Analyse UFAPEC janvier 2012 par M. Lontie

01.12/ Jouer, c’est sérieux. Les enjeux des jeux de coopération

 

Un aveugle et un boiteux vivaient ensemble. Des bandits survinrent à l’improviste. Le boiteux en avertit l’aveugle qui s’enfuit en prenant son ami sur le dos. S’ils avaient pu ainsi se sauver mutuellement la vie, ils le devaient à leur collaboration parfaite dans laquelle les capacités de chacun furent pleinement utilisées.

Huan Nanzi (IIe siècle avant JC)

Introduction

En période de crise plus qu’à tout autre moment, l’homme a tendance à voir sa vie comme un combat, à vivre sa vie comme une lutte pour la survie. Dans ce monde-là, il faut se battre pour réussir, se lancer dans une compétition sans merci et gagner… le plus souvent au détriment de l’autre. En fait, la compétition n’est pas forcément mauvaise et est une facette de la vie sociale utile, nécessaire, à assumer et à apprivoiser. Elle peut prendre la forme d’une motivation individuelle ou d’une émulation en groupe. En ce sens, elle est constructive, appelle au dépassement de soi, demande que des objectifs soient fixés, poursuivis et atteints. Elle permet aussi de trouver et de prendre sa place dans une équipe, de l’accepter et de la tenir. Mais il existe une autre forme de compétition, violente, destructrice et qui peut se résumer à la loi du plus fort. Nous sommes là dans la lutte pour la survie dans son aspect le plus dur et le plus brut. Cette forme de compétition est agressive, et donc exclut l’autre.

Le sport, le jeu sont des lieux d’apprentissage, voire des métaphores, de la vie en société ou d’aspects plus particuliers du monde de l’humanité ou de la civilisation. Les jeux traditionnels font largement appel à l’univers guerrier, où, à travers le développement de stratégies, c’est la défaite et la destruction de l’autre qui constitue l’objectif premier ou unique. Pensons aux dames, aux échecs, au Stratego, au combat naval, au jeu de cartes « bataille »… L’objet de la présente analyse, sans rejeter les dimensions formatrices spécifiques des jeux de rivalité, vise à présenter des jeux développant des compétences personnelles et sociales qui, sans nécessairement exclure la compétition, mettent celle-ci à distance au profit de l’ouverture à soi, aux autres et au monde. Il y a, plus globalement, les jeux dits « éthiques »[1] qui amènent des apprentissages en termes de connaissance de soi, des autres, des normes et des lois. Parmi ces jeux éthiques, les jeux « de coopération » évacuent le modèle gagnant/perdant en posant comme objectif principal la réussite du groupe face à un défi commun plutôt que la réussite individuelle. Il s’agit de construire ensemble, avec les particularités et les capacités propres à chacun, la victoire de tous les participants. Il s’agit aussi, en cas d’échec, de faire face à plusieurs et de vivre une forme de solidarité dans la défaite. Ce qui compte, au final, c’est plus ce qui a été vécu ensemble que le résultat. Soit rappeler la fonction première du jeu : le plaisir d’un moment partagé. Mais par-delà le plaisir et la convivialité, quelles compétences sont ainsi développées par ces jeux solidaires ? Quelles sont les valeurs sous-jacentes de ces jeux ? Comment fonctionnent-ils et quel est leur intérêt concret ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous allons répondre.

Caractéristiques et objectifs des jeux de coopération

Le jeu de coopération fonctionne sur la communication et la concertation. Il est généralement introduit par un environnement, une ambiance, un conte qui intègre les joueurs dans une réalité qui les implique et les stimule : s’évader d’une forteresse enchantée, terrasser un dragon, se défaire d’un fléau qui met en péril le village,… C’est une réalité souvent tragique à laquelle ils doivent trouver une solution, un défi qu’ils doivent relever ensemble. Autre possibilité : le but réside dans la construction d’une œuvre commune, réalisable uniquement par la participation de toutes les personnes impliquées.

Les jeux de coopération sont soit physiques et dès lors plutôt utilisés dans l’animation de groupes, soit en format plateau (et donc plus adaptés à l’usage familial). Ils peuvent aussi être un mixte des deux, comme nous le montrerons plus loin. Les éditions Herder ont développé jusque dans les années ’90 un certain nombre de jeux de plateaux coopératifs (Le Chat Magicien, l’Ile Aventureuse,…) mais le succès limité auprès du grand public a poussé l’entreprise à abandonner le créneau, repris depuis par d’autres éditeurs comme Haba et Selecta. Mais s’ils se vivent autrement, les jeux de plateaux procurent aussi le plaisir du jeu et poursuivent les objectifs de coopération suivant des recettes très proches des jeux interactifs.

Dès le départ, chaque mouvement de jeu s’inscrit dans une démarche collective et mobilise chacun des joueurs. Les choix peuvent être discutés et négociés. Les règles du jeu elles-mêmes peuvent parfois être revisitées, soumises à discussion. Chacun peut s’exprimer, manifester ses envies et ses besoins. Sans peur d’être jugé. Le dialogue ouvert et la conscience de l’interdépendance de chaque joueur sont la clé du succès.

Ainsi, les jeux coopératifs incitent à l’expression de soi et de ses idées, laissent une place à la créativité, forment à la négociation. En principe, liberté est laissée au joueur de choisir la voie individuelle ou la voie collective. Il a droit, à tout moment du jeu, à son autonomie. Mais c’est en passant par le collectif que les défis ponctuels et le défi global du jeu pourront être pleinement relevés. Car ce que doit mettre en évidence un jeu coopératif bien construit, c’est que la somme des actions individuelles n’équivaut pas à une action collective bien discutée et bien menée. Les joueurs trouvent un bénéfice réciproque à aider et à se faire aider. Ainsi, chacun est important, chacun a sa place et est valorisé. Dans les jeux fonctionnant sur le mode gagnant/perdant, les plus jeunes joueurs sont souvent perdants ; avec le mode coopératif, ils ont un rôle à part entière, utile pour l’ensemble du groupe.

Le jeu coopératif se termine en même temps pour tous les joueurs. Soit parce que tout le monde doit arriver ensemble à l’objectif ultime, soit parce que le joueur qui a terminé doit aider les autres jusqu’à l’issue finale. Comme personne ne se fait éliminer avant la fin du jeu, il n’y a pas de place pour le vide : tout le monde doit tout donner jusqu’à la victoire… ou la défaite. En cas de victoire, celle-ci se savoure ensemble. En cas de défaite, cela se vit aussi en groupe. Dans l’idéal, elle se discute, pour déterminer ce qui a mieux fonctionné et ce qui a moins bien marché. Le débriefing va apporter une plus-value au jeu. Il permet de renforcer le processus d’apprentissage et renforce l’appropriation par les joueurs des compétences développées en cours de jeu. Dans les jeux demandant des décisions stratégiques, celles-ci sont passées au crible. Le groupe peut alors décider de refaire une autre partie, en changeant de tactique. Mais le moment de discussion après-jeu peut aussi recouvrir d’autres aspects : amener les participants à réfléchir à ce qu’ils viennent de vivre et comment ils l’ont vécu, partager leurs émotions, leurs impressions.

En effet, il nous semble important de le souligner ici, l’objectif principal des jeux de coopération ne réside pas d’abord dans la réussite finale. Ces jeux visent à développer des compétences personnelles et communautaires pour favoriser la vie et les actions de groupe tout en s’amusant. Le plaisir de jouer ensemble doit rester au centre de tous les autres objectifs. L’écueil à éviter pour les concepteurs est de tomber dans la moralisation. Par les valeurs de respect, de paix, de solidarité, de responsabilité,… qu’ils véhiculent et encouragent, il est évident que les jeux éthiques peuvent vite apparaître aux yeux des joueurs comme un jugement moral de leurs actions habituelles. C’est pourquoi « ils ne sont féconds que s’ils sont reliés et renforcés par d’autres activités qui les confortent »[3], nous dit Pascal Deru. Ces activités peuvent être sportives (sports d’équipe, courses relais,…), intellectuelles (débats, lectures,…) ou ludiques. C’est cette troisième dimension qui va nous intéresser à présent : la contribution des « jeux éthiques » dans le développement de compétences utiles à la coopération.

Compétences utiles à la coopération : la contribution des « jeux éthiques »

Les jeux coopératifs, s’ils mettent l’accent sur l’affirmation de soi, la convivialité, le vivre-ensemble et le plaisir du jeu, ne sont pas les seuls à répondre à cette dynamique essentielle. En ce sens, ils prennent leur place dans un ensemble plus large de jeux dont le fonctionnement repose sur la perception de soi, de l’autre, sur l’expression de soi, la confiance en l’autre, sur l’écoute et le respect. En effet, il semble difficilement envisageable de demander à une personne de relever un défi avec des partenaires sans qu’il se connaisse bien lui-même, sans qu’il ait pu au préalable identifier ses capacités propres, ses qualités et ses faiblesses, acquis de l’assurance. Et comment lui demander de relever un défi commun les yeux fermés, sans se mettre dans une posture de confiance vis-à-vis des partenaires, sans écoute et sans respect ? Ces compétences, parmi d’autres, sont en quelque sorte des préalables à toute forme de coopération. Les jeux dits « éthiques » visent à développer de façon dynamique chez l’enfant (ou chez l’adulte) de telles compétences.

Dans son livre « Jeux éthiques »[4], Frédérique Wauters-Krings propose une série d’exemples de jeux dédiés au développement de compétences personnelles et sociales. Ces jeux sont catégorisés suivant une structure inspirée du philosophe français Paul Ricœur :

            1° Je veux : à la rencontre de soi – où à travers la compilation de mes secrets et de mes trésors, à travers la façon de me présenter, d’exprimer mes émotions, mes souhaits et mes atouts je parviens à me forger une identification particulière, que je m’approprie et qui va servir de base aux relations futures.

« En réalisant ces activités, chacun construit peu à peu sa légende personnelle, se sent unique, compétent, performant [et] digne de respect. L’homme a quatre visages : celui qu’il est, celui qu’il croit être, celui qu’il paraît, celui qu’il croit paraître. »[5]

            2° Je veux et tu veux : à la rencontre de l’autre – où je me rends compte que l’autre existe, est différent, a ses démarches propres et que ces différences sont une richesse, une chance d’obtenir des résultats que je ne peux obtenir seul, une chance de vivre des expériences et des joies inatteignables en solo. C’est le « troc des compétences ».

« Ensemble c’est tellement plus amusant… Les ondes positives (comme les négatives) ça se partage, ça se propage. »[6]

            3° Il faut : à la rencontre des normes – où j’apprends les règles du savoir-vivre, où je prends conscience de mes habitudes et des habitudes de mon environnement, où je me rends compte que mes façons de faire sont contingentes et qu’ailleurs (dans une autre famille, dans un autre pays) il peut en être autrement, où j’apprends les codes du langage et les différences qui existent entre les langues, leurs expressions typiques, où je me familiarise avec l’art, ses normes et où j’apprends à apprécier, à respecter les différentes formes d’expression culturelle.

« Sortir de son point de vue et comprendre que différentes perspectives peuvent cohabiter. Cela permet de se libérer de ce qu’on croit normal et de vivre un quotidien décentré et plus libre. Cela donne l’occasion de voir les éléments habituels et les automatismes culturels autrement. Le regard se fait plus percutant. »[7]

             4° Tu dois : à la rencontre des lois – où j’apprends à connaître les lois de la nature et de la société, où j’apprends ce qu’est la loyauté, la responsabilité, la solidarité, la bienveillance, la tolérance, l’injustice et où je découvre les mécanismes de la société civile, les institutions, les passeports et les frontières, la justice et de nombreux autres domaines touchant à la notion de citoyenneté (comme le sentiment écologique, la ségrégation, la propriété, l’entraide, la violence,…).

« Comprendre que les règlements et les contrôles permettent de compenser notre désir de toute puissance et de liberté absolue qui pourrait compromettre la relation à l’autre et la capacité de vivre dans la société. Les lois sont prévues pour nous protéger, et si elles n’existent pas, chacun doit agir en fonction de principes éthiques intégrant le respect de soi, de l’autre, des autres, de l’environnement. »[8]

A l’occasion d’une interview accordée au journal « La Libre Belgique »[9], Frédérique Wauters-Krings remarque qu’il est essentiel que le premier stade, celui de l’ego, soit à un moment dépassé pour se consacrer aux trois autres dimensions. Elle insiste sur l’importance d’intégrer rapidement les codes et les lois, de les aborder par le jeu et d’y réfléchir. Les jeux éthiques offrent une porte d’entrée, ludique et adaptée aux plus jeunes, au développement de compétences sociales fort utiles en vue de tâches de coopération plus stratégiques et plus complexes.

Belfedar, une compilation de défis de coopération

L’Université de Paix, constatant que de plus en plus de parents, d’éducateurs, d’animateurs, de surveillants et d’enseignants étaient à la recherche d’outils intégrant les différents aspects de la collaboration, a récemment édité un jeu plateau, Belfedar, qui compile des exercices utilisés par cette organisation de jeunesse depuis plus de 35 ans. A destination des 10-100 ans, le jeu s’adresse avant tout à un public adolescent, soit entre 10 et 18 ans.

Un premier objectif global du jeu consiste à favoriser une communication constructive entre les personnes. Plus particulièrement, il s’agit de développer des habiletés sociales qui favorisent la prévention de la violence et la résolution des conflits. Aidée de ses collègues de l’Université de Paix, Christelle Lacour a porté le projet du début à la fin. Elle nous dit : « les objectifs pédagogiques de Belfedar ont été formulés au moment de la création du jeu, afin de rendre compte d'une série de dimensions essentielles pour améliorer le « vivre ensemble » (mieux se connaître et mieux connaître les autres, estime de soi), les bases pour « communiquer » efficacement (émotions et écoute), ainsi que des compétences utiles pour « agir » et trouver une issue gagnant/gagnant au conflit (expression créative et coopération). Nous travaillons ces rouages complémentaires (Vivre ensemble, Communiquer, Agir) dans nos animations avec les jeunes et nos formations pour adultes. »

Les 250 défis proposés aux joueurs dans ce jeu, parmi lesquels figurent par exemple le jeu du « nœud gordien » ou une variante des « descriptions à la chaîne », sont actifs et interactifs : mimes, dessins, jeux passant par la parole, l’écriture, le mouvement, le chant. Le but est de créer une ambiance agréable, ludique et stimulante, en utilisant des supports et des moyens d’expression variés. Cette diversité permet aussi à chacun d’exercer ses talents propres afin que les ressources des joueurs se complètent pour gagner les défis. Certains préféreront l’écrit ou y seront plus doués, d’autres l’oral ou encore les jeux corporels.

L’objectif premier reste bien de développer des compétences, des habiletés personnelles et sociales au service de la coopération. Ainsi, avec Christelle Lacour, nous retrouvons des dimensions développées dans nos sections théoriques sur les jeux éthiques et les jeux de coopération :

A. Mieux se connaître : connaître l’autre autrement et s’exprimer sur soi. Il existe une série de jeux qui permettent d’apprendre à connaître les autres autrement, mais aussi à se dire, à s’exprimer sur son propre vécu. Il s’agit en fait d’un puissant outil de prévention des conflits puisque, si je connais l’autre, je peux :

  • trouver avec lui des points communs plus facilement, plutôt que des différences, sources de conflits ;
  • comprendre son point de vue et me mettre à sa place, sans pour autant être d'accord avec lui ;
  • dépasser mes a priori sur lui et le voir autrement.

B. Favoriser l’estime de soi : développer la confiance en soi, en l’autre et dans le groupe. En cas de conflit, si je manque de confiance en moi, je cours davantage de risque de fuir, de m’écraser devant l’autre ou encore de tenter de le dominer à tout prix. Au contraire, si j’ai confiance en moi et en l’autre, je pourrai exprimer mon opinion tout en respectant la sienne et chercher des solutions qui conviennent aux deux parties. Certains défis proposés dans Belfedar favorisent également le sentiment d’appartenance au groupe.

C. Susciter l’expression créative : développer la créativité et l’imagination. En situation conflictuelle, j’ai parfois tendance à penser qu’il n’existe qu’une solution possible au problème posé. Faire preuve de créativité signifie sortir du cadre habituel de pensée pour imaginer des solutions nouvelles aux difficultés rencontrées, des solutions gagnant/gagnant.

D. Exprimer ses émotions : au lieu d’émettre des jugements. La plupart des modèles de communication positive et non violente de ces 30 dernières années ont en commun de prôner l’expression des émotions (en « je ») comme alternative à l’émission de jugements sur l’autre (en « tu »). Cette démarche permet de parler de moi, de ce que je ressens face à ce que l’autre dit ou fait, plutôt que d’entrer dans le reproche et la critique, souvent stériles et à l’origine d’une surenchère dans les conflits. Par ailleurs, gérer physiquement mes émotions permet de prendre du recul, de clarifier ce dont j’ai besoin pour me sentir mieux et de m’exprimer sans être submergé par mon ressenti.

E. Avoir une posture d’écoute : observer et écouter l’autre pour mieux comprendre son vécu. Si je prends le temps d’écouter l’autre, de comprendre ce qu’il vit, même sans être d’accord avec lui, il se sentira entendu et accueilli. L’autre pourra alors mieux comprendre mon vécu en retour.

F. Apprendre à coopérer : et expérimenter les avantages de la coopération par rapport à la compétition. Belfedar offre de multiples occasions de choisir entre coopérer avec les autres ou entrer dans le système habituel du « chacun pour soi ». Les joueurs découvriront avec étonnement les nombreux écueils de la compétition et les bénéfices non négligeables de l’entraide, de la collaboration, de la solidarité dans un groupe. Ils gagneront ou perdront la partie tous ensemble, plutôt que les uns contre les autres.

Dans cette configuration, la question du plaisir est capitale. Car quel serait l’intérêt d’un jeu sans plaisir ? Les concepteurs de Belfedar ont bien veillé à ne pas omettre cette dimension qu’ils garantissent de trois manières au moins : par l’aspect actif et interactif, par la présence du chronomètre qui impose à la partie un rythme relativement soutenu et par la liberté du choix. A ce propos, Christelle Lacour nous dit ceci : « Les joueurs ont réellement le choix à pleins de moments de jouer en compétition ou en coopération. La seule conséquence s’ils jouent en compétition est qu’ils augmentent leurs chances de perdre. Mais aucune bonne réponse n’est attendue dans les défis, ni aucun discours moralisateur donné aux joueurs ».

Christelle Lacour insiste aussi sur l’importance du débriefing. Pour aider l’animateur, un guide a été conçu. Des exemples de questions à poser en fin de partie y sont répertoriés. Car jouer ne suffit pas à lui seul à saisir tous les enjeux de la coopération. Après test, l’UFAPEC encourage les animateurs de groupes de jeunes de 12 à 18[10] ans à exploiter Belfedar s’ils souhaitent créer du lien, apporter une manière originale d’apprendre à connaître l’autre et proposer une activité ludique qui œuvre de façon dynamique pour la prévention des conflits. Car il s’agit bien de développer des compétences et des prédispositions, non de fournir clé-sur-porte le moyen de résoudre un conflit ouvert. Christelle Lacour remarque : « Belfedar favorisant la création de liens d'appartenance dans un groupe, le jeu prend tout son sens lors d'activités qui consistent à mieux se connaître entre élèves, lors de voyages scolaires ou de retraites, lors de moments d'étude libre, lors de journées situées entre la fin des examens et les vacances scolaires, lors des moments de garderie après l'école, pendant les récréations, etc. » Ceci dit, l’exploitation de Belfedar ne s’arrête pas aux seuls lieux d’animation mais peut être utilisé à des fins pédagogiques spécifiques : les défis liés à l’expression orale peuvent être utilisé pour un cours de français, ceux liés à l’expression corporelle pour un cours de sport ou d’art dramatique, ceux liés à la citoyenneté et aux habilités sociales dans le cadre d’un cours de religion. Bientôt édité dans d’autres langues, le jeu pourra très bien être utilisé dans un cours de langue… Et en famille ? A cette question, Christelle Lacour « vend » son jeu d’un clin d’œil : « Aux parents, je dirais : le tester en famille, c’est l’adopter ! »

Conclusion

Les jeux sont une manière alternative simple, efficace, active et inductive d’apprentissage. Ils sont d’autant plus efficaces qu’ils allient le plaisir à l’implication personnelle, qu’ils permettent d’ouvrir à l’imaginaire et à la créativité, qu’ils apprennent à vivre dans un cadre, suivre des règles et même (éventuellement) remettre celles-ci en question. Le jeu est universel, il participe naturellement au développement de l’enfant, de l’adolescent et de… l’adulte, ce que nous avons tendance à oublier, comme le fait remarquer Pascal Deru en introduction de son ouvrage[11].

La compétition fait partie de nous et nous en avons besoin pour nous motiver, pour mesurer nos habilités et nos compétences. Elle nous aide à formuler des objectifs, à identifier nos forces. Elle fait donc partie des apprentissages utiles et est constructive. Mais elle est destructrice quand elle se fait aux dépens des autres, quand la frontière entre jeu et combat est franchie. L’apprentissage de la paix n’est possible qu’à partir du moment où les parties prennent conscience que l’on peut sortir vainqueur sans qu’il y ait nécessairement un gagnant et un perdant. Coopérer, aider, fait aussi partie de notre nature humaine et nos plus belles réussites sont souvent celles que l’on a menées à plusieurs. Mais cette prise de conscience prend du temps, s’apprend, s’expérimente. Les jeux de coopération, et plus largement les jeux éthiques, offrent une opportunité originale et ludique, à tout âge, de formuler des objectifs et d’identifier ses forces sous un autre angle que celui de la compétition. Un angle qui lui est complémentaire et spécifique : elle s’extrait de l’ego pour viser un mieux par l’autre et avec l’autre. La coopération n’est pas l’addition côte-à-côte de compétences individuelles. Avec elle, les idées et les talents se répondent, s’animent pour former un tout homogène et construit par la multiplication des points de vue. Ce qui signifie que la singularité (dans tous les sens du terme) est une richesse et que la participation active de tous est salutaire et nécessaire.

Les jeux éthiques font appel aux multiples facettes de la personnalité du jeune, de l’enfant. Ils développent, nous l’avons vu, toute une série d’aptitudes dans le contact avec l’autre. C’est pourquoi l’UFAPEC encourage l’utilisation des jeux éthiques en classe, dans les lieux d’animation et de garderie, en famille. Le jeu permet à l’enfant de prendre en main son propre développement, de poser des choix, de les vivre et de les assumer. Il y a un équilibre entre la part d’action et la part de réflexion, sans pourtant encore être dans l’irrémédiable du réel : la partie peut toujours être rejouée, les choix modifiés. Les compétences acquises par le jeu et par le débriefing, par les discussions en cours de parcours, par le processus de remise en cause des règles ou de la compréhension qu’on a de celles-ci, vont permettre au joueur de développer des stratégies et des modes de fonctionnement qu’il pourra utiliser ensuite dans sa vie sociale et professionnelle. Ce sont donc des apports très utiles, très concrets et très formateurs (puisque certainement moins intuitifs que les mécanismes apportés par la compétition).

 

Michaël Lontie

 

 

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[1]A ne pas confondre avec l’aspect éthique des conditions socio-économiques ou écologiques de conception matérielle du jeu.

[3]DERU, P., Le jeu vous va si bien !, Éd. Le souffle d’or, Barret-sur-Méouge, 2006, p. 97.

[4]WAUTERS-KRINGS, F., Jeux éthiques, Éd. Casterman, 2011, 126pp.

[5]WAUTERS-KRINGS, F., Ibidem, p. 17. Nous illustrons chaque catégorie par un extrait emprunté à Frédérique Wauters-Krings dans son livre. Ces extraits sont chaque fois l’expression de compétences abordées par un jeu proposé dans l’ouvrage.

[6]WAUTERS-KRINGS, F., Ibidem, p. 41.

[7]WAUTERS-KRINGS, F., Ibidem, p. 57.

[8]WAUTERS-KRINGS, F., Ibidem, p. 89.

[9]BERTELS, L., « Le jeu se livre et délivre » in La Libre Belgique du 6 août 2011, p. 54.

[10]Pour un public adulte, le jeu fonctionne bien aussi et permet de créer du lien. Mais il peut y avoir un petit goût de trop peu pour ceux qui voudraient des défis qui permettent d’aller plus en profondeur dans la relation. Dans ce cas, nous suggérons une adaptation du mode de fonctionnement du jeu ou des défis, ce qui est tout-à-fait possible et envisageable. Ceci est dû à la volonté des concepteurs de proposer un jeu dynamique et attractif pour les adolescents.

[11]DERU, P., Le jeu vous va si bien !, Éd. Le souffle d’or, Barret-sur-Méouge, 2006, pp. 15-20.

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