Analyse UFAPEC mars 2017 par F. Baie

03.17/ Les jeunes scotchés à leur Smartphone : entre risque de dépendance et nouvelle forme de socialisation

Introduction

Notre société est, aujourd’hui, hyper-connectée, notamment grâce aux smartphones[1]. Les jeunes (comme les adultes d’ailleurs) ont leur smartphone en poche et à portée de main à tout moment.

Cet énorme engouement provoque, dès lors, chez nous parents, des questionnements. Et si nous tous, et en particulier nos enfants, nous n’arrivions plus à nous en passer ne fut-ce qu’un moment ? Nos enfants pourraient-ils devenir complètement dépendants au risque de devenir « nomophobes »[2] ? 

Pour considérer l’utilisation des smartphones, ne faut-il pas chausser d’autres lunettes d’approche ? Les bénéfices pratiques et de socialisation que procurent les smartphones ne sont-ils pas extraordinaires ? Pour mieux répondre à ces questions, ne faut-il pas d’abord s’interroger sur le réel usage qu’ont nos adolescents avant d’extrapoler la situation sur base de nos craintes et angoisses ?

Notre analyse se basera en grande partie sur une récente enquête[3] intitulée « SMART.USE » qui a analysé l’usage du smartphone auprès de 1589 jeunes de 12 à 18 ans en Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette étude nous aidera à peser le pour et le contre, à nous interroger davantage sur la question de son utilisation.

Utilisation du Smartphone

L’enquête « SMART.USE » montre que :

« Le smartphone est aujourd’hui un artefact[4] détenu par pratiquement tous les jeunes (95,6 %) de 12 à 18 ans en Belgique francophone. En corollaire, le budget moyen mensuel qui lui est consacré est de 20,33 € et c’est principalement pour des raisons financières que ceux qui ne possèdent pas de smartphone (4,4 %) optent pour un GSM ou n’ont pas d’appareil du tout. Le smartphone est utilisé en moyenne pendant 3h45 par jour de semaine, 4h20 le week-end, et à bien d’autres choses qu’à téléphoner ou envoyer des SMS »[5].

Les applications les plus utilisées sont YouTube (96,4 %), Facebook (88 %), Messenger (82,9 %).  Les fonctions endogènes de base sont la téléphonie (93,5 %), l’envoi de SMS (89,2 %), l’utilisation de l’appareil photo (95,6 %). L’utilisation de ces applications et de ces fonctions semble indépendante de l’âge et du sexe.

Une autre étude, effectuée en 2015 auprès de jeunes français et conduite par Strategir-WSA et Médiamétrie, confirme l’importance de cet outil pour les jeunes : « Ils y sont très attachés et plébiscitent cet outil multitâches : 88% l’estiment indispensable »[6].

De nombreux parents s’inquiètent de voir leurs enfants, dès le réveil, utiliser leur smartphone et être littéralement happé par lui. L’étude SMART.USE montre que :

 « Plus de 6 jeunes sur 10 consultent leur smartphone dans les 15 premières minutes après le lever. Et 77,2 % (soit près de 8 sur 10) dans les 30 minutes qui le suivent. On observe un effet significatif selon l’âge : 41,3% des moins de 14 ans le consultent dans les 15 premières minutes contre 73,2 % des 16-18 ans. L’effet est aussi un peu plus marqué chez les filles, qui consultent leur smartphone en moyenne un peu plus tôt après le réveil que les garçons[7] ».

Peur des dérives

En tant que parents, nous avons souvent peur des dérives. L’instinct de protection de nos enfants est fort. Mais est-ce les protéger que de les couper des nouvelles technologies ? Nos préoccupations pour la santé physique et psychologique de nos enfants ne prennent-elles pas le dessus sur notre ouverture technologique ? Où est le juste milieu ?

Des exemples d’utilisation excessive du smartphone en Belgique mais aussi dans d’autres pays (Etats-Unis[8], Chine[9], Suède[10]) peuvent effectivement nous interpeller. Certains de nos ados deviennent de véritables « Smombies »[11].

« Plus de 14% des Bruxellois traversent les rues à pied en prêtant plus d’attention visuelle à leur smartphone qu’à la circulation. Un phénomène de plus en plus répandu qui préoccupe l’IBSR et les transports publics[12]. »

Certains parents craignent que leur enfant ne sache pas se mettre de limites. L’étude française montre le contraire. Les jeunes ne pensent pas qu’à leur smartphone : « Les jeunes savent mettre des limites à leur usage, prendre du recul, plus qu’on l’imagine communément »[13].

Cette peur de la cyberdépendance n’est- elle pas accrue par cette rupture qui existe entre les générations ? En effet, les NTIC (les nouvelles technologies de l’information et de la communication) arrivent très rapidement et creusent l’écart. Comment réduire ce fossé ?

Qu’est-ce que la dépendance aux smartphones et peut-on parler de « dépendance » ?

Peut-on parler de dépendance quand on parle de l’utilisation abusive d’un smartphone ? Sur le terme dépendance, les avis divergent. « Dans son message posté le 7 avril 2014, Serge Tisseron (2014) reprend sur son blog divers arguments démontrant que l’usage abusif des smartphones ne peut être assimilé à une dépendance ou une addiction, dont le fait que les circuits biologiques du plaisir activés par ces usages ne seraient pas les mêmes que ceux activés par une substance[14]. »

En effet, « Le smartphone n’est pas en lui-même un objet d’addiction tel que le serait un produit addictif comme le tabac, l’alcool, le cannabis, etc.[15] ». D’ailleurs l’OFDT[16], tout comme l’OMS[17], ne reprennent pas le smartphone dans leur liste des produits addictifs !

« Il n’empêche que, dans la littérature, certains auteurs considèrent qu’on peut parler de l’existence d’une addiction ou d’une dépendance aux smartphones et aux autres produits relavant des NTIC (Karilla & all. (2013) ; Andreassen &all. (2012) ; Passeron (2015) ; Park &Park (2014) ; Lin &all. (2014) ; Kwon &all. (2013))[18] . »

Dans l’étude SMART.USE, les auteurs, par facilité, utilisent le terme dépendance en considérant cette dépendance comme un « usage abusif » ou un « usage excessif » du smartphone. Dès lors, nous utiliserons, également par facilité, ce terme « dépendance ».

Comportements déviants

Selon l’étude SMART.USE, certains comportements dans l’usage des smartphones sont courants mais pas nécessairement liés à une dépendance. En effet, la plupart des jeunes n’éteignent pas leur smartphone où qu’ils soient (87,1 %), ne l’éteignent pas la nuit (81,8 %), l’utilisent quand ils mangent seuls (88,1 %), l’utilisent au WC (82,7 %), l’utilisent dans leur lit (89,4 %), l’utilisent parfois plus longtemps que prévu (88,9 %), l’utilisent tout en regardant un programme intéressant à la TV (87,8 %), l’utilisent en usage interne au domicile (appels d’une pièce du domicile à l’autre, envoi d’une photo ou d’un message à celui qui se trouve en face de soi, réponse à une question verbale ou expression par SMS), etc., et ce n’est pas pour autant que l’on peut les considérer comme dépendants. A côté de ces pratiques devenues courantes, l’étude montre aussi que certains jeunes sont devenus, selon le nouveau jargon, de véritables « nomophobes » [19].

Certains comportements peuvent avoir un impact sur la santé mentale. Cela se traduit par des ressentis émotionnels pénibles chez les adolescents : une souffrance, de l’angoisse, du stress, de l’irritabilité quand ils ne peuvent pas l’utiliser ou quand ils ont des difficultés à l’utiliser, quand il n’est plus chargé, quand ils doivent s’en séparer, du stress à la perspective de sa perte, ou encore une immense satisfaction et un sentiment de bien-être lorsqu’ils l’utilisent. Cette satisfaction, d’ailleurs, renforce son utilisation. En clair, certains de nos ados ont besoin de leurs smartphones pour se sentir bien et c’est là que cela en devient inquiétant.

Outre cet impact sur la santé mentale, la dépendance au smartphone aurait également des répercussions sur le temps d’utilisation et sur les résultats scolaires de nos enfants.

Selon l’étude SMART.USE :

« Quand on est dépendant, on emploie plus souvent et plus longtemps son smartphone pendant la journée : 2,88h/jour pour les non-dépendants à 4, 92h/jour pour les dépendants. La dépendance aux smartphones se marque par des effets scolaires. Moins d’entre eux aiment aller à l’école (18,1 % contre 31,5 % des non-dépendants)[20]. »

Dépendance liée au sentiment d’appartenance à un groupe ?

Dans l’étude SMART.USE, la dépendance au smartphone a été mesurée grâce à une échelle de 10 items (SAS-SV).

« A partir de cette mesure, 21,1 % des jeunes seraient dépendants, 45,5 % dans un état intermédiaire et 33,4 % non-dépendants. Parmi les dépendants, on trouve plus de filles (64,2 %) que de garçons (35,8 %). De même, il y a un pic dans la classe d’âge des 14-16 ans. La dépendance se manifeste significativement dans l’analyse lorsqu’on prend en compte les applications utilisées : ce sont principalement celles des réseaux sociaux (Facebook, Messenger, Instagram) qui différencient les dépendants des autres, surtout par leur fréquence d’utilisation beaucoup plus élevée que pour la moyenne. Par contre, les applications « passives », non ou peu interactives, telles les jeux sur smartphone, traitement de texte, agenda, e-mails, géolocalisation, et même YouTube ne les différencient pas entre eux. Sur un autre plan, en examinant les usages des PC et tablettes par les jeunes dépendants, on constate également qu’ils se différencient des non-dépendants par un emploi plus fréquent et plus intense de ces mêmes applications réseaux sociaux. Ces deux résultats convergents nous amènent à faire le constat que la dépendance aux smartphones ne porte pas sur l’artefact lui-même, mais bien sur les applications utilisées, participant d’une reliance par les réseaux sociaux[21]. »

La dépendance au smartphone serait donc liée à la satisfaction d’appartenir à un groupe.  C’est également ce que l’étude française explique à travers l’utilisation des réseaux sociaux sur smartphone : « Le recours à ces réseaux est certes très largement motivé par un besoin de communication mais il s’explique avant tout par un besoin de consultation, voire de participation à une tribu ou un cercle »[22].

En effet, le smartphone, par son nomadisme, permet de rester en connexion avec ses amis en permanence. Pour les jeunes, la reconnaissance par les autres sur les réseaux sociaux et leur estime évaluée par le nombre de « like » a énormément d’importance. Les réseaux sociaux sont, pour eux, un véritable amplificateur de l’ego. Grâce aux réseaux sociaux, les adolescents sont rassurés, sont reconnus par leurs pairs, ils sont acteurs, ils sont plus satisfaits d’eux-mêmes, ils ont l’impression d’exister. Ils s’affirment, réduisent leur anxiété liée à l’isolement et aux incertitudes sur soi. S’ils ne sont pas sur les réseaux sociaux, ils ont l’impression de manquer quelque chose. Grâce aux réseaux sociaux, l’information circule plus rapidement et les relations humaines s’entretiennent. Chose non négligeable, ces réseaux permettent d’entretenir également des relations en dehors du Net.

Selon l’étude SMART.USE, en supprimant les réseaux sociaux, on supprimerait la dépendance au smartphone. La qualité des relations dans le noyau familial contribuerait également à la dépendance ou non. On peut poser la question dans le sens inverse : en réduisant l’utilisation des smartphones, ne supprimerait-on pas une nouvelle forme de socialisation que les jeunes ont développée ?

Conclusion

Outil rassembleur, outil de socialisation, instrument polyvalent d’interaction avec les autres, le smartphone crée du lien et permet de s’intégrer dans le groupe et dans un système de relations virtuelles. Outre ses nombreux avantages de recherches en tout genre, d’encodage de renseignements, de diffusion de messages, d’enregistrement d’images, d’apprentissages, de télécommande à distance, etc., le smartphone permet à son utilisateur de transporter son réseau de relations à tout endroit et à tout moment.

Avec l’évolution de notre technologie, la surutilisation des smartphones ne va sans doute pas diminuer…

L’étude SMART.USE montre un accroissement et une généralisation de l’usage du smartphone chez les jeunes. Pour les parents qui s’inquiétaient de voir leurs enfants passer beaucoup de temps sur leur smartphone, nous pouvons leur dire qu’ils ne sont pas les seuls et qu’utiliser son smartphone 3 à 4 heures par jour est devenu la norme. Mais est-ce parce que c’est devenu la norme que c’est pour autant une bonne chose ? En tant que parents, ne devons-nous pas rester vigilants à la santé physique et mentale de nos enfants afin qu’ils ne deviennent pas des êtres dépendants ?

L’UFAPEC pense que l’utilisation du smartphone n’est pas à diaboliser, car cette utilisation, nous l’avons vu, permet aux adolescents de vivre leurs relations sociales de manière épanouie. « Le réseau est dynamique, en constant bouillonnement, et s’en couper, c’est se laisser distancer, se mettre à l’écart[23]. »

Le smartphone est sans conteste un outil utile, pratique, nomade, permettant l’information, la communication, et la reliance entre pairs. Cependant, l’UFAPEC pense que son utilisation nécessite un accompagnement et une éducation par les parents et par les enseignants. C’est cette éducation aux médias qui rendra les jeunes capables, en toute autonomie, de comprendre et de se servir de leur smartphone, mais également de s’en défendre ou d’en tirer profit. C’est sans doute la maitrise de l’ensemble de ces compétences qui fera de nos enfants des citoyens responsables de leur devenir.

 

 

France Baie

 

 


[2] La nomophobie est un mot nouveau faisant désormais partie du langage de notre société moderne. Nouvelle pathologie liée aux technologies modernes, la nomophobie est l’angoisse ressentie par nos enfants à l’idée d’être séparé de leur portable, de laisser passer une heure sans le consulter, de le perdre, d’être à court de batterie ou sans couverture réseau.

[3] http://reform.be/wordpress/wp-content/uploads/2015/10/ReForm-Enqu%C3%AAte-Smartphones-2016-WEB1.pdf – lien vérifié le 27 janvier 2017 - Enquête « SMART.USE » Enquête sur l’usage du smartphone auprès de 1.589 jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, menée par REFORM (Recherche et formation socio-culturelles) et l’Institut de sociologie de l’ULB (Université Libre de Bruxelles).

[4] En anthropologie, un artefact est un produit ayant subi une transformation, même minime, par l'homme, et qui se distingue ainsi d'une autre provoquée par un phénomène naturel - http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/artefact/5512 -lien vérifié le 14 février 2017

[5] Enquête « SMART.USE », op cit, p 2.

[6] http://www.audiencelemag.com/?article=83 – lien vérifié le 22 mars 2017. Source : Médamétrie : http://www.mediametrie.fr/ (onglet comportements médias – article écrit sur base d’études commercialisées).

[7] http://reform.be/wordpress/wp-content/uploads/2015/10/ReForm-Enqu%C3%AAte-Smartphones-2016-WEB1.pdf – lien vérifié le 27 janvier 2017 - Enquête « SMART.USE », p. 21.

[8] « Entre 2005 et 2010, le nombre d’accidents de piétons utilisant leur portable avait déjà doublé. D’après la Governors Highway Safety Association (GHSA), le phénomène concernait en 2013, 4 700 morts aux Etats-Unis, soit un mort toutes les 2 heures ! » -
Read more at https://www.newstoprotect.axa/#h5ugbLWhGQ7MPFYY.99 -lien vérifié le 14 février 2017.

[9] « La Chine s’est inspirée des pistes cyclables et a opté pour la ligne de trottoir dédiée aux piétons connectés. Dans la ville de Chongqinq, les piétons peuvent ainsi choisir d’emprunter la ligne de trottoir réservée aux usagers avec Smartphone, "à leurs risques et périls" comme le précise le panneau indicateur » - https://www.newstoprotect.axa/et-demain/smartphone-meilleur-ennemi-pietons - lien vérifié le 31 janvier 2017

[10] http://golem13.fr/panneau-smartphones/ - lien vérifié le 14 février 2017

[11] Du smartphone zombie : personne qui utilise son smartphone en marchant dans la rue -et en traversant- en mode zombie, les yeux rivés sur l’écran.

[12] http://www.lesoir.be/1199735/article/selection-abonnes/2016-05-03/smombies-ces-pietons-connectes-qui-risquent-leur-vie-faute-d-attention - « Les smombies, ces piétons connectés qui risquent leur vie faute d’attention ». lien vérifié le 13 février 2017

[13] http://www.audiencelemag.com/?article=83 – lien vérifié le 23 mars 2017

[14] Enquête « SMART.USE », op cit, p 8.

[15] Idem.

[16] Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies

[17] Organisation Mondiale pour la Santé

[18] Enquête « SMART.USE », op cit, p 9.

[19] Ce néologisme exprime la peur excessive d’être séparé de son Smartphone, la peur de ne plus pouvoir communiquer.

[20] Enquête « SMART.USE », op cit, p 53.

[21] Enquête « SMART.USE », op cit, p 52.

[22] http://www.audiencelemag.com/?article=83 – lien vérifié le 22 mars 2017.

[23] Enquête « SMART.USE », op cit, p 52.

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