Analyse UFAPEC décembre 2019 par B. Loriers

34.19/ L’école maternelle initie-t-elle suffisamment à la lecture ?

Introduction

Nombreux parents et enseignants nous disent être étonnés par le niveau de lecture trop bas des enfants. Pour appuyer ce constat, les derniers résultats de l’enquête PISA donnent des chiffres qui ressemblent, même si ce n’est pas vraiment le cas, à un mauvais bulletin pour les élèves francophones.

Il n’est aucunement question ici de prétendre que l’enseignement maternel doit apprendre à lire aux élèves, mais de voir si cet enseignement permet aux élèves de se familiariser avec la lecture. Pourquoi cette question ? La maîtrise de l’écrit est une nécessité pour évoluer dans les autres apprentissages. La lecture est aussi un gage d’intégration sociale et professionnelle : trouver un emploi, mais aussi simplement acheter un ticket de train, faire ses courses, effectuer un virement bancaire, s’y retrouver dans un mode d’emploi…. La lecture est donc indispensable pour vivre dans notre société, et pourtant, l’A.S.B.L. Lire et écrire le confirme, on estime que 10% des adultes en Fédération Wallonie-Bruxelles sont en difficulté par rapport aux savoirs de base, dont la lecture[1].

Mais faut-il pour autant commencer l’approche de la lecture dès la maternelle, n’est-ce pas tôt ? On est en droit de se poser la question : certaines personnes pensent qu’il ne faut pas aller trop vite, que le rôle de l’école maternelle n’est pas d’apprendre à lire. Si l’école maternelle ne doit pas apprendre à lire, ne se doit-elle pas de familiariser au monde de l’écrit ? Il faut savoir que l’enseignement maternel est la clé de l’accrochage scolaire des élèves, tout spécialement des élèves moins à l’aise avec le système scolaire, dont une grande majorité des élèves de milieux précarisés[2]. Les enseignants de l’école maternelle ont-ils une approche suffisamment réflexive, et pas seulement utilitaire, de la langue d’enseignement ?

Alors, comment peut-on agir, à l’école maternelle, pour familiariser nos enfants à la lecture ? Nous verrons que chaque plan de pilotage, chaque conseil de participation et chaque association de parents peut s’emparer du thème de la lecture. Le Pacte pour un enseignement d’excellence y accorde également une place très importante. C’est notamment pour cette raison, nous y reviendrons, qu’un référentiel des compétences initiales a été rédigé pour que les enseignants préscolaires sachent ce qui est attendu en ce domaine.

Enfin, nous proposons dans cette analyse une des pistes pour aborder la lecture avec les enfants dès le plus jeune âge : la lecture interactive, à l’école et à la maison.

Constat

Comme lors de la dernière édition portant sur l'année 2015, les résultats des élèves francophones aux épreuves PISA catégorie lecture ne sont pas les meilleurs. Avec un score de 481, la Fédération Wallonie-Bruxelles est en-dessous de la moyenne OCDE (487). La Flandre, avec un score de 502, est, elle, mieux classée. Mais que ce soit dans les pays de l'OCDE ou en Belgique, les performances en lecture baissent partout. Ainsi que l’intérêt pour la lecture puisque l'enquête relève qu'un élève francophone sur deux ne lit que parce qu'il y est obligé. Dominique Lafontaine, professeure en sciences de l’éducation à l’ULiège relativise ce constat : on associe ici le mot lecture à la lecture sur papier et en particulier la lecture de livres. Il y a bien un recul de ces pratiques de lecture traditionnelle, mais il faut préciser que les jeunes lisent l’information essentiellement sur des supports numériques[3].

Pour Jean-Pierre Darimont, conseiller pédagogique au SeGEC, il y a des adolescents lecteurs boulimiques, qui évacuent les lectures scolaires prescrites au profit d'énormes briques qu'ils prennent plaisir à lire, et à l'autre extrémité, pour certains élèves, 20 pages de lecture est une corvée absolue. L'envie de lire vient de la capacité à lire. Il y a une vieille tradition francophone considérant que c'est en lisant qu'on devient lecteur et qu'une fois le premier degré du fondamental passé, le déchiffrage installé, c'est juste une question d'entraînement. Or, beaucoup d'élèves ont besoin qu'on leur enseigne la compréhension à la lecture plus loin dans le cursus, en secondaire et même jusque dans les études supérieures, où les tâches de lecture changent, par exemple lorsqu'il s'agit de lire des articles scientifiques[4].

Débat : l’école maternelle initie-t-elle suffisamment à la lecture ?

Sans vouloir d’aucune manière « primariser » l’école maternelle, qui n’est pas le lieu de l’apprentissage formalisé de la lecture, cet enseignement doit-il préparer tous les enfants à développer des habilités sous-jacentes à l’apprentissage de la lecture ? Ces habilités sont généralement socialement discriminatrices. Des recherches ont pu démontrer que les enfants qui se montraient les plus compétents dans ces habiletés appartiennent plutôt à des milieux favorisés et que ce sont ces mêmes enfants qui réussissent mieux les tests de lecture. Nous avons vu que, pour apprendre à lire, l’enfant va devoir faire la correspondance entre des graphèmes (lettre ou groupe de lettres) et des phonèmes L’apprenti lecteur va devoir prendre conscience de l’existence des mots, des syllabes et puis des phonèmes[5].

L’école maternelle doit donc aider à développer des compétences langagières et c’est, notamment dans ce contexte, que l’obligation scolaire a été ramenée à 5 ans à partir du 1er septembre 2020, ce dont l’UFAPEC se réjouit, étant donné le rôle fondamental que joue l’école maternelle, entre autres, dans l’apprentissage de la langue officielle d’enseignement[6].

Mais l’approche de l’écrit est-elle suffisamment abordée dans la formation initiale et continuée des instituteurs et institutrices préscolaires ? Dans une précédente analyse, l’UFAPEC pointait déjà cette lacune. Pour que l’enfant développe un maximum de compétences langagières, il est nécessaire que les enseignants maternels aient une plus grande maitrise du français avec des compétences métalinguistiques, une connaissance et une reconnaissance de la culture et de la langue d’origine des publics précarisés. Cela passe par l’adaptation de la formation initiale et continuée et par un accompagnement des enseignants sur le terrain[7].

La Fondation Roi Baudouin s’est penchée de manière approfondie sur ce sujet et elle recommande aux enseignants maternels d’être vigilants concernant leur propre maîtrise du français, car chacun entreprend sa formation avec ses connaissances en français parfois solides, parfois plus faibles[8].

Nous sommes convaincus que la langue de scolarisation doit être approfondie dans la formation des enseignants. A ce propos, un cahier des charges pour l’école maternelle vient d’être adopté en mai 2019. Il s’agit du référentiel des compétences initiales[9], qui sera déployé dès septembre 2020. C’est la première fois qu’un tel référentiel est établi pour l’école maternelle. Il doit donner des balises aux enseignants pour organiser les premiers apprentissages. Ce référentiel est salué par les formateurs d’enseignants maternels, mais il pose quand même question à certains. S’agissant de la langue d’apprentissage, l’entrée à l’école représente pour beaucoup d’enfants une véritable entreprise d’acculturation qui exige d’acquérir un langage nouveau (choix des mots, intonations, consignes, prise de parole, rapport à l’autorité…). Or, la version actuelle du référentiel n’est pas suffisamment ambitieuse en la matière, elle aborde la langue de scolarisation de manière simpliste[10].. D’autres le considère comme abouti et permettant un véritable enseignement en cohérence avec l’âge et le développement des enfants.

Le Pacte pour un enseignement d’excellence insiste pour que soient privilégiées des interventions qui visent, dès l’enseignement maternel, à réduire les inégalités constatées dans les acquis langagiers, en fonction de l’origine sociale et culturelle. Il s’agirait de faire bénéficier les élèves, en particulier les élèves scolarisés dans les écoles défavorisées, et dès l’enseignement maternel, de programmes dont l’efficacité a été montrée permettant de prévenir les difficultés d’apprentissage de la lecture[11].

La maîtrise de la langue d’enseignement, donc aussi lecture, est depuis longtemps une priorité pour les parents de l’UFAPEC. Ce thème est d’ailleurs présent dans les revendications du Mémorandum 2019 : les parents de l’UFAPEC demandent de promouvoir les initiatives qui développent le goût de la lecture, et de mettre en place des dispositifs qui améliorent les compétences en lecture des enfants[12].

Le décret « Missions » du 24 juillet 1997, modifié le 13 septembre 2018, précise que chaque établissement, dans le cadre de son plan de pilotage, devra identifier parmi 15 thématiques celles qui nécessitent des actions nouvelles à mettre en œuvre prioritairement, dont : l’apprentissage et l’accès à la culture et à la lecture ainsi que les collaborations nouées avec les institutions culturelles et de lecture publique de la zone[13]..

Il serait intéressant que le conseil de participation, dans lequel les parents sont représentés, se penche sur le sujet de la lecture, en établissant aussi un lien avec l’association de parents de l’école. Nous avons écho de nombreuses initiatives d’AP qui tournent autour de la lecture, telles que la mise sur pied et l’organisation d’une bibliothèque dans l’école, des midis contés, des prêts de livres...

Une des pistes pour familiariser à la lecture : la lecture interactive

De quoi s’agit-il ? Nous avons interrogé[14] Nathalie Thomas, logopède, chercheuse à l’ULB et initiatrice de l’outil de la lecture interactive. Un premier objectif de la lecture interactive est de transformer le moment de lecture en une discussion active avec les enfants. Ces échanges maximisent leurs apprentissages. En effet, les enfants apprennent surtout grâce aux interactions sociales qu’ils ont avec les adultes et les autres enfants. Lors de la lecture, l’adulte s’interrompt, pose des questions sur le texte et sur les images, sur leur vécu en lien avec l’histoire. Il reprend le livre à plusieurs reprises, les jours suivants, pour approfondir la compréhension du récit avec les enfants. Pour ce faire, les albums jeunesse sont privilégiés. La lecture interactive s’adresse aux enfants dès le plus jeune âge. Un second objectif est de stimuler les prérequis à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, en mettant l’accent sur le plaisir de lire, à l’école et à la maison. Enseignants et parents peuvent semer de petites graines pour développer l’intérêt envers le livre et la lecture.

Des exemples d’interactions ? On peut par exemple interagir à propos des conventions de lecture : demander aux enfants quel est le titre du livre, qui en est l’auteur, suivre avec son doigt la phrase que l’on est en train de lire pour montrer le sens de la lecture. On peut aussi décoder avec eux les images et parler des émotions, expliquer : tiens, pourquoi l’enfant du livre a-t-il l’air triste ? Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Pour le texte, on s’interrompt régulièrement pour vérifier que tel mot de vocabulaire est compris, pour le placer dans un autre contexte, que les enfants connaissent. Cela permet de consolider les informations qu’ils reçoivent, et ainsi de renforcer leurs apprentissages.

En quoi la lecture interactive prépare-t-elle à l’école primaire ? Les interruptions proposées par l’adulte concernent des prérequis importants à l’apprentissage de l’écrit. Pour apprendre à lire et à écrire au début de l’école primaire, les conventions de l’écrit, la connaissance des lettres et la conscience phonologique (plutôt pour les enseignants, à l’école) sont des prédicteurs de réussite très importants. Plus tard, un vocabulaire littéraire riche et de bonnes capacités de compréhension faciliteront la production et la compréhension de phrases et de textes. Tous ces éléments sont stimulés grâce à la lecture interactive, dans un contexte d’apprentissage positif.

Pourquoi la lecture interactive peut-elle prévenir les inégalités langagières entre enfants ? Nathalie Thomas explique que certaines familles disposent de nombreux livres, et prennent le temps de lire avec leur enfant, qui va apprendre les codes de l’écrit de manière plus ou moins implicite. Dans d’autres familles, il n’y a pas ou peu de livres et le rôle de l’école maternelle est donc essentiel pour exposer les enfants aux codes de la lecture et de l’écriture et au langage des livres. Parent ou enseignant, en expliquant différents éléments du livre (conventions de lecture, vocabulaire, compréhension du récit …), vont permettre à l’enfant de développer ses connaissances et son langage. En raisonnant à voix haute, ils donnent accès aux enfants au langage de la pensée et leur permettent de mieux décoder les récits.[15]

Conclusion

Pourquoi accorder une telle importance à l’initiation de la lecture en maternelle ? La lecture est indispensable pour les apprentissages et elle est un facteur d’intégration dans notre société, ce qui, convenons-en, est un enjeu de taille. Pourtant, tous les enfants ne démarrent pas avec la même chance. Certains enfants ont des parents qui lisent des histoires, éveillent à l’écrit, à la lecture et qui leur demandent systématiquement ce qu’ils ont compris. D’autres, non. Si l’école ne fait pas baigner les enfants dans l’écrit dès la maternelle, elle risque de laisser sur le chemin des enfants en rupture avec la lecture[16]. La réforme actuelle du Pacte pour un enseignement d’excellence insiste sur l’importance de réduire les inégalités dans les acquis langagiers, notamment en mettant au point des programmes qui peuvent réduire les difficultés d’apprentissage de la lecture, dès l’enseignement maternel.

Les résultats de l’enquête PISA nous rappellent les progrès à réaliser en matière de lecture pour nos élèves. Une des pistes pour sensibiliser les élèves à l’écrit est de développer au sein de chaque école une coéducation constructive entre ce qui est vu en classe et ce que les parents peuvent vivre à la maison avec leur enfant. Au niveau de l’ensemble de l’école, des projets « lecture » peuvent être mis sur pied, notamment dans le cadre du plan de pilotage, en dialogue avec le conseil de participation et l’association de parents de chaque école.

La formation initiale et continue des enseignants de l’école maternelle est-elle suffisamment développée en matière de lecture ? Nous avons vu qu’elle doit être renforcée, afin qu’ils aient une plus grande maitrise de la langue et une approche réflexive de la langue et pas seulement utilitaire.

Nous sommes conscients qu’il y a de nombreux moyens pour familiariser les jeunes enfants à la lecture. L’outil de la lecture interactive, que nous venons d’aborder, est une des pistes possibles pour initier les enfants, dès le plus jeune âge, à l’écrit. La notion de plaisir, qui est un des piliers de la lecture interactive, est une notion fondamentale pour accrocher à la lecture et permettre à chaque enfant de devenir lecteur en y prenant goût.

 

Bénédicte Loriers

 

 


[2] HOUSSONLOGE D., L’apprentissage du français à l’école maternelle, un enjeu scolaire et social de taille, analyse n°26, 2015 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2015/2615-maternelles-francais.pdf

[4] Idem.

[5] REY B. (sous la direction de), L’entrée dans l’écrit à l’école maternelle, outil d’accompagnement aux pratiques de classe, Fédération Wallonie-Bruxelles, avril 2007 : http://docplayer.fr/8410622-L-entree-dans-l-ecrit-a-l-ecole-maternelle.html

[6] HOUSSONLOGE D., op. cit.

[7] HOUSSONLOGE D., op. cit.

[8] L’école maternelle en grand, Fondation Roi Baudouin, février 2019, p. 64 : https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2019/20190215NT

[9] Circulaire n°7119, Formation tronc commun - Référentiel des compétences initiales. http://www.enseignement.be/index.php?page=26823&do_id=7363

[10] BURGRAFF E. Maternelles, le référentiel des compétences pose question, in Le Soir mis en ligne le 28 novembre 2019 : https://plus.lesoir.be/263501/article/2019-11-28/maternelles-le-referentiel-de-competences-pose-question

[11]Avis n°3 du Groupe central du Pacte pour un enseignement d’excellence, 7 mars 2017, p. 288 : http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/05/PACTE-Avis3_versionfinale.pdf

[13] Article 67 §4 7° k) du décret du 13 septembre 2018 modifiant le Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les

relations entre la Communauté française et les établissements scolaires : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/45594_000.pdf

[14] Interview de Nathalie Thomas réalisée le mardi 26 novembre 2019 par Bénédicte Loriers.

[15] Pour en savoir plus sur la lecture interactive, lire la brochure : La lecture interactive : un outil de stimulation des habiletés langagières et d’éveil à l’écrit grâce aux albums jeunesse, par Nathalie Thomas et Christel Regaert. https://crcn.ulb.ac.be/wp-content/uploads/2018/10/BrochureLectureInteractive.pdf

[16] SCHMIDT JP, Les méthodes de lecture suffisent-elles pour apprendre à lire ? analyse UFAPEC n°28, 2018, http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2018/2818-Methode-de-lecture.pdf

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