Une révolution douce

Faut-il vraiment changer notre enseignement ? N’est-ce pas une énième réforme d’une Ministre voulant laisser son empreinte en héritage ? S’il y a bien une chose sur laquelle tout le monde (dans et en dehors l’enseignement) est d’accord, c’est le fait qu’une réforme systémique en profondeur est indispensable…

Un Pacte, pourquoi faire ?

L’enseignement en Fédération Wallonie Bruxelles bat des records en termes de décrochage scolaire et de redoublement. Les comparaisons (même si elles ne sont pas raison) ne nous sont pas favorables. À 15 ans, nos étudiants ont déjà doublé 4 fois plus que la moyenne des étudiants OCDE, et 2 fois plus que nos compatriotes du nord du Pays.  

Les besoins de changement, et les causes des problèmes, ne sont pas uniquement à chercher au sein du monde de l’enseignement : le changement du modèle familial (familles monoparentale, séparée, recomposée...), le temps de travail professionnel en augmentation (certes en diminution au niveau individuel, mais en augmentation au niveau du couple, au détriment du temps d’éducation), la révolution numérique, la paupérisation croissante d’une frange importante de notre population sont autant de facteurs externes à l’école, qui ont une influence majeure sur celle-ci.

Un Pacte, une stratégie

Nos « bons » élèves sont de très bons élèves. Nos « mauvais » élèves sont malheureusement de très mauvais élèves. Cette différence étant en partie statistiquement liée à l’origine socio-économique de nos jeunes (cet enchaînement étant d’ailleurs plus important que dans beaucoup de pays de l’OCDE). Les doubleurs sont souvent des jeunes garçons issus de milieux défavorisés (mais pas que…). Toutefois, il n’y a pas de fatalité, certains établissements obtiennent de leurs élèves « faibles » des résultats surprenants, très supérieurs à la moyenne. L’objectif est donc d’améliorer les résultats de ce public cible, pour les mener au niveau de la moyenne OCDE, ce qui représenterait une amélioration très sensible de tout notre système scolaire. Nous pourrions par exemple, rattraper la Flandre dans les tests PISA. A condition, bien sûr, de maintenir le niveau des autres élèves…

Le Pacte, c’est la réponse à trois défis :

  1. La croissance démographique
  2. Franchir le cap de la transition numérique
  3. L’amélioration de l’équité, de l’efficacité et de l’efficience du système scolaire, en d’autres termes de la qualité de celui-ci.

Une stratégie, cinq axes

Axe 1 : Savoir et compétences, enseignement maternel, tronc commun

Et tout commence en maternelle

Les maternelles sont les fondations de notre système d’enseignement ; c’est le lieu de la familiarisation avec les « codes » scolaires et du vivre ensemble ; c’est le lieu du développement du langage et de la langue d’apprentissage. Sachant que les connaissances en vocabulaire français des enfants peuvent être très différentes à l’entrée en maternelle, et que les moyens (humains et financiers) que nous consacrons à ce niveau d’enseignement sont inférieurs de 25 % à ceux de nos voisins, le Pacte pour un enseignement d’excellence (PEE) ne pouvait que se pencher sur celui-ci.

Il faut tout faire pour favoriser la fréquentation régulière de l’école maternelle : ce niveau se situe à la charnière entre le monde de l’accueil de la petite enfance et le cycle 5/8. Il est donc nécessaire d’établir un continuum entre accueil et maternel, en élargissant l’offre de formation commune aux acteurs éducatifs de l’encadrement des 0-6 ans. Il est également opportun de développer les partenariats locaux (commission de l’enfance, conseil de participation…). C’est enfin le meilleur moyen (et moment) pour tisser des relations avec les parents. Aller vers les parents d’enfants en crèche, faire des activités communes avec les enfants qui vont rentrer dans quelques mois ou semaines à l’école maternelle est une manière de montrer que l’école est « parents admis », et d’expliquer les règles de collaboration.

En ce qui concerne l’avancement de l’obligation scolaire, cela relève du pouvoir fédéral et toucherait à la « clé élève »[1], et donc à la répartition du financement de l’enseignement obligatoire entre les trois communautés du pays, au détriment de la Flandre. Cela semble donc peu réaliste pour le moment. Le PEE estime qu’une obligation scolaire à 3 ans serait très porteuse d’amélioration, mais il faut en étudier l’impact financier logistique et humain : encadrement et places en nombre suffisant…

Le soutien à la réussite commence en maternelle : que ce soit par la confiance en soi de l’élève, la détection précoce des difficultés demandant l’établissement d’un plan d’accompagnement précédé d’un diagnostic pluridisciplinaire, ou le respect du rythme de développement de chaque élève.

Pour réaliser le renforcement du maternel, il est proposé l’engagement de 1.100 équivalent temps plein ; les directions étant libres d’affecter ces emplois en fonction des besoins de l’établissement.

Et le tronc commun, kekseksa ?

Le tronc commun (TC) est la partie des études obligatoires, durant laquelle tous les élèves ont le même programme. Il n’y a donc pas de cours à option durant le TC. Il y aurait trois gros changements par rapport à la situation actuelle :

  1. Le programme de cours deviendrait polytechnique et pluridisciplinaire : sept domaines[2] de compétences, non hiérarchisés, seraient abordés. On insisterait les premières années sur les matières de base et sur la langue d’enseignement et on s’ouvrirait petit à petit à d’autres compétences, techniques, artistiques, sportives, culturelles...
  2. Le TC commencerait en 3e maternelle et s’achèverait en fin de « 3e secondaire ».
  3. La grille horaire intégrerait des heures de « remédiation – consolidation – dépassement » (RCD). Ce système permettrait aux élèves en échec à une évaluation formative d’avoir une nouvelle explication de la matière, avec une autre pédagogie. Les autres pourraient renforcer ou développer les matières vers lesquelles ils désirent s’orienter.

Le TC est progressivement orientant ; son caractère pluridisciplinaire et la discipline « apprendre à choisir » ainsi que la création d’outils d’orientation devraient transformer le choix futur en une démarche positive, par opposition à une relégation. Il se terminerait par une évaluation certificative externe : le certificat de tronc commun (CTC) en fin de 3e. Celui-ci remplacerait le CE1D et le conseil de classe délibérerait en cas d’échec. Si l’échec était confirmé par le conseil de classe, il y aurait redoublement de la 3e, l’élève ne devant pas représenter l’entièreté des disciplines et pouvant utiliser les plages libres de son horaire pour suivre des cours de 4e en vue de confirmer son choix d’orientation ou d’obtenir des dispenses pour l’année suivante. Le CEB serait transformé en épreuve externe non certificative.

Le redoublement est autorisé tout au long du TC. L’objectif des mesures mises en place (RCD, renforcement du maternel, pluridisciplinarité, fréquentation…) est d’arriver à une diminution du redoublement et du décrochage d’au moins 50 % à l’horizon 2030.

Axe 2 : Autonomie et responsabilisation accrues

Ce chapitre concerne principalement les professionnels de l’enseignement, et moins directement les parents ; il comporte pourtant des réformes très importantes, dont certaines sont de très anciennes demandes de l’UFAPEC.

  1. Une autonomie accrue des établissements tant du point de vue de la gestion administrative que pédagogique : en échange, un contrat d’objectifs serait établi par l’école, liant le Pouvoir Organisateur (qui a la responsabilité juridique de l’école) et le Pouvoir Régulateur (Gouvernement, via l’Administration). Ce contrat reprendrait le projet pédagogique (déjà existant actuellement), les objectifs généraux fixés par l’autorité centrale, ou ceux fixés pour une zone déterminée ainsi que les objectifs que l’établissement se fixent en concertation avec le personnel pédagogique, en fonction de sa taille, de sa population d’élèves, de son environnement… Ce contrat, valable 6 ans, serait rédigé avec l’aide de fonctionnaires spécialement formés, qui se chargeront de son évaluation en consultant tous les acteurs de l’école (y compris les parents).
  2. Il est prévu une aide administrative sur site pour les directeurs du fondamental et du secondaire spécialisé ainsi que le développement de la mutualisation des tâches administratives. L’amélioration des outils et des services numériques de l’administration (plate-forme commune à tous les acteurs) sont des pistes incontournables en ce domaine.
  3. Renforcement du leadership pédagogique des directeurs : entre autres, une plus grande implication, selon des modalités à définir, des directeurs dans le primo-recrutement des enseignants.
  4. Rendre possible la délégation pédagogique, le leadership distribué sur base des compétences disponibles dans l’établissement afin de dynamiser l’équipe des enseignants.
  5. Le travail collaboratif serait vivement encouragé car il a un impact majeur sur la qualité de l’enseignement. Il est en effet formateur, il fait partie d’un processus d’amélioration continue des pratiques pédagogiques et favorise l’accueil et l’intégration des nouveaux professeurs.
  6. Une grande place serait accordée à la formation des enseignants, principalement la formation en cours de carrière, la formation initiale dépendant du Ministre Marcourt. Les demandes des acteurs en ce qui concerne la formation initiale ont été transmises à son cabinet.
  7. Le développement d’un système d’évaluation des directions et des enseignants. Pour ces derniers, il s’agit principalement d’une évaluation collective et formative, toujours avec la volonté d’entrer dans un processus d’amélioration continue.

 

Axe 3 Faire du qualifiant une filière d’excellence choisie

Après le tronc commun

A partir de la 4e, il y aurait le choix entre plusieurs filières. Une filière de transition, regroupant les actuelles filières générales, techniques de transition, et quelques options du technique de qualification (qui seraient transférées dans cette filière car menant aux études supérieures) et une filière orientée « métier » reprenant le technique de qualification et le professionnel. La filière de transition devant se terminer par un examen certificatif mixte (externe pour les matières de base et interne pour les options), octroyant un CESS permettant l’accès aux études supérieures.

Les élèves arrivant à ce stade, auront, si le TC donne tous ses fruits, une meilleure connaissance des matières de base et feront un choix personnel de filière, en fonction de leurs forces, de leurs envies et de leur projet de vie. On devrait donc voir diminuer fortement l’entrée dans le qualifiant par relégation.

L’ambition est d’avoir dans le qualifiant une formation générale forte, liée à l’option, afin de permettre via une passerelle (7e année) l’accès à l’enseignement supérieur et de faciliter une éventuelle reconversion professionnelle en cours de carrière. L’élève réussissant sa 6e recevrait un CESS reconnu par le FOREM et permettant l’accès à certains emplois publics.

Axe 4 Ecole inclusive…

Une école, pour qui ?

Grâce au développement de l’inclusion des enfants ayant des besoins spécifiques au sein des établissements, beaucoup plus d’élèves auraient accès à l’enseignement ordinaire, mais parfois avec des niveaux d’exigence adaptés. Pour réussir cet accueil, l’école devrait prévoir les moyens à mettre en œuvre (y compris les aménagements raisonnables) dans son plan de pilotage et renforcer le dialogue avec les familles concernées. Les jeunes dont on suspecte qu’ils ont des troubles d’apprentissage devraient faire l’objet d’un diagnostic pluridisciplinaire, afin de déterminer les soutiens scolaires à déployer. Certains aménagements raisonnables deviendraient obligatoires dans toutes les écoles, d’autres, plus difficiles à mettre en œuvre, ne pourraient être imposés ; un inventaire cohérent de ce qui pourra être imposé devrait être établi.

L’offre d’enseignement spécialisé devrait être améliorée en veillant à une meilleure répartition géographique des écoles et en incitant à la création d’implantations de l’enseignement spécialisé dans l’ordinaire.

Axe 5 Infrastructures, qualité de vie, gratuité, démocratie

Des outils et des formations à destination des écoles devraient être créés en vue d’améliorer l’aménagement des espaces scolaires.

La qualité de vie concerne aussi bien la santé, le sport que la prévention contre le harcèlement et le développement d’espaces de parole.

Si l’on veut favoriser la fréquentation de l’école maternelle, la gratuité des frais serait un bon levier. Cette gratuité pourrait être étendue progressivement en primaire, en priorité pour les frais scolaires.

Enfin, il faudrait renforcer le statut d’acteur des élèves, au travers du système de délégation d’élèves et de la mise en place d’un conseil coopératif et citoyen de la classe, hebdomadaire. Il est aussi préconisé de donner un cadre légal aux organes représentant les élèves.

Conclusion

Le Pacte pour un enseignement d’excellence est révolutionnaire à plus d’un titre. Par son ambition tout d’abord : il veut repenser l’ensemble du système scolaire, ce qui de mémoire d’UFAPEC (plus de 60 ans tout de même) ne s’est jamais produit en FWB et en Belgique. Par sa méthode ensuite : le fait d’avoir confié la rédaction du Pacte, après de larges consultations, aux acteurs de terrain favorisera l’adoption de celui-ci (même s’il y a encore beaucoup d’explications à donner et de craintes à apaiser). La plupart des propositions ont déjà été testées sur le terrain, ou pratiquées plus largement, mais doivent faire taches d’huile. Le Pacte est révolutionnaire en proposant des réformes souvent « non-révolutionnaires » ; on peut donc les qualifier de douces…

A l’heure d’écrire ces lignes, nous ne savons pas encore si le Groupe Central réunissant les acteurs de l’enseignement va trouver un accord final. Le Gouvernement lui a confié une mission essentielle pour l’avenir de notre société, de nos enfants. Les membres du Groupe Central ont tous mis, dans le texte de l’avis N°3, leurs priorités, leurs convictions, leur amour du monde de l’enseignement ; il leur reste à prendre leurs responsabilités. Et demain, il restera aux acteurs à accompagner la mise en œuvre de ce Pacte, à participer à un gigantesque chantier et à un énorme changement de mentalités, pour que l’école devienne enfin le lieu de la réussite et de l’épanouissement de tous les enfants !

 

Pascal van de Werve, Vice-Président et représentant de l’UFAPEC au groupe central 

 

[1] La répartition des moyens financiers consacrés à l’enseignement, entre les trois communautés du pays est basée sur le nombre d’élève scolarisés dans chaque communauté : c’est la clé élève. Le manque de places dans les écoles bruxelloises a favorisé l’exode des étudiants vers la Flandre, qui a donc reçu un peu plus de financement au détriment de la FWB ; à contrario, en raison de la natalité plus importante de la FWB, avancer l’obligation scolaire d’un an, se ferait en défaveur de la Communauté flamande.

[2] Les sept domaines sont : 1. langues (modernes y compris le français et anciennes), 2. expression artistique, 3. mathématique – sciences – géographie physique – technologie et techniques - numérique, 4. sciences humaines et sociales – philosophie – citoyenneté – religion, 5. activités physique – santé et bien-être, 6. créativité – esprit d’entreprise, 7. apprendre à apprendre et à choisir, ces deux derniers ne faisant pas l’objet d’un cours dédié, mais étant abordés de manière transversale par les autres domaines.


 

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