Analyse UFAPEC 2011 par P.Bar

03.11/ La punition à l’école

Introduction

Aujourd’hui, la punition n’a plus vraiment la cote auprès des éducateurs. Sa valeur éducative et aussi son efficacité sont contestées. Elle reste néanmoins dans bon nombre d’écoles une pratique « institutionnalisée » à laquelle ont recours une majorité d’enseignants, même si ce n’est plus à la même fréquence que par le passé ni avec la même sévérité.

Qui aime bien châtie bien

Jusqu’à une époque pas si éloignée, la punition était considérée comme un des instruments indispensables à toute forme d’éducation[1]. L’enfant était perçu comme un animal qu’il fallait dresser. Les punitions étaient l'instrument naturel pour faire disparaître les comportements indésirables et amener le « petit d'homme » à rejoindre l'humanité. Les punitions avaient également une fonction expiatoire destinée à laver la faute souvent considérée comme un péché qui souillait l’âme du fautif.

Parmi les punitions, les châtiments corporels figuraient en bonne place. Ils n’étaient pas perçus comme une intolérable violence, mais au contraire comme une marque d’amour des parents et éducateurs à l'égard des enfants[2]. Cela peut nous paraître étrange aujourd'hui, mais dans un monde imprégné d'un profond pessimisme sur la nature humaine, les mauvais parents n'étaient pas ceux qui infligeaient à leurs enfants des châtiments justes quoique douloureux, mais au contraire, ceux qui ne prenaient pas tous les moyens pour empêcher les enfants de donner libre cours à leurs mauvais penchants, ce qui risquait fort de les mener à leur perte et leur damnation éternelle. 

Cette approbation du recours aux châtiments corporels ne signifiait cependant pas que l'on fermait complètement les yeux sur la cruauté exercée sur les enfants. Au contraire, les différents auteurs qui ont abordé la question entendaient fixer des limites et des règles dans l'application de ces châtiments. Parmi ces règles, on trouvait notamment la recommandation de ne pas frapper de la main les enfants, mais plutôt d'utiliser la férule, le martinet, les verges ou le fouet. Contrairement à ce que l’on pourrait penser aujourd’hui, une telle règle n’avait pas pour but de renforcer la sévérité du châtiment, mais plutôt de dissocier violence et châtiment en plus d’éviter les dangers potentiels de relations ambiguës qui pourraient naître d’un contact physique direct entre le maître et l'élève. En effet, en préconisant de ne pas donner de gifles, de coups de pied ou même de simples coups de chapeau, mais d’utiliser un instrument particulier pour administrer la punition, les pédagogues voulaient éviter que la punition soit infligée sous le coup de la colère. On remarquera d’ailleurs que cette consigne de punir sans colère reste toujours d’actualité aujourd’hui chez la plupart des auteurs qui traitent de cette question.

Le temps des remises en question

A partir du xviiie siècle, les certitudes en matière de châtiments commencent à subir une profonde remise en question. Les premières critiques viennent des philosophes et notamment ceux qui réclament une humanisation des peines appliquées par la justice. Dans son traité Des délits et des peines, Cesare Beccaria pose les principes d’une justice moderne dont le rôle est de favoriser la correction des criminels plutôt que d’exercer une vengeance en suppliciant leurs corps. Pour y parvenir, il prône une stricte proportionnalité des peines par rapport aux délits ainsi qu’un abandon complet des châtiments corporels. En parallèle, l'apparition à peu près à la même époque d'un nouveau sentiment de l'enfance, où les marques de tendresse peuvent désormais s’exprimer plus ouvertement sans subir la censure des moralistes[3] amène progressivement à manifester d'une autre manière son amour pour ses enfants. Enfin, les révolutions qui, à partir de la fin du xviiie siècle, font lentement émerger la démocratie au niveau des États européens suscitent une remise en question de l'autorité dans ses formes arbitraires, jusques et y compris dans l'enseignement qui n'a plus à former des sujets qui devront simplement se soumettre au pouvoir de leur souverain, mais des citoyens libres et responsables, capables « de participer à la chose publique émancipée du dogme et du préjugé », faisant apparaître « la contradiction […] entre les fins poursuivies et les moyens utilisés[4] ».

Assez rapidement, les punitions corporelles seront rejetées. Du moins en théorie[5]. Dans la pratique, des enseignants continueront à y avoir recours plus ou moins ouvertement. Aujourd’hui, elles subsistent encore, notamment à l’égard des plus jeunes enfants, mais de manière clandestine, dans la mesure où les recours en justice à l’égard de ce type de pratiques de la part des parents se sont faits plus fréquents.

Les inconvénients de la punition

De nos jours, la punition n’a plus vraiment la cote auprès des théoriciens de l’éducation. Pour certains, elle doit être considérée « comme une mesure de dernier recours, à utiliser uniquement lorsque les autres techniques n’ont pas donné des résultats[6]. » Pour d’autres, il faudrait même « éradiquer toute notion de punition[7]. »

D’où vient ce discrédit à peu près unanime de la punition ? Avant tout, du fait qu’elle ne parvient pas à atteindre ses objectifs. En effet, si dans un premier temps, la punition peut parfois faire cesser un comportement non désiré, sur le plus long terme, elle parvient rarement à induire un changement durable du comportement. Elle aurait même tendance dans certaines situations à provoquer l’effet inverse de celui désiré. Ainsi loin de favoriser le développement de l’autodiscipline, elle réduirait la tendance de l’élève à se contrôler, voire le pousserait à accroître ses capacités de dissimulation pour éviter la punition. Elle peut également renforcer le comportement indésirable, notamment chez les élèves qui l’avaient accompli pour se faire remarquer. Dans ce cas, la punition, au lieu d’avoir l’effet dissuasif recherché, devient la réponse attendue à une provocation et peut accroître le prestige de l’élève indiscipliné au sein du groupe. 

Elle a également des effets néfastes sur la perception que l’élève a de lui-même et sur la relation qu’il entretient avec l’enseignant. Un enseignant autoritaire qui recourt souvent à la punition pour « tenir sa classe » créera entre lui et ses élèves un climat de tension et de peur peu propice à susciter l’estime et la réceptivité des élèves face à son enseignement, et cela même auprès de ceux qui ne seraient pas portés a priori à se montrer indisciplinés. En plus, comme il est pratiquement impossible de punir systématiquement les manquements à la discipline, ne serait-ce que parce que certains se produisent au moment où l’enseignant a le dos tourné à la classe pour écrire au tableau et qu’il n’est donc pas en mesure de déterminer qui a commis ces manquements, la punition prendra un caractère aléatoire et arbitraire, faisant naître un sentiment d’injustice quand ceux qui sont punis constatent que d’autres, qui, à leurs yeux, ont parfois commis des actes plus graves que ceux pour lesquels ils ont été eux-mêmes sanctionnés, échappent à la punition parce qu’ils se sont montrés plus habiles pour commettre ces actes répréhensibles. Loin de faire comprendre l’importance de respecter les règles et les personnes, cette gestion autoritaire de la classe fait plutôt apparaître les limites d’un système qui repose sur « la peur du gendarme ». La punition n’apparaît plus comme la conséquence logique de la faute, mais comme un simple coup de malchance. 

En ce qui concerne les enseignants qui ne recourent qu’occasionnellement à la punition, le résultat n’est pas nécessairement meilleur. Souvent, c’est quand ils sont poussés dans leurs derniers retranchements qu’ils en arrivent à infliger des punitions qui risquent d’apparaître excessives car elles ne viennent pas sanctionner un acte plus grave que les autres, mais plutôt la goutte qui fait déborder le vase.  Au lieu de rétablir l’autorité de l’enseignant, le recours à la punition dans un tel contexte aurait plutôt tendance à fragiliser davantage sa position dans la mesure où il semble avoir pris sa décision sous le coup de l’émotion, voire avec l’intention d’exercer une vengeance. Cela a donc toutes les chances d’apparaître comme un signe de faiblesse[8] et non comme une sage mesure destinée à refixer les limites.

Les hésitations des enseignants

Sur le terrain, les enseignants sont souvent confrontés à un dilemme en ce qui concerne la punition. Beaucoup d’entre eux, sans nécessairement être parfaitement au courant des critiques formulées à l’encontre de la punition par les spécialistes de l’éducation, sont réservés face à son utilisation[9]. Certains d’entre eux gardent notamment de leur expérience personnelle en tant qu’élève de mauvais souvenirs de punitions perçues comme injustes qui leur auraient été infligées ou qui auraient été infligées à leurs anciens condisciples[10] et ils ne sont donc pas nécessairement disposés au départ à reproduire une pratique qu’ils ont un jour mal vécue. En même temps, l’impératif d’assurer la discipline au sein de leurs classes[11] les amène presque immanquablement à se poser des questions sur la manière d’y parvenir. N’ayant pas toujours acquis dans le cadre d’une formation, principalement axée sur les savoirs à transmettre[12], les outils nécessaires à « faire la police[13] » dans leurs classes et se retrouvant souvent seuls face à ce problème, ils en viennent souvent à s’interroger sur l’opportunité de recourir à la « bonne vieille recette » de la punition et, ne trouvant pas toujours d’alternatives, finissent par y avoir recours[14] comme à un mal nécessaire et inévitable.

Les parents face à la punition

Pendant très longtemps, les enseignants ont attendu des parents un appui voire un renforcement dans la punition. Cette attente est d’ailleurs toujours d’actualité, comme l’atteste le fait que les écoles continuent à exiger la signature des parents dans le journal de classe où la punition est mentionnée ou la signature du règlement de l’école en début d’année.

Aujourd’hui, cependant, les plaintes se font de plus en plus fréquentes pour répéter que les parents n’assurent plus convenablement ce rôle d’appui des enseignants. On leur reproche même d’être les principaux responsables de la mauvaise conduite de leurs enfants auxquels ils auraient renoncé à inculquer quelque règle que ce soit[15]. On redoute même parfois de les voir débarquer dans l’école pour venir à la rescousse d’un élève qui les aurait appelés avec son GSM[16] pour se plaindre d’un enseignant qui l’aurait puni ou qu’ils ne s’adressent à la justice pour contester une sanction. On souligne enfin leur incohérence quand ils réclament un retour à une discipline plus ferme mais dont les punitions ne s’appliqueraient qu’aux autres enfants que les leurs.

Faut-il toutefois vraiment regretter l’époque où quand le jeune Augustin (le futur père de l’Eglise) rentrait à la maison en pleurs après avoir été cruellement battu par son maître d’école, sa mère, cette sainte femme, riait de ses plaintes[17] ? Faut-il s’étonner d’une certaine incompréhension des parents quand, s’adressant à la direction de l’école pour savoir que faire après que leur enfant a reçu comme punition un travail très conséquent, ils s’entendent conseiller de faire eux-mêmes la punition si leur enfant ne leur semble pas en mesure d’en venir à bout au terme d’un congé d’une semaine plutôt que d’envisager une réduction de la punition ? Les parents doivent-ils accepter que certains enseignants tentent de les sanctionner au travers de punitions infligées à leurs enfants ?

La perception de l’évolution de l’attitude des parents à l’égard de la punition et de la discipline est quelque peu caricaturale. Alimentée en partie par des faits divers spectaculaires et fortement médiatisés, elle accroît le malentendu entre l’école et les familles. Cependant, la réalité est probablement différente. L’enquête menée au sein du collège Corot parvient à la conclusion que « une très large majorité d’enseignants (83 %) et de surveillants (90 %) n’a jamais ou très peu à faire face à la contestation des punitions par les parents d’élèves[18] ».

Conclusion

La documentation disponible pour réaliser cette analyse s’est révélée limitée. Un certain nombre d’interrogations sont restées sans réponse dans la mesure où réaliser notre propre enquête auprès des écoles, des parents ou des élèves sortait du cadre de cette analyse. Alors que les questions de l’autorité, de l’indiscipline et de la violence au sein des écoles ont suscité de nombreux écrits, les études sur la punition qui reste pourtant malgré les inconvénients qu’elle présente l’un des principaux instruments utilisés pour répondre à ces problèmes demeurent extrêmement rares, si l’on excepte les travaux historiques. La réflexion sur ce sujet semble en grande partie évacuée, du moins en ce qui concerne la pratique effective de la punition dans les écoles à l’heure actuelle[19].

Ce silence relatif autour de la punition est sans doute la conséquence du malaise ressenti à son égard. Pour les enseignants, il est souvent difficile d’en parler car ils risquent de passer soit pour excessivement autoritaires s’ils en revendiquent trop ouvertement l’usage, soit pour faibles s’ils expriment qu’ils la ressentent comme un constat d’échec. Quant aux parents, ils n’ont souvent guère le choix qu’entre une réaction jugée (parfois à juste titre, mais pas toujours) inappropriée et une approbation tacite et résignée de crainte d’envenimer les choses. Une réflexion et un dialogue sur ce sujet pourraient sans doute contribuer à dissiper bien des malentendus.

 
 
 
 
Pierre Bar
 
 
 

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[1] Dans un article paru en janvier 2011, on peut d’ailleurs encore lire en guise d’introduction la phrase « Pas d’éducation sans punition ».   Christilla Pellé-Douël, « Qu’est-ce qu’une bonne punition ? », Psychologies Magazine, janvier 2011, pp. 113-115.

[2] A l’adage latin utilisé comme titre du présent paragraphe répondent différents versets de la Bible, comme par exemple : « Qui aime son fils lui prodigue le fouet » (Ecclésiastique, XXX, 1) ou « Qui épargne la baguette hait son fils, qui l’aime prodigue la correction. » (Les Proverbes, XIII, 24), Cités d’après E. Prairiat, La sanction en éducation, Paris, Que sais-je ?, 2003, p. 20.

[3] Philippe Ariès, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Paris, 1960,

[4] Marie-Claude Bais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation,Stock, 2008, pp. 142-143

[5] La loi française interdit l’utilisation des punitions corporelles dans les écoles dès 1803. Mais l’interdiction d’utiliser les verges avait déjà été formulée en 1777. E. Prairat, Les sanctions en éducation, Paris, 2003, p. 30.

[6] C.M. Charles, La discipline en classe. Modèles, doctrines et conduites, Montréal, 1997, pp. 27-28.

[7] Isabelle Filliozat dans « Qu’est-ce qu’une bonne punition ? », Psychologies Magazine, janvier 2011, p. 114.

[8] Certains d’entre eux le vivent d’ailleurs comme ça.

[9] Selon une enquête réalisée au collège Corot d'Aix-sur-Vienne en France, seuls 52 % des enseignants sont convaincus de l'efficacité des punitions alors que 40 % d'entre eux la jugent peu efficace (28 %) voire inefficace (12 %) et quand on pose la question de l'efficacité des retenues, il n'y a plus que 8 % des enseignants qui assurent sans réserve qu'elles sont efficaces, tandis que les 44 autres % qui s'étaient prononcés sur l'efficacité des punitions à la question précédente considèrent que son efficacité dépend des élèves qui sont punis. Vincent Bortolus, Les punitions scolaires au Collège Corot. Autour de l'heure de retenue, mémoire de l'IUFM de Limoges, 2006, p, 16. 

[10] L’enquête faite au collège Corot met en lumière que ce ne sont pas les élèves qui ont été punis qui sont les plus nombreux à juger les punitions inutiles, injustes ou trop sévères, mais au contraire les élèves qui n’ont jamais été punis. Ibidem, p. 22.

[11] Cet impératif est d’autant plus pressant qu’il vient de deux côtés. D’une part, l’établissement d’une discipline minimum au sein de la classe est quasiment une condition de « survie » pour l’enseignant. D’autre part, c’est une exigence de la majorité des directions qui jugeront plus souvent la qualité d’un enseignant sur sa capacité à « tenir » ses classes que sur le contenu de ce qu’il enseigne ou son aptitude à amener ses élèves vers la réussite.

[12] C’est notamment le cas pour les enseignants qui sortent de l’université et dont la formation pédagogique est un complément qui intervient seulement après la formation principale.

[13] Cette expression souvent utilisée dans un sens péjoratif par les enseignants eux-mêmes traduit finalement assez bien les bases sur lesquelles peut reposer la discipline en classe si on donne au mot police son sens d’organisation rationnelle de l'ordre public dans un groupe social donnant souvent lieu à une réglementation.

[14] 89 % des enseignants qui ont répondu à l’enquête menée au collège Corot (Vincent Bortolus, Op. cit., p. 18)ont répondu avoir recours à la punition dans le cadre de leurs cours et tous les surveillants.

[15] Bernard Petre, « Paroles de parents… », Quels repères pour grandir, (sous la direction de Philippe Béague), Bruxelles, 2004, pp. 39-41 et « Ecole et parents : une affaire de territoire ? », Enfant-roi ? Ecole et Parents partenaires ! A la recherche de nouveaux équilibres, Actes de la journée-débat à Louvain-la-Neuve, 31 mai 2007, pp. 14-15.

[16] De manière plus générale, on leur fait grief également de s’obstiner à ne pas vouloir comprendre les interdits touchant à l’usage des GSM au sein de l’école.

[17] Danielle Gourevitch, « Quand les Romains maltraitaient les enfants », L’Histoire, n° 262, janvier 2002.

[18] Vincent Bortolus, Op. cit., p. 25.

[19] Ainsi, à titre d’exemple, on peut citer, parmi les études de type sociologique, le rapport sur la consultation des enseignants du secondaire réalisé à la demande de la Communauté française, où on peut lire que des enseignants ont admis « certains abus de pouvoir de la part d'enseignants et d'éducateurs pour qui la punition peut devenir un jeu » (Luc van Campenhoudt et alii, La consultation des enseignants du secondaire, Ministère de la Communauté française, mai 2004, p. 26) sans explications complémentaires.

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