Analyse UFAPEC 2010 par F. Baie

04.10/ Notre société impulse-t-elle un changement de comportement des adolescents par rapport à l’alcool ? 3ème partie: les alcooliers visent-ils les jeunes ?

Introduction

Par nos deux analyses précédentes, nous avons pu observer deux nouvelles tendances chez les jeunes concernant leur consommation d’alcool : l’augmentation du « binge drinking » (boire pour boire dans le but d’atteindre au plus vite l’ivresse) ainsi que leur attrait pour les « Alcopops ». Nous désirons maintenant ouvrir un nouveau volet en regardant si les stratégies marketing des alcooliers (c’est-à-dire les producteurs de boissons alcoolisées) visent intentionnellement les jeunes et contribuent largement à ces évolutions. Les alcooliers adaptent-ils leurs produits ? Ont-ils pour slogan : « un public différent, une boisson différente » ? Quels sont les tactiques des publicitaires ? Sur quels terrains les publicitaires exercent-ils leur pression ?

Constat

Les boissons alcoolisées traditionnelles (bières, vin) connaissent une diminution ou une stagnation des ventes, l’eau de vie n’a plus la cote depuis 1961. L’étude du CRIOC[1]intitulée « La consommation d’alcool chez les jeunes. Quelles stratégies commerciales ? » le confirme : « Face à cette évolution qui conduit à une diminution des ventes et des bénéfices et aux contraintes légales et sociétales qui visent à limiter la consommation d’alcool, les entreprises du secteur se devaient de réagir ; en recherchant de nouvelles cibles, d’une part, en développant des approches spécifiques, d’autre part. Le monde des consommateurs adultes est saturé de boissons alcoolisées et les contraintes légales s’orientent vers une volonté de lutte contre les assuétudes. Les producteurs sont donc amenés à rechercher de nouvelles cibles : les jeunes ».

Un public différent, une boisson différente  

Les alcooliers ont bien compris que s’ils voulaient toucher un autre public, il fallait proposer à ce public des boissons différentes. Bien sûr, les goûts des jeunes ne correspondent pas aux goûts des adultes. C’est pourquoi les brasseurs développent des bières sucrées, les producteurs d’alcool proposent des « mix-drinks » ou des limonades alcoolisées. Ils proposent de plus en plus de produits sur-mesure et des produits spécifiques à chaque groupe d’âge.

Les producteurs de boissons alcoolisées en sont conscients et développent de nouvelles stratégies afin d’enrayer l’érosion de leurs ventes. Ils cherchent à conquérir de nouveaux marchés comme le confirme Jean-Jacques Delhaye[2], secrétaire général de la Fédération belge des vins et spiritueux interrogé par l’association « jeunes et alcool » dans le cadre de l’enquête « Les publicitaires savent pourquoi »: « Les jeunes veulent tout expérimenter plus tôt. C’est l’évolution de la société qui veut ça. Il est donc normal que les gens qui font de l’alimentaire suivent la tendance générale… Les jeunes ont un goût de plus en plus porté vers le sucré… Peut-on dès lors reprocher à un fabriquant de yaourt ou de bière d’orienter son produit en fonction de la demande ? ».
 
Le Dr Raymond Gueibe, psychiatre et alcoologue à la clinique Saint-Pierre à Ottignies, dans un article du « Soir » se montre très scandalisé à propos des campagnes publicitaires pour l’alcool : « Il est scandaleux, sur le plan psychologique, qu’une marque de bière fasse campagne sur le thème « Les hommes savent pourquoi », en montrant des hommes beaux, forts, virils, bien entre eux avec leur bière. Il est tout aussi scandaleux de laisser ce brasseur sponsoriser le championnat de football… C’est là qu’il faut interdire ! »[3]

Tactiques des publicitaires

Pour Valérie Sacriste, sociologue des techniques de communication de masse, la publicité manipule notre société et les jeunes en sont la proie : « Seulement l’approche critique a considéré que la « course à l’avoir » était le résultat de la logique capitaliste et que cette même course avait été rendue possible par la capacité manipulatoire de la publicité »[4].

Selon Nico Hirtt et Bernard Legros, « Les publicitaires se comportent envers nous, non en fonction de ce que nous sommes réellement, mais en fonction de ce qu’ils pensent que nous sommes ou devrions être, à savoir des agents sociaux dont la préoccupation essentielle (et paradoxalement existentielle) est de consommer, encore et toujours plus »[5]
 
«  La plupart du temps, la publicité pour l’alcool est suggestive. Elle cristallise les valeurs de la société, leurs évolutions. Elle ne raconte pas le produit, mais nos désirs de puissance, de richesse, d’amour, de plaisir, d’aventure, de naturel, de folie… Pour les ados, s’y greffe un parfum d’interdit ou de provocation, de dépassement des tabous, de sexualité. »[6].
 
Pour toucher les 12-17 ans, les stratégies des alcooliers deviennent de plus en plus vicieuses. Il s’agit de toucher les ados via Internet en proposant des programmes, des jeux en ligne, d’envoyer des SMS pour inviter les jeunes à participer à des jeux ou des concours. La tendance générale du marketing aujourd’hui est, selon Benoît Heilburn[7], « de rentrer, mine de rien, dans la vie des individus pour en devenir un véritable partenaire ».
 
Les publicitaires touchent les jeunes par le canal scolaire et extrascolaire. Ils développent des produits d’imitation et de provocation. Pour banaliser la consommation d’alcool, plusieurs stratégies sont utilisées :
 
« Une présentation du produit soignée (look branché, coloré, inoffensif et gai. Parfois, elle entretient la confusion avec les limonades (alcopops)
L’initiation dès le plus jeune âge grâce à des produits similaires (Kidibul par exemple)
L’omniprésence massive des marques dans les événements fréquentés ou organisés par des jeunes (festivals, concours, soirées, camps de vacances, etc.)
L’association systématique de certains loisirs à des marques d’alcool (comme le championnat de football de première division, la Jupiler League). Certains producteurs vont jusqu’à organiser des soirées où la boisson alcoolisée sponsor est vendue à un prix dérisoire. Cela incite ces jeunes à se saoûler.
Le financement d’études scientifiques qui tendent à prouver les effets bénéfiques d’une consommation modérée sur l’organisme »[8].

L’alcool dans la presse, au cinéma, sur internet, et même sur ton Blog

Les alcooliers ont décidé d’envahir tous les terrains pour cibler les jeunes et les pousser à consommer de l’alcool. D’après l’excellent dossier de Média Animation « Les Publicitaires savent pourquoi »[9], la publicité revêt la peau d’un caméléon, prend toutes les formes, réquisitionne tous les supports possibles pour convaincre nos ados à acheter de l’alcool. Les magazines sont diversifiés et incitent les jeunes dans leur consommation, « C’est ainsi que certains titres adressés aux jeunes branchés sorteurs regorgent d’annonces pour l’alcool ». « Au cinéma, 10% des publicités vantent les mérites de l’alcool sous toutes ses formes ».

Concernant Internet, souvenons-nous du fameux site de « Jupiler » ou de la « Jupiler League » qui s’adressait aux supporters de tout âge et était entièrement consacré au championnat de football de première division. « Les supporters savent pourquoi », lisait-on en base line du site. Il s’agissait de présenter un monde entièrement masculin où la bière occupait une place centrale à côté de celle du football.  « Quand on connaît l’importance sociale de ce sport, on ne peut qu’être interpellé par cette banalisation et son impact sur les jeunes. Jeunes et enfants sont d’ailleurs largement représentés dans la panoplie des photos de la saison » explique le Docteur Gueibe. Celui-ci trouve cette analogie bière-sport dans cette publicité complètement aberrante : « Et s’il est vrai que le sport c’est la santé, il faudra un jour admettre que c’est bien stupide de voir une activité sportive sponsorisée par une marque de bière… Ne serait-ce pas là une histoire belge surréaliste ? »[10].

Même les blogs des jeunes ne semblent pas être épargnés par l’intrusion de la publicité en faveur de l’alcool : « L’alcool tient souvent une place importante dans les blogs des jeunes. Les producteurs d’alcool ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en proposant le téléchargement d’animations ou d’illustrations à placer sur les espaces personnels »[11]

Nouvelles technologies et scènes de bitures

Les alcooliers peuvent compter sur deux alliés : la publicité et les nouvelles technologies. En effet, dans notre société actuelle, il est extrêmement rapide d’aller rechercher sur un site un logo, une marque, une scène d’ivresse ou de photographier des copains souls et de les afficher sur son blog personnel. La vitesse avec laquelle les clichés voyagent entre utilisateurs, la multiplication des appareils photo numériques et les nouvelles fonctions des gsm ne sont pas étrangères à l’accroissement de ce phénomène.

« Le comportement des jeunes auteurs eux-mêmes est mis en scène lors de soirées arrosées ou à l’occasion de l’une ou l’autre sortie. La consommation d’alcool tient une place considérable lorsqu’on évoque les faits marquants de la soirée, c’est-à-dire ceux dont on privilégiera la diffusion sur les blogs. Les comportements liés à ces consommations excessives sont alors mis en exergue. On énumère le détail de ce qu’on a bu, on photographie les copains bourrés, les copains malades, les cadavres de bouteilles sur la table »[12]. L’ivresse est ainsi banalisée et devient une fierté, un signe d’appartenance au groupe.

Conclusion

Le monde des consommateurs adultes est saturé de boissons alcoolisées. Les producteurs sont donc amenés à rechercher de nouvelles cibles : les jeunes. Les alcooliers ont bien compris que s’ils voulaient toucher un autre public, il fallait proposer à ce public des boissons différentes. Bien sûr, les goûts des jeunes ne correspondent pas aux goûts des adultes. C’est pourquoi les brasseurs développent des bières sucrées, les producteurs d’alcool proposent des « Alcopops », « mix-drinks » ou des limonades alcoolisées. Les alcooliers aidés par la publicité et les nouvelles technologies manipulent les jeunes.

Pour toucher les 12-17 ans, les stratégies des alcooliers deviennent de plus en plus vicieuses. Les publicitaires s’attèlent à offrir aux jeunes une présentation du produit soignée (look branché, coloré, inoffensif et gai). Les publicitaires entretiennent la confusion de l’alcool avec les limonades (alcopops). Les alcooliers prévoient l’initiation dès le plus jeune âge grâce à des produits similaires (Kidibul par exemple). Il existe dans notre société une omniprésence massive des marques dans les événements fréquentés ou organisés par des jeunes (festivals, concours, soirées, camps de vacances, etc.)
 
Aujourd’hui, il s’agit de toucher les ados via Internet, le cinéma, la presse et même en leur proposant de télécharger des animations, des illustrations, des logos en rapport avec l’alcool sur leurs propres blogs.
Le graphisme, l’humour, les couleurs des marques, des logos ou du « design » des bouteilles d’alcool sont des arguments qui plaisent aux jeunes. Tout est pensé, réfléchi, pesé !
 
L’UFAPEC désire que nos politiques soient attentifs à cette situation et règlemente de manière stricte la publicité en matière d’alcool. En guise de conclusion citons encore une fois le Docteur Gueibe : « La réglementation doit aussi porter sur la publicité. Certes, les alcooliers ont le droit de faire connaître leurs produits. Mais les alcooliers ne vendant pas des matelas, des voitures ou de la margarine : ils vendent de la drogue et c’est parce que –et uniquement parce que…- la drogue qu’ils vendent est licite qu’on ne les appelle pas des « dealers », car ce terme est réservé aux vendeurs de drogues interdites, illicites. Et pourtant, ils vendent bien de la drogue ! Alors nous pouvons exiger que la publicité ne soit pas une vaste manipulation psychologique de nos enfants, comme les cigaretiers ont pu le faire durant de longues années »[13].
 
C’est dans cet esprit que nous vous proposons de continuer notre cheminement à travers une dernière analyse concernant la réglementation en matière d’alcool envers les individus mais surtout envers la publicité.
 
 
 
 France Baie
 
 
 
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[1] www.oivo-crioc.org/textes/pdf/1140.pdf -   CRIOC « La consommation d’alcool chez les jeunes. Quelles stratégies commerciales »
[2] Les dossiers de l’éducation aux médias, « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, N°3, p.13 –Média Animation, Bruxelles, 2006 
[3]http://www.lesoir.be « Alcool prohibé : un leurre ! »
[4] V. Sacriste, « Sociologie de la communication publicitaire » - L’année sociologique -Presses universitaires de France, Vol 51, p.492., 2001.
[5] N. Hirtt et B. Legros, « L’école et la peste publicitaire », ed. Aden, p23-2007
[6] « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, p.13 –Média Animation 2006
[7] www.communicationsansfrontiere.org
[8] « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, p.14 –Média Animation 2006
[9] « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, Média Animation, 2006
[10]http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008
[11] « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, p.14 –Média Animation 2006
[12] Les dossiers de l’éducation aux médias, « Les publicitaires savent pourquoi »- Les jeunes, cibles des publicités pour l’alcool, Média Animation, N°3, p32, Bruxelles, 2006
[13]http://www.placestobemag.be R. Gueibe , « Quand le jeune s’alcoolise…Un fait de société », Places to be, n°54, juin 2008 

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