Analyse UFAPEC 2010 par F. Baie

03.10/ Notre société impulse-t-elle un changement de comportement des adolescents par rapport à l’alcool ? 2ème partie: que boivent les ados? Les Alcopops, un conformisme social et/ou un attrait pour la nouveauté ?

Introduction

Une étude menée par le CRIOC[1] en mars 2009 et basée sur 1542 interviews de jeunes de 10 à 17 ans dans les écoles belges montrent qu’ «  A l’âge de 14 ans, les boissons fortement alcoolisées, mélangées ou non avec du soda apparaissent » !. Le CRIOC met en évidence certains chiffres interpellants: « 2 jeunes sur 5 ont déjà bu des boissons fortement alcoolisées, tels que des spiritueux mélangés ou non avec des sodas, un apéritif (porto par exemple) et/ou des limonades alcoolisées ». C’est à partir de ce constat que l’UFAPEC invite les parents à s’interroger sur la consommation des « Alcopops » à travers notre analyse. Sous ses airs de ne pas y toucher, cette boisson alcoolisée fait-elle des ravages ? Qu’entend-on par « Alcopops » ? Comment expliquer son attrait ? Est-ce le groupe et/ou la nouveauté qui pousse nos enfants dans les tentacules de cette boisson fraîchement « tendance » ? Comment faire pour prévenir nos adolescents et ne pas banaliser cette consommation?

Définition du Concept

Selon l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies [2], « Les alcopos sont des boissons distillées sucrées dont la teneur en alcool est inférieure à 15% du volume (% vol), qui contiennent au moins 50 grammes de sucre par litre exprimé en sucre inverti ou une édulcoration équivalente, et qui sont mises dans le commerce sous forme de mélanges prêts à la consommation, en bouteilles ou d’autres récipients ».

Alcopops : un conformisme social ?

« Aujourd’hui, les jeunes font l’expérience de l’alcool tôt et davantage en dehors du cercle familial. Ils découvrent de nouvelles boissons conçues sur mesure par les alcooliers pour brouiller les pistes. Ils boivent entre potes, sans témoins et parfois sans limites… », c’est ce qu’annonce le journal « En Marche »[3] et bien d’autres médias. Le CRIOC[4] (Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs) met l’accent sur le fait que les jeunes sont attirés par leurs pairs à boire certaines boissons : « La consommation d'alcool chez le jeune relève avant tout d'un comportement social, à l'intérieur de la famille pour l'apprentissage de consommation de vin, ou parmi ses pairs pour l'apprentissage de consommation d'alcopops ». Selon Berthe Reymond-Rivier[5], l’adolescent a besoin de se sentir identique aux autres (différent des adultes mais semblable à ses pairs) pour se décharger de ses angoisses et reprendre confiance en lui : « En s’identifiant à ses semblables, en répudiant le « Je » pour se fondre dans le « Nous », il peut alors sans trop d’angoisse assumer une personnalité de groupe opposée aux modèles des parents et des adultes en général » . Boire des boissons identiques peut dès lors faire en sorte que des individus se rapprochent et fassent partie d’un même groupe. Nico Hirtt et Bernard Legros[6], reprenant la notion de dynamique de groupes des psychologues Georges H. Mead et Kurt Lewin, expliquent eux aussi en quoi la consommation d’un produit devient une source de reconnaissance par les pairs : « Il faut être comme les autres, c’est-à-dire consommer comme eux, quelles que soient les qualités réelles du produit. La consommation est devenue chez les jeunes un nouveau rite d’insertion sociale, qui concurrence les anciens (familiaux, scolaires, religieux et plus tard, professionnels) »

L’étude du CRIOC (Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs) « La consommation d’alcool chez les jeunes. Quelles stratégies commerciales ? »[7] montre également que le groupe peut agir comme une pression pour inviter le jeune à boire certaines nouvelles boissons : « L’apprentissage de la consommation des alcopops (ready to drink) s’opère par la recherche d’une boisson désaltérante au goût sucré. Au départ, le pré-adolescent est confronté à la pression du groupe qui l’incite à boire une limonade (disponible au domicile des parents). Le goût sucré atténue l’impression qu’il s’agit d’une boisson alcoolisée et encourage la consommation. La consommation s’installe au fil des mois chez les jeunes, surtout au domicile. »

Selon Florence Vanderstichelen[8], ex Directrice d’Univers santé, les « Alcopops » se boivent en groupe : « Aujourd’hui on tend à boire en groupe, mais chacun accroché à son flacon. Cet « individualisme collectif » induit une véritable mode des petits contenants, le jeune consommateur est très sensible au visage de l’étiquette, à l’esthétique du flacon ».

Alcopops : Attrait pour la nouveauté ?

Selon Berthe Reymond-Rivier[9], dans notre société prospère et matérialiste, les jeunes ont des désirs, beaucoup de désirs et les mass média exploite scandaleusement cette donnée : « On va donc tout mettre en œuvre pour les attirer et les séduire, veiller à faire naître sans cesse de nouveaux besoins en lançant, à grand fracas de publicité, des modes nouvelles, de nouveaux objets à désirer ».

Cet attrait pour la nouveauté est confirmé par l’étude « Les publicitaires savent pourquoi » : « De nouveaux produits ont vu le jour. Plus sucrés, plus fruités et plus décalés par rapport au monde des adultes, ils veulent s’inscrire dans les aspirations des jeunes. Le goût sucré cache le goût de l’alcool et s’adresse plus volontiers aux jeunes et aux filles. Le produit se veut « branché ». La communication est centrée sur la recherche de l’aventure imaginaire et la différenciation, voire la provocation. Le packaging est adapté. La contenance est réduite afin de limiter le prix et d’inciter le jeune à l’achat. Bref, les marques utilisent les aspirations de la jeunesse et les orientent dans le sens de leurs intérêts »[10].

Clément Lefranc[11], dans un article du magazine « Sciences humaines » reprend les propos de Zygmunt Bauman tirés de son dernier ouvrage « S’acheter une vie »[12]. Il explique cette soif de nouveauté qu’engendre notre société de consommation : « Le temps est désormais au consumérisme, arrangement collectif grâce auquel la consommation devient un moyen de s’intégrer et de hiérarchiser la société. Tout est fait pour susciter l’envie, inciter chacun – quels que soient son âge, son sexe ou son statut – de s’équiper des derniers produits envogue, au risque d’ailleurs de l’inutilité et du gâchis ». Les « alcopops » seraient donc eux aussi ces produits en vogue ? Les shampooings à la vanille aux vertus aphrodisiaques trouveraient-ils des rivaux de taille dans les nouvelles boissons alcoolisées que les publicitaires proposent aux jeunes ?

D. Houssonloge[13], dans son analyse, reprend elle aussi la conception de ce sociologue pour expliquer la rapidité à laquelle nous nous lassons des produits de consommation : « Bauman montre comment la société de consommation génère une instabilité des besoins et une insatiabilité des désirs. Ce qui caractérise la société de consommation c’est d’être en mouvement ; la vie devient une course perpétuelle pour consommer toujours plus ; un objet à peine acheté est déjà quasi périmé ». Après les « alcopops » aux couleurs chatoyantes, quels nouveaux breuvages les alcooliers proposeront-ils à nos ados insatiables?

Tentation à gogo

Une des méthodes des « AA » »- Alcooliques Anonymes - pour sensibiliser les jeunes au danger de l’alcool est de se rendre dans les écoles pour témoigner de leur vécu. Emilienne, membre des « AA »  que nous avons rencontré, explique, via notre revue « Les Parents et l’Ecole », son désarroi par rapport aux stratagèmes consuméristes pour tenter les jeunes d’acheter des « alcopops » : « Les « alcopops » (boissons colorées, sucrées mélangées avec de l’alcool) sont un terrible appât pour le jeune public. C’est vraiment très nocif, vicieux et mis à leur portée ! On en trouve dans n’importe quelle épicerie… parfois même rangés à côté des limonades »[14].

Dans la même foulée, le Docteur Gueibe, Psychiatre alcoologue à la clinique saint-Pierre à Ottignies, s’inquiète lui aussi de ce camouflage sociétal : « Depuis toujours, l’alcool est présent dans les guindailles de nos jeunes. Et les guindailles existeront durant longtemps encore, sans doute. Sous l’effet de la publicité, nous assistons à un glissement subtil de l’alcool bière vers les alcools qualifiés de « forts », alcools blancs essentiellement. Ces alcools sont tout aussi subtilement « enrobés » dans des boissons qui dissimulent la « force » de l’alcool blanc ainsi ingurgité. Il s’agit là des alcopops, mais aussi de tous ces alcools dilués dans les jus de fruits, coca, bières… et qui sont très à la mode, me disent les jeunes patients. Or, un alcool ainsi dilué apparaît plus inoffensif, se boit plus rapidement, et le renouvellement du verre est plus rapide lui aussi ! [15]» Les alcooliers l’ont bien compris, peut-être pas les jeunes ???

Comment prévenir ? Comment ne pas banaliser ?

Dans ce contexte particulier, que pouvons- nous faire pour permettre à nos enfants de continuer à se rencontrer, à faire la fête sans se mettre en danger. Pour le Docteur Gueibe, la communication intra-familiale a une grande valeur : « En premier, lieu, il convient de s’interroger sur sa consommation familiale. Sommes-nous une famille où l’alcool est banalisé parce que présent au quotidien sur nos tables ? N’oublions pas que toutes les enquêtes soulignent volontiers que le premier verre d’alcool est bu en famille très souvent ! Sommes-nous une famille où l’alcool est admis et réservé aux moments festifs, moments particuliers, fêtes de famille, repas entre amis, … ? Avons-nous l’aisance de parler des drogues et de l’alcool en particulier avec nos enfants, nos adolescents, nos jeunes ? Ou sommes-nous quelque peu empêtrés dans notre propre consommation excessive, voire maladive, de boissons alcoolisées ? Que peut dire un père à son fils guindailleur si lui-même est un ardent pratiquant de la troisième mi-temps ? »[16]. C’est dire si nous devons remettre notre propre fonctionnement en question… Mais très vite le Docteur Gueibe poursuit : « Il convient ensuite de quitter le cercle familial pour mener une réflexion au niveau de notre société, dans la culture que les alcooliers voudraient nous imposer. Il s’agit donc bien là d’un travail de fond, qui devra à un moment donné interpeller nos politiciens, qui devront avoir le courage de s’opposer au lobby puissant des alcooliers »[17

Conclusion

La consommation d'alcool chez le jeune relève avant tout d'un comportement social, à l'intérieur de la famille pour l'apprentissage de consommation de vin, ou parmi ses pairs pour l'apprentissage de consommation d' « Alcopops ». L’apprentissage de la consommation des « Alcopops » (ready to drink) s’opère par la recherche d’une boisson désaltérante au goût sucré. Boire des « Alcopops » procède d’un conformisme social et semble banalisé par les adolescents. Cependant, cette boisson sous ses airs de ne pas y toucher, fait des ravages car même si ce breuvage a un goût de limonade… le haut degré d’alcool y est bien présent.

Les « Alcopops » sont un terrible appât pour le jeune public. Les jeunes ont un attrait pour la nouveauté. Le goût sucré, l’emballage, les couleurs vives « orange soleil, roses bonbons, jaune citron » de ces boissons font en sorte que les jeunes sont tentés. Et quand ces boissons sont rangées aux côtés des limonades, c’est encore pire…

L’UFAPEC, à l’instar de ce que le Docteur Gueibe recommande, est d’avis de prolonger toute une réflexion en famille et dans nos écoles sur ce sujet (par l’intermédiaire d’associations ou de personnes telles que « Univers Santé », « Infor Drogues », « Les Alcooliques Anomymes », des médecins-conférenciers…) : « Il convient aussi de prendre conscience de la nécessité d’inverser la tendance culturelle actuelle face à la consommation d’alcool par nos jeunes : il faut affirmer haut et fort que l’on est pas plus malin qu’un autre parce qu’on s’alcoolise jusqu’au coma. Il faut soutenir ces jeunes qui osent dire qu’ils se sentent mal à l’aise dans certaines soirées qui finissent en « bac à sable ». Il faut soutenir les associations qui vont sur le terrain, qui tentent de responsabiliser les jeunes dans leur consommation alcoolique. Il faut parler à nos jeunes du plaisir de l’alcool qu’ils ont bien le droit de connaître, mais il faut aussi leur rappeler qu’ils méritent mieux que d’être de simples objets manipulés dans un but purement commercial ! Notre jeunesse en fête ne demande pas l’ivresse, ne mérite pas le coma, et un seul jeune mort à cause de l’alcool est un immense gâchis pour notre société »[18].

Former les jeunes à avoir un esprit critique par rapport à cette consommation et se demander ensemble, parents, enfants, enseignants, pourquoi les alcooliers prennent autant de peine à camoufler un produit, qui plus est une « drogue licite », tel que l’alcool semble être un beau projet « familles-école »! Nous prolongeons donc notre réflexion à travers une troisième analyse sur les visées des alcooliers…

France Baie


 

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[1]http:// www.crioc.be - CRIOC « Jeunes et boissons alcoolisées », Mars 2009
[2] www.prevention.ch/alcopopsf.pdf
[3] En Marche – Echos : « L’alcool chez les jeunes : qu’en est-il ? » -16 avril 2009
[4] http://www.crioc.be/FR/doc/dcdc/assuetude/document-1460.html -CRIOC « Les jeunes et l'alcool: un constat inquiétant » -Du côté des consommateurs – Assuétude-30-01-2006
[5] B. Reymond-Rivier, « Le développement social de l’enfant et de l’adolescent », Ed. Pierre Mardaga, P.242 1980.
[6] N. Hirtt et B. Legros, « L’école et la peste publicitaire », ed. Aden, p63 -2007
[7] CRIOC « La consommation d’alcool chez les jeunes. Quelles stratégies commerciales »  in www.who.int/media centre/…/index.html. « Stratégies visant à réduire l’usage nocif de l’alcool »
[8] http://www.educationsante.be -Education santé, « Jeunes, pub et alcool : une loi, pas une convention privée ! »n°203, août 2005
[9] B. Reymond-Rivier, « Le développement social de l’enfant et de l’adolescent », Ed. Pierre Mardaga, P.24 3  1980.
[10] Les dossiers de l’éducation aux médias, « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, n°3, p.14 –Média Animation, Bruxelles, 2006
[11] www.scienceshumaines.com . C. Lefranc « S’acheter une vie »
[12]Z. Bauman, « S’acheter une vie », Editions Jacqueline Chambon, 2008
[13] D. Houssonloge « L’enfant sur-consommateur », analyse UFAPEC n°12 -2009[14] F. Baie, « Prévention dans les écoles : l’alcool n’est pas cool ! », in Revue « Les parents et l’Ecole », N°45-Luttons contre l’échec scolaire, Mars 2005.
[15] http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008
[16] http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008
[17] http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008
[18] http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008

 

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