Analyse UFAPEC 2008 par D. Houssonloge

13.08/ Le partenariat école-famille. Ses bienfaits et ses limites.

Introduction


L’unanimité semble faite sur la nécessité de construire un partenariat école-famille. Pourtant, les professionnels de l’éducation et de l’enseignement n’ont de cesse de réclamer une meilleure collaboration et à l’inverse déplorent le malentendu voire la guerre entre l’école et la famille. Le partenariat école-famille, une idée nouvelle ? En quoi est-il souhaitable ? Quels objectifs peut-il viser, mais aussi quelles limites éventuelles à ses «bienfaits» ? Quelle doit être l’implication des parents dans l’école et dans la scolarité de leur enfant ? Quelles doivent être les relations des enseignants avec les familles ?

L’objet de cette analyse portera sur la participation ou la non participation parents-école. Les associations de parents ou autres formes de participations plus formalisées et collectives feront l’objet d’une publication ultérieure.

Sur le terrain


Le sujet interpelle et préoccupe. En 2005, le partenariat école-famille est une des 10 priorités du «Contrat pour l’école». L’UFAPEC organise ou soutient l’organisation de nombreuses rencontres sur la question(1).

Historique


D’une façon générale, le changement de statut de l’école s’inscrit dans ce que le sociologue François Dubet nomme le «déclin de l’institution ». Autrefois, c’était le règne des institutions closes et isolées, dont l’école, qui signifiait la coupure avec le monde ordinaire. Et qui dit coupure dit non-participation de la famille soumise à l’école(2).
Aujourd’hui, nous vivons le désenchantement de ce modèle. L’école a perdu son monopole dans le champ du savoir. Les agents oeuvrant au sein de l’école doivent trouver des solutions(3).
Les difficultés d’un partenariat école-famille trouvent leur source dans l’origine même de l’école comme l’explique Jean-Pierre Pourtois : dès la fin du 19ème siècle (en Belgique, c’est en 1914 que l’école est devenue obligatoire et effective en 1918), l’école a été créée contre le milieu parental. Avant l’enfant était une main-d’œuvre utile pour la famille. Les congés d’été ont d’ailleurs été instaurés pour les travaux des champs(4).
Pour le pédagogue Philippe Meirieu, les tensions actuelles entre l’école et la famille ne sont que l’exacerbation d’un phénomène en germe depuis l’origine de l’école. Il y a dans le couple parents-école un « conflit consubstantiel » parce que des intérêts divergents les opposent(5). S’il y a aujourd’hui des dissensions entre l’Ecole et la famille c’est aussi, comme l’explique toujours Meirieu, parce que le contrat tacite entre les promoteurs de l’école publique, et les familles – « Faites confiance à l’Ecole », elle vous le rendra bien – s’effrite(6).
Aujourd’hui nombre de familles sont dans une relations de méfiance voire de suspicion envers l’école. Meirieu a travaillé sur les archives de l’Inspection académique de l’Ain et constate que jusqu’aux années 60, il n’y avait aucune récrimination à caractère pédagogique des parents. Alors qu’auparavant, l’école était dotée d’un pouvoir incontesté et incontestable, c’est la méthode globale d’apprentissage de la lecture qui va déclencher le doute chez les parents : « Pour la première fois, les parents découvrent qu’il n’y a pas une bonne méthode, mais des méthodes utilisables par l’École. Celle-ci n’est pas détentrice de la solution […] il n’y a plus une seule vérité, il n’y a plus une orthodoxie scolaire. Cela veut dire que l’École est livrée aux débats, aux conflits entre des méthodes qui s’opposent.»(7)
Le fait que l’école ne garantisse plus la réussite socioprofessionnelle ainsi que l’augmentation du niveau d’études des parents vont encore contribuer à remettre en question la toute puissance de l’école(8). Le changement d’école plus fréquent, les recours contre les décisions des conseils de classe et les pressions de certains parents en témoignent.


Nécessité et objectifs d’un partenariat
 

D’une façon générale, l'enfant reste le premier bénéficiaire du climat de confiance qui peut s’instaurer. L’élève trouve une cohérence pédagogique devant des attentes similaires générant chez lui moins d’absentéisme, plus de respect, d’attention et d’envie d’apprendre. La coopération parents-enseignants permet plus de prévention et un plus grand équilibre chez le jeune(9).

Pour le psychopédagogue Maulini, choisir le partenariat, c'est encore renoncer à deux solutions de facilité : « se soumettre entièrement aux attentes des parents, au nom du service aux usagers; les ignorer complètement, au nom de l'indépendance et de l'expertise institutionnelles. C'est tenter de résoudre le dilemme de la clôture scolaire en choisissant une sortie " par le haut " qui institue, partout dans l'école, des espaces de discussion et de coopération : conseils, groupes de travail et d'échange, commissions, entretiens, soirées d'informations et de débats, classes ouvertes, projets communs, etc. Dans ce cas, les familles et leurs associations ne sont plus seulement des consommatrices plus ou moins avisées, mais les promotrices d'un projet collectif qui dépasse leurs intérêts particuliers.»(10)

La collaboration parents-enseignants est encore fondamentale pour ne pas pérenniser ni accroître la rupture sociale ou culturelle que représente l'école dans certaines familles défavorisées comme l’écrit Jacques Bernardin : « Certains enfants ne vivent pas l'expérience scolaire comme une continuité, un prolongement, un élargissement de ce qu'ils ont vécu dans la famille, mais véritablement comme une rupture sociale, culturelle, langagière, un changement d’univers sans pont avec leurs référents familiers. Leurs parents ne partageant pas les codes et les usages ni les attendus de l'école se sentent démunis et s'interdisent d'y prendre part, ou bien interviennent, mais en fonction de leur propre expérience(11).

Une étude a été menée par l’équipe de Pourtois à Quaregnon et s’est intéressée à des enfants de la naissance à l’âge de 6-8 ans. Les chercheurs ont fait un bilan de développement à 5 ans, en examinant les relations que les enfants avaient avec leurs parents, et notamment avec leur mère, les conduites que leur mère avait envers eux, le bagage scolaire des parents. En fin de première primaire, les chercheurs ont constaté que chez les enfants de milieux favorisés économiquement, l’échec était de l’ordre de 3% (ce sont des enfants qui ont eu des problèmes à la naissance, retard de développement..) ; ceux de classe moyenne, c’était de l’ordre de 20 à 22% et ceux de milieu modeste, c’était déjà de l’ordre de 60% Ils ont ainsi pu montrer que le capital culturel familial était déterminant dans la réussite scolaire(12).
Jean-Pierre Pourtois a identifié le sens des obstacles en provenance des milieux familiaux : peu d’intérêt pour les matières scolaires, peu de motivation, orientation vers des métiers manuels, barrières liées aux ressources humaines et aux personnes qui appartiennent aux « monde du discours » comme les enseignants.

Les parents de milieux socio-économiques défavorisés ont rarement d’emblée un bon contact avec l’école : peurs, méconnaissance, souvenir d’un vécu scolaire douloureux, sentiment de rejet voire d’abandon, sentiment de l’inutilité de l’école, manque de compétences pour accompagner l’enfant, les causes sont nombreuses pour ne pas oser faire confiance à l’école(13).
 

Conditions et limites au partenariat


Il faut tout d’abord être conscient du décalage entre les présupposés sur lesquels se sont construites les relations parents-écoles et la réalité d’aujourd’hui. Voici les conclusions auxquelles est arrivé le groupe de travail composé de parents, enseignants et autres professionnels de l’enseignement lors de notre rencontre à Amay du 20 mai 2008(14).
 

tableau comparatif relations parents-école  Hier & Aujourd'hui
 

Pour un partenariat école-famille, il faut sortir de la relation convocation-information et former les enseignants au dialogue. Il faut que les enseignants lancent aux parents une véritable invitation et instaurent une communication dans un langage commun. C’est d’autant plus important que l’écart sociologique entre les enseignants et les parents s’est accru. La démocratisation de l’enseignement dans les années 60 a diversifié l’origine socio-économique de la population scolaire alors que les enseignants sont principalement issus au minimum des classes moyennes(15).

L’école et les enseignants doivent intervenir en priorité sur les sentiments de compétence parentale : « Les parents sont motivés à participer s'ils croient que leurs interventions feront une différence quant à la réussite et aux apprentissages de l'enfant. Ce qui suppose aussi qu'on leur explique les programmes et les démarches d'apprentissage, parfois très différentes de celles qu'ils ont connues comme élèves ! En outre, les enseignants ne doivent pas seulement donner de l'information, mais penser à des activités qui permettront aux parents d'échanger avec les enseignants et avec d'autres parents, et de vivre des expériences positives (apporter une aide qui se traduit concrètement et visiblement dans la progression de l'enfant »(16) Mais tous les parents ne sont pas ou ne s’estiment pas compétents dans la scolarité de leur enfant. Il faut que les échanges entre l’école et la maison aillent dans les deux sens et que l'école soit autorisée à accepter et intégrer les savoirs domestiques(17).
Les conditions à un bon partenariat sont le respect et la reconnaissance de l’autre partenaire. Clairement cela signifie pour les parents ne pas s’ingérer dans le fonctionnement de l’école et pour l’école ne pas vouloir éduquer les parents(18).

Les limites au partenariat sont d’ordres divers.
Pour l’enfant : il ne faut pas qu’il y ait confusion des rôles ce qui peut être facteur de troubles. Les parents et l’école sont partenaires parce que complémentaires. Chacun a sa sphère d’action qui lui est propre même s’il y a des champs d’action qui se rejoignent.

Les parents acceptent-ils l’intérêt collectif ce qui signifie aller au-delà de leur intérêt personnel ?(19)
Et l’école ? Accepte-t-elle de quitter sa tranquillité et de se mettre en difficulté en ouvrant le débat ?(20)
 

Conclusion


La famille, après des siècles de soumission remet en question l’école et ses fondements. Si le système scolaire veut garder un sens et une cohérence, il se doit d’ouvrir le débat à TOUS les parents. Cela passe par la redéfinition d’un langage commun – codes, références scolaires - entre les parents et les enseignants mais aussi entre toutes les classes sociales.
On ne demande pas à l’école et à la famille de s’aimer- elles le peuvent difficilement au vu du conflit originel qui les opposent - mais d’être partenaires, chacune avec sa spécificité. Reconnaissance et dialogue pour que l’enfant ne soit pas otage mais fruit d’une collaboration garante d’une meilleure scolarité. " Le partenariat est peut-être une idée à la mode, mais il peut aussi devenir un levier important de lutte contre l'échec scolaire."(21)

 

Dominique Houssonloge

 

 

Répertoires d’activités de partenariat :

- Bonnes pratiques, texte faisant suite au Colloque Enfant-roi ? Parents et école partenaires de 2007 de la FédEFOC en collaboration avec l’UFAPEC, 02 256.71.26 - fedefoc@segec.be

- 100 actions parents-écoles/collège. Inspection académique des Bouches du Rhône. Académie d’Aix-Marseille. Edité par : CNDP-Migrant 91, rue Gabriel Péré à 92120 Montrouge. Tél : +33-1-46571167
 

 

 

 

(1)parmi lesquelles Rencontre-débat « Construire une relation positive école-famille » avec le Professeur Jean-Pierre Pourtois organisée par l’UFAPEC le 25 avril 2006, au lycée Martin V à Louvain-la-Neuve -Groupes de travail sur les relations école-famille organisés par l’UFAPEC et la Fédéfoc les 19 et 26 mars à Huy, les 15 et 22 mars à Gilly, les 23 et 26 mars 2007 à Bruxelles - Colloque Enfant-roi. Ecole et parents partenaires ! A la recherche de nouveaux équilibres » organisé par la Fédéfoc avec la collaboration de l’UFAPEC - Soirée-débat « Entre rondes familles et école carrée : le choc ? » le 19 septembre 2007 organisée par l’école Sainte Anne de Waterloo, son association de parents avec le soutien de l’UFAPEC et l’intervention de la sociologue Danièle Mouraux. - Soirée-débats « Parents-écoles, des relations en mutation, à revisiter ? » par l’AMO Mille lieux de vie en collaboration avec l’UFAPEC les 12 février et 20 mai 2008 à Amay - Atelier parents-enseignants-PMS sur « L’école et la famille : le (dés)amour ? » avec l’intervention de l’UFAPEC dans le cadre de l’Université d’été du Segec (Secrétariat de l’Enseignement de l’Enseignement Catholique) du 22 août 2008
(2)Sylvia Faure et Marie-Carmen Garc dans Sciences humaines, Approches classiques des institutions, n° 181, avril 2007. p. 40
(3)www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=EP_021_0023, Entretien avec Philippe Meirieu par Enfances et Psy, De la rivalité au partage. 2003, p.23-24
(4)Jean-Pierre Pourtois lors de la Rencontre-débat Construire une relation positive école-famille organisée par l’UFAPEC le 25 avril 2006, au lycée Martin V à Louvain-la-Neuve
(5)Philippe Meirieu, op. cit. p. 24
(6)Ibidem
(7)Op.cit., p. 25-26
(8)Op. cit. p. 26
(9)http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/novembre2006.htm Service de Veille scientifique et technologique, Annie Feyfant et Olivier Rey, Les parents et l'école. La lettre d'information n° 22 - novembre 2006
(10)http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/life/chantiers/life_chantier_47.html - Olivier Maulini, La place des parents dans l'école : consommateurs ou partenaires ? Université de Genève, Etat au 26 janvier 2001
(11)http://www.gfen.asso.fr/catalogue/revues/sommaire_dial/articles_dial/editorial127.htm. Jacques Bernardin dans l’Edito de Dialogue, La coopération entre enseignants et parents. Pourquoi ? Jusqu’où ? N° 127. Groupe français d'éducation nouvelle
(12)Jean-Pierre Pourtois, op.cit.
(13)La collaboration enseignants-parents pour le mieux-être des enfants. Entrevue avec Jean-Pierre Pourtois, Réalisée par André C. Moreau et Joanne Pharand, p. 2
(14)Soirée-débats « Parents-écoles, des relations en mutation, à revisiter ? » par l’AMO Mille lieux de vie en collaboration avec l’UFAPEC le 20 mai 2008 à Amay
(15)Philippe Meirieu, op. cit., p. 29
(16)Annie Feyfant et Olivier Rey, op. cit
(17)Annie Feyfant et Olivier Rey, op. cit.
(18)Danièle Mouraux, Entre ronde famille et Ecole carrée : quelles relations ? novembre 2006 – Jacques Bernardin, op. cit.
(19)Colloque Enfant-roi ? organisé le 31 mai 2007 à LLN par la Fédération de l’Enseignement Fondamental Catholique en collaboration avec l’UFAPEC - Philippe Meirieu, op.cit., p.28-29
(20)Olivier Maulini, op. cit
(21)Idem
 

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