Analyse UFAPEC Juin 2014 par M. Lontie

08.14/ Les critères de choix d’une école, d’une filière et d’une option en 2014

Introduction

L’UFAPEC a publié récemment une étude sur l’enseignement qualifiant[1]. Les objectifs majeurs de celle-ci étaient de présenter les filières de qualification (le technique de qualification et le professionnel) sous des angles divers. Nous avions par exemple abordé la question des projets pilotes en 3e professionnelle (2e degré), de la réforme CPU[2] (au 3e degré), des différentes structures mises en place pour organiser le qualifiant, des solutions parallèles comme l’alternance, c’est-à-dire les CEFA, et les SFPME - IFAPME… Aussi, nous avions apporté les témoignages de nombreux acteurs impliqués ou concernés par ces filières. Les questions liées au statut des filières qualifiantes ne nous avaient pas échappées et plusieurs pages étaient consacrées à une réflexion sur la dévalorisation que connaît aujourd’hui le qualifiant auprès d’élèves, de parents et de nombreux acteurs de l’enseignement. Il avait été soulevé que l’orientation vers le qualifiant servait aujourd’hui plus souvent de relégation que d’orientation positive, c’est-à-dire une orientation voulue, mûrie, réfléchie (ceux qui sont en échec dans le général ou le technique de transition sont dirigés vers les filières qualifiantes sans évaluer en profondeur le fait que ces filières leur conviennent mieux). Pour résumer très brièvement, notre interpellation était triple :

  • Ne faut-il pas, d’une part, aller vers un premier degré davantage pluridisciplinaire, qui donne une place égale à chaque discipline dans l’évaluation ?
  • Ne s’agit-il pas, d’autre part, de rendre au statut de chaque filière un véritable équilibre ? Si, au sein du tronc commun, des inaptitudes à persévérer dans les filières de transitions sont constatées, ne devrait-il pas en être de même pour les filières de qualification ? Et si des retards dans les acquis doivent être comblés pour passer d’une filière de qualification à une filière de transition, cela ne devrait-il pas s’opérer aussi dans le sens inverse ?
  • Enfin, et sur base de ce questionnement, nous interrogions l’espoir d’opérer un changement des mentalités auprès des élèves mais aussi (et surtout) auprès de tous les enseignants ou autres professionnels de l’école et des parents. Peut-on espérer pouvoir rendre compte dans l’ensemble de la société des potentialités personnelles, économiques et sociales qu’une formation qualifiante menée à terme permet d’atteindre ?

La présente analyse prend appui sur ce débat pour poser la question de manière différente, à partir des facteurs de choix et en tenant compte des réalités actuelles. La notion de « choix » devra être entendue de manières diverses au fil du texte ; car, en fonction de ce qui est choisi et des contextes, il faudra comprendre ce terme de manière plus ou moins large ou plus ou moins restrictive. En effet, parler de choix alors que dans certaines zones de la Fédération Wallonie-Bruxelles nous évoluons dans un contexte de pénurie de places (qu’il s’agisse d’écoles maternelles, primaires, secondaires de tel ou tel réseau, d’options, de filières, de formes ou de types d’enseignement[3]…) reste tangent !

L’importance du choix d’école

Dans la plupart des cas, les premiers facteurs de choix pour une école (primaire surtout) sont souvent la proximité avec le domicile des parents ou des grands-parents, la proximité avec le lieu de travail d’un des parents, la facilité d’accès (que ce soit par des moyens propres ou via les transports en commun), la possibilité de prise en charge durant le temps extrascolaire (temps de midi et garderie du soir), les frais scolaires (minerval[4], matériel, manuels, activités culturelles et sportives, séjours de courte et de longue durée…), le réseau d’enseignement (officiel, libre confessionnel, libre non confessionnel, privé), la forme particulière d’enseignement (par exemple l’enseignement spécialisé) et le fait qu’un parent travaille dans l’école ou ait fréquenté l’établissement en tant qu’élève par le passé.

La réputation d’une école constitue souvent un facteur de choix pour les parents, ou même pour les enfants. Faut-il s’y arrêter ou pousser la réflexion plus loin ? Si une réputation peut être fondée, et certainement rassurer quand elle va dans le bon sens, elle peut aussi être dépassée, surfaite, liée à des vécus particuliers ou à des événements ponctuels passés qui ne préjugent en rien de l’avenir. Il est donc important de s’informer au-delà de la réputation, de visiter l’établissement, de rencontrer la direction, de demander ce qui est mis en place pour soutenir et alimenter les apprentissages de l’enfant, sur l’attention portée à son individualité, à ses forces et ses faiblesses. Pour en savoir plus, le parent pourra se référer au projet éducatif (il définit l’ensemble des valeurs qui seront transmises au sein de l’école), au projet pédagogique (il définit les objectifs pédagogiques et les méthodes utilisées pour y parvenir) et au projet d’établissement (il reprend les visées pédagogiques et les actions concrètes mises en œuvre par l’équipe éducative). Il y a aussi le règlement des études (critères pour un travail scolaire de qualité, procédures d’évaluation, conseils de classe, communication des décisions…) et le règlement d’ordre intérieur (règles de vie au sein de l’établissement). Ces règlements doivent d’ailleurs être signés par l’enfant et par ses parents lors de l’inscription, voire chaque année.

Il y a évidemment d’autres facteurs de choix (comme la présence effective ou potentielle d’un frère, d’une sœur, de voisins ou d’amis dans l’école), mais il nous est impossible ici de présenter un inventaire complet. Il arrive aussi que le premier facteur de choix soit de ne pas avoir le choix. Certaines formes et certains types de l’enseignement spécialisé ne sont par exemple pas « disponibles » dans toutes les provinces du pays, obligeant les enfants à faire de nombreux kilomètres chaque jour ou à opter pour une école qui ne correspond pas à ses besoins ! Le manque de places correspondant aux attentes des parents et des élèves par rapport à la demande dans la capitale et dans certaines zones spécifiques de la Wallonie y limite ou interdit toute possibilité de choix. C’est révélé par le décret inscription en 1ère secondaire mais c’est également le cas dans le fondamental et, dans une moindre mesure, en 3ème et en 5ème secondaires. En cas d’exclusion en cours d’année, retrouver une école s’avère parfois un véritable parcours du combattant pour les parents, malgré le fait que l’école qui exclut soit sensée trouver une solution alternative. Le choix se borne souvent à aller dans l’école qui acceptera (accueillera) l’enfant. Les parents sont-ils suffisamment informés de cette obligation des établissements, des recours qu’ils peuvent envisager dans un tel cas de figure, des lieux qui peuvent les guider pour mieux choisir ?

En secondaire, le choix d’une école est aussi déterminé par le choix des filières et des options proposées au sein de l’établissement et c’est ce qui va nous intéresser dès maintenant.

L’influence de la famille et du tissu social sur le choix d’une filière ou d’une option

Dans l’idéal, un enfant ne devrait-il pas pouvoir choisir sa filière en fonction de ses goûts, de ses envies, de ses aptitudes et de ses aspirations, indépendamment du système d’enseignement proposé par l’Etat et indépendamment de toute influence ou de toute autre contrainte externe ?

Nous proposons ici une position réaliste, sans oublier ce qui a été dit dans l’introduction quant à la triple interrogation de l’UFAPEC concernant l’enseignement qualifiant, mais en mettant cela entre parenthèse puisqu’il ne s’agit pas (encore) d’une réalité concrète. Ce qui nous intéresse dès lors, c’est d’observer comment s’opèrent les choix de filière dans la configuration actuelle de l’enseignement et de la société en général en Fédération Wallonie-Bruxelles et de rendre les parents qui nous lisent attentifs aux biais que cela peut induire pour leur enfant. Dans sa thèse d’anthropologie sociale consacrée à l’orientation scolaire, Géraldine André brosse quinze portraits d’élèves évoluant dans le qualifiant, en professionnel plus particulièrement. L’attachement et la valeur accordée par un père au travail manuel, les expériences des jeunes garçons sur les chantiers du père, les codes et vécus sociaux divers qui expliquent une rupture des familles et des enfants vis-à-vis de l’école (estimant que c’est sur le terrain qu’on apprend vraiment le métier), la culture d’atelier transposée au vécu familial (humour alliant machisme, sexualité et une certaine forme de racisme), la réticence vis-à-vis de l’écrit et des livres, le goût pour une option qualifiante, la frustration des parents de n’avoir pu acquérir un diplôme comme marqueur d’espoirs explicites dans l’école, le sentiment de vulnérabilité d’une maman face à l’institution scolaire et ses verdicts, la continuité de l’entreprise familiale, le piston, le lien familial et local, l’indifférence d’un père par rapport au parcours scolaire de son fils… sont autant d’éléments divers qui apparaissent dans les différents profils détaillés par Géraldine André. Eléments qui expliquent souvent (mais pas toujours) soit un choix conscient/inconscient pour l’enseignement professionnel, soit une réappropriation a posteriori par l’élève d’une orientation forcée par le système scolaire (interdiction de continuer dans l’enseignement de transition (général ou technique) ou dans le technique de qualification). La chercheuse remarque en effet que « l’ensemble des jeunes qui ont été suivis s’approprient leur parcours selon des logiques, des représentations, des valeurs et des dispositions qu’ils ont acquises dans le cadre de leur prime éducation dans la sphère familiale et des relations de proximité »[5]. Ce qui est également remarquable, en particulier chez les garçons, c’est que le choix d’option du jeune est souvent déterminé par le métier du père, ou d’un oncle, ou d’un proche. Ceci est révélé par Miguel Souto Lopez, en référence à une étude[6] menée en 2010 sous la direction de Jean-Emile Charlier : « Parmi les cinquante-cinq élèves interviewés, plus de quarante ont fait un choix d’option de façon hasardeuse, soit « parce qu’il fallait bien choisir quelque chose », soit parce qu’un proche, un parent ou un ami, a fait des études dans telle option ou pratique tel métier »[7].

En fait, les aspirations naturelles (ou le déterminisme social) des jeunes rencontrés par Géraldine André – lesquels sont le plus souvent issus de milieux populaires et dont les parents ont rarement obtenu un diplôme ou une qualification de l’enseignement secondaire – ne sont pas propres à cette catégorie sociale. Une étude semblable menée auprès d’élèves issus de familles dont les parents ont des diplômes de l’enseignement supérieur universitaire ne révèlerait-elle pas d’autres valeurs familiales, lesquelles expliqueraient l’attachement des jeunes à poursuivre dans le général afin qu’eux aussi perpétuent l’expérience, le lien ou le vécu familial ? De la même manière, ne décèlerait-on pas une influence de la famille dans le choix de filière, voire dans le choix d’option ? Et donc, quid de la liberté des individus, de ses aspirations et de l’écoute de ses compétences profondes ? Que penser d’une école qui formate ses élèves en fonction des attendus socio-économiques qui les caractérisent ?

Le choix d’une filière et d’une option dans un système hiérarchisé

Nous pourrions nous arrêter ici et nous dire : « Où est le problème ? Si les uns se destinent plus naturellement vers des métiers intellectuels et d’autres vers les métiers manuels, c’est très bien. Pourquoi s’en inquiéter ? ». Il faut, selon nous, s’en inquiéter pour au moins deux raisons majeures.

Premièrement parce qu’il existe une hiérarchie de fait au sein de notre enseignement secondaire. L’enseignement, à l’heure actuelle, est pensé pour conserver les « meilleurs éléments » dans le général et mener le plus d’étudiants possible au supérieur, et en particulier au supérieur universitaire. C’est le cheminement idéal, avec le doctorat pour point d’orgue. Tout au long de leur scolarité, les élèves qui ne seront pas parvenus à tenir le cap seront aiguillés vers d’autres filières sans que leur correspondance à ces filières n’ait nécessairement été envisagée au préalable. Face à l’enseignement de transition, le qualifiant est a priori jugé plus facile[8]. Le « choix » du qualifiant est donc rarement un choix positif au départ[9]. Ainsi, un Conseil de classe constitué exclusivement d’enseignants du général va décider que tel élève, apparemment inapte à l’enseignement de transition, devra soit doubler (redoublement qui apporte souvent peu de résultats), soit s’orienter vers des filières de qualification (technique et/ou professionnel). Sans que sa capacité à se débrouiller et à s’épanouir dans cet enseignement n’ait au préalable été questionnée. Notamment parce que le premier degré du secondaire est d’abord pensé dans une perspective de poursuite dans le général et que les autres aptitudes y sont peu travaillées et évaluées. Ensuite parce que ces enseignants ne sont pas formés pour juger de ces compétences…[10]. Se retrouvent dès lors au deuxième degré des élèves qui ont été lancés dans un enseignement qu’ils n’ont jamais rencontré jusque-là et qui sont amenés à faire un choix d’option sans information préalable. Résultat : ils papillonnent d’option en option sans trouver ce qui leur convient, perdent en motivation et accumulent du retard scolaire.

La seconde source d’inquiétude découle de la première. Comme le général est considéré comme le « premier chemin » que tout un chacun doit essayer de suivre le plus loin possible et que les intelligences et aptitudes (logico-mathématiques, langagières, mais aussi sociales, artistiques, techniques…) ne sont pas appréciées de manière égale et équilibrée durant le tronc commun, des élèves qui pourraient se révéler et s’épanouir à travers des métiers techniques, sociaux, artistiques… mais qui se débrouillent (parfois sans bonheur) dans le général, ne sont jamais amenés à s’y intéresser. Avec comme préjudice supplémentaire que la société y perd en qualité de main d’œuvre qualifiée potentielle ?

Ouvertures

L’UFAPEC est persuadée qu’il n’y a pas qu’une seule école qui corresponde à chaque enfant. Il y en a cependant certaines qui correspondent mieux que d’autres à tel enfant et certaines qui ne lui correspondent absolument pas. Cela signifie aussi qu’au sein d’une même fratrie, une telle école correspondra davantage pour tel enfant et telle autre sera plus adéquate pour tel autre enfant. De même, un élève pourra « se débrouiller » dans plusieurs options ou plusieurs filières différentes, mais sans doute faudra-t-il régulièrement se demander si le choix opéré est le meilleur pour lui. Pour ce faire, ne faudrait-il pas jeter davantage de ponts entre les options et les filières, tout en prenant en compte les prérequis de chacune d’elles ?

Nous espérons avoir pu susciter l’intérêt et provoqué de multiples questionnements chez le lecteur. Notre objectif, non voilé, était aussi d’insister sur l’attachement de l’UFAPEC à la nécessité de repenser le tronc commun, et particulièrement le premier degré du secondaire dans une perspective davantage pluridisciplinaire qu’aujourd’hui, de retrouver un équilibre entre les options et filières afin d’éviter de biaiser les choix et ainsi parvenir progressivement à un changement des mentalités pour permettre à chaque enfant d’apprendre et de s’épanouir en étant reconnu pour ce qu’il fait le mieux et avec plaisir.

 

Michaël Lontie

 

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[1]LONTIE, M., Nouveau regard sur l’enseignement qualifiant, Étude UFAPEC 31.13/ET1 de décembre 2013 :

http://www.ufapec.be/nos-analyses/3113-etude-qualifiant/.

[2]Cf. à ce sujet : LONTIE, M., La Certification par Unité (CPU) dans le qualifiant : motivation à rester ou motivation à partir ?, Analyse UFAPEC 29.12 d’octobre 2012 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/2912-cpu/.

[3]Nous faisons référence ici aux types et formes de l’enseignement spécialisé.

[4]Le minerval est exclusivement admis dans les écoles non subventionnées, c’est-à-dire à 100% privées.

[5]ANDRE, G., L’orientation scolaire, Coll. Education & Société, Ed. PUF, 2012, p. 72.

[6]SOUTO LOPEZ, M., CHARLIER, J.-E. (dir.), Quelles sont les représentations des parents, enfants et enseignants à l’aube de l’orientation scolaire de niveau secondaire?, Rapport final concernant la recherche menée pour le Comité Subrégional de l’Emploi et de la Formation de Charleroi, 2010, 92pp :

http://www.csefhw.be/images/csefhuy/ipieq_etude_fucam_2010.pdf.

[7]SOUTO LOPEZ, M., Echec et relégations scolaires. Pour une revalorisation de l’enseignement qualifiant, Outil de synthèse aux enseignants de deuxième secondaire de la zone Huy Waremme, FUCAM, p. 6 :

http://www.csefhw.be/images/csefhuy/ipieq_echec_et_relegation_scolaire.pdf.

[8]Cf. SOUTO LOPEZ, M., CHARLIER, J.-E. (dir.), Ibidem, p. 20.

[9]Cf. Ibidem, p. 15.

[10]Cf. Ibidem, p. 15.

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