Analyse UFAPEC avril 2020 par B. Loriers

03.20/ Confinement pour cause de Covid-19... Risques de burn-out parental ?

Introduction

Être confiné 24h sur 24 avec les enfants à cause du coronavirus, et devoir parfois, pour certains, travailler à la maison, s’occuper des devoirs, des tâches ménagères : la santé mentale des parents est mise à dure épreuve, surtout quand les enfants ne sont pas autonomes. Existe-t-il des risques de burn out pour tous les parents ? Nous sommes tous exposés à ce virus, mais cette crise accentue les inégalités qui existent dans notre société, et l’enjeu de cette analyse est de mettre en lumière ces disparités.  

Risques de burn out parental 

Le burn out parental, de quoi parle-t-on ? Il s’agit d’un syndrome de détresse intense lié à la parentalité, qui se manifeste de trois façons : un épuisement physique et psychique associé au rôle de parent, une distanciation affective avec les enfants et une perte d’épanouissement et d’efficacité dans son rôle parental [1].

Dans notre société occidentale, nous ne sommes pas habitués à vivre les uns sur les autres, comme certaines familles doivent le faire à cause du confinement. En temps normal, les activités extérieures permettent aux membres de la famille de prendre l’air et d’avoir des activités chacun de son côté. Le confinement risque fort d’accentuer l’anxiété vécue par certains parents plus fragiles, qui sont au bord du burn out. Cet épuisement survient quand il y a trop de stress et plus assez de ressources pour y faire face. Or, pendant cette période, les parents sont privés de lieux et de personnes qui permettent de prendre l’air, de faire une pause : l’école, les grands-parents, les activités extrascolaires, les collègues, les amis...

Dans ce contexte de confinement, beaucoup se demandent si les parents se suffisent à eux-mêmes pour élever leurs enfants. Les parents sont peut-être les personnes qui connaissent le mieux leurs enfants et qui savent ce qui est bien pour eux. Certains psychologues, comme Daniel Coum, pensent que les enfants apprécient d’avoir affaire à d’autres adultes que leurs seuls parents. Cela est vrai pour toute famille. Cela l’est particulièrement pour les familles rencontrant des difficultés[2]. Pour les enfants, leurs rencontres avec d’autres adultes et d’autres enfants constituent une ouverture d’esprit, une manière de rencontrer d’autres façons de penser et de fonctionner.

Pas tous égaux face au confinement 

Nous sommes tous exposés au coronavirus, mais nous ne sommes pas tous égaux face au confinement, notamment en termes de logement. Certaines familles vivent dans une grande maison, avec un jardin et peuvent donc prendre l’air facilement. D’autres vivent à plusieurs dans un appartement étroit, sans jardin ni balcon. La promiscuité est parfois très compliquée à vivre, a fortiori quand chaque membre de la famille est privé de ses activités extérieures habituelles. Le confinement empêche les gens de circuler, or il y a des quartiers où d’habitude les familles circulent beaucoup, parce que leur lieu de vie quotidien est approprié le soir pour dormir, mais pas pour y rester toute la journée, parce que l’équipement est mauvais, parce que c’est surpeuplé…[3]

Les inégalités se marquent aussi pour certaines professions. Une partie de la population en emploi précaire, déjà fragile et inquiète, l’est encore plus aujourd’hui. Le chômage frappe d’abord les peu qualifiés et les salariés en contrat court. L’intérim s’arrête. Les petits indépendants paient très cher le prix de la crise[4]. Les bas revenus ou les revenus qui diminuent pendant cette période de confinement sont un facteur qui peut aggraver les tensions au sein de la famille.

Le stress lié à l'isolement social actuel accentue les tensions à la maison, et augmente la menace de violences domestiques. Au-delà du huis clos familial forcé, les inquiétudes liées aux pertes d'emplois ou difficultés financières provoquées par la crise sont propices à l'éclatement des conflits[5]. Ces violences peuvent être physiques, mais également psychologiques, notamment pour les couples en difficulté. Beaucoup de couples qui battaient déjà de l’aile avant le confinement voient cet isolement comme une véritable épreuve, voire même un supplice. C’est presque un confinement dans un confinement. Pour ces couples, il n’y a plus moyen de trouver des échappatoires. Confinés dans un seul et même espace (parfois bien réduit), les discussions éclatent ou à l’inverse les silences et les distances deviennent insupportables. L’ambiance à la maison devient lourde. Les enfants, bien évidemment, en souffrent. Ils peuvent subir aussi des violences psychologiques et même physiques, quand les parents sont trop sous pression.

Il nous faut pointer une autre inégalité, qui est celle vécue par les familles monoparentales, dans lesquelles le parent doit tout assumer seul, privé d’aide extérieure pendant le confinement. La maman seule ou le papa seul avec ses enfants, doit se sentir encore plus isolé pendant cette période.

L’inégalité se mesure aussi par rapport à l’accès aux moyens technologiques, moyens qui permettent d’entrer en communication avec la famille et les amis, mais aussi de travailler, de s’informer, de se divertir. On parle de fracture numérique, inégalité face aux possibilités d'accéder et de contribuer à l'information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC[6] (Technologies de l’information et de la Communication).

Beaucoup de familles qui ont un ou plusieurs enfants à besoins spécifiques ou en situation de handicap sont, en cette période, particulièrement exposées à l’isolement et à l’épuisement physique ou psychologique. Allez expliquer à un enfant autiste qu’il n’est plus question qu’il mette les pieds dans son magasin préféré, à un adulte trisomique que les serrages de main avec les voisins, c’est fini, à un adolescent lourdement handicapé qu’il ne verra plus sa famille pour un certain nombre de semaines[7] Pour Pascale, maman d’un jeune autiste, la complication vient du fait que le programme est perturbé. Elle fait tout ce qu’elle peut pour éviter des colères supplémentaires, mais elle est épuisée par le fait qu’elle n’a pas l’aide du centre où il réside habituellement la semaine. L’épuisement de cette maman vient aussi du fait que son fils demande une attention de chaque instant[8].

Un élément important aussi pour ces enfants et leurs parents est la question du suivi paramédical. Prenons l’exemple d’une petite fille trisomique se rendant deux fois par semaine chez la kinésithérapeute et une fois chez la logopède. On peut croire que c’est un soulagement pour les parents de ne plus devoir faire ces déplacements. Mais une grande question est celle de la durée de l’arrêt du suivi et de son impact sur le développement de l’enfant. Certains vont prendre le temps de faire des exercices conseillés par les professionnels, d’autres ne se souviennent plus des jeux et activités favorisant ces apprentissages ; d’autres encore n’arriveront pas à y consacrer le temps nécessaire, pris entre le travail, le ménage et, parfois, les autres enfants présents au sein du foyer familial.

Autre forme d’inégalité, cette période de confinement est particulièrement stressante pour les parents qui continuent à travailler dans les hôpitaux, les maisons de repos… tous ceux qui sont « en première ligne » et qui côtoient le virus tous les jours, avec la peur au ventre de ramener cette maladie dans leur foyer. Sans oublier celles et ceux qui travaillent pour assurer les besoins vitaux (personnel des grandes surfaces et des magasins de nourriture, pharmaciens, etc.) ou sont engagés à la protection de la société (policiers, pompiers, agents pénitenciaires, etc.).

L’école peut-elle gommer ces inégalités pendant le confinement ?

Certains parents se tracassent excessivement pour les travaux de leurs enfants. Ils ont l’impression de ne pas pouvoir les aider et se sentent incompétents. Le stress éventuel de leurs enfants déteint sur leur propre stress et vice-versa.

La ministre de l’éducation, Caroline Désir, a émis une circulaire qui demande expressément aux enseignants de ne pas donner de nouvelles matières pendant la période de confinement. Les travaux ne peuvent en aucune manieère porter sur des apprentissages qui n’ont pas été abordés préalablement en classe. Ils doivent s’inscrire dans une logique de remédiation-consolidation-dépassement[9]. Mais il semble que cette injonction ne soit pas appliquée à la lettre : certaines familles parlent de plusieurs heures de travail par jour demandés par les enseignants[10].

L’école peut donc, par des travaux et des exercices, aider les enfants à renforcer leurs acquis. Toutefois, certaines familles sont mieux équipées que d’autres pour faire les travaux en ligne, tant au niveau humain (soutien) qu’en matière équipement technologique. Les enfants prendront d’autant moins de retard que leurs parents pourront relayer des enseignants et consacrer du temps aux apprentissages.

Comment supporter au mieux ce confinement ?

Cette période difficile pour de nombreux parents offre, malgré tout, la possibilité de discuter avec les enfants de ce qui se passe, de les intégrer dans différentes tâches, de passer du temps ensemble. En temps ordinaire, le planning, la structure de la journée vient de l’extérieur. Pendant le confinement, l’enfant peut être rassuré par une planification qu’il aura construite avec son ou ses parent(s), permettant de prolonger des repères et des rythmes connus. Ouvrir un espace où le parent s’adresse directement à l’enfant et pas seulement en sa présence est utile à deux titres essentiellement : l’inclure dans une réalité qui le concerne directement et le rendre acteur de ce qui lui arrive[11]. Cette période de confinement peut également rendre l’enfant plus autonome, car la planification de ses travaux, il peut également la faire seul.

Une autre piste est de diminuer nos exigences à la maison, pour éviter les frustrations. C’est l’occasion de revoir nos priorités. Par exemple, on peut rester intransigeant sur le respect de chacun au sein de la famille, mais être moins sévère pour l’ordre, le temps passé devant la télévision…

Chaque famille possède sa propre organisation. Les parents qui vivent sous le même toit peuvent structurer leur journée et organiser un tour de garde pour les enfants : pendant qu’un parent travaille ou prend un moment pour lui, l’autre peut s’occuper des enfants si nécessaire et réciproquement. Un autre témoignage reçu dans ce contexte : ce n’est pas simple de faire comprendre aux enfants que le parent qui travaille est à la maison et qu’il ne faut pas le déranger. C’est aussi un défi pour le couple, qui doit survivre au confinement[12]. Le confinement peut avoir du bon. Un parent qui rentrait tard et ne préparait jamais le souper, se rend compte enfin de cette charge et décide d’instaurer une tournante pour cuisiner.

Voici le témoignage d’une maman de trois enfants, dont la vie confinée est tantôt une galère, tantôt une collection de bons moments[13]. J’ai trois enfants de 2 à 8 ans. Ce qui est difficile, c’est de télétravailler, et en même temps d’organiser l’école à la maison, de surveiller les leçons et travaux demandés, et de s’occuper des besoins des plus jeunes. Les tâches ménagères augmentent puisque nous vivons continuellement à cinq dans le même endroit. Ce qui est aussi difficile, c’est notre liberté qui est un peu perdue : je ne vais plus travailler à Bruxelles, et je vois beaucoup moins de gens. Il y a aussi une pression psychologique, on n’est pas habitué à gérer les petits conflits entre les enfants. Et surtout, le délai de confinement inconnu est une source de stress, car nous n’en avons pas le contrôle. Mais ce moment nous permet de remettre du sens et des priorités dans notre vie. Alors, petit à petit, on s’habitue, on s’organise avec mon mari, pour le boulot, il travaille surtout le matin et moi l’après-midi. Je retrouve un bon sommeil, car les trajets pour Bruxelles sont parfois épuisants. On établit certaines règles pour que les enfants participent un minimum aux tâches ménagères. Grâce à l’ennui, mes enfants inventent des jeux. On sort une heure par jour, balades à pied, à vélo, lettres postées chez des copains, balades au parc, bricolages, cabanes… On trouve des astuces pour que chacun de nos enfants trouve sa place au sein de la famille, et cela prend parfois du temps. Il faut se rendre compte qu’on ne nous a jamais donné autant de temps pour nous occuper de nos enfants.

Conclusion 

Les risques de burn out parental sont accrus pendant cette période de confinement, qui met clairement en évidence des disparités entre les familles : logement, chômage temporaire, fracture numérique, violences domestiques, enfants souffrant d’un handicap sont autant de facteurs qui peuvent conduire à ce burn out.

Cependant, nous sommes persuadés que chaque citoyen peut jouer un rôle à son niveau. La solidarité entre individus se développe un peu partout en cette période d’isolement et est une réelle piste pour diminuer ces inégalités et, par conséquent ces risques. Pour prolonger cette solidarité, ouvrons nos yeux et nos oreilles, car il faut se rendre compte que les familles qui éprouvent le plus de difficulté en cette période de confinement sont celles que nous n’entendons pas, qui ne sont pas connectées aux réseaux sociaux, qui sont isolées et éloignées des médias.

Nous avons vu qu’il existe des bons plans pour supporter au mieux ce confinement. Certains parents peuvent dégager du temps pour s’occuper de leur(s) enfant(s). Transformer les contraintes en opportunité… plus facile pour certaines familles que pour d’autres ! Mais, quoi qu’il en soit, il faut trouver des réponses sociales pour les parents qui, en cette période inédite, tomberaient en burn out. A chacun d’y veiller !

 

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] Isabelle Roskam, Marie-Emilie Raes et Moïra Mikolajczak, Exhausted Parents: Development and Preliminary Validation of the Parental Burnout Inventory, Frontiers in Psychology, vol. 8,‎ 1er janvier 2017 (ISSN 1664-1078, PMID 28232811, PMCID PMC5298986, DOI 10.3389/fpsyg.2017.00163.

[2] COUM D., Faire famille au temps du confinement, quelques points de repères, Yapaka.be : https://www.yapaka.be/livre/livre-faire-famille-au-temps-du-confinement-quelques-points-de-repere

[3] ZAFIMEHY M., Coronavirus, logement, fracture numérique… Comment le confinement révèle les inégalités, 26 mars 2020 : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/coronavirus-logement-fracture-numerique-comment-le-confinement-revele-les-inegalites-7800302988

[4] MAURIN L., Ce que fait le coronavirus aux inégalités, 26 mars 2020 https://www.inegalites.fr/Ce-que-fait-le-coronavirus-aux-inegalites?id_theme=19

[5] CLAUDEPIERRE F., Avec le confinement, la crainte d’une montée des violences domestiques en Europe, 30 mars 2020, https://www.rtbf.be/tendance/bien-etre/psycho/detail_avec-le-confinement-la-crainte-d-une-montee-des-violences-domestiques-en-europe?id=10470183

[7] DANJOU C., Santé mentale, handicap, psychiatrie : les grands oubliés du confinement, in Le Soir+, 30 mars 2020,  https://plus.lesoir.be/291082/article/2020-03-30/sante-mentale-handicap-psychiatrie-les-grands-oublies-du-confinement

[8] Témoignage recueilli le 31 mars 2020.

[10] MICHIELS M., L’école 2.0 boostée par le confinement… mais pas pour tout le monde. https://bx1.be/news/lecole-2-0-boostee-par-le-confinement/

[11] Parents-enfants confinés… Comment pas pêter les plombs ? : https://www.yapaka.be/page/parents-enfants-confines-comment-ne-pas-peter-les-plombs-0

[12] Témoignage reçu le 2 avril 2020.

[13] Témoignage recueilli le 30 mars 2020.

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