Analyse UFAPEC 2011 par D. Houssonloge

02.11/ Comment vivre ensemble à l'école, dans une société multiculturelle ?

Introduction

Tout ce qui diffère de moi, loin de me léser m’enrichit écrivait déjà Saint Ex …

Tout comme la société, notre enseignement est aujourd’hui confronté à la question de la multiculturalité. C’est un fait établi et plutôt que d’accommodements évoqués par certains, et sans tomber dans l’angélisme, l’UFAPEC est désireuse d’y voir une opportunité d’ouverture à l’altérité.

Port du voile, cantine hallal, absence aux cours de gymnastique et de natation, cohabitation difficile voire racisme entre élèves, autant de questions qui se sont emparées de nos écoles et qui méritent une réflexion en profondeur suivie d’effets. Comment inventer un « art de vivre ensemble » au-delà des différences et des attentes communautaristes ?

A la question complexe mais essentielle de la multiculturalité et donc de la mixité scolaire, il n’y a pas  une mais DES solutions comme le montre la recherche d’Emmanuelle Lenel[1] ou encore celle de Robert Maier et Mariëtte de Haan aux Pays-Bas[2].

Notion de culture et de religion

L’idée de « culture » renvoie à cette diversité de mœurs, de comportements et de croyances forgées au sein d’une société. Mais derrière cette définition de la culture qui nous est devenue si familière, se profilent en fait des significations et des modèles différents[3]. Claude Lévi Strauss émet une autre conception : les cultures humaines ne seraient que des variations sur les mêmes thèmes, toutes égales et de même valeur intellectuelle.[4]

La multiculturalité nous amène au concept de religion. Comme le souligne encore le Dictionnaire des sciences humaines, le premier écueil à éviter est d’essayer de trouver une bonne définition de la religion. On peut toutefois définir la religion par la croyance en Dieu, par les rites (la prière, les sacrements), par les institutions (les églises, sectes), voire par les lieux et les objets sacrés (fétiches, statuettes, temples, etc.)[5]. Ce que les historiens et anthropologues ont observé c’est qu’il y a différentes façons de vivre sa foi : de la simple bigoterie au mysticisme, de la pratique assidue à la vague conviction, de la ferveur illuminée au simple confort moral et ce dans toutes les religions.[6]

Un travail sur les représentations sociales

S’il faut éviter les écoles ghettos, penser que l’égalité et l’intégration se font en mixant purement et simplement les élèves autochtones et allochtones est un leurre dont les premiers à en souffrir sont les populations immigrées. Aux Pays-Bas, Maier et de Haan font état d’une recherche dans une école primaire dite « noire » accueillant beaucoup d’enfants marocains. Les interactions entre groupe d’élèves montrent une différence notable entre le rôle que jouent les enfants hollandais et les enfants marocains. Ces groupes reçoivent la tâche de résoudre un problème mathématique. Dans les groupes mixtes, ce sont toujours les enfants hollandais qui jouent le rôle d’enseignant, en d’autres termes qui expliquent aux autres comment faire. En revanche dans les groupes composés uniquement d’enfants marocains, personne ne joue ce rôle, il y a plutôt une exploration entre égaux de problèmes à résoudre.

Ceci montre le risque d’une école avec une mixité de principe où l’on présuppose que les enfants immigrés sont quasiment assimilés et qu’ils disposent des mêmes habitudes et performances que les enfants du pays. Or sans ces compétences, ces enfants immigrés risquent d’être considérés comme posant problème dans le groupe ou comme présentant un retard significatif.[7]

En tant que mouvement de parents, l’UFAPEC regrette, comme l’exprime Smaîn Laacher, sociologue de l’immigration en France, que le débat autour des signes religieux à l’école ait finalement occulté un débat plus fondamental, celui de l’école et des rapports symboliques que les familles immigrées nouent avec elle.[8]

A ce sujet, il est important de rappeler que dans leur grande majorité les parents immigrés comme tous les parents, même s’ils ne sont pas dotés des compétences, font confiance à l’école et soutiennent leur enfant dans leur scolarité.

Or un malentendu existe similaire à celui rencontré avec les familles des milieux populaires[9] :

« Lorsque l’on demande aux enseignants et aux travailleurs sociaux d’évoquer les difficultés scolaires des enfants des classes populaires avec lesquels ils travaillent, et souvent avant même qu’on les interroge sur les causes de ces difficultés, leur discours s’oriente de façon élective sur les familles. Dans la plupart des entretiens, à la description des difficultés scolaires se mêlent sans cesse des références à la vie familiale et aux pratiques parentales. Très rares sont les enseignants qui centrent leurs propos quant aux difficultés scolaires uniquement sur les élèves en invoquant leur volonté de travail ou leurs capacités personnelles. »[10] Dès lors, les enseignants pensent généralement que la lutte contre l’échec scolaire passe par une transformation des familles de manière à ce que leurs pratiques soient davantage en conformité avec les exigences scolaires.

Par ailleurs, la multiculturalité nécessite un travail sur les représentations que l’on a de l’autre: enseignants, parents et élèves belges et immigrés.  Dans nos écoles, les élèves musulmans peuvent être pris en tenaille entre deux cultures et sont encore souvent victimes de préjugés comme l’expriment des jeunes interrogés par le Centre Avec : Beaucoup constatent que certains aspects de leur foi sont mal adaptés au monde actuel, mais ils s’y sentent liés notamment par attachement à leur famille [ …] Depuis le 11 septembre 2001, les musulmans , fort marqués, cherchent leur place. Il leur est difficile de se situer entre solidarité avec les leurs et dénonciation des excès et, bien qu’ils s’indigent contre l’Islam radical, pour eux très minoritaires, beaucoup ont l’impression d’être regardés par tous comme des terroristes en puissance.[11]

Quelle perception avons-nous des immigrés et des musulmans notamment ? Celle d’une rencontre entre deux cultures qui peuvent chacune s’apprendre et s’apporter quelque chose ou une vision déformée par le prisme des mass médias plus friands à faire de l’audimat et à parler des problèmes quels qu’ils soient qu’à montrer des exemples de cohabitation harmonieuse ?

Une remise en question est nécessaire à tous les niveaux pour dépasser les barrières et les idées toutes faites, pour mieux connaître l’autre culture et pour se faire une opinion de quelqu’un en considération de sa personne et non de sa communauté.

Dans le cadre de la formation des enseignants, cet aspect évoqué dans  le décret définissant la formation initiale des instituteurs et des régents (12-12-2000) est à développer :

Article 3

  • Mobiliser des connaissances en sciences humaines pour une juste interprétation des situations vécues en classe et autour de la classe et pour une meilleure adaptation aux publics scolaires.
  • Entretenir avec l’institution, les collègues et les parents d’élèves des relations de partenariat efficaces.
  • Développer les compétences relationnelles liées aux exigences de la profession.

Article 5. - Les connaissances socioculturelles comprennent :

1° la sociologie et la politique de l'éducation;

2° l'approche théorique et pratique de la diversité culturelle; et la dimension de genre;

3° une initiation aux arts et à la culture;

4° la philosophie et l'histoire des religions.

Pour les élèves du secondaire, soulignons l’initiative d’Hervé Hasquin en 2004 qui a édite le Guide pratique des religions et des convictions.

Gabriel Ringlet  y présente les attitudes possibles « devant le rocher de la conviction » :

  • La guerre et le refus du dialogue
  • La coexistence. Les convictions restent côte à côte mais ce n’est pas encore suffisant. L’absence de guerre n’est pas encore la paix.
  • La proexistence. Etre enraciné, avoir des convictions solides mais accepter de revisiter son point de vue après avoir rencontré la position de l’autre
  •  Le métissage : porter 2 couleurs en soi, ou 3 ou 4. « A y regarder de près, nous sommes tous un carrefour où se croisent plusieurs identités ».[12]

Une mixité nécessaire mais personnalisée, volontaire et dotée de moyens

Comme le souligne Lucien Noullez, enseignant et membre de la pastorale scolaire, il faut favoriser une certaine mixité : Ce que je constate dans les écoles, c’est que le racisme est moins présent quand des élèves issus d’un nombre élevé de pays d’origine se côtoient.

Dans mon école secondaire spécialisée, on en compte une trentaine, et il n’y a pas de débat ethnique, même si l’on remarque parfois de petits incidents. Il y a trop de nationalités pour qu’il y ait véritablement du racisme. Au contraire, s’il y a une forte population homogène, d’autochtones ou d’allochtones, avec peu de groupes différents, mais plus fournis, le risque est plus élevé (Grecs contre Turcs, ou Noirs contre Maghrébins, par exemple). Mon sentiment est qu’il faut favoriser une certaine mixité.[13]

Mais à l’instar de la mixité, la multiculturalité ne sera réussie que s’il y a une adhésion des différents acteurs de l’école via le projet d’établissement et si des investissements sont consentis dans ce sens : moyens accrus en termes d’encadrement.

Un partenariat école-famille incontournable

Pour terminer, vivre ensemble dans une école multiculturelle ne pourra pas se faire sans un partenariat école-famille fort. Dans ce but, faire une place aux familles, les valoriser en tant que véritables partenaires de l’école avec, malgré leurs différences culturelles, toutes les richesses qu’elles peuvent offrir sera un gage de réussite.

De nombreuses écoles se sont déjà lancées dans cette voie. L’UFAPEC soutient et promeut des initiatives comme les associations mais aussi les cafés des parents, les événements multiculturels autant d’occasions pour les familles belges comme  immigrées de jouer pleinement un rôle actif et citoyen dans l’école, de se rencontrer, de découvrir l’Autre et de construire un art de vivre ensemble.

Aider à l’intégration des élèves immigrés et de leur famille n’est pas simple mais exigeant. Cela passe aussi inévitablement par un travail sur nos propres représentations et une envie de découvrir et rencontrer des convictions et cultures différentes.

 
 
 
Dominique Houssonloge
 
 

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.



[1] Emmanuelle Lenel, La mixité à l’école comme levier de réussite ? Ressources et limites de deux modèles bruxellois, Brusselsstudies, numéro 40, 6 septembre 2010

[2] Robert Maier et Mariëtte de Haan, Les dynamiques multiculturelles dans les écoles néerlandaises in Revue française de pédagogie, n° 144, juillet-août-septembre 2003

[3]Le dictionnaire des sciences humaines sous la direction de Jean-François Dortier, 2008, p ; 121

[4] op. cit., p. 122
[5] op. cit. , p. 626
[6] op. cit. , p. 628
[7] Idem, p. 44-45

[8] Smain Laacher, Ecole et immigration : pour un nouveau regard in Sciences humaines, septembre-novembre 2006

[9] Jean-Luc van Kempen, L’école et les familles de milieux populaires, un malentendu profond ?, analyse UFAPEC 2008

[10] THIN Daniel, Quartiers populaires, l’école et les familles, Presses Universitaires de Lyon, 1998.

[11] Centre Avec, Elèves musulmans dans les écoles catholiques .Défis et atouts. Analyse 2010

[12] Guide pratique des religions et des convictions. Communauté française, 2004

[13] Une multiculturalité facile à vivre in Entrées libres, juin 2009

 

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK