Analyse UFAPEC 2009 par M-N. Tenaerts

09.09/ L’apprentissage d’une culture dominante

Introduction

L’intégration semble être un mot clé dans la société actuelle. Intégration des populations d’origines étrangères, intégration des élèves jugés « déficients », intégration des personnes faiblement dotées en capitaux, etc. L’intégration semble être devenu le terme, au sens positif, de la personne à la marge de la société, ou tout simplement, ce que Erving Goffman aurait désigné comme l’individu stigmatisé. Les décrets se multiplient pour favoriser « l’accès à… » ce qui démontre les manquements qu’il y a, dans de nombreux domaines, pour viser l’égalité des chances.
Nous venons de démontrer, dans les analyses précédentes, les difficultés de définir « la » culture à apprendre et la complexité du rôle de l’école dans ce cadre. Nous nous attarderons dans ces lignes à comprendre la dialectique entre la culture dominante et légitime et la culture dominée, partant du constat de Yael Brinbaum, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales : « Ruine de l’autorité familiale, démission face à l’école, rejet de la culture scolaire. On en finit pas d’incriminer l’incurie des parents, et en particulier celles de ceux des jeunes des quartiers sensibles. Pourtant, il s’avère que la préoccupation scolaire n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui »[1].

Culture et acculturation

 
Il nous parait important, de prime abord, de proposer une définition des processus rencontrés dans cette dynamique.
L’acculturation, selon Cécilia Courbot, est « la formule décrivant l’ensemble des phénomènes et des processus qu’accompagne la rencontre entre deux cultures différentes »[2]. Pour Herskovitz, Linton et Redfield, l’acculturation « comprend les phénomènes qui surviennent lorsque des groupes d’individus de cultures différentes entrent en contact direct et continu, et que se produisent, des changements à l’intérieur des modèles culturels de l’un ou l’autre des deux groupes ou chez les deux »[3]. Linton donne à cela un complément d’analyse : « le phénomène de changement culturel se manifeste dans les connaissances, les attitudes, et les comportements. Il se produit par l’action de processus essentiellement psychologiques : apprentissage et oubli. Il est provoqué par des sentiments comme l’insatisfaction, l’anticipation, la curiosité, le désir de ressembler au groupe dominant. Pour sa part, le groupe dominant peut souhaiter diriger le processus, dans son effort de domination du milieu. Mais son action peut provoquer l’effet contraire, enrayer le processus, susciter des réactions anti-acculturantes »[4].
Dans cette analyse, Foulquié donne sens au mot acculturation en déclinant ce processus par : « l’intégration d’un individu ou d’un groupe à un milieu culturel étranger ; […] par l’intégration d’un individu à un milieu professionnel ; par […] l’accession de l’enfant par l’éducation à la culture de son milieu social »[5].
 
Yael Brinbaum suggère une analyse du rapport entre l’école et les familles d’origines étrangères : « les familles d’origines étrangères comptent sur l’école et les diplômes pour améliorer la condition de leurs enfants. Elles visent donc des objectifs élevés, mais ne disposent que rarement des moyens matériels et culturels nécessaires au soutient de ce projet »[6]. En effet, la norme scolaire postule l’apprentissage des référents culturels classiques, ce qui rend la tâche plus difficile encore pour des élèves en pleine acculturation. Ces mêmes élèves doivent concilier les efforts : apprentissage et maitrise d’une langue comme fondement premier.

Théorie de la domination culturelle ?

 
Une recherche action menée par Jean-Pierre Pourtois, professeur à l’université de Mons-Hainaut, nous renseigne sur la complexité de la tâche. Pourtois part du constat que les élèves, en fin de troisième année maternelle maitrisent un nombre très inégal de mots de vocabulaires : les familles qui stabilisent les connaissances apprises dans le cadre scolaire en fixant les mots de vocabulaires appris, obtiennent de nettement meilleurs résultats que les enfants qui ne pratiquent pas les mots de vocabulaires ou qui, tout simplement, ne maitrisent pas la langue de l’école. Une étude préliminaire du conseil de l’Europe apporte un complément qu’il convient de ne pas négliger. Pour l’auteur du rapport, une simplification hâtive est souvent réalisée et postule le fait que les enfants d’immigrés sont souvent considérés comme une catégorie qui rencontre des difficultés d’apprentissage (de la langue) à l’école et ont donc moins de chances de réussir dans les études. Pour Piet Van Avermaet, directeur du Centre pour la Diversité et l’Apprentissage, « la réussite scolaire n’est pas simplement liée à un niveau de maîtrise de la langue, mais plutôt à la façon dont les connaissances, compétences et attitudes sont transmises et conceptualisées à l’école et dans les différents milieux sociaux »[7]. En outre, Van Avermaet poursuit en précisant les obstacles liés à l’apprentissage, « dans le cas de certains enfants, ce qu’ils ont appris au stade de la première socialisation n’est pas adapté aux normes, schémas interactifs, modes de communication, codes linguistiques et méthodes d’acquisition des connaissances qui sont considérés comme acquis dans les écoles […]. Dans ces cas, l’on constate un décalage entre les compétences cognitives que les enfants sont censés acquérir à l’école et les schémas d’interaction qu’ils trouvent dans leur milieu familial »[8].  
 
Pour Brinbaum, « Les attentes des familles immigrées témoignent […] d’un investissement important. Encore faut-il qu’elles aient les moyens d’accompagner la scolarité de leurs enfants. Beaucoup d’entre elles ne le peuvent pas du fait de leurs difficultés en français et de leur manque de familiarité avec le système scolaire. Elles se sentent souvent dépassées, dès l’école primaire, où se joue l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ces familles sont très captives de l’offre de formation qui leur est faite et confrontées à la ségrégation scolaire et urbaine »[9]
Comme le souligne Brinbaum, « les immigrés privilégient les filières générales, exprimant très souvent le désir que leurs enfants poursuivent des études longues ; leurs aspiration scolaires sont souvent plus élevées que celles des autres élèves du même milieu social »[10]. Les familles immigrées croient donc fondamentalement au rôle positif de l’école sur la destinée des enfants et expriment leur désir de réussite pour ces derniers. En outre, et c’est un truisme, de grandes inégalités sociales subsistent. Les enfants issus de l’immigration, tout comme les enfants d’ouvriers, se retrouvent fréquemment en filières professionnelles. On se pose dès lors la question de voir les processus qui conduisent presque inévitablement à ce constat. Plusieurs hypothèses peuvent être émises par exemple quant à la faible maîtrise de la langue qu’éprouvent certains.
 
En outre, au niveau de la relation au savoir, les élèves issus de familles d’origines étrangères éprouvent également plus de difficultés : les références faites à une culture particulière avec laquelle ils n’avaient presque rien partagés peut être un facteur de complication. En effet, si l’on revient à la définition de la culture proposée par Roger Girod, « le rapport au savoir est une relation de sens et donc de valeur, entre un individu ou un groupe et les processus ou les produits du savoir. Les savoirs sont intégrés dans une dynamique qui prend en compte le psychisme de l’individu, son enracinement familial, sa culture sociale, à l’origine de ses motivations. C’est en fonction de ces éléments qu’ils prennent – ou non – un sens pour l’individu »[11]. Dans cette perspective, l’étude préliminaire du Conseil de l’Europe suggère de prendre en considération ces éléments : « les enseignants doivent être conscients du fait que le code qu’ils ont tendance à utiliser correspond à celui de certains groupes sociaux seulement. Il est important que ce code ne soit pas considéré comme l’unique norme d’apprentissage et de transformations des connaissances. Les modes de communication et codes linguistiques qui sont utilisés dans chaque groupe sociétal sont évalués et considérés comme valables par le groupe et par les membres. Ce sont là des différences culturelles et sociales que l’Institution scolaire doit prendre en compte dans son souci de combler les retards linguistiques ­­­­– et plus généralement le retard dans les compétences cognitives et autres – que les enfants issus de milieux défavorisés présentent bien souvent »[12].
 
On comprend donc mieux les précautions à prendre au niveau des apprentissages et de leur complexité, tant dans la répartition des rôles entre les deux premières instances de socialisation que dans les processus d’apprentissages même. Apprendre une culture qui n’est pas la sienne de prime abord est nettement plus complexe et ne se résume pas à l’apprentissage de la langue mais bien à l’intégration des schèmes de perception liés notamment au langage mais également à la culture de manière plus générale.
 
 
 Marie-Noëlle Tenaerts
Sociologue, chargée d’études et d’analyses
 
 
 
 
 
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[1] BRINBAUM Y., « Ambitions et désillusions des familles immigrées », in « sciences humaines », numéro spécial n°5 « l’école en questions »
[2] COURBOT C. « De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire. Petite histoire d’un terme connoté », in « Hypothèses », Publications de la Sorbonne, 1999-1, pp.121-129
[3] HERSKOVITZ, LINTON et REDFIELD, cité par COURBOT C. « De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire. Petite histoire d’un terme connoté », in « Hypothèses », Publications de la Sorbonne, 1999-1, pp.121-129
[4] LINTON cité par COURBOT C. « De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire. Petite histoire d’un terme connoté », in « Hypothèses », Publications de la Sorbonne, 1999-1, pp.121-129
[5] FOULQUIE P. cité par COURBOT C. « De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire. Petite histoire d’un terme connoté », in « Hypothèses », Publications de la Sorbonne, 1999-1, pp.121-129
[6] BRINBAUM Y., « Ambitions et désillusions des familles immigrées », in « sciences humaines », numéro spécial n°5 « l’école en questions »
[7] VAN AVERMAET P., « Elèves issus de milieux défavorisés et langues de scolarisation », Etude préliminaire, Langues de scolarisation, Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Strasbourg, 2006, p.6
[8] VAN AVERMAET P., « Elèves issus de milieux défavorisés et langues de scolarisation », Etude préliminaire, Langues de scolarisation, Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Strasbourg, 2006, pp.6-7
[9] BRINBAUM Y., « Ambitions et désillusions des familles immigrées », in « sciences humaines », numéro spécial n°5 « l’école en questions »
[10] BRINBAUM Y., « Ambitions et désillusions des familles immigrées », in « sciences humaines », numéro spécial n°5 « l’école en questions »
[11] GIROD R., « Que reste-t-il de nos connaissances ? »
[12] VAN AVERMAET P., « Elèves issus de milieux défavorisés et langues de scolarisation », Etude préliminaire, Langues de scolarisation, Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Strasbourg, 2006, pp.6-7

 

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