Analyse UFAPEC 2010 par B. Loriers

12.10/ Le tabou du corps à l'école : l'exemple des toilettes

Introduction

Qui n’a pas de souvenir sordide des toilettes à l’école ? Manque de papier, de lumière, d’intimité, de propreté, …

Voici quelques temps, l’UFAPEC a organisé une consultation[1] auprès des parents. A la question Quels sont les éléments des bâtiments de votre école qui, selon vous, nécessiteraient une amélioration urgente?, il en résulte que les sanitaires suscitent l’inquiétude de plus de la moitié des parents (55 %), comme l’indique le tableau ci-dessous.
 
Quels sont les éléments des bâtiments de votre école qui, selon vous, nécessiteraient une amélioration urgente ?
 
1. les sanitaires
55 %
2. les dispositifs de sécurité aux abords de l’école
36 %
3. l’état général des bâtiments
27 %
4. la peinture dans les classes
23 %
4. un préau
23 %
4. l’adaptation des bâtiments et des classes aux nouvelles conditions pédagogiques et de population scolaire
 
23 %
7. le réfectoire
20 %
8. l’amélioration du lieu de vie (éclairage, sonorisation,...)
18 %
9. la cour de récréation
16 %
9. la sécurité des escaliers
16 %
11. la sécurité anti-incendie
14 %
12. la toiture
7 %


Un problème de santé publique

Le docteur Cécile Duchemin explique que[2] de l’état des sanitaires à l’école dépend l’état de santé des enfants : sur les 24 781 élèves de 4ème et 5ème primaire interrogés, 18,8 % disent avoir été chez le médecin pour des problèmes urinaires ou de constipation, en grande majorité des filles (23,1 % pour 14,7 % de garçons). La moitié des élèves disent utiliser les toilettes occasionnellement, quand ils ne peuvent faire autrement.
Un pédiatre[3] relate le cas d’une petite Julie, 8 ans, atteinte d’une infection urinaire chronique, parce qu’elle a appris progressivement à se retenir à l’école : la porte ne ferme pas, il n’y a pas de papier, une copine doit tenir la porte, on n’est pas à la maison. Et le professeur conclut que cette pathologie représente un tiers des consultations en uropédiatrie, que cela pose un réel problème de santé publique.
Selon une enquête de la VUB[4], l'hygiène des jeunes enfants qui fréquentent l'école laisse largement à désirer, malgré la surveillance des enseignants. Le docteur Helena Chovanova a effectué des contrôles sur 193 enfants inscrits dans 22 écoles. Il en ressort que seuls 8% des enfants se lavent les mains au savon après être passés aux toilettes.
La moitié des écoles contrôlées disposaient d'un nombre insuffisant d'éviers et de toilettes. Dans 40% des écoles, le savon est absent et un nombre important d'établissements utilisent des essuie-mains en tissu, porteurs de germes. Le docteur Chovanova rappelle que l'usage de savon réduit de 30% le danger de contracter une maladie infectieuse.

Constat : infrastructures négligées

D'après le rapport de l'observatoire national de la sécurité des établissements scolaires français (ONS) de 2007[5], près de la moitié des élèves déclarent avoir ressenti des maux de ventre parce qu'ils ne souhaitent pas utiliser les toilettes de leur établissement scolaire.
L’enquête (préalable au rapport de l’ONS) s’adresse aux élèves de 4ème et 5ème primaire et à leurs enseignants. Elle a été recueillie à partir du site internet de l’ONS en 2007, de manière anonyme et sur la base du volontariat. Voici un résumé de l’analyse de cette enquête.
Les élèves reprochent principalement à ces toilettes la mauvaise odeur et le manque de propreté. L'intimité des enfants n'est pas parfaitement prise en compte, ce qui engendre une peur dans le chef des élèves pour deux raisons : absence de verrou ou mauvais fonctionnement, peur d’être enfermés, et voyeurisme de certains enfants (au-dessus et en-dessous des cloisons et des portes, ouverture des portes), bousculades, bagarres, moqueries.
 
Les réponses des enseignants[6] :
  • Il reste encore des écoles avec des toilettes « à la turque »
  • Pour plus d’1/4 des écoles, les sanitaires filles/garçons ne sont pas séparés
  • 4 écoles sur 10 ne sont pas équipées de sanitaires accessibles aux handicapés
  • Les sanitaires ne sont pas tous équipés de lavabos
  • Absence de savon (12,8% des écoles interrogées)
  • Absence d’essuie-mains ou de serviettes en papier (9,5% des écoles)
  • Absence de papier toilette
  • Absence de balayettes (55,8%)
  • Absence de poubelle dans les WC filles (76%)
  • Absence de patère (78,6%)
  • Absence de lunette sur la cuvette (44,9%)
  • Absence de cloisons séparatives de toute hauteur et présence d’un espace important au dessus et/ou au dessous des portes (50% des écoles) et absence de verrous (10%)
  • Nettoyage insuffisant et mauvaises odeurs (16%)
  • Vétusté des lieux (10%)
  • Absence de point d’eau en dehors des sanitaires (52,7%)

Problème culturel

Outre le problème de santé publique que nous venons de soulever, nous pensons qu’il s’agit aussi d’un problème culturel. Nous vivons dans une société qui impose au corps un modèle de séduction, mais les besoins fondamentaux du corps sont évincés.
Sur ce sujet, nous avons rencontré Sophie Liebman, qui a mené une réflexion sur le corps à l’école[7]. Pour elle, notre civilisation occidentale, et l’institution scolaire n’y échappe pas, a installé un tabou autour du génital et de l’analité. Notre fonctionnement scolaire est l’héritier d’une conception du 19ème siècle, qui était hantée par les pratiques sexuelles. Ce n’est pas pour rien que les cloisons des toilettes sont encore souvent coupées en haut et en bas dans les sanitaires scolaires. Le respect de l’intimité chez chaque enfant, dès la classe d’accueil, est une question de santé mentale.
Une maman d’élève nous parlait d’une autre forme de violence morale : certains enfants peuvent se sentir agressés en voyant qu’il paraît normal qu’ils doivent utiliser des toilettes souvent sales, alors qu’ils voient des adultes fréquenter des toilettes propres, qui leur sont réservées exclusivement.

Le corps idéalisé

L’éducation physique fut un des piliers de l’éducation antique, mais sa pratique consistait à traiter le corps comme une matière que l’âme doit façonner à son image. Et de nos jours encore, le cours d’éducation physique fait appel au corps, mais pour mieux le maîtriser, le contrôler.
Depuis quelques dizaines d’années, la technique est bel et bien parvenue à protéger les corps d’une réalité naturelle qui les rendait douloureux, et Marcel Gauchet [8]remarque que l’homme vit à présent dans des conditions de confort, de bien-être, de disparition de ce qui était une expérience quasi-quotidienne de l’humanité il n’y a pas longtemps, c’est-à-dire la souffrance, la douleur, la fièvre par exemple, le mal-être de tout ordre, la faim, tout bêtement, qui, certes, existe encore mais, dans notre société, marginalement. Nous avons désormais l’expérience heureuse d’un corps de bien-être, alors que le fait d’avoir un corps, c’était pour l’humanité, depuis qu’elle existe, son plus grand malheur. S’il y avait un bonheur quelconque à espérer, c’était un bonheur dans une autre vie ou le bonheur qu’on trouvait avec l’esprit, dont le fonctionnement, chose miraculeuse, restait relativement inaltéré, perturbé certes, mais inaltéré dans ses opérations fondamentales au travers de ce mal-être. Une des données primordiales de l’expérience humaine s’est modifiée radicalement: il est possible de vivre très vieux avec un corps dans lequel on se sent bien.
Dans ces conditions, le corps acquiert une importance nouvelle et tend à être de plus en plus valorisé. Selon David Lucas[9], il est même possible de parler d’un véritable culte, à mesure que le corporel devient le centre des préoccupations des individus, leur bien le plus précieux, une des valeurs centrales des sociétés occidentales développées. Le corps n’est à présent ni un motif de honte théologique, ni la chair où se font sentir toutes les exigences du réel, mais le lieu d’un possible bonheur. Mais à partir d’un certain degré de performance technique, et lorsque les machines sont tellement perfectionnées qu’elles recouvrent le réel jusqu’à le faire oublier, les corps peuvent se trouver tellement délestés de leur condition naturelle qu’ils s’en trouvent comme effacés. A terme, le corps peut effectivement recevoir tant de soins et assumer ses fonctions avec tant de facilités qu’on finit par ne plus le sentir.

Pistes de solution – Objectifs à atteindre

Que peut-on faire pour améliorer cette situation désastreuse un peu partout?
Pour Sophie Liebman[10], l’accès aux toilettes doit être un objet de socialisation, comme c’est le cas dans certaines écoles à pédagogie institutionnelle, comme l’école de Lauzelle à Louvain-la-Neuve. On observe souvent que les pédagogies nouvelles offrent une place plus importante au corps dans l’apprentissage.
L’UFAPEC soutient l’idée que chaque enseignant doit pouvoir réfléchir avec les enfants et les jeunes à des pistes pour instaurer le respect dans les toilettes. Les parents ont aussi un rôle à jouer en aidant les enfants par une réflexion à la maison.
Au niveau équipements, les objectifs à atteindre devraient être : [11]
 
Le respect de l’intimité
·         Blocs sanitaires filles/garçons séparés
·         Cloisons séparatives de toute hauteur (garde au sol la plus réduite possible ).
·         Amélioration des systèmes de verrous
·         Veiller à la notion de confort : patère, lunette, poubelle…
 
La sécurité
·         Revêtement de sols antidérapants  
·         Système anti pince-doigts pour les portes
·         Eclairage suffisant et adapté à la fréquentation
·         Surface hors cabine suffisante afin d’éviter bousculades ou engorgement
 
La surveillance
·         Facilitée par la distribution des locaux
·         Compatible avec la surveillance de l’extérieur  
·         Prévue dans l’organisation des services des écoles, inscrite dans le tableau de surveillance des maîtres et doit faire l’objet d’une mention dans le règlement d’ordre intérieur
 
La propreté
·         Normes de ventilation des locaux respectées
·         Fréquence de nettoyage adaptée en fonction de la fréquentation
·         Revêtements et matériaux compatibles avec un nettoyage et une hygiène rigoureux
·         Mise en place d’un protocole précis sur le nettoyage et la décontamination, contrôlé régulièrement
 
L’hygiène
·         Equiper les sanitaires de papier toilette, de savon, d’un système de séchage des mains, de poubelles spécifiques pour les filles
·         Suppression des toilettes « à la turque »
 
L’éducation
La famille aide l’enfant à développer, en matière d’hygiène et de santé, des attitudes saines et préventives. L’école a un rôle de prévention à jouer, en inscrivant les mesures d’hygiène quotidienne dans le règlement intérieur de l’école, adopté en conseil de participation, en développant les échanges dans un climat de confiance et de responsabilité partagées, et en menant des actions spécifiques dans le projet d’école sur l’éducation à la santé.
 
La santé
Enseignants, parents et enfants doivent être sensibilisés… Les enfants qui ne vont pas aux toilettes lorsqu’ils en ont besoin, ne peuvent pas être attentifs en classe. Outre un malaise s’ils ne vont pas aux toilettes à l’école, les enfants risquent de développer des problèmes de santé, qui impliqueront parfois des absences scolaires.

Sensibilisation des élèves

Les idées ne manquent pas pour intéresser les élèves au respect des toilettes :
Réaliser des affiches ou autres décorations originales
surveiller des lieux pendant les récréations, notamment avec l’aide des plus grands (badges pour se faire respecter) pour assurer une hygiène correcte des lieux.
Rédiger une charte de bon maintien des sanitaires
… Bref plusieurs actions qui permettent aux élèves de se réapproprier leurs toilettes.
 
Vous avez connaissance d’autres expériences ? Transmettez-les à benedicte.loriers(at)ufapec.be
 
Exemple de charte[12] pour les toilettes :
 
·         Je frappe à la porte avant d’entrer
·         Je fais mes besoins dans la cuvette. Si je suis un garçon, je pense à relever la lunette.
·         Je prends un peu de papier (+ la longueur de mon avant-bras). Je le jette dans la cuvette.
·         Je tire la chasse en appuyant une seule fois.
·         Je me lave bien les mains : j’appuie une seule fois pour prendre du savon.
·         Je replace l’essuie au crochet lorsque j’ai terminé.
·        Après mon passage, les toilettes sont impeccables ! J’ai utilisé la poubelle. Le sol et les murs sont restés propres.

Les toilettes ne doivent pas être un sujet tabou

Sortons du non-dit et des reproches : la problématique des toilettes concerne l'ensemble des niveaux d'enseignement que ce soit les écoles maternelles, primaires, secondaires et les universités.
Aussi est-il nécessaire de sensibiliser tous les acteurs à cette question de santé publique qui nous apparaît essentielle : ministère de l’enseignement, directeurs d'écoles, enseignants et personnels, parents et élèves. La concertation entre ces différents acteurs est la seule méthode pour trouver une solution entre des intérêts parfois contradictoires. Voilà un sujet interpellant pour nos pouvoirs organisateurs et nos conseils de participation. Il s’agit pour nos pouvoirs organisateurs de dégager suffisamment de fonds pour maintenir les toilettes dans un état qui suscite le respect des enfants et des jeunes, mais aussi de sensibiliser nos enfants à une certaine citoyenneté autour des sanitaires.
 

Bénédicte Loriers

 

 


 

[1] Consultation UFAPEC mai 1999, « l’école vue par les parents ».
[2] PEYRET Emmanuelle, Les toilettes à l’école : un problème de santé publique, interview de Cécile Duchemin, 29 novembre 2009 :
[3] AVEROUS Michel, pédiatre et urologue au CHU de Montpellier, in PEYRET Emmanuelle, Les toilettes à l’école : un problème de santé publique, par PEYRET Emmanuelle, interview de Cécile Duchemin, 29 novembre 2009 : http://colblog.blog.lemonde.fr/2008/01/29/les-toilettes-a-lecole-un-probleme-de-sante-publique
[5] Les sanitaires dans les écoles élémentaires, dossier extrait du rapport 2007 de l’ONS (Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement : http://ons.education.gouv.fr
[6] Rapport de l’ONS, 2007, op cit.
[7] LIEBMAN Sophie, institutrice et licenciée en Sciences de l’éducation a rédigé un mémoire : Analyse sociopédagogique de la place du corps à l’école primaire : le cas particulier des toilettes, Bruxelles, ULB, année académique 2008-2009.
[8]GAUCHET M., Vers une mutation anthropologique? In N. Aubert, L’individu hypermoderne (p. 291-301), Erès, 2005.
[9]LUCAS Davis, op cit.
[10]LIEBMAN Sophie, id.
[11] Les sanitaires dans les écoles élémentaires, dossier extrait du rapport 2007 de l’ONS (Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement : http://ons.education.gouv.fr
[12] Ecole ND de Beauraing à Meux : http://www.ecolelibremeux.be/index2.htm

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK