Analyse UFAPEC mars 2021 par D. Houssonloge & JPh. Schmidt

03.21/ Le dispositif FLA : à la conquête de la langue de l‘école ?

Introduction

Qui n’a pas fait un jour l’expérience d’être immergé dans un milieu linguistique différent du sien ?

On éprouve des difficultés à participer, à communiquer, à comprendre l’objet de la conversation et à répondre à ce qui nous est demandé. On est dans le brouillard, on aimerait bien, mais on n’y arrive pas. C’est fatigant et démotivant. Dans un cadre familial, amical, de loisirs, la pression est moins forte et, à partir d’un certain âge, on peut mobiliser des ressources et des outils : on apprend à se débrouiller, on mime, on s’aide d’un dictionnaire, d’un traducteur en ligne, on appelle un « interprète » à la rescousse. Mais surtout, on est reconnu comme ayant des difficultés par rapport à une langue différente et, fréquemment, notre interlocuteur s’adapte avec une certaine bienveillance.

Les enfants apprennent plus facilement et heureusement. Mais quand on est plongé dans une langue différente 5 jours sur 7 avec des enjeux de réussite à la clé, c’est galère. C’est un des facteurs importants du décrochage ou plutôt du manque d’accrochage de nombreux élèves d’origine étrangère, mais aussi « belgo-belges ».

Aujourd’hui, on commence à percevoir la spécificité de la langue d’apprentissage, avec ses codes implicites, que seuls maitrisent les élèves issus de milieux ayant un niveau de scolarisation moyen ou élevé. Dans ce cadre, le Pacte pour un enseignement d’excellence est à l’initiative d’un nouveau dispositif pour soutenir les élèves du fondamental en difficulté : le FLA (Français langue d’apprentissage).

C’est l’enjeu de cette analyse : voir si le FLA permet à l’élève d’être mieux outillé sur le plan langagier (vocabulaire, compréhension des notions, des termes, des concepts) pour avoir des chances égales de réussite et d’intégration.

Lors des travaux du Mémorandum 2019, les parents participants ont pointé à nouveau le manque de maitrise du français chez de nombreux élèves menant à l’échec scolaire et au décrochage. Aujourd’hui, si l’UFAPEC, soucieuse de la réussite de tous les élèves, se réjouit de voir des moyens dégagés pour combattre les inégalités de langage, elle s’interroge néanmoins sur l’efficacité de ce nouveau dispositif. Le FLA est-il un réel investissement pour contrer l’échec scolaire, une nouvelle étiquette ou un peu de poudre aux yeux pour se donner bonne conscience ? Les enseignants FLA ont-ils vraiment les moyens de réussir leur mission ? Sont-ils formés à la spécificité et à la transversalité du FLA ? Est-ce un choix à part entière de donner ces heures ? N’y a-t-il pas confusion avec la remédiation ? Le FLA va-t-il vraiment profiter à l’élève en difficulté ou à l’ensemble des élèves de l’école ? Le FLA est-il un projet d’école ou une opportunité d’avoir des heures supplémentaires ? Y a-t-il une communication avec les familles pour maximaliser les progrès de l’enfant ?

Toutes ces questions autour du droit fondamental que sont des conditions d’accès équitables à l’enseignement obligatoire demandent un temps d’arrêt, d’information et de débat. C’est ce que nous vous invitons à faire maintenant.
Nous ne pouvons pas tout aborder dans cette analyse et nous nous limiterons aux heures FLA dédiées aux élèves de l’école fondamentale.

Pour bien comprendre l’implémentation du FLA, outre un travail d’investigation auprès de l’administration et des experts, nous avons rencontré des enseignants de Bruxelles et de Wallonie.

Contextualisation

Compare, chevalet, analyse, musée, solide : kesako ? La langue de l’école est une langue à part entière que chaque élève est amené à maitriser. Certains éprouvent des difficultés à entrer dans les apprentissages : comprendre une consigne, décoder ce qui est attendu, lire, saisir le sens d’un texte, jongler avec le vocabulaire propre à chaque matière…

Tous les enfants ne sont pas logés à la même enseigne. Au-delà des troubles ou des difficultés d’apprentissage, il y a, en fonction du milieu et du contexte, des différences majeures entre les élèves dans la maitrise de la langue d’apprentissage ou de scolarisation. A l’école, les élèves sont confrontés à la polysémie[1]. Ce sont des mots qu’ils connaissent, mais qui ont un autre usage et un autre sens à l’école. Ils semblent également éprouver des difficultés avec la conceptualisation et l’abstraction du langage.

FLA

En Belgique francophone, une des compétences visées lors de la scolarité d’un élève est la maitrise du français. Pour pouvoir jongler avec la langue, quatre savoirs sont mis en avant à l’école fondamentale : le savoir-lire, le savoir-écrire, le savoir-parler, le savoir-écouter. Or, on observe un déficit dans la compréhension et l’utilisation efficientes de la langue d’apprentissage, dans la maitrise du français « scolaire ».[2]
Les travaux du Pacte[3] pour un enseignement d’excellence ont montré, entre autres, la volonté de développer une meilleure maitrise de la langue d’apprentissage chez tous les élèves. Le projet poursuit un double objectif : renforcer les programmes d’accompagnement et de remédiation des élèves primo-arrivants et allophones en particulier pour aider à la maîtrise de la langue de l’enseignement et investir des moyens supplémentaires dans les dispositifs spécifiques de réduction des inégalités dans les acquis langagiers.[4]

La réussite scolaire reste un vecteur d’intégration indispensable pour chaque enfant. Pouvoir se dire, s’exprimer permet aussi de construire l’estime de soi de chaque élève. Delphine, institutrice FLA dans le Hainaut : Mon but avec tous « mes » élèves FLA, c’est qu’ils puissent enrichir leur vocabulaire afin de construire de petites phrases compréhensibles. Se faire comprendre des autres apporte confiance en soi et permet une meilleure intégration dans la classe.[5]

Pour ce faire, un dispositif adapté est mis en place et un nouveau décret est voté en février 2019[6].

  • Le dispositif

Le dispositif d’accompagnement FLA est organisé au sein des écoles grâce aux périodes complémentaires octroyées au bénéfice des futurs élèves FLA. Il s’agit d’une structure d'enseignement visant l'apprentissage de la langue de l'enseignement.
La circulaire 7226 précise [7] : ce dispositif consiste notamment en l’organisation de périodes de renforcement ou d’accompagnement en vue d’améliorer la maitrise de la langue d’apprentissage au sein même d’une année d’études. Ce dispositif est intégré dans le plan de pilotage. Il s’adresse à des écoles d’enseignement fondamental qui accueillent des élèves FLA, ou à des écoles qui accueillent des élèves primo-arrivants ou assimilés aux primo-arrivants et qui n’organisent pas de Dispositif d'Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et Assimilés (DASPA).

  • L’élève

L’élève FLA est un élève de l’enseignement fondamental dont le niveau de maitrise de la langue française est « vulnérable ». Pour être considéré comme FLA, l’élève doit d’abord passer une évaluation individuelle d’une vingtaine de minutes[8]. Ce test n’est pas un test diagnostic. Il ne permet pas, en principe, aux enseignants d’évaluer réellement le niveau de l’élève et de cibler ses besoins, mais bien de voir si l’élève a besoin de soutien supplémentaire dans la langue d’apprentissage, soutien qui sera octroyé pour une période de 2 ans.

Dans une école primaire libre de Schaerbeek, un quart des élèves a été testé[9]. Il fallait que l’équipe éducative soit partie prenante du projet. Cela a pris du temps en septembre de tester tous ces élèves choisis. Le décret dit que nous devons être deux mais c’était dur de le faire. En tout cas, nous avons trouvé que le test était bien conçu suivant l’âge des enfants. Ce test nous permet d’établir des objectifs clairs pour l’utilisation des périodes que nous avons reçues.[10]
Pour qu’un élève soit reconnu FLA, celui-ci doit remplir les trois conditions suivantes :

  1.  Être âgé d’au moins 4 ans au plus tard le 31 décembre de l’année scolaire concernée ;
  2.  Ne pas suivre un enseignement en immersion linguistique ;
  3.  Avoir obtenu à l’évaluation de maitrise de la langue de l’enseignement un résultat B ou C (résultat faible à très faible).[11]

Ce test a donc plus une valeur administrative que pédagogique.

  • Confusion entre FLA, FLE, FLM, FLSco…

Afin de ne pas confondre les différentes appellations (FLA-FLE-FLSco-FLS-FLM)[12], le terme « FLSco » est privilégié par rapport au terme « FLA ». En effet, le FLA désigne non seulement l’élève qui ne maitrise pas la langue d’apprentissage, mais également le dispositif d’accompagnement FLA. Ce terme ne désigne pas une méthode pédagogique ou didactique. Pour éviter la confusion, il est même proposé de parler de FLSco au lieu de FLA.[13]
Le FLE vise l’autonomie langagière dans les actes langagiers de la vie courante.
Le FLSco vise la réussite scolaire et éducative axées notamment sur les différents usages langagiers à l’école.

  • Les instits FLA

Tous les instituteurs d’enseignement maternel ou primaire peuvent donner des heures de FLA. Il n’y a pas de titre requis ou de condition spécifique au recrutement concernant ces périodes. Cependant, l’article 22 §4 du décret de 2019 prévoit que l’enseignant engagé ou désigné à titre temporaire ait suivi une formation spécifique relative à l'apprentissage du français langue étrangère ou de scolarisation en ce compris une formation relative à la médiation interculturelle lors de sa formation initiale ou, à défaut, avoir suivi une formation telle que visée à l'article 23 ou apporter la preuve de sa demande d'inscription durant l'année scolaire concernée. Vu la situation sanitaire, cette obligation de formation a été reportée au 1er septembre 2021, et peut-être même à septembre 2022.[14]

Véronique Moreau, institutrice bruxelloise : Cette formation, j’en avais envie, mais sans pour autant en être convaincue… C’est grâce à mon travail de terrain dans une école de Molenbeek que cette formation a renforcé cette nécessité. Le fait d'y être attentif révolutionne l’approche du français parce qu’il n'y avait pas dans notre système belge quelque chose de prévu ou organisé de la sorte. C'était quelque chose de manquant et qui m'avait attiré dans la formation. A Bruxelles, dans toutes les écoles, nous sommes confrontés à des enfants qui ont de vrais besoins dans la langue française, dans la langue d'apprentissage.[15]

La formation est organisée dans certaines Hautes Ecoles et universités, mais aussi auprès des organes de formation inter réseaux (IFC)[16] et du réseau libre (FOCEF)[17].

En sachant que les enfants ont besoin de continuité, la gestion du personnel doit être pensée en conséquence. Le PO et la direction sont face à des choix d’abord pédagogiques, mais aussi au choix du personnel. C’est au PO de trouver des instituteurs motivés par le projet. Ce choix aura une incidence sur ces « instituteurs FLA ». Soit le choix se fera sur certains instituteurs nommés dans l’école souhaitant donner une nouvelle dynamique à leur carrière et intéressés par le FLA, soit le choix se fera sur de nouveaux instituteurs qui cherchent des heures et qui pourraient travailler sur deux ou trois écoles. A chaque école, sa réalité. Le dispositif FLA ne doit pas créer un certain stress chez ces jeunes instituteurs (qui n’ont pas la sécurité d’emploi). Ce sera un des points importants lors de l’évaluation de ce dispositif.

Sur le terrain

Le décret est tout jeune et la mise en place du dispositif FLA fait ses maladies, la situation étant d’autant plus compliquée avec la crise sanitaire.[18]

Quelques chiffres isolés[19] proviennent de nos rencontres auprès d’institutrices ayant en charge ces périodes et d’une direction. Sur les 75 élèves évalués dans cette école de Schaerbeek, 44 ont obtenu un résultat B ou C. Un enfant (B ou C) génère 0.4 périodes pour l’établissement. Cela veut dire concrètement que cette école a pu engager un instituteur pour 18 périodes[20]. Ces 44 élèves vont pouvoir bénéficier de cet accompagnement durant deux ans. Dans le Hainaut, une école a testé 57 élèves, 33 élèves ont raté l’épreuve et 4 furent testés dans une autre école.
Globalement un quart des élèves se fait tester et un peu moins de la moitié de ces élèves génère les périodes FLA. Les écoles de nos institutrices ont pu bénéficier de 15 à 18 périodes FLA. Nous attendons avec impatience les chiffres officiels, car beaucoup d’écoles sont concernées. Il semble que ces heures ont eu un réel succès.

Concrètement sur le terrain, les institutrices s’organisent pour un mieux. Le soutien de leur direction est primordial. En fonction des enfants bénéficiant du programme FLA, elles jonglent avec les horaires, les locaux. Le travail collaboratif s’impose inévitablement, cela peut créer des difficultés dans certains établissements.

Dans une autre école de la périphérie de Huy, le dispositif FLA est accueilli favorablement. Hélène Fastré, directrice et institutrice pour 6 périodes, nous précise que l’école est en encadrement différencié et multiculturelle ; les parents viennent en disant : Ici, on entend qu’on s’occupe bien de nos enfants. L’école compte 39 élèves en FLA dont 14 en maternelle. Elle comptabilise 15 périodes FLA et une période pour les élèves primo-arrivants. Les élèves ne sont pas étiquetés FLA ; c’est une aide parmi d’autres pour répondre à leurs besoins du moment. Il y a environ 50 % de ces élèves qui sont d’origine belge et qui parlent français à la maison et 50 % d’origine étrangère et qui ne parlent pas français à la maison. Parmi les élèves en FLA, il y a plus d’enfants qui parlent français à la maison en maternelle qu’en primaire. Cette observation montre les inégalités langagières en fonction du milieu socio-économique et le besoin de soutenir l’élève dès le plus jeune âge, pour autant que l’enfant fréquente l’école de façon régulière, pour contrer l’échec scolaire.

Elodie Piekny, institutrice maternelle dont 7 périodes FLA et 7 périodes pour le développement du projet de l’école du dehors, en attente de la formation FLA, décrit son travail : les enfants sont sortis de la classe seuls ou par groupe de 4 maximum. On peut les mélanger ; cela se fait en fonction de leurs besoins. Le cours ne dure pas plus de 20 minutes. Il a lieu chaque semaine, les enfants ont besoin de régularité. L’apprentissage se fait via l’exploitation d’albums jeunesse, de théâtre de marionnettes, d’imagiers, de jeux de société, de chansons... On observe un gros manque de vocabulaire surtout chez les enfants de milieux précarisés. Par exemple, certains enfants ne connaissent pas le mot « livre » même s’il y en a en classe et qu’ils les manipulent tous les jours.

Grâce au budget dégagé par le plan de pilotage et aux tablettes disponibles, Emilie Lourtie utilise une application pour construire un livre numérique avec les élèves à partir d’un livre existant (Ex. : « Bon appétit, Monsieur Lapin »). On utilise l’application « ChatterPIx » pour enregistrer la BD du livre. Le fait d’enregistrer les enfants est intéressant, car cela leur permet de s’entendre (travail sur la prononciation et l’expressivité). Ils ajoutent des pages au livre ; le lapin est le personnage central ; il y a tout un travail sur le vocabulaire. Parfois, ce sont des jeux ou des exercices plus scolaires de lecture, de grammaire ou d’expression écrite.

Et les parents dans tout ça ? Ont-ils été informés ? Comment ? Sont-ils partenaires ?

L’école de Huy nous explique : Pour ne pas stigmatiser l’élève et sa famille, les élèves en FLA ne sont pas étiquetés comme tels et les familles ne sont pas forcément au courant. En primaire pour le FLA, un QR Code est donné aux parents qui peuvent scanner et voir ce qui a été vu en classe. On doit encore travailler sur la question de la communication aux parents.

Le dispositif FLA sert-il à quelque chose ?

Marie Leduc, enseignante : De quoi ont pu bénéficier les élèves ? D’abord, de rien, le temps de trouver du personnel… Et puis, de pas grand-chose avec un prof FLA absent un jour sur deux puis plus là du tout. D’un peu plus après en maternelle avec quelqu’un de motivé, même si sans formation FLA spécifique. En février, une logopède commence le travail en primaire. On n’a jamais eu les trois profs. Avec la pénurie et les absences de longue durée depuis octobre, il n’y avait déjà pas de titulaire dans toutes les classes ! L’instabilité tue. Et les rentrées suivantes n’y échapperont pas.[21]

On entend et on lit aussi que lorsqu’un enseignant titulaire est absent, l’enseignant FLA est une des roues de secours pour prendre une classe en charge.

Cela démontre une fois de plus qu’un décret et un budget ne suffisent pas. Les réalités du terrain ne changent pas. Instabilité, changement du personnel, manque de compréhension ou de conviction peuvent mettre à mal l’esprit d’un dispositif censé aider un élève en difficulté.

Et pourtant, dans certaines écoles, le FLA sert à quelque chose.

Delphine Bernard : Très vite et grâce au fait que j’avais à ma disposition un local, j’ai pu retirer les enfants des classes en accord et en concertation avec mes collègues titulaires. Je constate qu’en petit groupe, ces quelques élèves osent s’exprimer plus facilement. Les échanges sont nombreux. Ils prennent confiance.[22]

A Huy, on rencontre les mêmes difficultés que celles évoquées plus haut, mais on considère que le FLA est possible et essentiel : Non ce n’est pas de la poudre aux yeux. C’est un outil primordial pour progresser en français. L’avantage est qu’on a les élèves en individuel ou en petits groupes.  L’enseignant FLA a les moyens de réussir sa mission dans notre école, car la dynamique est déjà présente, c’est une habitude, une façon de faire. Le bémol que nous mettons au FLA, ce sont les conditions d’organisation : ça prend du temps de trouver une plage horaire, un local, d’ajuster, de former les groupes ; les temps de concertation entre les titulaires de classe et les enseignantes qui donnent le FLA se font plutôt au pied levé, durant une récré ou par mail. Parfois, c’est une réflexion plus globale. Il y a aussi un besoin de coordination. Ce n’est pas évident parce que ces enseignantes ne sont pas toujours dans l’école. Il y a enfin le problème de la continuité. Il y de l’instabilité pour ces heures, on ne sait jamais combien d’heures on aura l’année suivante, or la continuité est essentielle, tout comme le fait de garder le même enseignant[23].

A Huy, on nous précise encore que le FLA ce n’est pas de la remédiation : Dans l’école, on ne parle pas de remédiation, mais de besoins et de différenciation. Parler de remédiation veut dire que l’enfant a échoué. On est dans une dynamique positive, on croit que l’enfant peut réussir. Il existe une relation de confiance où l’enfant exprime ses besoins. Pour nous, le FLA est une façon de différencier.[24]

Dans les écoles rencontrées, l’efficacité du dispositif semble tenir au (sur)investissement des enseignants FLA, à l’ingéniosité et à la cohésion de la direction et de son équipe. Mais de façon générale, peut-on implémenter un dispositif pédagogique compensatoire et transversal (aux différentes matières) sans que les conditions d’organisation, de formation, de concertation et de continuité soient suffisantes ?

Le décret parle d’un comité de monitoring qui pourra évaluer le processus. Ce comité a pour missions d'effectuer une évaluation du parcours scolaire, d'évaluer l'impact budgétaire du nombre d'élèves concernés par les dispositions du décret, d'analyser l'implémentation des dispositifs et des partenariats dans le plan de pilotage. Le premier rapport d’évaluation devait être effectué pour le 30 novembre 2020 au plus tard...
Dans chaque école, le pouvoir organisateur (PO) sera responsable de la mise en œuvre effective du respect strict du décret. Ce screening complet aura-t-il lieu ?

En effet, les intentions semblent bonnes, mais la réalité de terrain et les conditions d’organisation semblent ne pas avoir été prises en compte… A chaque école, PO, direction, instituteur de se débrouiller… Ne faut-il pas donner les moyens aux écoles d'accueillir ces élèves en déficit de la langue d'apprentissage ? C'est d'abord l'apprenant qui prime, la relation que l'on a avec celui-ci. Que mettre en place concrètement pour intégrer ces enfants et pour qu’il soient le plus autonomes possible dans le système scolaire…et donc acquièrent toutes les compétences ?

Jean-Marc Defays[25], professeur en didactique, estime pour sa part que le FLA représente d’abord un geste politique et qu’il pose un problème parce qu’il mélange des enfants allophones et d’autres dits « vulnérables » qui n’ont pas les mêmes besoins.[26]

Dans les limites à l’efficacité du dispositif, Elodie Oger, assistante en didactique du français à l’UCLouvain, estime, quant à elle, qu’il y a une béance dans la formation FLA proposée aux instituteurs. En effet, nombre d’enseignants engagés pour le FLA n’ont pas encore reçu la formation, la crise sanitaire ayant bien entendu ralenti les choses. Par ailleurs, même si la réforme de la formation initiale prévoit de faire du FLA une matière transversale pour tous les enseignants, aujourd’hui c’est encore loin d’être le cas : Sur le terrain cependant, hautes écoles et universités sont encore peu préparées à cet aspect de la réforme : un certain nombre d’institutions continuent d’ignorer le FLA dans leur offre de formation, d’autres l’ont incorporé de façon ponctuelle ou périphérique (via un certificat, un module d’enseignement isolé, etc.).[27]

Enfin comme l’explique encore la linguiste, les enseignants et les écoles ont encore peu de supports à disposition : Signalons aussi que, si la recherche devient abondante sur le sujet dans le monde francophone, elle peine encore à produire des concepts, des outils destinés aux praticiens ou des principes méthodologiques forts, ce qui n’aide pas non plus à favoriser l’adoption du FLA, dans les formations et (donc) dans les écoles.[28]

La FWB aurait-elle mis la charrue avant les bœufs ? Pour que le FLA fonctionne, toute l’équipe éducative devrait être formée à la question du français langue de scolarisation !

Manne financière disponible... Mais comment va-t-on efficacement s’en servir ?

De la prise de conscience à la mise en œuvre

La proximité des familles avec la langue utilisée à l’école est très variable, comme l’explique Nicole Wauters, conseillère pédagogique[29] : Oui, il y a des parents qui sont très vite sensibilisés aux attentes de l’école. Ces parents-là, sans en prendre forcément conscience, utilisent déjà un langage très proche de celui qui est utilisé à l’école. On fait réfléchir l’enfant, on va discuter autour d’un album de jeunesse, on va discuter de la façon dont on va vivre les vacances… Il y a des interactions langagières. Alors que, pour d’autres enfants, qui appartiennent à des milieux plus fragilisés, ils bénéficient de moins de sollicitations de ce type. Si l’école ne prend pas en compte ces écarts importants, il y a fort à parier que ces enfants-là vont se débrouiller plus ou moins mais très vite décrocher par rapport à la complexité de ce qui est demandé.[30]

Comme le souligne encore Elodie Oger, le principal mérite du dispositif FLA est de mettre l’accent sur des attentes linguistiques implicites et inappropriées de la part de système scolaire pour les élèves allophones, mais aussi pour les francophones : Cette langue scolaire est en effet chargée d’autres usages, d’autres représentations du monde et de la langue elle-même, sur lesquelles, notamment, la place prise par l’écrit joue un rôle déterminant. Or, l’on sait que ces savoirs et compétences propres à la langue scolaire s’élaborent très inégal(itair)ement chez les élèves : inexistante chez les élèves primo-arrivants, leur maîtrise est jugée parcellaire et incertaine chez de nombreux élèves francophones […] Contrairement à une conception répandue, la maîtrise de la langue scolaire ne va pas "de soi".[31]

Ce dispositif met en lumière les inégalités de langage liées au milieu socio-économique. Comme les enseignantes nous l’ont expliqué, les élèves qui ont des difficultés persistantes ne sont pas spécialement les élèves étrangers arrivés il y a peu en Belgique, mais des enfants qui ne communiquent guère à la maison et dont le vocabulaire est très pauvre. Ces inégalités se marquent d’autant plus que la plupart des enfants de milieux défavorisés n’ont pas fréquenté une structure d’accueil 0-3 ans où ils auraient pu bénéficier d’une familiarisation à la langue. Il faut donc rappeler ici toute la nécessité du soutien à la parentalité pour accompagner les jeunes parents dans l’éveil au langage de leur enfant.

Une analyse récente de l’UFAPEC aborde la question du besoin de communiquer avec l’enfant dès le plus jeune âge en pointant les dangers des écrans rendant de plus en plus de parents indisponibles.[32] Cette analyse fait état d’une étude scientifique appelée "The Early Catastrophe" qui démontre la puissance de l'environnement sur le développement du langage des enfants : à l'âge de quatre ans, les enfants de milieux favorisés avaient entendu trente millions de mots de plus que ceux de milieux défavorisés.[33]

C’est dans ce sens aussi que l’UFAPEC insiste pour que des dispositifs comme le FLA intègrent la collaboration avec les familles et soutiennent les enseignants face à des parents souvent mal à l’aise, voire en rupture, avec une institution scolaire qui ne leur a pas permis de réussir et de s’intégrer : Afin d’éviter les conflits de loyauté imposés à l’enfant par les parents ou par l’école, il est essentiel que l’un et l’autre puissent se rencontrer, se connaître, se comprendre et se rejoindre. La coéducation peut être pédagogique, comme lorsque des projets sont menés de front à l’école et en famille autour de l’apprentissage de la langue d’enseignement.[34]

Enfin, pour l’UFAPEC, l’implémentation du dispositif FLA va de pair avec le renforcement nécessaire de la langue d’enseignement dans la formation initiale des instituteurs.[35]

On peut dire que le FLA fonctionne là où il y a un projet pédagogique attentif à la différenciation et la diversité culturelle, là où la direction et ses enseignants ont fait de la maitrise de la langue d’apprentissage une priorité et là où les heures ne sont pas utilisées à d’autres fins.

Il reste donc aujourd’hui à accompagner les écoles dans la mise en œuvre pour que ces moyens supplémentaires soient investis à bon escient au profit de l’enfant en difficulté langagière.

Conclusion

Le grand chantier qu’est le Pacte pour un enseignement d'excellence a le mérite d’avoir mis le focus sur la langue de scolarisation comme facteur d’inégalités scolaires et sociales. Différente du français parlé dans de nombreuses familles, cette langue est enfin reconnue comme vecteur d’apprentissage et prérequis dans tous les domaines. Dans ce sens, le Pacte reconnait aussi le besoin de soutien dans l’acquisition de la langue pour les élèves vulnérables et ce dès la maternelle. C’est une révolution dans la conception de la langue qui va permettre de faire bouger les mentalités et les a priori par rapport aux compétences des élèves et leur capacité à entrer dans les apprentissages.

Le dispositif FLA a été créé dans ce sens. Le décret a posé un cadre essentiellement administratif. Il donne des définitions, établit les objectifs, explique le calcul de l’encadrement et le dispositif. Enfin, le décret s’attarde, à juste titre sur l'utilisation des périodes d'encadrement, de l'évaluation des dispositifs et de la formation continuée des enseignants.

Reste aujourd’hui toute la phase de mise en œuvre qui ne peut faire l’économie d’une évaluation. Sur le terrain, des écoles, des directions, des enseignants motivés se sont déjà bien engagés dans le processus, mais rendent compte des difficultés d’organisation. Comment rendre le dispositif applicable et efficace à court et moyen termes ? Continuité, stabilité, formation et recrutement de l’enseignant FLA, soutien des directions et des PO dans l’implémentation du dispositif, concordance avec le plan de pilotage, sensibilisation et implication de toute l’équipe éducative, voilà des éléments essentiels pour que le FLA soit dans les clous.

Nous laissons le mot de la fin à Nicole Wauters qui, à travers l’objectif du FLA, rappelle les fondements de l’enseignement : La première invitation que j’ai envie de faire aux enseignants, c’est d’être curieux et d’écouter les enfants s’exprimer. […] Aider les élèves à prendre conscience que, grâce au langage, ils deviennent des acteurs dans leur parcours scolaire. C’est renforcer chez les plus vulnérables la confiance en soi.[36]

 

Dominique Houssonloge et Jean-Philippe Schmidt

 


[1] La polysémie est la caractéristique d'un mot ou d'une expression qui a plusieurs sens ou significations différents. - https://fr.wikipedia.org/wiki/Polys%C3%A9mie

[2] Les résultats du certificat d’étude de base (CEB) montrent une faiblesse en français (surtout dans le savoir-écrire) depuis quelques années par rapport aux mathématiques et à l’éveil.

Enseignement.be - Document: AGE - Communiqué de presse - 20190626 - Resultats CEB 2019 - 6ème primaire

[3] Le Pacte précise encore que la maitrise progressive de la langue française en tant que langue de scolarisation, en particulier, permettra à l’enfant de développer ses compétences psycho-sociales et d’exercer des compétences interactives, démarches mentales, des attitudes relationnelles, etc., directement utilisables dans la construction de son savoir.

[4] Beeckmans, M., Direction générale de l'Enseignement obligatoire, Service général des Affaires transversales, Direction d’Appui – Mail reçu le 10/2/21

[5] Entretien avec Delphine Bernard, le 24/2/21 - institutrice, responsable des heures FLA

[6] Décret visant à l'accueil, la scolarisation et l'accompagnement des élèves qui ne maîtrisent pas la langue de l’enseignement dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/46275_003.pdf - Le décret définit le public cible afin que chaque enfant primo-arrivant ou qui ne maitrise pas la langue de l’enseignement puisse générer un encadrement spécifique pendant une période de 24 mois. Le décret précise également les modalités d'organisation des dispositifs d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants (DASPA) et des périodes d’accompagnement FLA (périodes de Français Langue d’Apprentissage, anciennement appelées périodes ALE).

[8] Voici tous les tests proposés aux élèves en fonction de l’année primaire fréquentée : http://www.enseignement.be/index.php?page=28252&navi=4593

[9] C’est le PO par l’entremise de la direction de l’école qui décide de faire passer ces tests FLA. La direction informe toute l’équipe éducative du projet. Dans sa classe, chaque instituteur choisit des élèves en faiblesse dans la maitrise du français. Ces élèves sont testés individuellement par deux personnes (instituteurs ou direction). Le résultat général génèrera des périodes supplémentaires pour l’établissement.
Il n’est pas obligatoire que chaque école passe ces tests. C’est un choix fait par l’établissement.

[10] Entretien avec Véronique Moreau le 26/1/21 - institutrice, responsable des heures FLA

[12] FLA : français langue d’apprentissage, FLE : français langue étrangère, FLSco : français langue de scolarisation, FLS : français langue seconde, FLM : français langue maternelle

[14] A ce propos, lors de notre entretien avec Véronique Moreau, celle-ci nous partage qu’elle a fait le choix de sa propre initiative, durant l’année scolaire 2019-2020, de suivre durant un an (deux journées par semaine) les cours pour l’obtention d’un certificat en didactique du français langue étrangère (FLE) et langue de scolarisation (FLSco). Le certificat est reconnu par l’Académie de recherche et d'enseignement supérieur (ARES), il est valorisé dans les titres et les fonctions. C'est une formation en didactique mais ce n’est pas un diplôme pédagogique. Elle ajoute que c’est un investissement financier conséquent (800€ de minerval), mais que cela valait le coup. Cette formation étant obligatoire, elle connait certains PO qui accompagnent financièrement la formation.

[15] Entretien avec Véronique Moreau le 26/1/21 - institutrice, responsable des heures FLA

[16] Institut de la formation en cours de carrière : http://www.ifc.cfwb.be/

[18] Pour la FWB, le dispositif d’accompagnement FLA est inscrit dans le cadre du plan de pilotage de chaque école lui permettant d’améliorer les indicateurs et d’atteindre les objectifs propres à l‘établissement. L’article 25 du décret du 7 février 2019 prévoit d’ailleurs une évaluation de la mise en œuvre des articles du décret du 7 février 2019, et en fera rapport au Parlement au cours de l'année scolaire 2022-2023. Par ailleurs, dans le cadre du monitoring prévu à l’article 24, le Service général de l’Inspection est amené à réaliser une enquête auprès des établissements scolaires sur certains points. Comme indiqué plus haut, le rapport du monitoring est transmis à la Commission du pilotage.

[19] Il n’est pas possible, à ce stade de fournir des chiffres précis quant aux nombres d’enfants testés au 30 septembre des deux dernières années. Il n’est pas non plus possible de donner le nombre exact d’enfants ayant pu bénéficier de cet encadrement spécifique. Enfin, il n’y a pas de chiffres non plus quant aux nombres de périodes générées par le projet au profit de l’emploi des instituteurs

[20] Un horaire complet pour un instituteur primaire est de 24 périodes, 26 périodes pour une institutrice maternelle.

[21] Leduc, M., enseignante, membre de Changements pour l'Egalité, opinion dans LLB du 14/9/20. Le grand écart entre les circulaires qui veulent changer la vie des profs et la réalité du terrain dans les écoles - La Libre

[22] Entretien avec Delphine Bernard, le 24/2/21 - institutrice, responsable des heures FLA

[23] Interview du 03/03/2021.

 

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