Analyse UFAPEC mai 2017 par D. Houssonloge

08.17/ Des jeunes plus violents ou une société devenue hypersensible à la violence ?

Introduction

Régulièrement, les médias mettent à la une des faits de violence juvénile : bagarres, vols, agressions notamment avec armes, etc.

Les faits de violence se limitent-ils à une minorité de jeunes ou est-on face à un vrai problème de société ?

L’enjeu sociétal de cette publication est d’analyser les faits et confronter nos représentations pour tenter de répondre aux questions suivantes : y a-t-il plus de violence chez les jeunes ou une violence plus forte qu’autrefois ? Cette violence est-elle un signal d’alarme pour nous dire que notre jeunesse part à la dérive ? Ou sont-ce nos représentations de la violence et de nos rapports à l’autre qui ont évolué ? Est-ce le signe que notre société, sans s’en rendre compte, a revu son seuil de tolérance par rapport la violence et si oui pourquoi ?[1]

Une jeunesse plus violente ?

Une image fréquemment véhiculée dans les médias comme dans la société est celle d’une jeunesse plus violente qu’autrefois. Selon la sociologue Véronique le Goaziou qui a étudié les représentations véhiculées en la matière, on pense qu’il y aurait aussi une augmentation du nombre d’agissements violents chez les jeunes et que les premiers faits seraient commis de plus en plus tôt.[2] Au final, on en arrive à voir les jeunes comme dangereux. Qu’en est-il vraiment ?

Tout d’abord, arrêtons-nous sur la définition de la violence. Le sujet de notre analyse sera centré sur la violence dans les relations interpersonnelles de la vie ordinaire que l’on peut aussi nommer violence sociale[3], laquelle prend d’abord la forme de la délinquance et de la criminalité violente : coups et blessures, homicides, braquages, vols, dégradations, insultes, menaces, rackets, atteintes sexuelles, tortures.[4]

Aujourd’hui, le terme violence qui s’était longtemps limités aux violences physiques désigne aussi les violences psychologiques comme les violences verbales et le harcèlement moral.[5]

Rappelons d’abord que de tout temps, on a craint les jeunes, en évoquant leurs désordres potentiels. Souvent en groupe, extravertis et bruyants, utilisant un langage provoquant même entre eux, les jeunes peuvent faire peur. Dans les faits, ce n’est qu’une très petite partie d’entre eux qui se révèle agressive !

La violence des garçons

D’après les études menées, ce sont les garçons qui restent majoritairement auteurs des actes de violence.[6] Certaines théories attribuent les causes à des facteurs biopsychologiques : la violence des hommes, des mâles même, est inscrite dans leur nature.[7] D’autres théories et l’apport de la sociologie montrent que c’est la distribution des rôles sociaux, et donc l’éducation, qui rendent les hommes et les femmes plus ou moins violents. [8] La question est donc posée : devrait-on éduquer les garçons différemment ?

Toutefois, des études plus récentes montrent que les femmes peuvent aussi faire preuve de violence, les hommes étant dans des agressions plus directes et les femmes dans des agressions indirectes. La violence des filles, elle, est encore peu abordée et taboue dans notre société, sans doute parce qu’elle met mal à l’aise et fait peur. Dans les représentations sociales, la fille est encore d’abord destinée à prendre soin du foyer, de la famille et de l’enfant. Les filles bénéficient, même en la matière, d’une sorte de traitement de faveur (et sont moins condamnées et moins recensées comme auteures de faits violents.[9]

Alors que le harcèlement est reconnu comme une forme de violence et que le cyberharcèlement se développe, ne serait-il pas temps de se pencher un peu plus sur la violence des filles ?

La violence d’exclusion

Les chiffres montrent qu’il y a plus de faits de violence chez les jeunes garçons de milieux précaires.[10] On met ici le doigt sur ce que l’on nomme la « violence d’exclusion » ou la « violence de ségrégation ». Cette violence est aussi plus présente dans les quartiers où ces jeunes grandissent.

Comme l’explique le psychologue Didier Robin, la délinquance est pour beaucoup de jeunes une manière de rechercher une valorisation « négative », transgressive quand une valorisation plus positive ne paraît pas possible. Ces jeunes manquent cruellement d’estime d’eux-mêmes et de pères auxquels ils peuvent s’identifier.[11]

Le sociologue Philippe Vienne fait le même constat dans les écoles ghettos : « tant que le déclassement structurel du métier d’enseignant [entendez par là le manque de dispositifs pour soutenir, outiller et valoriser les enseignants] coïncidera avec des logiques de relégation sociale et scolaire, les « violences » perdureront »[12].

La violence à l’adolescence

Mais les jeunes auteurs de violence ne sont pas seulement issus de milieux précarisés.

C’est que l’adolescent, souvent mal dans sa peau et en quête d’identité, est à l’âge le plus propice pour commettre des infractions et des actes déviants.[13]

Cette violence s’explique notamment par des causes physiologiques. Le changement hormonal rend nos ados à fleur de peau : « C’est ainsi que les ados peuvent devenir agressifs, surexcités, voire violents, irritables ou hypersensibles. »[14]

Les chercheurs et professionnels de l’adolescence, comme Véronique le Goaziou, ont identifié différentes formes de violence propres aux adolescents[15].

  1. Violence pathologique

Elle est en lien avec des troubles du comportement dus à un profond mal-être ou à une détresse du jeune. Ces adolescents ont souvent mal grandi et subi des dysfonctionnements familiaux ou des atteintes psychoaffectives. Cette forme de violence n’est pas nouvelle et elle se transmet souvent de génération en génération.

  1. Violence de provocation

Mal dans sa peau, l’ado cherche à s’affirmer, il contredit les adultes et s’oppose à l’autorité parentale, scolaire... Le psychiatre Jean-Marie Forget explique : « Ce sont des oppositions, des refus de tous ordres, des « contre » qui conduisent à des surenchères de violence, parfois sans limites. »[16]

  1. Violence initiatique

S’il semble bien que cette violence ait toujours existé, les sociétés traditionnelles ont pris soin d’encadrer ce passage difficile de l’enfance à l’âge adulte par des rites initiatiques ou rites de virilité[17]. Dans nos sociétés modernes, cette forme de violence a augmenté et est à mettre en lien avec l’allongement de l’âge de l’adolescence et la disparition progressive de ces rites.

Comme l’explique France Baie, l’appartenance au groupe et le regard des pairs sont décisifs. Se conformer aux règles implicites du groupe joue aussi un rôle important dans cette violence masculine. Passer pour un bouffon, un intello, un bolos (une victime) est une condamnation sociale beaucoup plus lourde que d’éventuelles sanctions scolaires ou judiciaires.[18]

Les chiffres

Que disent les chiffres ? Isabelle Ravier, criminologue de l’Institut National de la Criminalité et la Criminologie, a étudié les bases de données des parquets où la police signale les affaires concernant les mineurs dits « délinquants ». Le constat général est très clair. En Belgique, les faits de violence juvénile sont à la baisse et l’âge des mineurs signalés ne diminue pas ! De quoi bousculer largement les idées reçues et véhiculées.[19]


Dans la figure ci-dessous, l’on voit qu’il y a une diminution du nombre de cas signalés d’environ 20 % en 7 ans.[20]

Le constat est le même dans d’autres pays européens[21].

Les grandes catégories de FQI (Faits Qualifiés Infraction )  concernant les mineurs restent assez stables dans le temps :

·         vols simples (20 %)

·         vols graves (vols avec violence et vols aggravés) (15-16 %)

·         coups et blessures volontaires (15-17 %)

·         destructions, dégradations et incendies (10-12 %)

·         atteintes à l’ordre public (10 %)

·         affaires relatives aux stupéfiants (7-9 %)

·         atteintes à la moralité publique (2 %)

·         homicides et tentatives d’homicides (0,1 %)[22]

Une société hypersensible à la violence ?

Si les faits de violences chez les jeunes diminuent, comment expliquer cette conviction inverse répandue dans les médias comme dans la société selon laquelle les jeunes deviennent de plus en plus violents ?

Des chercheurs en sociologie se sont intéressés à la question[23]. Ils présentent une théorie assez plausible : en réalité, notre société ne supporte plus la violence ! Son seuil de tolérance par rapport aux actes violents est devenu très bas voire proche de zéro.

Ce qui était regardé jadis comme normal ou tolérable devient anormal et intolérable. Ceci concerne l’ensemble des violences sexuelles, les violences conjugales, les maltraitances à enfants, les bagarres entre collégiens, les agressions physiques ou verbales à caractère raciste ou homophobe, les pratiques violentes de bizutages… 

Laurent Mucchielli, 2013 [24]

Qu’est-ce qui a provoqué ce changement de sensibilité ?

La pacification des mœurs

D’après une thèse encore largement soutenue en sciences humaines, nos sociétés contemporaines seraient le fruit d’un long processus de civilisation et auraient permis peu à peu une pacification des mœurs.[25] Mais devant les atrocités commises pendant la seconde  guerre mondiale (indépendamment des violences de guerre) puis durant la colonisation par exemple, on peut émettre des doutes et se poser cette question : est-on moins violent en Occident aujourd’hui parce qu’on est intimement convaincu du respect dû à autrui ou parce que toute forme de violence est de plus en plus interdite et punissable par la loi ?

Le besoin sécuritaire

Alors que la criminalité, tant des adultes que des jeunes, est en recul[26], l’exigence de vivre en totale sécurité n’a cessé d’augmenter. Ce besoin de sécurité révèlerait aussi selon Véronique le Goaziou, des anxiétés sociales réparties de façon différentes en fonction de l’âge, du sexe, du capital éducatif, du lieu de résidence ou des conditions de vie.[27]

La pénalisation et la judiciarisation des mœurs

Notre société a peu à peu pénalisé toute une série de faits qui, jusque-là, étaient tolérés. Des nouvelles incriminations apparaissent comme les actes de torture et de barbarie, la mise en danger d’autrui, le harcèlement... [28]

Devant l’individualisation de notre société et ce que le sociologue Xavier Molénat nomme « l’anonymat grandissant des lieux de vie », le recours à la justice se généralise pour régler toute une série de conflits de la vie sociale.[29]

Répression ou éducation ?

L’évolution de notre société permet de comprendre pourquoi la violence des jeunes fait si peur à certains. Néanmoins, maintenir ces fausses croyances et poursuivre dans une voie sécuritaire risquent bien d’être contre-productif. C’est l’avis de nombreux professionnels : à force d’appliquer une tolérance zéro pour les faits de violence juvénile, on va obtenir l’effet inverse d’autant plus dans une société de consommation qui s’accompagne d’un contexte économique difficile laissant de plus en plus de familles sur le carreau.[30]

Loin de nous l’idée de banaliser ou de minimiser les faits de violence. Il est heureux que le législateur se soit positionné pour qualifier des faits comme le harcèlement ou les insultes. Toute acte violent est à nommer comme tel et doit s’accompagner d’une sanction pour l’auteur et d’une protection voire d’une réparation pour la victime.

Mais une sanction visant un mineur doit être éducative. Est-ce le cas ici ? De nombreuses autres questions subsistent : faut-il judiciariser systématiquement ? Quel suivi pour les jeunes sanctionnés ?

A force de vouloir se protéger, notre société n’oublie-t-elle pas de protéger aussi ses mineurs ? Quel rôle les IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse) [31] et les SPJ (Service de protection judiciaire)[32] peuvent-ils réellement jouer pour réduire les problèmes de violence juvénile ? Plutôt que de sanctionner, voire enfermer, ne devrait-on pas d’abord mettre les moyens en termes de prévention, d’accompagnement et de réinsertion[33] ?

L’UFAPEC est convaincue que c’est en permettant à l’adolescent de se construire et de prendre sa place de futur citoyen que l’on peut réduire les manifestations de violence juvénile. L’UFAPEC est encore convaincue que cela passe par une gestion de l’ensemble des phénomènes d’exclusion et de relégation sociales. Pour ce faire, nos jeunes ont besoin d’adultes présents et cohérents. Le soutien à la parentalité et le soutien des enseignants et autres professionnels de première ligne s’avère prioritaire !

Conclusion

On l’a vu les jeunes ne sont pas plus violents aujourd’hui qu’il y a un siècle. Au contraire, il y a moins de faits de violence juvénile qu’avant, même s’il faut être vigilant face à certaines formes de violence en développement comme la violence initiatique des garçons ou le harcèlement qui concerne aussi les filles.  

Si on peut se réjouir des progrès faits pour lutter et sanctionner la violence sous toutes ses formes, on constate néanmoins que le processus de pacification des mœurs a généré une hypersensibilité à la violence dans nos sociétés modernes. Caractérisées par la (sur)consommation et l’individualisation, nos sociétés ont ressenti un besoin accru d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens.

Mais cette judiciarisation de la violence juvénile montre ses limites. Sanctionner un jeune sans faire de l’éducatif se révèle inefficace et les rend un peu plus hostiles à la société.

Si l’adolescence est un âge de la vie difficile durant lequel le jeune peut exploser comme imploser, c’est aussi l’âge où on a besoin de repères comme de limites claires.

Ce sont d’abord les garçons, les jeunes issus de milieux précarisés et ceux qui ont vécu des traumatismes familiaux et des carences éducatives qui présentent le plus de risque de commettre des actes violents envers autrui comme envers eux-mêmes.

N’y a-t-il pas des choses à repenser dans l’éducation à la non-violence, dans l’éducation plus spécifique des garçons comme dans nos représentations de la virilité ?

Si la protection de l’enfant et de l’adolescent a pu se développer ces dernières décennies, a-t-elle suffisamment de moyens pour être efficace et soutenir les adolescents en difficultés ?

Jusqu’où le législateur permet-il de protéger les jeunes des violences familiales ?

Laisser des quartiers ou écoles ghettos se développer n’est-ce pas aussi assurer le nid de la violence d’exclusion ?

Nous laisserons le mot de la fin à Jean Epstein, psychosociologue : « Cela coûte moins cher d’aider un enfant à se construire que de l’aider à se réparer ».

 

Dominique Houssonloge

 

[1] Nous n’aborderons pas ici les jeunes radicalisés ; cette question vu son importance comme sa complexité est à traiter de façon distincte et dans sa globalité.

[2] Véronique le Goaziou, La violence des jeunes : punir ou éduquer ? Yapaka.be, pp. 5-6

[4]  Jean-François Dortier, Violence de quoi parle-t-on in Sciences humaines, mars 2016, p. 25 etVéronique le Goaziou, op. cit., pp. 9-10

[5] Dictionnaire des Sciences humaines. Sous la direction de Jean-François Dortier, 2008, p. 747 ; Pour en savoir plus, sur la question du harcèlement, lire notamment l’analyse de Bénédicte Loriers 22.16 Harcèlement, une responsabilité individuelle ou sociétale ?

[6] Voir notamment Les hommes sont-ils plus agressifs in Sciences humaines, mars 2016, p. 30 – Voir aussi Véronique le Goaziau, op. cit., p. 31

[8] Op. cit.

[10] Véronique le Goaziau, op. cit., p. 34 - Laurent Mucchielli, Violence de quoi parle-t-on ?  in Sciences humaines, avril 2013, p. 3

[11] Didier Robin, Violence des jeunes et estime de soi in La libre, 24 juillet 2008, p. 3

[12] Philippe Vienne, Comprendre les violences à l’école publié par l’Université de Paix, 20 août 2013

[13] Lire notamment Michaël Lontie, La notion de risque chez les adolescents. Analyse UFAPEC 33.12/ - Alice Pierard, Processus d’individualisation de soi à l’adolescence. Analyse UFAPEC Mars 2013 N°05.13

[15] Véronique le Goaziou, op. cit., pp. 37-39

[16]Jean-Marie Forget, Les violences des adolescents sont les symptômes de la logique du monde actuel. Yapaka, 2007, p. 14

[17] France Baie, Les rites de virilité à l’adolescence sont-ils encore présents dans notre société ? Analyse UFAPEC, 13.16/

[18] Idem

[19] INCC, Isabelle Ravier, Les chiffres de la délinquance des mineurs en Belgique. in Justice et sécurité. Novembre 2015, p. 28 - https://nicc.fgov.be/upload/publicaties/jsjv02fr.pdf 

[20] Op. cit. p. 1

[21] Op. cit. pp. 6-7

[22] Op. cit. p. 10

[23] Véronique le Goaziou, op. cit. - Xavier Molénat, Une société plus allergique à la violence ? in Sciences humaines, n° 204, mai 2009 - Nicolas Journet, L’invention de la violence in Sciences humaines, n° 234, février 2012 – Laurent Mucchielli, Violence de quoi parle-t-on ?, op. cit.

[24]  Laurent Mucchielli, op. cit., p. 2

[25] Martine Fournier, Pacification versus brutalisation in Sciences humaines, avril 2013, p. 1

[26] INCC, Isabelle Ravier, op. cit.

[28] Voir Annexe 1

[31] Voir Annexe 2

[32] Idem

[33] Voir aussi L’enfermement des mineurs délinquants : état des lieux. Analyse CODE. Juin 2011 - http://www.lacode.be/IMG/pdf/Analyse_CODE_enfermement_des_mineurs_delinquants.pdf

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