Analyse Ufapec avril 2014 par M. Lontie

06.14/ La coéducation en maternelle

Introduction

L’UFAPEC est persuadée que l’école maternelle, malgré le fait qu’elle ne soit pas obligatoire à ce jour en Fédération Wallonie-Bruxelles, joue un rôle important dans l’apprentissage de la langue officielle d’enseignement (le français), dans l’ouverture au monde, la découverte de la nouveauté et de l’alternative, dans le processus de socialisation de l’enfant… Plus de 95% des parents optent pour l’inscription de leur enfant de la 1e à la 3e maternelle[1], pour ces raisons ou pour d’autres (comme, par exemple, la garde de l’enfant pendant la journée). Du moins, lorsque cela est possible. En effet, les parents bruxellois éprouvent de plus en plus de difficulté à trouver une classe pour leur enfant en maternelle. Parmi les 5 % des parents qui n’inscrivent pas leur enfant en maternelle, hors ceux qui ne trouvent pas de place, deux profils majeurs de parents se détachent : d’une part une catégorie de parents particulièrement aisés et qui ont les capacités de prendre en charge ou de faire prendre un charge leur enfant jusqu’à six ans ; d’autre part des parents issus de l’immigration, qui gardent les enfants à la maison jusqu’au moment de l’obligation scolaire. La double difficulté, pour les enfants de cette seconde catégorie, c’est que la langue parlée à la maison n’est en général pas le français (l’enfant va donc, en première primaire, devoir s’adapter à un milieu social nouveau mais aussi à une langue nouvelle – ce qui va retarder le mécanisme d’apprentissage) et que ces familles ne connaissent souvent pas ou peu les codes de l’école en Fédération Wallonie-Bruxelles et auront donc des difficultés à comprendre et à transmettre à leurs enfants les attentes du monde scolaire. Sans oublier les enfants issus de milieux précarisés, avec des parents qui ne lisent pas ou n’écrivent pas, et qui sont de facto retardés dans leur contact à l’écrit. C’est d’abord pour ces enfants-là, issus de l’immigration ou de milieux défavorisés, que l’UFAPEC réclame, dans son Mémorandum 2014[2], d’avancer l’obligation scolaire à 5 ans au lieu de 6 ans actuellement. Notamment pour permettre « de tisser des liens de confiance entre les familles et l’école » au plus tôt. Car, nous en sommes certains, les premiers pas à l’école déterminent fortement l’ensemble du parcours de l’enfant. Le premier cycle du continuum pédagogique s’étale d’ailleurs de 5 à 8 ans…

Le politique est lui aussi de plus en plus conscient de l’importance de ce moment transitoire avant l’entrée à « la grande école » (la plupart des partis ont envisagé l’obligation scolaire dès 3 ans, mais seraient refroidis par l’impact budgétaire de la mesure ; les textes parlent plus souvent de 5 ans, mais rien n’est effectif à ce jour[3]). Durant la législature qui s’achève, le politique s’est penché sur la manière de gommer les mécanismes qui s’avèrent inefficaces à long terme, comme le maintien dans une année du maternel, et encourage les initiatives alternatives à ce maintien, particulièrement via le projet « Décolâge ! »[4]. En parallèle, d’autres projets originaux se mettent en place, notamment dans la perspective d’une coéducation. Par coéducation, il faut entendre que ces projets, lancés au sein des écoles ou en lien avec elles, prennent les parents en considération dans le développement des apprentissages et de la vie scolaire des enfants. Nous avons choisi, dans cette analyse, de vous présenter deux projets récents qui nous apparaissent comme des initiatives constructives de coéducation en maternelle : « Stimuler le langage en maternelle par un partenariat école-famille »[5], une recherche-action menée par l’Université de Mons[6] et « Ecoles maternelles et enfants défavorisés – Ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire »[7], qui a été développé par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre de « Décolâge ! ». L’UFAPEC a été invitée à suivre ces deux projets et à apporter ses avis et éclairages à plusieurs moments du processus. Il existe bien entendu d’autres initiatives intéressantes, comme « les sacs à lire » du Groupe d’Animation et de Formation pour Femmes Immigrées (Gaffi)[8].

Stimuler le langage en maternelle par un partenariat école-famille

La recherche-action de l’Université de Mons s’est déroulée dans les écoles maternelles de Charleroi, Péruwelz et Etterbeek entre 2008 et 2013. L’objectif de cette recherche fut d’une part de fournir un canevas, des conseils et des outils à destination des enseignants en maternelle (d’abord), des directions, des centres psycho-médicosociaux (CPMS), des parents et de tout autre acteur susceptible d’intervenir dans le bon déroulement du projet permettant de « favoriser le développement optimal de l’enfant dans sa famille et à l’école […] autour d’activités qui stimulent le langage chez l’enfant »[9]. Il fut, d’autre part, de faire en sorte que les enfants retirent un réel bénéfice des efforts consentis, ne fût-ce qu’au niveau des acquis langagiers.

Partant du constat que la maîtrise de la langue est un facteur de réussite scolaire important, que des écarts sensibles en termes de connaissance et de contextualisation des mots existent d’un enfant à l’autre (quand certains enfants connaissent 500 mots à l’entrée du primaire, d’autres en connaissent déjà 1200 !), que les pratiques éducatives familiales et que le rapport des parents à l’école déterminent également le développement de l’enfant et ses chances de réussite scolaire, les chercheurs ont développé une série d’outils en partenariat avec les différents acteurs visés par ceux-ci[10].

Plusieurs outils sont consacrés à la mise en place et au suivi de rencontres avec les parents autour du projet de coéducation. Les supports sont multiples (textes, vidéos, images), pour répondre à une diversité de publics, et en particulier des publics précarisés, lesquels ne maîtrisent pas toujours la langue d’apprentissage (le français). Par ces rencontres, il s’agit de les informer, d’attiser leur intérêt, de favoriser leur implication, de soutenir leurs efforts, de les rassurer et d’écouter leurs difficultés tout au long du processus…  Si la contribution des parents n’est pas obligatoire, on leur montre que leur investissement est un plus. Les activités accompagnent celles que l’enfant réalise à l’école mais ne sont en rien identiques. Si l’école développe des activités entretenant une grande proximité avec les apprentissages (apprentissage explicite), les activités réalisées à la maison son plutôt de l’ordre du jeu et du partage (apprentissage implicite). Pour respecter la spécificité et le rôle de chacun et de chaque lieu. Dans les familles allophones[11], les chercheurs ont remarqué que ces activités motivent les parents à eux-mêmes s’investir et améliorer leur connaissance du français.

Les activités en question sont compilées dans deux fois dix fascicules (avec chaque fois un fascicule à destination des enseignants et un fascicule à destination des parents) ; ceux-ci sont indépendants et peuvent être utilisés de manière aléatoire mais sont numérotés dans un ordre croissant de difficulté. Un personnage est omniprésent et joue le rôle de lien personnifié et affectif entre ce qui se vit en classe et en famille : « Polo le lapin ». Il apparaît, dans les différentes classes où la recherche a été menée, que les enfants entretiennent un attachement profond avec « Polo ». Matérialisé sous forme de peluche, « Polo » permet à l’enseignant de mettre en place des rituels, favorise la concentration des enfants dans leur tâche ou leur donne confiance. La peluche peut même transiter entre la maison et l’école. L’enfant qui aura repris « Polo » à la maison sera amené à raconter les événements vécus avec la mascotte lors de son retour en classe. Cela pourra aussi être rapporté dans un cahier de vie individuel ou collectif (images, photos, événements marquant de l’enfant ou du groupe classe avec la mascotte).

Enfin, un répertoire d’activités et de bonnes pratiques est mis à disposition des enseignants. Ceux-ci pourront s’en inspirer en les adaptant aux opportunités et aux réalités du terrain. Par ailleurs, une grille d’évaluation leur permet d’observer, sans en avoir l’air, les acquis langagiers des enfants. Un enfant qui aurait suivi la totalité du programme devrait avoir appris quelques 2500 mots de vocabulaire à la fin de la troisième maternelle…

Trois évaluations liées à la stimulation du langage dans les écoles participant à la recherche  et réalisées entre 2009 et 2012 ont révélé des résultats positifs : « par rapport à un groupe témoin, les enfants qui ont participé au dispositif ont présenté d’importants gains de langage, et cela quels que soient le réseau d’enseignement, le quartier, le genre le milieu social de l’enfant »[12]. Le fait que les parents soient invités à participer, à distance, à ce qui est vécu par l’enfant à l’école participe certainement à ces bons résultats. L’enfant sent l’intérêt de ses parents pour ce qu’il apprend et réalise ; il y met d’autant plus de cœur et d’ardeur. Ce que nous a aussi confié Vanessa Della Piana, l’une des chercheuse au centre de la recherche-action, c’est que la meilleure façon de pérenniser un tel projet était de parvenir à faire participer un maximum d’acteurs autour de lui (enseignants, directeur, parents, PMS, associations de proximité…) : « C’est beaucoup plus motivant et valorisant pour l’enseignant d’être soutenu dans ses efforts par un ensemble d’acteurs que de porter le projet en solo ». Madame Sabrina, enseignante en classe d’accueil à l’école de Charleroi-Roton parle du projet en ces mots : « Je suis convaincue que c’est quelque chose qui fonctionne très très bien et qui crée un bon climat ; des parents plus timides ou même des parents qui ne parlent pas le français arrivent toujours bien à m’expliquer ce qu’ils ont fait avec la mascotte et à créer une confiance. Pour les parents, pour les enfants et pour moi, c'est quelque chose de magnifique et qui ne demande pas beaucoup de moyens »[13].

Accompagner l’enfant en maternelle dans une perspective de coéducation avec les parents

Le projet de la Fondation Roi Baudouin (FRB) s’intègre dans la Communauté « Décolâge ! », une initiative ministérielle qui vise à trouver des alternatives au maintien en maternelle et dans les premières années du primaire. « Décolage ! », depuis son lancement en 2011, a mobilisé plusieurs centaines d’établissements du fondamental (290 écoles et 75 CPMS en décembre 2013[14]). Dans sa volonté de « donner plus de chances dès l’enfance », la Fondation Roi Baudouin a travaillé sur deux tableaux :

1° préparer les enseignants à la diversité culturelle et sociale des publics à travers la formation initiale des enseignants de maternelle

2° mobiliser ces enseignants sur la question du contact avec les familles précarisées, de leurs représentations de l’école et de leurs difficultés à comprendre les codes et les attendus de l’école. La coéducation concerne bien ce second volet.

28 écoles (en particulier émanant de l’encadrement différencié, c’est-à-dire des écoles accueillant des profils d’élèves plus défavorisés) et 19 CPMS ont participé au projet de la FRB consacré à la coéducation par le biais de quelques 80 participants[15]. Cinq groupes ont été constitués sur base de critères géographiques et se sont réunis en parallèle autour d’un animateur de ChanGements pour l’égalité (CGé). Ceci sur trois journées. La première visait à « partager et questionner les pratiques mettant en relation l’école et les familles de milieux défavorisés » ; la deuxième avait pour objectif de « prendre du recul, chercher à comprendre les tensions et les enjeux relatifs à la relation entre l’école et les familles en situation de précarité » ; enfin, la troisième journée réunissait les 80 acteurs et était consacrée à « construire collectivement des pistes d’actions pertinentes pour améliorer la relation entre l’école et les familles précarisées, soigner la posture professionnelle en cohérence avec les visées d’égalité, réfléchir aux contenus à transmettre aux collègues »[16].

Un document très riche en réflexions et en bonnes pratiques a été publié en janvier 2014 : « Ecoles maternelles et enfants défavorisés – Ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire »[17].

Nous tenons simplement à partager ici deux exemples avec vous. Le premier exemple concerne une école qui s’était inscrite en écrivant que ses intentions, dans le cadre de ce programme, était de s’outiller pour faire des parents de « bons » parents, soucieux de leurs enfants et de ce qu’ils vivent à l’école. A l’issue des trois journées, l’équipe éducative présente avait fait du chemin, avait perçu que, si les parents ne s’investissaient pas, ce n’était pas parce qu’ils ne s’intéressaient pas à l’école de leur enfant et à ce que celui-ci y faisait, mais plutôt parce qu’ils avaient une confiance aveugle dans l’école, ou étaient au contraire méfiants, ou se sentaient incompétents et avaient peur d’être diminués ou critiqués, ou ne comprenaient pas ce qu’on attendait d’eux, ou encore craignaient que l’enfant s’éloignent d’eux par l’école, sa réussite et son émancipation… et qu’il fallait donc trouver des moyens nouveaux pour les rassurer et les intégrer à la dynamique éducative de l’école. Une autre école, qui s’était rendu compte que les parents ne comprenaient pas nécessairement les messages écrits diffusés via le journal de classe de l’enfant, a décidé d’élaborer un système d’imagerie pour que les parents sachent qu’un message leur était destiné. Un dessin représentant un enseignant et un parent reliés d’une double flèche déposé dans le cartable de l’enfant signifie que l’enseignant a un message individuel à faire passer au parent. Un dessin représentant un enseignant et un groupe de parents reliés d’une double flèche signifie que l’enseignant a un message à faire passer à l’ensemble des parents. Ainsi alertés, les parents peuvent s’adresser spontanément à l’enseignant pour disposer oralement de l’information.

Conclusion

L’UFAPEC, par la présente analyse, a voulu illustrer par des initiatives concrètes et porteuses d’encouragements solides que nous avons tous à gagner, et nos enfant les premiers, en nouant des liens entre l’école et les familles. Des mesures parfois simples, des outils existants sur lesquels on peut se reposer ou desquels on peut s’inspirer (que l’on soit parent, enseignant, chef d’établissement ou autre) existent pour favoriser les apprentissages et le développement de l’enfant à travers la coéducation. Nous espérons que ce texte aura suscité l’intérêt du lecteur et l’envie de s’informer davantage sur la question. Pour insuffler lui-même, qui sait, un esprit de coéducation dans l’environnement qui est le sien ? Nous avons en tout cas voulu montrer que cela était non seulement possible, mais, surtout, particulièrement efficace dans les écoles accueillant des publics moins favorisés (à encadrement différencié). Et si nous avons traité de projets essentiellement pensés pour l’enseignement maternel, ceux-ci pourraient très bien être réfléchis pour les classes du primaire et du secondaire.

Cette analyse résonne aussi comme un « merci » à tous les acteurs qui ont mis en place ces outils et porté ces projets qui favorisent le partenariat école-famille. Notre participation active au suivi de ces initiatives était pour nous une évidence. En faire écho était une suite logique.

 

Michaël Lontie

 

 

 

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[1]Cf. Fédération Wallonie-Bruxelles, Les indicateurs de l’enseignement 2013, pp. 12-13 :

http://www.enseignement.be/index.php?page=26981.

[3]Cf. BERSIPONT, A.-C., « Dois-je inscrire mon enfant à l’école dès 3 ans ? »,in Le Soir du 26 novembre 2013.

[4]Cf. Communauté française, Décolâge ! … au bénéfice des enfants de 2.5 à 8 ans et des adultes qui les entourent…, Circulaire n° 4440 du 4 juin 2013 :

http://www.enseignement.be/index.php?page=26823&do_id=4663.

[5]POURTOIS, J.-P., DESMET, H., LAHAYE, W. (dir.), Parents partenaires de l’éducation, Faculté de Psychologie et de Sciences de l’Éducation, UMONS, FWB, août 2013.

[6]En fait par le CERIS, le Centre de recherche et d’innovation en socio-pédagogie familiale et scolaire.

[7]CHEVALIER, A., GROSJEAN, S., JEUNEJEAN, T., TELLER, M., Ecoles maternelles et enfants défavorisés – Ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire, Fondation Roi Baudouin, janvier 2014 :

 http://www.enseignement.be/download.php?do_id=10562

[9]POURTOIS, J.-P., DESMET, H., LAHAYE, W. (dir.), Stimuler le langage en maternelle par un partenariat école-famille, Guide psychopédagogique pour favoriser le développement de l’enfant âgé de 3 à 6 ans, FWB, p. 4 :

http://www.enseignement.be/index.php?page=26044&id_fiche=5537&dummy=27011.

[10]Tous les outils dont nous allons parler ci-dessous sont disponibles et téléchargeables sur le site consacré à la recherche-action : http://eduquonsensemble.jimdo.com/.

[11]Familles dont la langue d’usage courant est différent de la langue officielle du territoire où ils vivent et habitent.

[12]POURTOIS, J.-P., DESMET, H., LAHAYE, W. (dir.), Stimuler le langage en maternelle par un partenariat école-famille, p. 6.

[13]Cf. Vidéo « Les cités de l’éducation » :

http://eduquonsensemble.jimdo.com/vid%C3%A9os-sur-la-co%C3%A9ducation/.

[14]Chiffres issus de CHEVALIER, A., GROSJEAN, S., JEUNEJEAN, T., TELLER, M., Ibidem, p. 14.

[15]Idem.

[16]Cf. CHEVALIER, A., GROSJEAN, S., JEUNEJEAN, T., TELLER, M., Ibidem, pp. 16-17.

[17]CHEVALIER, A., GROSJEAN, S., JEUNEJEAN, T., TELLER, M., Ecoles maternelles et enfants défavorisés – Ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire, Fondation Roi Baudouin, janvier 2014 :

 http://www.enseignement.be/download.php?do_id=10562

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