Analyse UFAPEC 2008 par J-L. van Kempen

05.08/ Comment les écoles de l’enseignement secondaire soignent-elles leur image de marque ?

La concurrence qui se joue entre les écoles secondaires ne se fait pas sur pied d’égalité. Certaines se trouvent en position de force et attirent plus facilement une population plutôt homogène, socio-économiquement et culturellement aisée, tandis que d’autres disposent d’une marge de manœuvre bien plus limitée et accueillent un nombre plus élevé d’enfants vivant des difficultés scolaires, familiales, sociales ou économique.

La répartition des élèves et hiérarchisation des écoles

«La répartition des élèves, principalement déterminée par le libre choix des parents mais aussi par les processus de relégation existant entre les établissements, produit des positions hiérarchisées des écoles. (…). Le classement hiérarchisé renvoie au concept de réputation. Celle-ci peut en effet être lue comme une hiérarchie instituée.»(1)

« Lorsqu’on interroge les directions sur la perception qu’ils ont de la motivation du choix de l’école par les familles, ils mettent généralement en exergue les trois critères suivants :

1. La réputation de l’institution,
2. l’atmosphère familiale et le traitement personnalisé de l’élève,
3. la discipline et le respect des traditions.

Les établissements d’enseignement de transition mettent surtout en exergue, plus souvent que les autres, le ‘niveau élevé des études’.

Les établissements de l’enseignement qualifiant insistent moins sur les exigences purement académiques mais évoquent plus souvent que d’autres l’atmosphère familiale et le traitement personnalisé de l’élève et le critère du «bon taux de placement sur le marché du travail».(2)

Cette réputation est également davantage fondée sur les caractéristiques des publics fréquentant une école.

Un des moyens d’évaluer le niveau de réputation de l’école consiste à analyser les flux d’élèves. Les mieux classées sont celles dont les élèves ont tendance à rester dans l’institution durant quelques années, voire durant l’entièreté de leurs études. Les écoles peuvent généralement être classées selon les critères de réception d’élèves issus d’autres écoles : la hiérarchisation s’établit entre celles qui ne reçoivent d’aucune école plus d’élèves qu’elles n’en donnent, jusqu’à celles qui se trouvent dans une situation inverse.(3)

Les « logiques d’action » afin de soigner sa réputation

Chaque catégorie d’écoles utilise une politique particulière (c’est-à-dire des «logiques d’action») afin de soigner sa réputation en vue de maintenir ou d’élargir le nombre d’élèves ou d’attirer certains qui présentent certaines caractéristiques sociales ou «académiques».

Trois grandes «logiques d’action» peuvent être dégagées.(4)

  • Dans les écoles favorisées :

Les établissements favorisés pratiquent le plus souvent une politique de «rentier». Ils profitent de leur très bonne réputation afin de continuer à attirer un public assez homogène. Ces écoles bénéficient d’une « auto-sélection » du public et attirent les élèves les plus performants.

Pour ces écoles, tout le monde a le droit de bénéficier d’un enseignement d’excellence, à condition de travailler et de le mériter. Ce sont les élèves qui doivent s’adapter au niveau, de sorte que la responsabilité de l’échec incombe à l’élève.

Exemples de pratiques : le maintien d’un niveau élevé d’exigence dans les matières les plus valorisées comme le français et les mathématiques, le maintien des langues anciennes,…
Dans les écoles de niveau moyen :

Ces établissements disposent généralement d’un public plus hétérogène et veilleront à préserver la fidélité des anciens et à attirer de nouveaux parents. Ils adopteront généralement une politique « d’entrepreneur ».

Ces écoles peuvent rechercher à préserver leur image, à éviter de devenir des écoles ghettos et à rester suffisamment attractives pour les classes moyennes. Ces établissements seront à l’affût de ce qui pourrait attirer le public en ouvrant des options « à la mode » qui rencontrent une demande.

Les logiques « d’entrepreneur » visent à améliorer leur fonctionnement interne. L’enjeu est plutôt organisationnel : il s’agit de préserver un bon climat à l’école.

Dans l’enseignement technique et professionnel, la stratégie consistera souvent à ouvrir une option dans le créneau de l’école en tenant compte des contingences matérielles, du marché de l’emploi, des ressources humaines disponibles dans l’école et de l’offre déjà existante à proximité.

Exemples de pratiques : classes bilingues, options « sports-études», «sciences sociales», « art d’expression », « infographie »,….

  • Dans les écoles défavorisées :

En ce qui concerne les établissements scolaires qui accueillent un public défavorisé, la logique dominante consistera plutôt à s’adapter au public accueilli.

On peut déceler dans ces écoles, une résignation et/ou une action offensive.

La résignation, parce que ces établissements s’estiment très dépendants des logiques de répartition des élèves résultant du comportement des parents et des logiques des autres établissements.

L’action offensive dans le sens où ces établissements veillent à s’adapter au public plus défavorisé et à instaurer un climat qui s’inscrit dans une logique de réussite vis-à-vis des élèves en difficulté. Ces écoles valoriseront des principes éthiques tels que « tous les élèves ont droit à une seconde chance ».

Exemples de pratiques : privilégier une fonction éducative et socialisatrice plutôt que de privilégier l’exigence et la progression dans des apprentissages académiques ;

Les enseignants qui travaillent dans les établissements moins favorisés peuvent aussi manifester de l’enthousiasme en mettant en évidence les spécificités de leur travail, comme l’a fait remarqué Eric Mangez dans le cadre d’une enquête menée auprès d’enseignants de la région de Charleroi :

«Tous les enseignants des établissements du bas de la hiérarchie affirment que tous leurs élèves ne sont pas comparables aux élèves d’autres établissements. (…) La hiérarchie des établissements n’est pas nécessairement remise en cause par les enseignants.
Certains le rendent légitime en qualifiant, avec une certaine fierté, leur établissement comme un établissement spécialisé dans les aspects relationnels du travail pédagogique»(5)

Les enseignants conçoivent donc leur fonction de manière bien différente selon qu’ils se trouvent dans une école favorisée ou une école défavorisée(6) :

 



Les établissements d’enseignement secondaire se situent donc dans une hiérarchie qui influence considérablement leur mode de fonctionnement aussi bien au niveau de l’offre d’enseignement, de la politique d’inscription que du type de travail assuré par les enseignants.

On pourrait penser que les concertations entre les écoles secondaires au niveau des zones d’enseignement pourraient favoriser une meilleure mixité sociale et une distribution plus équitable des offres d’enseignement. Il semblerait que les concertations locales ont pour effet de stabiliser, voire d’amplifier les différences entre établissements.

«La régulation par le marché reste déterminante et la régulation par une concertation locale des acteurs scolaires n’intervient qu’à la marge. Plus encore, on pourrait même avancer l’hypothèse que le statu quo se voit conforté pour trois raisons.

D’une part, la logique de négociation entre acteurs et la nécessaire préservation de la confiance et de la bonne entente mutuelle entraînent des ‘pactes de non agression’ qui confortent l’absence de pratiques concurrentielles agressives qui pourraient, parfois, mettre à mal la position d’un partenaire.

De plus, les coopérations sous forme de solidarités mais aussi sous forme de partenariats qui peuvent surgir du bon climat relationnel, se construisent à partir des positions hiérarchiques existantes des établissements.

Enfin, le fait que deux conseils de zone coexistent sur le même territoire (un pour le confessionnel et l’autre pour le non confessionnel) amène ceux-ci à se préoccuper de préserver ou de renforcer à chaque niveau de la hiérarchie la position concurrentielle des écoles de « leur réseau » par rapport aux autres. Bref, tout concourt à rendre la situation de hiérarchisation des établissements pratiquement inamovible.»(8)

Cette hiérarchisation entre établissements scolaires avait été évoquée par les enseignants dans le cadre de la consultation qui avait été organisée en 2004 :

«Si les inégalités préexistent à l’école, l’école les confirme et les approfondit. Ce problème, dont les enseignants du fondamental avaient déjà conscience, se démultiplie dans le secondaire. Bref, d’un côté la variété des filières, des établissements et des professeurs doit permettre à chaque type d’intelligence de s’épanouir. De l’autre, s’exprime une aspiration à un système scolaire moins hiérarchisé. (…) Il n’est pas facile pour les enseignants de sortir de ce paradoxe qui résume les contradictions, voire l’hypocrisie, d’un système scolaire qui s’est massifié sans se démocratiser, qui laisse entrevoir la réussite pour chacun tout en organisant structurellement la hiérarchisation des flux d’élèves.»(9)

Conclusions

Les directions d’écoles secondaires pensent généralement que les parents choisissent l’établissement scolaire d’après sa réputation.

Les écoles favorisées profitent généralement d’une très bonne réputation quant au niveau assez élevé des études et de la discipline qui y est instaurée.

Les autres écoles, soit essaient de maintenir une certaine hétérogénéité de la population scolaire en offrant des options susceptibles d’intéresser un nouveau public, soit s’adaptent entièrement à un public défavorisé et deviennent des écoles « ghettos ».

Selon l’établissement scolaire dans lequel ils exercent leur fonction, les enseignants adoptent des attitudes bien différentes à l’égard des élèves qui peuvent varier entre les deux conceptions suivantes : « ce sont les élèves qui doivent s’adapter au niveau » à « il faut réconcilier l’élève avec l’école ». Dans certains établissements, on insiste sur les acquis cognitifs des élèves, tandis que dans d’autres, on est plus préoccupé de leurs caractéristiques psychologiques, affectives et sociales.

Les élèves se répartissent entre les établissements scolaires selon leurs niveaux.

Si, en principe, tous les enfants ont la possibilité de s’inscrire dans toutes les écoles (a fortiori depuis l’interdiction des listes d’attentes prévue par le décret « inscriptions » qui est devenu « mixité » en 2008-2009), les élèves qui ne s’adaptent pas au niveau de l’école se verront orienter vers d’autres établissements scolaires réputés moins difficiles et/ou qui proposent des options qui sollicitent plutôt l’intelligence manuelle.

Cette répartition des élèves entre les écoles s’inscrit dans le cadre d’une hiérarchie entre les établissements scolaires qui a toutes les chances de se maintenir, même dans le cadre de concertations et de partenariats entre les écoles.


Jean-Luc van Kempen
 

 


(1)Magali Joseph, « Les pratiques internes des établissements, reflets de leur position dans la hiérarchie scolaire (colloque de CERISI-UCL du 12 mai 2004 : « Destins d’élèves et interdépendances entre écoles »).
(2)Christian MAROY, L’enseignement secondaire et ses enseignants, De Boeck, Pédagogies et développement, Bruxelles, 2002.
(3)Magali Joseph, op.cit.
(4)Christian MAROY, Ecole, régulation et marché, une comparaison de six espaces scolaires locaux en Europe, PUF, octobre 2006, p 131.
(5)Eric MANGEZ, Réformer les contenus d’enseignement, PUF, Education et société, avril 2008.
(6)Ce tableau comparatif a été élaboré sur la base des conclusions formulées dans le livre de Eric Mangez cité ci-dessus.
(7)BERNSTEIN Basil, “Class and pedagogies : Visible and invisible » in A. H. Halsey, H. Lauder, P. Brown, A. Stuart Wells (eds), Education. Culture Economy and Society, Oxford, Oxford University Press Inc, 59-79.
(8)Christian MAROY, Ecole, régulation et marché, une comparaison de six espaces scolaires locaux en Europe, PUF, octobre 2006, pp 349-350.
(9)AGERS, La consultation des enseignants du secondaire, rapport élaboré pour la Commission de Pilotage, mai 2004.

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