Analyse UFAPEC avril 2017 par B. Loriers

04.17/ Le burn out parental, maladie de notre civilisation ?

Introduction                        

Le burn out parental, épuisement physique et psychologique d'un parent, serait-il la conséquence de ce que nous impose notre société, qui véhicule l'image du bon parent, qui exige que nous soyons parfaits sur tous les fronts, à l’image de ce que nous voulons pour nos enfants ? Manger des fruits et des légumes frais, ne pas trop regarder les écrans, être performant en musique, sport, théâtre et à l'école… Ce phénomène de burn out parental, miroir de notre société, est relativement neuf. En quoi notre société et nos modes d'éducation ont-ils changé pour que cette pathologie fasse son apparition chez nous ? Cette société dans laquelle nous sommes plongés véhiculerait-elle des valeurs de réussite matérielle et sociale au détriment parfois d'une vie de famille sereine ? Le burn out parental n’est-il pas d’abord celui des mères et des classes sociales aisées ? Ou encore le burn out parental serait-il lié au nouveau statut de l'enfant ?

Le burn out parental : de quoi parle-t-on ?

Le burn out parental[1] est « un syndrome qui touche les parents exposés à un stress parental chronique. Le burnout se manifeste par la présence d'au moins deux des trois symptômes ci-dessous :

  • L'épuisement 
  • La distanciation affective avec les enfants 
  • La perte d’efficacité et d’épanouissement dans son rôle de parent 

Selon un sondage de la Ligue des familles de décembre 2016, « près d’un parent sur quatre ressent souvent, voire en permanence, le besoin de lâcher prise, de laisser tomber et d’échapper à ses responsabilités parentales[2] ». Il s’agit d’un des symptômes du burn out parental, lequel s’accompagne aussi, pour la psychologue Isabelle Roskam, « d’un épuisement complet, d’une incapacité à gérer le quotidien familial, et d’un cruel sentiment de culpabilité[3] ». Ce phénomène est préoccupant. Il était jusqu'ici inconnu, et surtout tabou, car qui oserait avouer qu’il est débordé par ses enfants, au point de vouloir s’en détacher ?

Existe-t-il un lien entre le burn out privé et l'épuisement professionnel ? Pour Bart Buysse, directeur général de la FEB[4], « le stress et le burn-out résultent souvent en réalité d'une combinaison de facteurs présents tant dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. Une situation professionnelle prenante s'accompagne souvent d'activités privées très prenantes également. Outre le travail, la famille, l'école, les médias sociaux et les temps de trajet domicile-lieu de travail prennent également du temps[5] ».

Marie, maman en burn out parental, témoigne[6] : « il a fallu gérer les nombreux rendez-vous chez le médecin et l’organisation pour la garde d’Elliot pendant ses maladies. Ensuite, j’ai dû faire face à un surcroît de travail important, car j’ai dû reprendre celui de mon collègue tombé en burn-out, tout en respectant mes propres échéances. L’ambiance de travail était compliquée avec mes responsables, je manquais de reconnaissance et n’avais que peu de flexibilité ».

Notre société valorise-t-elle les parents débordés ?

Ce sentiment s'est accéléré depuis le milieu des années ‘90, à cause de « l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui nous plongent dans une logique d'instantanéité, d'immédiateté, d'urgence. D'autre part, le culte de la performance qui a peu à peu gagné notre société, exige de nous que nous nous accomplissions sur tous les plans : professionnel, personnel, conjugal, familial. Pour Nicole Aubert, sociologue[7], « les parents en viennent parfois à ne plus différencier l'essentiel de l'accessoire ».

Ce sentiment de débordement est variable en fonction des personnes : certains parents supportent mieux que d'autres d'être débordés, parviennent mieux à gérer un agenda surchargé. Par ailleurs, notre société ne valorise-t-elle pas les personnes qui ont un agenda plus que rempli ? Pour le sociologue François de Singly, « être débordé est socialement plus valorisant[8] ».

En prenant de la hauteur, on est en droit de se demander si le burn out parental affecte toutes les classes sociales ou seulement les classes moyennes et aisées qui veulent correspondre au diktat de la société ? Moïra Mikolajczak, docteure en psychologie, explique que[9] « au départ, nous pensions que le burn-out touchait davantage les milieux défavorisés dans lesquels, on le sait, les individus sont plus susceptibles d’être sujets aux troubles psychiatriques de manière générale (anxiété ou dépression). Mais, au regard des milliers de cas que nous avons étudiés, nous avons constaté que les parents qui avaient fait le plus d’années d’études étaient les plus sujets au burn-out parental ». Cela montre bien que le burn out est d’abord lié au statut actuel du parent et de l’enfant dans la classe sociale qu’il occupe. Trop de pression pour rendre notre enfant heureux, parfait et performant finit par épuiser bien des parents.

Statuts et rôles de la femme aujourd’hui

L’enquête de la Ligue des familles de décembre 2016 montre encore que cette souffrance du burn out concerne surtout les mamans. Isabelle Roskam[10]  précise que « la femme est encore perçue comme la première source d'affection et d'éducation de l'enfant. Dans le même temps, elle subit la pression du travail et de ses exigences de productivité grandissante ».

Selon Maryse Vaillant[11], psychologue, « persuadées que l’arrivée d’un enfant dans leur vie va venir combler leurs désirs de bonheur et de réussite, nombreuses sont celles qui se jettent tête baissée dans l’aventure, sans savoir ce qui les attend vraiment ». D’autant, toujours selon Maryse Vaillant, que « nous serions moins bien préparées à devenir mères que nous l’étions hier. La génération féministe, dont je fais partie », explique la psychologue, « a rompu la transmission de la maternité. Autrefois, les mères disaient à leurs filles : tu enfanteras dans la douleur, tu seras soumise à un mari, pour le coït, comme pour les finances, tu n’auras pas la liberté de choisir etc. Aujourd’hui, ce qui était hier une malédiction est devenu une bénédiction et, surtout, un choix : on fait un bébé quand nous le voulons, avec qui nous le voulons. Sauf qu’en route, nous avons oublié de dire aux femmes qu’être mère, c’était tout de même difficile. Mais très vite, la réalité de la maternité prend le pas sur le fantasme. Nuits (et parfois journées) difficiles, responsabilités croissantes, organisation complexe… Dès les premiers mois et le premier enfant pour certaines, plus tard pour d’autres, la fatigue peut vite se faire ressentir. Les moments de doutes, de questionnements s’accumulent ». Et Maryse Vaillant d’affirmer que « les illusions alors perdues ne reviendront pas, qu’il va falloir accepter que le désenchantement dure, faire le deuil de la mère idéale, pour pouvoir voir que la réalité se compose tout autant de difficultés que de bonheurs. Bien sûr, il y aura encore des moments exceptionnels à vivre, mais ils ne feront pas revenir l’émerveillement, le rêve d’une maternité idéale. Cette épreuve de réalité, toute femme en fait l’expérience lorsqu’elle devient mère, et doit faire avec pour toute la vie. Et c’est bien là que tout se joue. Car lorsque les femmes n’acceptent pas ce désenchantement et ne font pas le deuil de la mère parfaite, alors, elles continuent de courir après leur fantasme, jusqu’à l’épuisement, voire, jusqu’au burn out ».

Evolution de notre société au niveau des modes d’éducation

Etre parents de nos jours est très différent d'il y a quelques dizaines d'années. Dans le passé, les soucis majeurs de nombreux parents consistaient à nourrir les enfants à peu près correctement. Liliane Holstein[12], psychanalyste française, ajoute que, « ne rêvant que d'un logis salubre et sécurisant pour abriter toute la famille, ils priaient le ciel pour que tous les maux qui fauchaient les plus jeunes veuillent bien les épargner. Nous ne parlons pas des enfants de la préhistoire, mais bien de ceux de nos grands-parents et arrière-grands-parents. L'éducation consistait à apporter les fondations du fonctionnement dans la vie sociale. L'autorité reposait sur de grandes bases simples. Elle s'appliquait aisément et n'était pratiquement jamais remise en question par les plus jeunes. Chacun connaissait sa place, son rôle, son pouvoir, ses limites ».

Jusqu'aux années ‘60, il faut aussi noter que plusieurs générations de familles vivaient à proximité l'une de l'autre. De nos jours, les distances ne permettent plus « les relais évidents qui autorisaient les parents à souffler un peu[13] ».

Liliane Holstein parle d'une véritable mutation dans l'éducation depuis les années ‘70. Elle précise qu’avant cette période, « l'éducation reposait sur l'assurance des parents de faire partie du groupe de ceux qui savaient, qui travaillaient, qui apportaient la subsistance. Les parents avaient une autorité naturelle. Les ordres ne se discutaient pas. De surcroît, les adultes ne s'intéressaient pas à ce qui se passait dans la tête des enfants. Puis nous avons assisté à une révolution dans le monde de l'éducation et dans la considération qu'on apportait aux enfants. Les pédopsychiatres de l'époque ont montré combien les enfants étaient dotés d'une psychologie très subtile et qu'il était indispensable de les écouter. Nous sommes passés d'un extrême à l'autre. Les parents ont trop souvent pensé que les enfants étaient des adultes en miniature et se sont laissé envahir par un manque de confiance dans leurs capacités d'adultes, dans leur manière de se faire respecter et de cadrer les enfants[14]«. Pour Liliane Holstein, on en paie aujourd'hui les pots cassés. « Les enfants deviennent de plus en plus odieux par provocation, mais aussi par désespoir de ne pas avoir face à eux des parents suffisamment solides et charismatiques pour les protéger de leurs propres pulsions agressives inconscientes[15] ».

Par ailleurs, l’enfant occupe désormais une place centrale. « L’enfant est au cœur des préoccupations des sociétés et des familles, censées lui apporter à la fois le plus grand bonheur possible et tous les ingrédients nécessaires à son épanouissement mais aussi à sa future réussite sociale… »[16]. On peut même aller jusqu’à parler d’une vision sacralisée de l’enfance comme l’explique la sociologue Martine Fournier. Dans nos sociétés post-modernes (après 1960) où ont disparu les grands idéaux, l’enfant serait notre dernière utopie[17].

Pression sociétale sur notre rôle de parents

Le burn out des parents est aussi lié au stress qu'ils génèrent et qu'ils transmettent à leurs enfants face à leurs performances et à leur futur emploi : si tu ne réussis pas à l'école, tu n'auras pas de travail, tu dois être le premier en classe, le plus grand sportif, le meilleur musicien, le polyglotte de l’année, etc. Selon le sondage de la Ligue des familles qui a déjà été cité plus haut, un enfant sur quatre fréquentant l’enseignement primaire ou secondaire reçoit des cours particuliers. Pour Anne Chevalier, formatrice et consultante en éducation, « on rencontre des ados de 14 ans déjà taraudés par la question : est-ce que je vais trouver un travail ? C'est souvent la conséquence du propre stress des parents sur l'avenir de leur enfant. Pas étonnant dès lors de voir les parents se précipiter sur les cours particuliers[18] ».

L'UFAPEC a consacré une étude sur l’enjeu des cours particuliers[19], et déplore que l’école n’offre que rarement les moyens adéquats pour une remédiation immédiate, car ces cours particuliers créent inévitablement une inégalité entre enfants et augmentent la pression chez ceux qui n’y recourent pas. Comme Rudy Wattiez, coordinateur de la haute école de pédagogie Vinci à Louvain-la-Neuve, l'UFAPEC est inquiète de la banalisation du phénomène. « En recourant massivement aux cours particuliers, on entérine le fait que l'école ne rencontre pas ses fonctions premières d'apprentissage et de socialisation[20] ».

Pour Marc Romainville, professeur à l'Université de Namur, c'est une question de moyens mais aussi de culture scolaire. « Il y a quelques décennies, les études dirigées existaient dans les collèges, via le bénévolat de certains enseignants notamment. Cette époque est révolue depuis la fin des années ‘60, mais on n'a pas toujours perçu le caractère profondément inégalitaire de cette évolution. Si on veut retrouver l'égalité des chances à la sortie des classes, l'école doit reprendre les choses en main, et cela suppose de revoir la journée scolaire[21] ».

Notre société voit d'un mauvais œil les enfants qui seraient « en retard ». Les codes sociaux dictent que les petits doivent être indépendants le plus vite possible, qu'ils doivent rapidement apprendre à manger, se mouvoir, être propres, parler, jouer, lire, écrire et compter, «au risque de n'avoir jamais le temps de développer leur originalité et leur authenticité[22] ».

Conclusion

Les représentations mentales à propos du burn out sont variables et cet épuisement émotionnel et physique fait parfois l’objet de dénigrements : certains voient dans le burn out parental une forme de faiblesse, d'incapacité à gérer un quotidien stressant avec les enfants, ils voient d'un mauvais œil ceux qui se retrouvent en congé de maladie pour épuisement et d’un bon œil la performance exigée par notre société. Pour certains, être débordé est socialement valorisant.

D'autres accordent beaucoup d'attention à cet épuisement, et réfléchissent aux démarches préventives pour l’éviter : est-ce une fatalité à laquelle on ne peut échapper, ou, a contrario, pourrait-on devancer ce phénomène en réfléchissant à nos modes de vie, à un nouvel équilibre au sein de la famille et à un nouvel équilibre entre le monde du travail et la vie familiale ?

Nous avons constaté dans cette analyse la place centrale qu’occupe l’enfant dans la vie des parents. Nous voulons le meilleur pour eux, et de nombreux parents entrent dans la spirale de la compétition, notamment avec le recours aux cours particuliers, et à toutes les activités extra scolaires (sports, musique, sciences, mouvements de jeunesse, etc.). Notre société exigerait-elle de nous d’imposer à nos enfants d’être performants, indépendants, au risque de ne pas pouvoir développer leur individualité, leur créativité ? Pour le philosophe Pascal Chabot[23], « une société qui met en avant des idéaux de rendement, de productivité, d'évaluation des performances, de minimisation du temps pour une maximisation du profit est une société qui n'a pas les bonnes grilles pour comprendre ce qui est essentiel par exemple dans la relation que l'enseignant peut avoir avec ses élèves, ou le médecin avec ses patients ».

Nous avons vu à quel point notre société a évolué en quelques années et comment divers éléments sociologiques constituent un terrain favorable à l’éclosion du burn out parental : le statut de l’enfant, pour qui on veut tout, mais aussi celui de la mère et de la femme idéale, l’évolution de la place de chacun dans le couple, l’éloignement entre générations d’une même famille, la remise en cause de l’autorité parentale, les performances professionnelles, etc.

En traitant ce thème du burn out parental, nous avons voulu pointer un enjeu actuel qui pose question : la pression que notre société impose à tous, aux parents et aux mères en particulier, le niveau de performance et de compétition qu’elle exige pour les enfants, et indirectement pour les parents. Le burn out en est la conséquence, un signe des temps, une pathologie de civilisation où se reconnaissent ceux qui souffrent du modèle de notre société, ceux qui sont victimes du système.

Mais tous les parents ne cèdent pas aux pressions et ne sont pas uniquement des victimes du système. Sommes-nous des moutons ? Reste encore le libre-arbitre de chacun : si pression sociale il y a, n’est-ce pas d’abord à chaque parent, et à chaque mère en particulier, à ne pas viser la perfection, à poser des limites et à rechercher d’abord l’épanouissement dans la parentalité plutôt que l’épuisement ?

 

 

Bénédicte Loriers

 

 


[2] http://www.msn.com/fr-be/actualite/national/barom%c3%a8tre-des-parents-le-burn-out-menace-un-parent-sur-cinq/ar-AAlupKG.

Ce sondage commandé par Ipsos par la Ligue des familles et diffusé par la RTBF et Le Soir en décembre 2016 vise à dresser le profil des parents d’aujourd’hui, à décrypter leurs difficultés et leurs besoins.

[3] BOSSELER Julien, Le burn out menace un parent sur cinq, in Le Soir, 13 décembre 2016, p.2.

[4] Fédération des Entreprises de Belgique.

[5] BUYSSE Bart, Burn out, le travail n’est pas seul en cause, in Trends Tendance, 8 février 2017.

[6] Extrait du témoignage d’une maman, dont l’intégralité se trouve en annexe.

[7] AUBERT Nicole, Le Culte de l’urgence, Flammarion, 2009.

[8] DE SINGLY François, L’injustice ménagère : pourquoi les femmes en font-elles toujours autant ? les raisons des inégalités de travail domestique, éditions Armand Colin, 2007.

[9] TOURRET Louise, L’autre burn out, celui des parents à domicile, http://www.slate.fr/story/134711/education-norme-burn-out, 23 janvier 2017.

[10] ROSKAM Isabelle, in Le soir du 13 décembre 2016.

[12] HOLSTEIN Liliane, Le Burn out parental, surmonter l’épuisement et retrouver la joie d’être parents, éditions Josette Lyon, Paris, 2014, P. 12 et 13.

[13] HOLSTEIN Liliane, op cit. p.14.

[14] HOLSTEIN Liliane, Comment venir à bout du burn out parental ? in Le Vif, 16 janvier 2015.

[15] HOLSTEIN Liliane, op cit.

[16] Martine Fournier, L’enfant du 21ème siècle, dans Sciences humaines, sept.-nov. 2007, p.26

[17] Ibidem, p. 29. – Laurence Gavarini, La passion de l’enfant. Denoël, 2001, rééd. Hachette, 2004

[18] CHEVALIER Anne, in Le Soir du 13 décembre 2016, p.5.

[20] WATTIEZ Rudy, in Le Soir du 13 décembre 2016, p.5.

[21] ROMAINVILLE Marc, in Le Soir du 13 décembre 2016, p.5.

[22] HOLSTEIN Liliane, op cit. p.19.

[23] PAPY Gérald, Le burn out est une maladie de civilisation, in Le Vif/L’express du 8 juin 2013 : http://www.levif.be/actualite/sante/le-burn-out-est-une-maladie-de-civilisation/article-normal-87967.html

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