Analyse UFAPEC 2008 par J-L Van Kempen

06.08/ Causes et fonctionnement de la hiérarchisation entre les écoles secondaires

Le système d’enseignement secondaire en Belgique se caractérise par de très grandes différences de niveaux entre les élèves et entre les établissements scolaires. Cette constatation a été notamment faite dans le cadre des enquêtes internationales menées par PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves).

De très grandes dispersions des résultats entre les élèves

Lorsqu’on évalue les résultats des élèves en lecture, en mathématiques et en sciences, on observe une très grande dispersion : à côté d’une minorité d’élèves compétents à très compétents, on trouve un groupe très important d’élèves faibles à très faibles(1). Les écarts-types (c’est-à-dire les différences entre les meilleurs élèves et les moins bons) entre les élèves de la communauté française sont de 111 en français, 109 en mathématiques et 122 en sciences.

Ces écarts sont fortement influencés par le milieu social de l’élève

Les résultats des élèves sont directement liés au statut socioprofessionnel des parents.

«De tous les systèmes éducatifs des pays participant à PISA, c’est en Communauté française de Belgique que l’incidence du statut socioprofessionnel des parents sur les performances en lecture des élèves se marque le plus. Un élève dont les parents exercent une profession peu élevée dans la hiérarchie des revenus court ainsi chez nous un risque plus important qu’ailleurs de figurer parmi les 25 % d’élèves les plus faibles en lecture. Ce risque est 2,8 fois plus élevé par rapport à un élève dont les parents exercent une profession prestigieuse (quartile supérieur de l’indice). La valeur moyenne d’un tel risque dans les pays de l’OCDE est de 2.»(2)

Dans notre système, les résultats des élèves dépendent, dans une large mesure de leur origine sociale. Notre système scolaire ne parvient donc pas à pallier les inégalités sociales de départ.

De très grandes dispersions des résultats entre les écoles

De plus, il apparaît que les bons élèves se retrouvent généralement dans des écoles différentes des élèves qui connaissent plus de difficultés, ce qui favorise la dualisation entre les écoles « favorisées » et « défavorisées ».

« De nombreuses études ont montré combien les établissements scolaires pouvaient différer les uns des autres du point de vue des caractéristiques de leurs élèves. En d’autres termes, en Communauté française, les écoles auraient tendance à concentrer des populations scolaires qui ont tendance à se ressembler au point de vue du niveau des acquis et des caractéristiques socioéconomiques des élèves. »(3)

La hiérarchisation entre les écoles

Le système scolaire belge se caractérise donc par une « hiérarchisation » entre les établissements. Certains bénéficient d’une bonne réputation et d’autres pas. Les écoles étant subventionnées par la Communauté française en fonction du nombre d’élèves, il existe une concurrence entre les écoles en vue, d’une part, de maintenir ou d’augmenter le nombre d’élèves et, d’autre part, d’attirer les élèves qui sont considérés comme les moins difficiles et qui posent, dès lors, moins de problèmes de discipline et d’organisation générale.

Les «interdépendances compétitives» entre les écoles

Cette compétition entre les écoles est surtout visible dans les grandes villes qui constituent des « espaces d’interdépendances compétitives » : « il s’agit d’un espace de relations d’interdépendances principalement suscitées par une situation de ‘compétition’ entre ces écoles par rapport à diverses ‘ressources’ qui leur importent, qui sont nécessaires ou utiles à leur survie, à leur développement. Bref, ces ressources constituent des enjeux pour les écoles de l’espace considéré. Ces ressources sont en général les élèves (leur nombre ou leurs qualités sociales ou scolaires) mais elles peuvent aussi concerner, de façon plus ou moins liée, les professeurs, la réputation de l’école ou encore les moyens financiers. La compétition de premier ordre concerne le nombre d’élèves. Dans une situation de surplus des places offertes, la compétition peut ainsi se focaliser d’abord sur le nombre d’élèves (…). La compétition de second ordre porte sur les caractéristiques des élèves (caractéristiques en termes académiques de comportement, d’origine sociale ou ethnique, etc.) ».(4)

La hiérarchisation entre écoles secondaires est directement liée aux sections qui y sont organisées aux 2ème et 3ème degrés. Les écoles dont l’offre d’enseignement est centrée sur le général bénéficient d’une meilleure réputation que celles qui proposent plutôt des sections de qualification.

« La hiérarchisation entre établissements se produit par le biais de la ségrégation du public scolaire en fonction du retard et, partant de son aptitude. Cette forme de ségrégation est accentuée par l’existence de différentes filières de formation (qualification et transition) qui, loin de constituer des alternatives équivalentes, sont elles-mêmes hiérarchisées car différemment valorisées par la société. »(5)

La bonne réputation des écoles d’enseignement général dépend, d’une part, des meilleurs résultats scolaires obtenus par les élèves et, d’autre part, du niveau social de ces derniers.

Si la ségrégation entre les élèves influence l’inscription des élèves en 1ère année secondaire, elle a tendance à s’accentuer dans le cursus scolaire.

« Dans les établissements du haut de la hiérarchie, les départs se réalisent au fur et à mesure que l’on avance dans les années scolaires, ils sont dans la majorité des cas le produit d’un échec ou de difficultés en termes d’apprentissage. Les élèves qui quittent ces établissements se dirigent alors le plus souvent vers d’autres établissements situés plus bas dans la hiérarchie.

Dans le bas de la hiérarchie, les établissements connaissent une arrivée massive d’élèves en 3ème année, c’est-à-dire au terme du premier degré. Ces arrivées sont le plus souvent le fait d’élèves qui ont échoué ou qui ont connu des difficultés au cours du premier degré dans d’autres établissements. »(6)

Dès lors, « l’analyse de la mobilité des élèves entre les écoles et l’asymétrie des flux d’élèves entre écoles est révélatrice de leurs positions. Les établissements qui fournissent davantage d’élèves qu’ils n’en reçoivent sont mieux positionnés dans la hiérarchie locale et perçue des établissements dans la mesure où les positions sont associées à des valorisations différenciées des écoles d’après leurs qualités académiques perçues (types de filières ou d’options, retard scolaire) ou des caractéristiques sociales de leurs publics. »(7)

L’indice socioéconomique des élèves selon la section d’enseignement

Les élèves de l’enseignement général connaissent moins de redoublements que dans les autres filières : en 3ème général, ils sont 74,1 % à n’avoir jamais doublé, contre 50,5 % en 3ème technique de transition, 35 % en 3ème technique de qualification et 24,9 % en 3ème professionnelle. En 6ème secondaire, ces proportions sont respectivement de 67,5 %, 32,1 %, 25,7 % et 19,4 % .(8)

Il existe également de grandes disparités socioéconomiques entre les élèves selon les sections fréquentées. En considérant que l’indice socioéconomique moyen est équivalent à 0, il apparaît que les élèves qui fréquentent la 3ème générale bénéficient d’un indice socioéconomique moyen de + 0,25 et de + 0,14 en 3ème année de technique de transition. Cet indice descend à – 0,12 en 3ème année de qualification et – 0,41 en 3ème professionnelle(9).

L’élève défavorisé au départ par le milieu social pourrait aussi se retrouver dans une institution qui ne réunit pas nécessairement toutes les conditions d’un meilleur apprentissage.

« Cette ségrégation entre établissements peut renforcer les inégalités de réussite scolaire car les travaux sur l’effet de la ‘composition sociale’ du public scolaire de l’établissement ont montré que les résultats des élèves, à caractéristiques individuelles identiques, dépendaient aussi de l’établissement qu’ils fréquentent. Pour M. Thrupp (10) l’effet de composition du public scolaire des établissements est susceptible d’affecter l’efficacité de l’apprentissage de 3 façons :

  1. L’apprentissage est influencé par un ‘effet de pairs’ qui varie selon la composition sociale et académique des élèves de l’école (ou des classes en leur sein).
  2. Les programmes, buts et styles d’enseignement tendent à être différents selon la composition sociale et académique des écoles.
  3. Au niveau de la gestion de l’école, dans les écoles ‘difficiles’, la direction et le staff de l’école devront passer plus de temps à la guidance et au suivi des élèves, à la gestion de la discipline et des situations de ‘crise’, et au maintien du moral et de la motivation des enseignants »(11).

Conclusions

Lorsque les résultats des enquêtes PISA sont publiés régulièrement, les médias mettent surtout en évidence la faible moyenne obtenue par les élèves francophones par rapport à une trentaine d’autres pays ou communautés, ce qui place la Communauté française de Belgique bien derrière la Finlande, la Communauté flamande, la Communauté germanophone, les Pays-Bas, etc.

La presse devrait plutôt attirer l’attention du grand public sur les grandes disparités entre les élèves francophones et entre les établissements scolaires parce que c’est à ce niveau que se situe le problème le plus préoccupant.

Malgré les bonnes intentions et les réformes, notre système d’enseignement reste fortement hiérarchisé dans la mesure où le niveau social des enfants détermine, de manière très importante, leur réussite.

Derrière le discours ambiant de l’école accessible à tous et de l’école de la réussite, se cache une hiérarchie secrète du curriculum qui va de l’enseignement général vers l’enseignement de qualification. Et même à l’intérieur de l’enseignement général, il existe, chez certains, des stratégies de classement par niveaux, par groupes de besoins, etc.

L’intérêt d’une enquête internationale, comme PISA, est de montrer qu’il est possible de faire autrement parce qu’il existe dans le monde des systèmes d’enseignement qui sont à la fois efficaces et équitables pour tous les enfants.


Jean-Luc van Kempen

 

 


(1)Pour la compréhension de l’écrit, 7,5 % des élèves belges francophones atteignent le niveau 5 (le plus élevé), 20,4 % le niveau 4, 15,9 % le niveau 1 et 12,3 % le niveau inférieur au niveau 1 (pisa 2000).
En mathématiques, 4,4 %des élèves atteignent le niveau 6, 11,7 % le niveau 5, 12,7 % le niveau 1 et 10,4 % sont situés en-dessous du niveau 1 (pisa 2003).
En sciences, niveau 6 : 1 %, niveau 5 : 6 %, niveau 1 : 16 %, en dessous de 1 : 8 % (pisa 2006).
(2)Dominique LAFONTAINE, Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale – Université de Liège, 2003.
(3)Les indicateurs de l’enseignement, n° 1, édition 2006.
(4)Christian MAROY, Ecole, régulation et marché, une comparaison de six espaces scolaires locaux en Europe, PUF, octobre 2006, p 95.
(5)Christian MAROY, L’enseignement secondaire et ses enseignants, de Boeck, Pédagogies en développement, Bruxelles, 2002, p 54.
(6)Eric MANGEZ, Réformer les contenus d’enseignement, Education et société, PUF, avril 2008.
(7) Christian MAROY, op.cit. (p 95).
(8) CFWB, Service des Statistiques, 2003, année 2002-2003.
(9) Les indicateurs de l’enseignement, n° 2, édition 2007. L’indice socioéconomique est calculé selon 11 critères qui caractérisent la population du lieu de résidence des élèves (revenus moyens, nombre moyen de diplômes obtenus, taux de chômage, part des professionnels de « haut » et de « bas » « standing », niveau de confort des logements, etc.).
(10) M. THRUPP, Schools making a difference. Let’s be realistic; Buckingam, Open University Press, 1999.
(11) Christian MAROY, op.cit., p 99.
 

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