Analyse UFAPEC 2011 par A. Floor

01.11/ Les collections comme outil d’apprentissage de notre société de consommation

Introduction

Les enfants sont instinctivement collectionneurs. Leurs poches et les fonds de cartables regorgent de trésors variés : cailloux, morceaux de bois, boutons, cartes à collectionner (Pokemon, Bella Sara, Yo Gi Oh, Gormiti,….),… Ils revêtent une importance toute particulière à leurs yeux, que bien souvent les adultes saisissent difficilement. Ils les promènent partout et les exhibent lors des récréations. L’école constitue dès lors une plate-forme idéale pour les échanges et trocs en tout genre. Le jeune collectionneur va faire des apprentissages dans des domaines très différents : relationnel, social, économique, cognitif. Alors que chez l’adulte, la collection reste singulière, l’accumulation d’objets se fait naturellement chez les enfants. Et c’est essentiellement entre sept et douze ans que les enfants sont les plus actifs dans les activités de collectionnement, période de vie qui correspond aussi à celui de la socialisation par les pairs. Et elle atteint son point culminant vers neuf ans. Avant 6-7 ans, l’enfant va plutôt accumuler des objets très divers sans qu’il y ait une volonté de les classifier, de les sérier, de les relier.

La collection de l’adulte est bien souvent à l’abri dans une vitrine ou un classeur et est peu mobile, celle de l’enfant se transporte facilement, se montre aux copains et transite obligatoirement par la cour de récréation. Les poches de vestes, les fonds de cartables, parfois des boîtes servent au transport des objets.

L’enfant qui démarre une collection le fait avec exaltation et passion. Il déploiera une énergie importante à rechercher des informations mais l’abandonnera aussi très vite.

La collection dans l’univers des enfants revêt un caractère éphémère, très passionnel et inclut le jeu et la manipulation des objets de la série.

Différentes manières de collectionner

La collection est un regroupement d’objets similaires. Cependant, son suivi, la recherche de nouveaux objets, leur classification entraînent un éventail d’activités des plus variées : observation, tri, regroupement, classement suivant certains critères bien définis, soins et entretiens, jeux, établissements de liens avec l’histoire, etc…[1] Certains enfants deviennent d’ailleurs des experts dans l’art de définir les cotations en fonction de leur connaissance de la pièce rare. Il s’agit d’une rareté toute relative dans la mesure où celle-ci est liée uniquement à la disponibilité du produit dans le groupe.

Il y a chez les enfants plusieurs manières de collectionner :

  1. la collection par achat : les vignettes sportives et autres, les autocollants et leurs albums spécifiques, les cartes rigides ou souples, mates ou brillantes vendues chez les diffuseurs de presse ( Pokemon, Bella Sara, Yo Gi Oh, …) qui sont des produits des actualités sportives, télévisuelles, cinématographiques, des nouveautés de la librairie… L’engouement pour ces cartes est phénoménal mais la durée de vie de ces collections est très aléatoire par le fait qu’elle est tributaire de la mode.
     
  2. la collection des gadgets promotionnels distribués dans le cadre des campagnes publicitaires pour articles ménagers et/ou alimentaires ou organisés par les grandes surfaces pour attirer et fidéliser les clients (cartes animaux du Delhaize, vignettes schtroumpfs, pyramide alimentaire, pin’s, gadgets dans les fastfoods et dans certaines collations et boîtes de céréales,…). L’enfant n’achète pas directement les pièces de sa collection mais il influence les choix de consommation des parents, grands-parents, … Le CRIOC rappelle que les parents sont souvent enclins à dépenser un peu plus pour satisfaire les souhaits ou plutôt les demandes de leurs bambins. Il souligne que cette action[2] aura comme conséquence d’augmenter les dépenses initialement prévues par les consommateurs lors de leurs achats.[3]

  3. une collection qui démarre par le hasard de découvertes (un coquillage ramassé pendant les vacances deviendra le point de départ d’une nouvelle collection) ou est initiée par la famille (les parents collectionnaient des minéraux, l’enfant reçoit un album de timbres, ….).

En étant collectionneur, l’enfant apprend aussi à être consommateur et mobilise des compétences à la fois cognitives, affectives et sociales.

Apprentissage cognitif par la collection : l’enfant se construit comme il façonne sa collection

Les enfants établissent une sorte de ségrégation dans les collections, il y aura celles qu’on laisse aux petits et celles qui valent le coup. Les enfants de 7-11 ans ont tendance à délaisser les collections qui exigent moins de maîtrise des critères d’une série. C’est pourquoi, les enfants de 7-11 ans sont moins intéressés par les cadeaux insérés dans les emballages. Il n’y a aucun enjeu cognitif à faire valoir dans le mode d’acquisition des pièces. Ces primes obéissent en effet à un processus aléatoire qui est très éloigné du répertoire des stratégies que les jeunes collectionneurs mobilisent pour alimenter leur série.[4]

Les enfants plus jeunes vont appliquer la norme en vigueur pour procéder au troc tandis que les plus âgés vont s’informer plus avant dans l’évaluation des objets susceptibles d’être intégrés dans leur collection. Il combinera des caractéristiques tangibles (couleur, personnage, …) à des propriétés plus subjectives (qualité, esthétique, rareté,…). Il deviendra un connaisseur. Pour affiner ses connaissances, il fera appel à de multiples sources d’informations (les points de vente, la navigation sur les sites internet des concepteurs de la collection, les publicités,….). Le recours à Internet est une ressource informationnelle qui devient importante pour les enfants. L’habileté requise pour trouver des sites susceptibles de nourrir un savoir est considérée comme un levier pour obtenir une réputation de connaisseur et confronter ses propres expériences avec celles des autres passionnés.[5] Le cas des cartes pokémon est détaillé en annexe.

Le club sert aussi de guide à l’enfant pour enrichir sa collection ; l’entreprise par l’intermédiaire du club devient son interlocuteur direct. Elle l’aide à construire sa collection en lui donnant des conseils, en proposant des services (échange, achat de pièces manquantes). Elle lui permet de faire partie d’un groupe. L’exemple de l’entreprise Panini est éloquent : elle rassemble autour d’un club tous les enfants qui ont démarré les collections seuls et qui ne parviennent plus à compléter leurs séries en offrant un service d’échange. Le site du club Pokémon a été le site le plus visité en France en 2000. Chaque enfant, en tant que membre du Club, fait partie d’une communauté qui partage le même engouement pour un univers et à qui on peut s’adresser dans un langage spécifique parce qu’il est considéré comme un initié[6].

Premiers pas en tant que consommateur

En classant les pièces de sa collection, l’enfant prend conscience de la valeur des choses au niveau symbolique mais aussi sur le plan économique. Selon Brougère[7], l’enfant en réfléchissant à l’achat d’une nouvelle pièce pour sa collection apprend à discipliner ses envies, à arbitrer entre la possession immédiate d’un objet de faible valeur unitaire ou l’acquisition différée d’un produit moins abordable mais plus gratifiant pour lui. Il apprend à faire des choix en confrontant le prix du produit à la satisfaction qu’il retire de la possession. Les objets de collection sont bien souvent les premiers achats que l’enfant réalise en utilisant son argent de poche. Il n’a dès lors plus besoin de l’aval de ses parents pour créer et alimenter sa ou ses collections. Les collections enfantines dont les pièces relèvent souvent du gadget sont des achats que l’enfant peut réaliser seul ou en compagnie d’autres camarades qui partagent la même attirance pour un produit[8]. Alors que les enfants de 8-11 ans traînent bien souvent les pieds pour faire les courses dans les magasins avec leurs parents ; lorsqu’il s’agit d’enrichir leur collection de nouvelles pièces, ils sont tout à fait disposés à visiter plusieurs points de vente. Et ils iront même jusqu’à coter les points de vente : Les points de vente sont ainsi évalués à l’aune de l’assortiment proposé. Néanmoins, les offres sont comparées en intégrant la variable prix. Celle-ci devient un critère discriminant dans le choix du magasin commercialisant la série convoitée.[9] L’enfant par le biais de sa collection accomplit donc ses premiers pas dans l’univers de la consommation.

Les entreprises ont bien compris l’enjeu financier des collections enfantines pour leur chiffre d’affaires (augmentation des ventes sur le court terme, politique de fidélisation, création d’un capital de sympathie à très long terme). Il est par ailleurs essentiel pour ces firmes que les séries qu’elles proposent soient avalisées par les pairs de l’enfant collectionneur.

Le groupe comme aval ou non d’une collection

Les collections sont soumises au verdict des autres enfants et ne pas adhérer à une collection à la mode a des implications sur les liens sociaux. Cela représente un risque de se voir exclu du groupe que peu d’enfants ont envie de courir. L’intégration de l’enfant au sein de son groupe de pairs sera grandement facilitée par la possession des objets de la collection à la mode. A ce titre, la collection se manifeste comme une prise de conscience pour l’enfant que les produits consommés sont des vecteurs d’intégration sociale.[10] Prémices de ce qui s’exprimera encore plus ouvertement lors de l’adolescence avec les marques de vêtements ; s’habiller à l’identique facilite l’intégration et la reconnaissance comme « semblable » au sein du groupe de ses pairs. La présence des copains motive les enfants à agrandir leurs collections. Une émulation se crée et la collection devient le lieu où se mesurer à son groupe de pairs. Quand on interroge les enfants sur une collection qui connaît un certain succès, on obtient très souvent le même type de réponse « pour faire comme les copains ».[11]

L’école devient « le » lieu qui permettra à la collection de devenir un phénomène de mode ; L’école est le catalyseur des collections enfantines. Elle constitue un levier extraordinaire pour faire que la série devienne un phénomène de masse. L’échange qui représente l’essence de toute collection enfantine s’exerce au sein du groupe de copains pour s’élargir au club. [12] En effet, la plupart des sociologues constatent que les espaces publics (square, terrains de jeux) dans lesquels les jeunes se retrouvaient auparavant disparaissent peu à peu dans les villes. La cour de récréation devient le seul véritable endroit où les enfants peuvent se retrouver régulièrement. La cour de récréation offre dès lors la possibilité à la collection de se diffuser rapidement soit à partir d’un processus horizontal (enfants du même âge) soit à partir d’un processus vertical ascendant ou descendant. Les enfants des « petites classes » aiment observer les plus grands et ceux-ci se sentent particulièrement valorisés par ces spectateurs plus ou moins conquis d’avance à qui ils vont fournir un certain nombre d’informations sur la collection.[13]

Pour faire évoluer sa série, l’enfant va apprendre à négocier avec ses pairs, sa famille…. Les parents et les grands-parents sont souvent sollicités pour alimenter la série ; la manœuvre la plus utilisée consiste à faire venir leur mère dans le magasin pour qu’elle puisse elle-même apprécier la qualité de l’offre comparée au prix modique du gadget. Cet arbitrage, coûts-bénéfices emporte fréquemment, d’après les enfants, une décision positive des adultes.[14] Ils apprennent aussi à marchander lors des échanges avec leurs pairs. La cotation des produits (en tenant compte de la taille, la couleur, la rareté …) induit que chacun en maîtrise les principes pour participer à la bourse d’échanges. On observera d’ailleurs qu’au plus les enfants sont proches affectivement, au moins la négociation est âpre. Les objets de collection obéissent souvent à des mécanismes de don et contre-don qui n’ont plus rien à voir avec la valeur du produit, le troc donnant l’occasion de témoigner son amitié au partenaire.

La démarche de collectionnement se complexifie au fur et à mesure que les enfants grandissent. Ils vont franchir des étapes pensées par l’entreprise qui vont lui permettre d’être reconnu dans le groupe comme expert. Par exemple, les collectionneurs de Warhammer[15] se retrouvent dans les points de vente qui commercialisent les figurines pour échanger leurs expériences au travers du jeu. Le fait d’avoir à assimiler des règles de plus en plus complexes constituent le ciment du groupe. Les points de vente sont des lieux privilégiés de théâtralisation de l’offre dans lesquels les vendeurs apparaissent comme de véritables guides[16].

 

Conclusion

L’enfant fait ses premiers pas dans notre société de consommation en utilisant son argent de poche pour enrichir sa collection, il pourra faire figure de connaisseur voire d’expert auprès de ses pairs s’il maîtrise les critères de la série, il mobilisera un réseau d’acteurs (famille, pairs, internet, télévision, magasins, …) pour faire évoluer sa série. Une activité aussi innocente qu’une collection positionne donc l’enfant en acteur dans la société par tout le réseau relationnel qu’il développera et les choix qu’il posera lors de l’acquisition, l’échange ou le troc des pièces de sa série. Comment se positionner en tant que parents face à ce phénomène des collections ? Il n’est pas toujours facile de les contrôler dans la mesure où bien souvent elles démarrent à notre insu. Par contre, accompagner nos enfants dans un processus de réflexion par rapport aux implications de la collection fait vraiment partie de notre mission d’éducateur : aller faire ses courses dans telle grande surface pour enrichir sa collection n’est pas innocent, nous pouvons les faire réfléchir aux stratégies utilisées par les entreprises pour attirer le client et surtout le fidéliser. Quelle est  la valeur véhiculée par la collection (qu’apprends-tu ?, quel est son impact écologique ?,...). La collection peut servir autant à favoriser l’intégration des nouveaux élèves, des élèves plus timides, moins scolaires, trop turbulents en classe qu’exclure les enfants qui, pour une raison ou une autre, ne démarrent pas la collection en vogue dans la cour de l’école. Là aussi l’adulte a un rôle important à jouer en faisant réfléchir sa classe sur les bienfaits et les dérives de la collection. Leur apprendre à comprendre les implications de la collection sur leur manière d’être avec les autres est intrinsèquement une démarche citoyenne qui aidera les enfants à se positionner et pas seulement à être les jouets d’une société de consommation qui s’appuie sur une de leurs activités favorites (le collectionnement) pour vendre plus.

 
 

 

Anne Floor

 

 

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[1]www.men.public.lu/sys_edu/scol_enfants_etrangers/mesures_specifiques/eveil_sciences/plaisir_de_collectionner.pdf

[2] L’action désigne le nouveau jeu de collection lancé conjointement par le WWF et Delhaize l’été 2010 sur le thème des animaux et de la sauvegarde de la biodiversité.

[4] P. Ezan, Qu’est-ce que les enfants apprennent de la consommation quand ils collectionnent ?, p.16. http://www.escp-eap.net/conferences/marketing/2006_cp/Materiali/Paper/Fr/Ezan.pdf

[5] P. Ezan, Qu’est-ce que les enfants apprennent de la consommation quand ils collectionnent ?, p.16.. http://www.escp-eap.net/conferences/marketing/2006_cp/Materiali/Paper/Fr/Ezan.pdf

[7] P. Ezan, Qu’est-ce que les enfants apprennent de la consommation quand ils collectionnent ?, p.8. http://www.escp-eap.net/conferences/marketing/2006_cp/Materiali/Paper/Fr/Ezan.pdf

[10] P. Ezan, op.cit, p.17.

[11] P. Ezan, Le groupe comme vecteur de diffusion d’une collection p.11.

[12]P. Ezan, op.cit p. 19-20..

[13] P. Ezan, op.cit, p. 16.

[14]P. Ezan, op.cit, p.16.

[15] Mélange entre la maquette et les petits soldats de plomb. Voir annexe 2.

[16]P. Ezan, op.cit, p.17.

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