Analyse UFAPEC 2011 par D. Houssonloge

08.11/ Va te faire intégrer ! 2e partie. L’apprentissage de la langue et la culture d’origine à l’école, clé pour l’intégration des élèves immigrés.

Ici, on parle français

Dans notre précédente analyse, nous avons abordé l’apprentissage du français à l’école comme clé pour l’intégration des élèves d’origine immigrée[1].

Nous proposons d’aborder à présent un autre élément essentiel à l’intégration de l’élève immigré à savoir : l’apprentissage et même la reconnaissance par l’école de la langue et de la culture d’origine.

Trop souvent par méconnaissance, ethnocentrisme[2] ou peur du communautarisme[3], notre système éducatif oublie, comme le rappelle Alain Bentolila[4], que les choix linguistiques ne sont pas de l’ordre du symbole identitaire mais au service de l’épanouissement de l’enfant et de ses perspectives réelles d’insertion sociale, objectifs de notre enseignement de la Communauté française clairement énoncés dans le décret Missions.[5]

Pourtant, à l’école, même en dehors des heures de cours, des enseignants exigent des élèves qu’ils parlent exclusivement français : « Ici, on parle français ».

Autre histoire parmi tant d’autres, celle de Makan, petit Malien, né en France, triste, hostile, voire violent et doublant sa maternelle lorsqu’il arrive en thérapie. « [à son arrivée à l’école] Séparé de sa mère, l’enfant qui parlait pourtant bien le soninké s’est enfermé dans le mutisme. Les enseignants ont alors dit à la maman : « Votre enfant souffre de troubles du langage, il faut arrêter de lui parler votre langue, car vous le coupez des apprentissages d’ici et vous entravez sa réussite… » Effrayée, la jeune femme […] a décidé, du jour au lendemain, de se transformer en mère occidentale : de ne plus lui parler soninké, de substituer les steaks frites à la cuisine traditionnelle, etc. En conséquence de quoi, Makan a connu une double rupture à l’école : il a perdu sa mère et sa maman soninké… et ne s’en est jamais vraiment remis. […] Une mère ne peut transmettre que ce qu’elle a, elle ne peut renoncer à elle-même. Contraindre cette femme à parler français à son enfant était une ineptie tant sur le plan linguistique que psychologique. Depuis Makan va beaucoup mieux mais, du point de vue de sa scolarité, il a perdu trois ans. »[6]

Le langage, facteur de cohésion sociale et de construction de l’identité

Au niveau de la société, le langage permet de souder le groupe. Le langage par sa fonction de communication assure une cohésion sociale (codes partagés) du groupe qui le parle.

Au niveau de l’individu, la maitrise du langage est déterminante pour la socialisation et l’affirmation de soi. Le langage permet aux individus de communiquer mais aussi de partager un système de représentation avec la même vision du monde. « Parler la même langue, c’est partager la même perception de la réalité. En imposant une vision partagée du monde, la langue joue donc un rôle crucial dans la prise de conscience du groupe et la symbolisation de l’identité collective. »[7]

Précisons encore que l’on distinguera la langue maternelle de l’élève, soit celle apprise dès le plus jeune âge en famille, celle du pays d’origine donc et la langue seconde, soit le français, appris à l’école, langue du pays d’accueil.

Les élèves immigrés et leur double identité

Le Livre blanc sur le dialogue interculturel du Conseil de l’Europe de 2008 définit ainsi l’identité d’une personne : « Notre identité n’est pas ce qui nous rend semblable à autrui mais ce qui nous en distingue dans notre individualité. L’identité est un ensemble d’éléments, complexe et sensible aux contextes. Le libre choix de sa culture est fondamental ; c’est un élément constitutif des droits de l’homme. Tout individu peut, simultanément ou à diverses périodes de son existence, faire le choix d’adhérer à plusieurs systèmes de référence culturels différents. Même si chaque individu est, dans une certaine mesure, le produit de son héritage et de ses origines sociales, dans les démocraties modernes contemporaines, tout un chacun peut enrichir son identité en optant pour une multiple appartenance culturelle. »[8]

Rappelons-nous les premiers jours d’école de notre enfant, à la maternelle ou plus tard encore, à l’entrée dans le secondaire. Va-t-il y arriver, se débrouiller, comprendre les consignes, s’adapter ? Rappelons-nous l’angoisse que cela pouvait représenter face à un nouvel environnement jusque-là inconnu. Et pourtant, c’était une école que nous avions choisie parce qu’en phase avec nos convictions, valeurs, visées éducatives ou pédagogiques. Une école avec laquelle on se sentait sur la même longueur d’ondes, avec laquelle on avait le sentiment de partager le même langage.

Pour l’enfant de la première, deuxième, voire de la troisième génération d’immigrés, l’entrée dans le monde scolaire sera souvent bien plus brutale voire violente. C’est l’entrée dans un monde étrange et méconnu voire hostile avec une langue, une culture, des convictions, des normes, des codes très différents de ceux véhiculés à la maison et familiers depuis toujours que Mina Oualdlhadj, d’origine marocaine, décrit avec beaucoup d’autodérision en se remémorant de « douloureux apprentissages » :

« J’ai commencé à mentir lorsque j’ai compris que toute vérité n’est pas bonne à dire. […]

-       Que peut-on trouver dans une cave, Mimi ?

-       Un mouton !

Rires des enfants et stupéfaction de l’institutrice qui s’attendait à une réponse comme « les outils de Papa ». La maîtresse fait le lien avec la fête du mouton et convoque mon père pour lui rappeler que l’abattage à domicile est interdit. […] Après s’être fait tirer les oreilles par une ambicile d’institutrice, mon père m’explique que le mouton est tué si vite qu’il n’a pas le temps de souffrir, que ceux qui nous traitent de barbares étouffent des oies pour en faire du foie gras […]

-       Mon Dieu, Mimi, qu’est-ce que tu as dans les mains ?

-       Du henné, Madame !

-       C’est quoi ça ?

-       C’est comme de la peinture, des tatouages.

-       Mais c’est sale !

-       Non, ce n’est pas sale !

La chanteuse Madonna n’en avait pas encore usé à l’époque. Il ne servait donc à rien d’insister ! J’ai fait la bêtise de raconter l’incident à ma mère qui est aussitôt allée voir l’institutrice : « Ma fille, il i pas sal, l’hinna s’i jouli, s’i toi la ranza. » Traduisez « Le henné c’est quelque chose de bon, c’est un porte-bonheur, ma fille n’est pas sale… C’est toi qui es sale ! »[9]

Si l’enfant ne se sent pas accepté et reconnu dans sa différence, deux solutions extrêmes s’offrent à lui : renier ses origines, ce qu’il est depuis toujours y compris sa famille, ses parents ou rejeter le monde scolaire et les chances d’intégration qu’il représente ; la voie médiane pour l’élève étant de naviguer le mieux qu’il peut entre ces deux mondes parallèles et de changer d’identité chaque fois qu’il change de lieu. Ni de là-bas, ni d’ici, il vit un perpétuel écartèlement amenant des jeunes filles à se promener avec une 2ème garde-robe permanente dans un sac plastique et des garçons à se réfugier dans la rue, zone neutre.

Etat de la recherche et projets-pilotes

Des publications sur la question comme celles de la linguiste Marina Yaguello montrent qu’une personne vit rarement dans la sérénité « l’écartèlement de son moi entre plusieurs champs linguistiques ». La mise en présence de deux langues aboutit presque toujours par une confrontation/compétition. Pour résumer, dans un tel schéma, une langue occupe une position dominante alors que l’autre langue concurrente occupe la position basse ou dominée.[10]

Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, se basant sur des travaux réalisés en France signale le danger de ne pas apprendre et accueillir la langue et la culture d’origine de l’élève immigré : « non seulement, c’est un appauvrissement pour les enfants qui doivent renoncer à une partie d’eux-mêmes pour apprendre à l’école, et ce de manière définitive ou presque, dans la mesure où ils auront intériorisé que cette partie d’eux-mêmes est mauvaise, inutile voire néfaste, ce qui est non seulement faux, mais aussi humiliant et susceptible d’aboutir à des malentendus, à des inhibitions, à des difficultés à apprendre et à habiter avec le nouveau monde. »[11]

En Suisse et plus spécialement dans le canton de Vaud, face à la relative inefficacité du système scolaire en la matière, d’autres recherches ont été menées pour promouvoir la réussite scolaire des élèves immigrés. Les chercheurs ont travaillé avec une école à fort taux d’enfants allophones[12].

Cette recherche confirme que :
 
  1.  le bilinguisme « additif » (apprentissage de la langue d’orirgine en plus de la langue scolaire) favorise les acquisitions du langage et donc la réussite scolaire : « développer ou maintenir des compétences équilibrées dans sa langue d’origine favorise chez les bilingues, les compétences métalinguistiques (prendre du recul par rapport à la langue) et la faculté à traiter des tâches abstraites. Ainsi la compétence en langue d’origine est corrélée à la compétence en langue d’accueil »[13] ;
  2. les enfants d’une autre origine culturelle manquent de références auxquelles s’identifier en milieu scolaire. L’écart entre la culture et les valeurs familiales et celles du milieu scolaire nécessite un espace intermédiaire ou des « ponts » et des « passeurs » ;
  3. les enseignants en langue et culture d’origine sont plus ouverts à un modèle d’une identité mixte et d’appartenance culturelle double des élèves immigrés alors que les enseignants « traditionnels » hésitent encore entre reconnaissance et négation comme s’ils commençaient à prendre connaissance de la problématique sans avoir forcément des réponses adaptées. Une fois encore, un travail sur les représentations des uns et des autres et sur le rôle de la langue et de la culture d’origine reste à faire dans la formation des enseignants.[14]

La théorie de la lecture croisée, expérimentée notamment par l’université de Calgary au Canada, a également fait ses preuves. A Calgary, le programme a été mené avec des enfants de maternelle et de 1ère primaire d’une école comportant 90% d’élèves pour qui l’anglais est la langue seconde et regroupant 25 langues maternelles différentes. Une dizaine de livres ont été choisis et racontés aux enfants en anglais par l’instituteur et dans une langue étrangère par un invité comme des parents qui ont apporté leur soutien au projet. Les histoires étaient écrites en anglais sur une page et dans une autre langue maternelle sur l’autre.

Ce programme a permis d’aider l’enfant à construire sa propre identité en la confrontant à celles des autres, de développer la conscience de la diversité et d’encourager la notion de tolérance. Les enfants dont la langue maternelle a été abordée ont peu à peu osé revendiquer leur culture et se sont plus impliqués en classe.

Programmes LCO

Dans nos écoles, soulignons la mise en place des programmes LCO. De quoi s’agit-il ?

Dans le cadre d’un partenariat entre la Communauté française et sept pays (Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Turquie, Portugal et Roumanie), les écoles qui le souhaitent peuvent proposer des cours de Langue et Culture d’Origine (LCO) à leurs élèves de l’enseignement fondamental et secondaire.

Deux types de cours LCO sont proposés :
  • un cours de langue d’origine qui est dispensé aux seuls élèves de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire dont les parents en ont fait la demande. Il est accessible à tous les élèves quelle que soit leur origine et peut rassembler des élèves venant d’établissements scolaires différents. Ce cours comprend au moins deux périodes. Celles-ci s’ajoutent à la grille-horaire hebdomadaire.

  • un cours d’ouverture aux cultures qui est assuré conjointement par l’enseignant LCO et l’instituteur ou le professeur et qui a pour objet de développer, en utilisant le témoignage privilégié de l’enseignant LCO quant à sa culture d’origine, des activités d’éducation à la diversité culturelle au bénéfice des élèves des classes concernées.[15]

Près de 180 écoles participent à des programmes LCO pour encourager l’éducation interculturelle. Cela dit d’autres écoles développent des actions et projets sans pour autant passer par le programme LCO. Des enseignants, des associations, des parents  « bricolent » au quotidien pour une école de la multiculturalité enrichie des différences de chacun.

Mais les programmes LCO sont loin de suffire et l’éducation à la diversité multiculturelle ne doit pas se limiter aux écoles accueillant une forte concentration d’élèves immigrés. La multiculturalité, l’ouverture et la reconnaissance de l’Autre concernent tous les élèves amenés à vivre ensemble dans une société plurielle.

Conclusion

L’école de la Réussite manque de moyens, de professeurs et pédagogies adaptés pour les élèves d’origine étrangère. Tout comme pour l’apprentissage du français langue seconde, à l’exception des programmes LCO, rien n’est mis en place pour permettre à l’élève de ne pas vivre une rupture voire un écartèlement entre sa langue et sa culture d’origine et le monde de l’école. Pourtant il y a urgence à assurer l’intégration de ces futurs citoyens grâce à une scolarité réussie et des perspectives d’avenir.

En tant que mouvement d’éducation permanente et des parents de l’enseignement libre, l’UFAPEC insiste plus que jamais pour que tous les élèves aient des chances égales de réussite quelle que soit leur origine. Elle réclame notamment, comme énoncé dans la Résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur l'éducation des enfants des migrants :

  • la promotion de la langue et de la culture d’origine dans le programme scolaire ;

  • le développement de compétences en communication multiculturelle à la fois chez les enfants immigrés et les enfants belges

  • la formation des enseignants et autres acteurs scolaires à la dimension multiculturelle et multilingue mais encore à la situation des enfants immigrés[16]. Les parents et associations de parents peuvent aussi apporter leur contribution par exemple en soutenant ou en organisant des activités multiculturelles (souper et spectacles du Monde, activités contes d’ici et d’ailleurs pour les enfants, etc). L’essentiel est que l’enfant soit dans un climat serein pour ne pas se sentir en conflit de loyauté entre sa famille et l’école parce que comme l’écrit encore Bentolila « On ne peut construire l’apprentissage d’une langue nouvelle sur les ruines de sa langue maternelle. »[17]
 
 
 
Dominique Houssonloge
 
 
 

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[1] Dominique Houssonloge, Va te faire intégrer ! 1e partie L’apprentissage du français à l’école, clé pour l’intégration des élèves d’origine immigrée Analyse UFAPEC n°07.11 - 2011 www.ufapec.be

[2] Tendance à privilégier le groupe social, la culture auxquels on appartient et à en faire le seul modèle de référence Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2009

[3] Système qui développe la formation de communautés (ethniques, religieuses, culturelles, sociales…), pouvant diviser la nation au détriment de l’intégration. Op. cit.

[4] Op. cit. p. 105

[5] « Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves; amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle; préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures et enfin assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale ». Décrets Missions 1997

[6] Marie-Rose Moro, Grandir en situation transcutlurelle. Yapaka.be, Communauté française, 2010, pp. 36-37.

[7] Matthias Koenig, La gouvernance démocratique dans les sociétés multiculturelles. UNESCO, 1998, p.5

[9] Mina Oualdlhadj, Ti t’appelles Aïcha, pas Jouzifine ! Clepsydre, Bruxelles, 2008, pp. 43-46

[10] La langue et l’intégration des immigrants sous la direction de James Archibald et Jean-Louis Chiss, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 217

[11] Marie-Rose Moro, op. cit. , p. 33

[12] Personne dont la langue maternelle est une langue étrangère dans la communauté où elle se trouve in Petit Robert, op. cit.

[13] Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité. EME, 2007, pp. 147-149

[14] Op. cit., pp. 148-161

[17] Alain Bentolila, Le Verbe contre la barbarie. Apprendre à nos enfants à vivre ensemble. Odile Jacob, 2008.

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