Analyse UFAPEC 2008 par J-L. van Kempen

03.08/ Pourquoi a-t-on développé les compétences à l'école? Pour mieux répondre aux exigences de l’économie ou pour favoriser une pédagogie plus efficace ?

Introduction

L’approche par compétences à l’école s’est développée progressivement en s’installant d’abord dans l’enseignement technique et professionnel, pour être ensuite appliquée dans l’enseignement fondamental et, depuis les années 2000, dans toutes les sections d’enseignement.

Le développement des compétences vise-t-il à mieux former les jeunes de manière à ce qu’ils deviennent plus efficaces dans la vie active et notamment dans le monde du travail ou l’approche par compétences dans l’enseignement constitue-t-elle un moyen d’améliorer son efficacité ?

Cette évolution de l’enseignement vise-t-elle à faire adhérer les enseignants «à une approche de l’efficacité, calquée sur le modèle industriel, ou alors à une approche de l’action pédagogique considérée comme un processus qui favorise le développement de la personne sous tous ses aspects»(1)
Les enseignants dénoncent généralement les effets négatifs des réformes. Leurs craintes sont-elles justifiées ?
 

Une première entrée dans l’enseignement à la demande du secteur économique

Le concept des compétences a été introduit, à la fin des années septante et au début des années quatre-vingt, d’abord dans l’enseignement qualifiant à la demande du secteur économique.

«En Belgique francophone, la notion de compétence a pénétré le système scolaire sous l’impulsion des grands secteurs de l’industrie et des services à l’occasion de la réforme de l’enseignement qualifiant, à la fin des années 1970 et au début 1980. Elle s’est ainsi déplacée du champ économique vers le champ éducatif. A l’époque, des contacts s’établissent entre les grands secteurs de l’industrie et des services et les responsables éducatifs de l’enseignement qualifiant des différents réseaux. Les grands secteurs encouragent alors les responsables en question à intégrer cette notion dans le mouvement de refonte des programmes de l’enseignement technique et professionnel. La notion de qualification qui auparavant réglait la question des titres scolaires dans l’enseignement technique et professionnel perd peu à peu de sa légitimité tant dans le monde de l’emploi que dans le monde de l’éducation.
Durant les années 1980, certains professeurs des universités, spécialisés en pédagogie, interviennent alors, à titre d’experts, pour aider les responsables éducatifs des différents réseaux à formaliser la notion de compétence et à l’intégrer dans la refonte de l’enseignement qualifiant.( …)

C’est au début des années 1990 que l’on envisage peu à peu, d’abord au sein du réseau libre, de transférer en quelque sorte la notion de compétence vers l’enseignement de transition. (…) Si les représentants des employeurs sont moins présents dans ce travail, le rôle des experts s’est quant à lui accru.»(2)

Depuis 1995, les organisations représentatives des employeurs et des organisations syndicales sont associées à la définition des profils de formation dans le cadre de la Commission communautaire des professions et des qualifications (CCPQ).(3)
 

Les compétences dans l’enseignement fondamental

En ce qui concerne l’enseignement fondamental, les termes « socles de compétences » ont fait leur première apparition dans un texte légale en 1995(4) . Ils sont définis en tant que « référentiel présentant de manière structurée les compétences de base à exercer jusqu’au terme des huit premières années de l’enseignement obligatoire et celles qui sont à maîtriser à la fin de chacune des étapes de celles-ci parce qu’elles sont considérées comme nécessaires à l’insertion sociale et à la poursuite des études » (article 1, 2°). Chaque école fondamentale est « tenue de mettre en place (…) un dispositif basé sur une organisation en cycles permettant à chaque enfant (…) de réaliser sur ces périodes les apprentissages indispensables en référence à des socles de compétences définissant (…) le niveau requis des études » (article 3).
 

La définition des compétences

Le terme « compétence » est confirmé dans le décret « missions » de 1997 : « aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches » (article 5) et « les savoirs doivent être abordés dans la perspective de l’acquisition de compétences » (article 8).

«Deux traits fondamentaux se dégagent de cette définition :

  •  la compétence est un réseau intégré de ressources cognitives, socioaffectives et sensorimotrices ; elle ‘comprend’ donc aussi des savoirs ;
  • elle est orientée vers l’action : (…) invite l’école à développer des ‘savoirs vivants’, c’est-à-dire des ‘outils pour penser et pour agir’, à l’école et en dehors.»(5)

Au sujet de la notion de compétences transversales, nous extrayons le passage suivant du commentaire de l’article 8 : « Une des tâches majeures de l’enseignant au niveau fondamental et secondaire, tout particulièrement jusqu’au terme du premier degré est précisément de diagnostiquer comment l’élève procède pour ‘assimiler’ un contenu, pour construire ou reconstruire un savoir ou un savoir-faire et se l’approprier. Certains élèves le feront sans la moindre difficulté : ce sont ceux qui réussissent quelle que soit la méthode. D’autres peinent, ne distinguent pas l’essentiel, n’établissent pas de liens entre les éléments. L’enseignant va devoir comprendre non pas pourquoi mais comment l’élève ne comprend pas. »(6)

Dans le domaine de l’éducation, l’approche par compétences s’est inspirée du constructivisme (Piaget) selon lequel le sujet construit ses connaissances et assume son processus d’apprentissage. Le socioconstructivisme (Vygotski) met en évidence le fait que l’élève crée ses connaissances en interaction avec ses pairs.(7)
 

Des socles de compétences inter-réseaux aux programmes des réseaux

En mai 1999, les « socles de compétences » ont précisé le niveau à atteindre à la fin du premier degré de l’enseignement secondaire, en continuité avec le primaire. Les socles à atteindre ont été décrits dans un seul document.

Un décret du 19 juillet 2001 a fixé les socles de compétences à atteindre à la fin de la 2ème primaire, de la 6ème primaire et de la 2ème secondaire dans les matières suivantes : français, mathématique, éveil-initiation scientifique, langues modernes, éducation physique, technologie, éducation artistique, éveil-formation historique.

D’autres décrets définissent les compétences terminales à atteindre à la fin de l’enseignement secondaire.

Les nouveaux programmes ont été rédigés, par chaque réseau d’enseignement, et sont d’application depuis septembre 2001 après qu’ils aient été approuvés par le ministère.

Une analyse de contenu comparative entre les programmes en application en 1985 et ceux en vigueur depuis l’an 2000 permet de déceler l’importance prise par les compétences par rapport aux comportements.(8)

Pour désigner le rapport entre l’élève et les contenus d’apprentissage, le « construire » est beaucoup plus souvent utilisé en l’an 2000 qu’en 1985, tandis qu’en 1985, les termes les plus souvent utilisés étaient plutôt : « découvrir », « raisonner », « assimiler », « initier ».

Pour désigner les activités en classe, les termes « leçons » et « exercices » sont plutôt remplacés par « situations », « tâches », « projets », « énigmes ».
 

Quels sont les principaux avantages de l’approche par compétences ?

«Une compétence se caractérise par la mobilisation spontanée et pertinente de ressources afin de répondre à une situation complexe. Les ressources auxquelles elle fait appel sont de l’ordre du savoir, savoir-faire et savoir-être. L’élève est susceptible de recourir tant à des ressources propres qu’extérieures. (…) L’approche pédagogique par compétences prétend exploiter la complexité de situations présentées aux élèves comme support d’apprentissage et d’évaluation. En rupture avec les méthodologies qui l’ont précédée, elle se centre non plus sur les contenus et processus à apprendre mais sur leur mobilisation pertinente et intégrée dans des situations-problèmes.»(9)

Philippe Perrenoud précise que l’école des compétences invite fermement les enseignants à :

  • considérer les savoirs comme des ressources à mobiliser,
  • travailler régulièrement par problèmes,
  • créer ou utiliser d’autres moyens d’enseignement,
  • négocier et conduire des projets avec ses élèves,
  • adopter une planification souple et indicative, improviser,
  • mettre en place et expliciter un nouveau contrat didactique,
  • pratiquer une évaluation formatrice, en situation de travail,
  • aller vers un moindre cloisonnement disciplinaire. »(10)

Philippe Perrenoud ajoute que l’approche par compétence pourrait convenir aussi bien au bons élèves qu’à ceux qui rencontrent de grosses difficultés d’apprentissage dans la mesure ou le développement des compétences à l’école permet, d’une part, d’accrocher les élèves qui n’adhèrent pas aux connaissances décontextualisées et coupées de toutes pratiques et, d’autre part, de favoriser le « transfert des connaissances » auprès des élèves qui assimilent correctement les savoirs scolaires mais n’arrivent pas à les mobiliser hors du contexte d’acquisition.(11) :

Caroline LETOR et Vincent VANDENBERGHE relèvent quelques avantages de l’approche par compétences(12) :

La complexité dans les apprentissages : « Cette approche engage des processus heuristiques tels que la mobilisation, l’intégration et le transfert de ressources. »

Une programmation par situations génériques : « L’approche par compétences répond à une conception sous-jacente de la connaissance selon laquelle les savoirs et savoir-faire sont le produit d’une construction culturelle, des ressources de patrimoine commun à une société que l’élève s’approprie en fonction des situations qui lui sont proposées ».

De nouveaux principes pédagogiques : « Au-delà de la mémorisation et l’application de savoir-faire, ce sont les processus d’identification, de combinaison, de transfert, de généralisation et de métacognition qui sont mis à l’honneur. »

L’appropriation des apprentissages : « Les apprentissages sont inscrits dans des situations qui font référence à des pratiques sociales quotidiennes qui laissent entrevoir leur utilité. »

Une distance culturelle amenuisée : « ne pas former des têtes pleines ni des têtes bien huilées mais des citoyens qui cherchent et s’adaptent à la nouveauté des problèmes qui leur sont posés. »

L’explicitation d’un curriculum caché : « un levier pédagogique pour médiatiser les apprentissages qui impliquent des processus mentaux supérieurs d’identification, de mobilisation, de transfert, de métacognition, d’intégration des ressources conceptuelles. »

L’homogénéisation des programmes : « La définition de programmes autour de compétences communes, de familles de situations et/ou de concepts-clés à enseigner prétend garantir une plus grande égalité des apprentissages. »

Le sens des apprentissages : « l’appropriation des apprentissages en leur donnant plus de sens. »
 

Comment concevoir les programmes en termes de compétences ?

Philippe Perrenoud conseille trois stratégies pour intégrer les compétences dans les programmes(13) :

  1. Partir des savoirs enseignés et chercher à définir les compétences qui pourraient les mobiliser. L’enseignant se contente d’habiller les contenus habituels des atours des compétences. Par exemple : se servir de la connaissance du système cardio-vasculaire pour ménager sa santé ou optimiser son entraînement sportif.
  2. Laisser les savoirs aux disciplines et définir des «compétences transversales» (qui mobilisent d’ailleurs des ressources qui appartiennent généralement à diverses disciplines). Par exemple : les compétences monodisciplinaires (prévoir une évolution démographique), les compétences pluridisciplinaires (rédiger un projet de recherche), les compétences qui ne mobilisent pas nécessairement des savoirs disciplinaires (préparer un déménagement).
  3. Enoncer des capacités tellement générales qu’on ne sait même plus si elles sont disciplinaires ou transversales. Par exemple : savoir analyser, argumenter, observer,….


L’avis des enseignants

Comme toutes les réformes, celle des compétences suscite des réactions positives et négatives. Lors des grandes consultations organisées en 2004 à l’initiative des ministres Jean-Marc Nollet et Pierre Hazette. Dans l’enseignement fondamental, les socles de compétences posaient problème à 13 % des enseignants(14) . Dans le secondaire, 16 % des enseignants ne percevaient pas la manière de les appliquer à la matière enseignée(15).

Certains enseignants signalent aussi les grandes difficultés de mobiliser les élèves :

« Quant aux situations-problèmes, il faut du temps pour les construire et les amener auprès des élèves…qui, selon les répondants, restent passifs face à un prof qui se démène pour faire acquérir une compétence »(16) .

Des enseignants signalent aussi que, dans certaines classes, les élèves sont « très scolaires ». Ils entretiennent un rapport « instrumental » au savoir et veulent de la matière et des exercices et ne manifestent pas d’intérêt pour les activités qui font appel à leur imagination ou à l’échange d’idées(17).
 

Conclusions

L’approche par compétences a fait sa première apparition dans l’enseignement technique et professionnel à la demande du milieu des entreprises à la fin des années septante et au début des années quatre-vingt.

Depuis 2001, les compétences ont été développées dans tous les secteurs de l’enseignement. Les objectifs de cette réforme consistaient à mieux axer l’enseignement sur la réalité, ce qui permet de favoriser une meilleure motivation des élèves à l’apprentissage. Les élèves en difficultés se rendent mieux compte de l’utilité d’apprendre et les bons élèves perçoivent mieux les possibilités d’appliquer leurs connaissances et savoir-faire dans la vie réelle. Développer des compétences permet de mieux apprendre à apprendre et à s’adapter à des situations nouvelles. Les compétences donnent plus de sens à l’école.

Une autre intention du législateur consistait à réduire les différences entre les établissements scolaires dans la mesure où le niveau des épreuves d’évaluation ne peut dépasser les socles de compétences fixés par décrets.

L’approche par compétences constitue un moyen d’appliquer un vieux principe développé déjà en 1932 par Alain : « Savoir, et ne point faire usage de ce qu’on sait, c’est pire qu’ignorer »(18).

Les compétences apprises à l’école devraient également permettre aux parents de trouver les moyens de les appliquer et de les développer dans le cadre de la vie quotidienne en famille.

 


Jean-Luc van Kempen

 

 

(1)BOUTIN Gérald, L’approche par compétences en éducation : un amalgame paradigmatique dans Connexions, revue de psychologie sciences humaines, 2004/06, n° 81.
(2) MANGEZ Eric, Réformer les contenus d’enseignement, PUF, Education et société, avril 2008.
(3)Décret organisant la concertation pour l’enseignement secondaire, (27-10-1994).
(4)Décret relatif à la promotion d’une école de la réussite dans l’enseignement fondamental (14-03-1995)
(5)ROMAINVILLE Marc,op. cit.
(6) «Mon école, comme je la veux ! Ses missions. Mes droits et mes devoirs»,Cabinet du Ministre de l’Education, 1997, p 63,
(7)BOUTIN Gérald, op.cit.
(8)MANGEZ Eric, op.cit. p 62-63.
(9) FRENAY Marianne, MAROY Christian, « L’école, 6 ans après le décret ‘missions’ », (Chapitre « Les compétences à la recherche d’équité par Caroline LETOR, Vincent VANDENBERGHE Vincent, Jean-Louis JADOULLE).
(10)PERRENOUD Philippe, Construire des compétences dès l’école, ESF éditeur, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques, 1997.
(11)PERRENOUD Philippe, « L’école saisie par les compétences », Intervention au colloque de l’Association des cadres scolaires du Québec « Former des élèves compétents : la pédagogique à la croisée des chemins », Québec, 9-11 décembre 1998, 21 p.
(12)LETOR Caroline, VANDENBERGHE Vincent, JADOULLE Jean-Louis, op.cit.
(13)PERRENOUD Philippe, « L’école saisie par les compétences », Intervention au colloque de l’association des cadres scolaires du Québec « Former des élèves compétents : la pédagogie à la croisée des chemins », Québec, 9-11 décembre 1998.
(14)La consultation des enseignants du fondamental, FIC, avril 2004.
(15)La consultation des enseignants du secondaire, Rapport élaboré pour la Commission de Pilotage, mai 2004.
(16)La consultation des enseignants du secondaire.
(17)MANGEZ Eric, op.cit.
(18)ALAIN, Propos sur l’éducation, PUF, Paris, 1932.
 
Sources :

  • BOUTIN Gérard, L’approche par compétences en éducation : un amalgame paradigmatique, dans « Connexions », revue de psychologie sciences humaines, 2004/06, n° 81.
  • FRENAY Marianne, MAROY Christian, « L’école, 6 ans après le décret ‘missions’ », (Chapitre « Les compétences à la recherche d’équité par LETOR Caroline, VANDENBERGHE Vincent, JADOULLE Jean-Louis), GIRSEF, Louvain-la-Neuve, janvier 2004.
  • MANGEZ Eric, Réformer les contenus d’enseignement, PUF, Education et Société, avril 2008.
  • PERRENOUD Philippe, Construire des compétences dès l’école, ESF éditeur, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques, 1997.
  • PERRENOUD Philippe, « L’école saisie par les compétences », Intervention au colloque de l’association des cadres scolaires du Québec « Former des élèves compétents : la pédagogie à la croisée des chemins », Québec, 9-11 décembre 1998.
  • ROMAINVILLE Marc, L’approche par compétences en Belgique francophone : où en est-on ? dans « Les Cahiers pédagogiques », Quel socle commun ?, janvier 2006.

 

 


 

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