tiendrait-il au règlement si l’on prend toujours fait et cause pour lui, quoi qu’il fasse ?[9]" Comment évoluer dans les deux sphères si les codes et les valeurs ne sont pas les mêmes ?

Le va et vient de l'enfant entre les deux milieux peut être source de coopération ou de conflit selon la relation établie, les valeurs partagées, le moment, les évènements, etc. En cas de conflit, il est vu comme un agent double et est alors pris dans des gages de loyauté. S'il y a coopération, c'est un agent de liaison qui permet les échanges bénéfiques et le rapprochement. [10]Dans un souci de co-éducation, il est essentiel de construire en commun une cohérence dans les discours à l'enfant en visant son épanouissement, son bien-être et sa réussite scolaire.

Quels messages faire transiter par l’enfant ?

Selon l'objet du message (difficultés scolaires, comportement), la présence ou le transit par l'enfant n'est pas toujours souhaité ou souhaitable. Les enfants eux-mêmes ne sont pas toujours à l'aise de transmettre ou traduire des messages et privilégient le positif.[11] Faut-il passer par l'enfant pour communiquer ? Faudrait-il communiquer aussi quand le message est positif, quand cela va bien plutôt que de contacter les parents en dehors de communications formelles seulement quand il y a un problème ? Dans ce sens, il faudrait éviter de se limiter aux annotations négatives, être positif et constructif[12] et harmoniser les échanges relatifs au développement de l'enfant.

Il y a des situations où cela semble moins facile pour l'enfant d'être messager. Il s'agit de cas où il doit lire, traduire ou expliquer le message à ses parents… L'enfant est alors dans un rôle qui n'est pas le sien, endosse des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Il est mis à mal… Ces enfants doivent parfois faire part de comportements difficiles, de difficultés scolaires, etc. N'est-ce pas plutôt le rôle de l'enseignant ? Ils deviennent d'autres fois des "enfants-adultes" qui expliquent à leurs parents les messages (et parfois les codes) de l'école. Ne vaudrait-il mieux pas créer la rencontre avec les parents pour communiquer entre adultes ?

Reste la problématique plus spécifique de l'enfant traducteur quand les parents ne parlent pas le français. Il faudrait plutôt recourir à un adulte (un membre du personnel scolaire, un proche des parents, un service de traduction…).

Cela soulève l'importance de la communication directe, des rendez-vous et des réunions, de la collaboration harmonieuse entre parents et enseignants. L'enfant n'est pas le relais de tous les messages scolaires !

Plusieurs pistes sont à prendre en compte. L'idée est de favoriser tous les moyens permettant d'échanger directement, sereinement et sans jugement ; d'établir des modes de communication opérationnels ; de prendre en compte les pratiques langagières différenciées ; de formuler ses propos de manière accessible ; etc.

De plus, quelle que soit la situation familiale, il semble judicieux d'éviter de placer l'enfant en porte-à-faux. "Pour ne pas le mettre en porte-à-faux, parents comme profs doivent faire attention au contenu des mots qu’ils échangent, et informer l’enfant de ce qu’ils écrivent dans son carnet de correspondance. Cela suppose aussi d’éviter de lancer des petites phrases du type ‘ta maîtresse, de toute façon, elle est comme ça’ ou ‘tes parents, une fois de plus, n’ont pas signé ton cahier’[13]"

Conclusion

Une trop grande place est donnée à l'enfant dans la communication entre la famille et l'école. C'est un informateur actif qui transmet la majorité des messages. Selon son âge, il connait un minimum la teneur des messages qu'il transmet et l'impact de ceux-ci. Il va donc pouvoir développer des stratégies. Agent double ou agent de liaison, selon le contexte et la qualité de la relation, il peut se comporter différemment, agir de manière sélective et stratégique pour défendre ses intérêts. Sa vision de ceux-ci n'est pas forcément la même que celle des adultes…

Pour l'enfant go-between, une contradiction totale entre les deux milieux n'est pas bénéfique, mais une parfaite complicité non plus, il doit garder une certaine liberté d'action. Selon nous, pour les partenaires éducatifs, il semble judicieux de dialoguer pour clarifier les règles de la communication directe ou au travers de l'enfant. L'essentiel est de coopérer en visant l'intérêt de l'enfant.

Dans ce sens, pour laisser l'enfant à sa place d'élève sans en faire le responsable de la communication école-famille, il faudrait limiter les messages passant par lui. Les éléments clés sont la concertation, la saisie des opportunités de communication directe, l'utilisation du message en vue de rencontres, des formulations accessibles, une communication opérationnelle.

Laissons l'enfant à sa place ! Celui-ci n'est pas un acteur neutre… Laissons-lui l'opportunité de participer aux échanges, sans lui donner des responsabilités qui ne sont pas les siennes. L'enfant n'a pas à être le relais de tous les messages scolaires !

 

 

    Alice Pierard

 

 


[1] Il s’agit bien ici seulement de messages écrits ou oraux et non de transmission d’argent sous enveloppe. Transit d’argent qui n'a plus lieu d’être sous cette forme.

[2] PERRENOUD Philippe, Le go-between : entre sa famille et l'école, l'enfant messager et message, Genève, 1987.

[3] HUMBEECK Bruno, Le regard des professionnels sur la famille en milieu défavorisé et le modèle de co-éducation. Changer son regard. Etre à l’écoute. Valoriser les compétences. Travailler ensemble à l’épanouissement de l’enfant, Université de Mons.

[4] THOLLEMBECK Julie, L'enfant, à la croisée des chemins entre parents et enseignants, Analyse UFAPEC N°22.09, 2009, p. 4.

[5] TESSARO Walther, "l'élève acteur des relations famille-école : stratégies de transmission des messages", in Varia, revue suisse des sciences de l'éducation, n°26, 2004, p 329.

[6] PERRENOUD Philippe, op cit.

[7] Informations plus complètes à ce sujet en annexe.

[8] TESSARO Walther, op cit., p 336.

[9] DJAVADI Aurélie, "A la maison, comment soutenir l'école et les enseignants", publié sur vosquestionsdeparents.fr, 20 mai 2012.

[10] PERRENOUD Philippe, op cit.

[11] MAYORAZ Brigitte, Le rôle de l'enfant migrant dans la relation parents-enseignants, Saint-Maurice, Mars 2006.

[12] Modèle de transmission de messages positifs en annexe.

[13] DJAVADI Aurélie, op cit.

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