Analyse UFAPEC mai 2018 par JP. Schmidt

08.18/ Apprendre tout au long de la vie ? Des possibilités pour tout adulte

La curiosité naturelle à l'homme lui inspire l'envie d'apprendre.

Jean-Jacques Rousseau

 

Introduction

Un proverbe italien nous dévoile que nous apprenons du berceau au tombeau. L’apprentissage serait-il donc possible tout au long de la vie ? Apprendre n’est pas réservé qu’à l’école, mais apprendre peut se vivre de manière non-formelle et même être complémentaire à l’éducation formelle[1], représentée par l’école et ses diverses pédagogies.

De la pédagogie traditionnelle, où le maitre détient le savoir et le transmet à ses élèves, aux pédagogies dites « plus actives », où l’enfant est placé au centre du processus de découvertes et d’apprentissages divers, l’objectif semble le même : détenir en bout de course un document, certifiant avoir réussi un parcours. Est-ce que ce document est le plus important ?

Et l’adulte, dans tout ça ? A-t-il une place pour apprendre ? Que vient faire ici l’andragogie ? Qu’est-ce que c’est ? Nous prendrons le temps de cerner sa définition et de formaliser les différences avec la pédagogie. Nous en découvrirons les apports potentiels pour tout individu dans la recherche possible d’être un citoyen en perpétuel questionnement pour soi et la collectivité. Apprendre tout au long de la vie serait-il un plus ? Si oui, en quoi et pour quoi ?

Andragogie versus pédagogie

C'est au début du XIXe siècle que le terme andragogie est employé pour la première fois par Alexander Kapp.[2] Le préfixe, venant du grec anêr, andros, signifie l’homme, le genre humain, l’andragogie est le fait d’enseigner aux adultes. Le concept se distingue de la pédagogie qui est l’art d’enseigner aux enfants. (Du grec paîs =enfant et ágô =guider).

On retrouve le terme andragogie chez Eugène Rosenstock[3] en 1921. Celui-ci souhaite qu'une éducation aux adultes soit pensée, imaginée, construite grâce à des enseignants compétents et ce, basé sur une philosophie propre. En 1926, une association américaine[4] réfléchit à la question de l'éducation des adultes. Deux courants sortent du lot. Le premier, imaginé par Edward L. Thorndike[5], montre que les adultes ont encore la capacité d'apprendre. Le deuxième, pensé par Edward C. Lindeman[6], démontre que l'éducation des adultes doit être envisagée sous l'angle des vécus situationnels répondant aux besoins et aux centres d'intérêt des futurs apprenants. L'élément clef, c'est l'expérience des apprenants. Plus tard, Roger Mucchielli[7] affirme qu'il faut prendre en compte certaines caractéristiques de l'adulte dans son apprentissage. L'adulte est quelqu'un de rigide et de résistant aux changements. Pas question pour lui de retourner à l'école, d'apprendre par cœur ou d'être jugé, il aura plutôt besoin de répondre à un objectif immédiat par des mises en situations pratiques faisant référence à ses expériences propres. Il sera indispensable, pour lui, de lier théorie et pratique. Enfin, Malcolm Knowles[8] se forgera une opinion bien claire selon laquelle l'adulte n'est à l'aise dans l'apprentissage que si le cadre dans lequel il se trouve reste confortable, malléable, sécurisant et surtout informel. Pour lui, tout doit être basé sur l'apprenant et moins sur les contenus. Il définira l'andragogie comme l'art et la science d'aider les adultes à apprendre. Il définira surtout l'andragogie comme l'antithèse de la pédagogie.

Alors andragogie versus pédagogie ? Ce petit tableau[9] éclaire les spécificités de chacun.

 

 

Modèle pédagogique classique

Modèle andragogique

Raisons d’apprendre

L’enfant a le devoir et l’obligation d’apprendre pour progresser dans la vie. Il apprend pour avancer jusqu’à l’étape suivante.

L’adulte apprend quand il ressent le besoin d’en savoir davantage ou d’être plus efficace. Il veut comprendre pourquoi il le fait, comment le processus se met en place et à quoi cet apprentissage va lui servir.

Attentes et besoins

Ils sont identifiés par le formateur/l’enseignant.

L’apprenant adulte peut diagnostiquer ses attentes et besoins par rapport au processus de formation, parfois accompagné par le formateur/responsable.

Relation pédagogique

L’enfant est dépendant de l’enseignant ou du formateur qui conçoit le processus, impose le matériel et détient le savoir.

L’adulte est autonome et responsable par rapport au formateur. Ce dernier est facilitateur de l’apprentissage, crée un climat de collaboration, de respect et d’ouverture. Il accompagne le processus de changement.

Ressources mobilisées

 L’apprenant a à priori peu de ressources   mobilisables. Elles ne sont pas toujours   prises en compte.

L’expérience de l’adulte et celle de ses pairs est une des ressources indispensables du processus d’apprentissage.

Apprentissage

 Il est basé le plus souvent sur des   contenus à maîtriser et des savoir-faire à   reproduire.

Il est centré sur une tâche ou une situation-problème à résoudre. Il débouche sur des pistes d’action à transférer dans la pratique de terrain


Les apports de l’andragogie

Ce tableau nous montre que l’éducation des adultes diffère incontestablement de l’éducation des enfants et des adolescents. L’adulte se veut être une personnalité structurée, affranchie, faite d’expériences diverses, riches, enthousiasmantes ou bien compliquées et douloureuses. L’éducation ne s’arrête pas à la connaissance, mais ouvre un champ infini à la construction constante de l’être humain. La réflexion première trouve écho dans le doute, dans le questionnement. Suis-je satisfait de ce que je suis ? Suis-je prêt à être bousculé ? Suis-je prêt à changer ? Le pas franchi : Oui j’ose me former seul ou avec d’autres... Alors l’andragogie doit répondre par des méthodes pédagogiques adaptées aux spécificités de l’adulte.

Les conditions des situations d’apprentissage doivent être imprégnées d’humanisme :

  • Favoriser un climat d’apprentissage informel, détendu, égalitaire, convivial, centré sur l’estime de soi, le désir de collaboration et les besoins des apprenants ;
  • Permettre la référence de l’adulte à ses expériences qui constituent une ressource riche et fait appel à son autonomie, sa capacité d’adaptation au changement, sa motivation intrinsèque.[10]

Apprendre en tant qu’adulte prend tout son sens. L’andragogie se fonde sur plusieurs principes élémentaires :

  • L’adulte a la capacité d’apprendre toute sa vie : l’adulte apprend en continu, toutes expériences nouvelles sont autant d’opportunités à saisir pour apprendre.
  • Le besoin de savoir pourquoi il doit apprendre est capital : pouvoir avoir des réponses à « à quoi ça sert ? » en vue de valoriser sa pratique dans la vie sociale et professionnelle.
  • L’adulte a conscience d’être responsable de ses décisions : quand l’adulte utilise ses compétences transversales pour gérer son travail, il reste responsable de sa formation.
  • L’adulte est fait d’expériences. Cela mérite d’être valorisé : pouvoir mobiliser et utiliser les ressources de l’apprenant pour laisser une place à un nouvel apprentissage.
  • L’orientation de l’apprentissage se fait autour de la vie à partir d’une tâche ou d’une situation-problème : l’adulte apprendra mieux s’il peut transférer ce qu’il a appris directement en situation et, tout simplement, dans sa vie de tous les jours.
  • La motivation à apprendre est constituée de pressions internes : l’adulte en formation trouve son énergie en lui-même pour apprendre, pour se former.[11]

Le formateur aura, dès lors, plus un rôle de facilitateur, de médiateur entre le contenu et l’adulte apprenant, mais aussi sur la relation entre les participants. Il encourage, il stimule, il relance. L’apprenant apprend à s’auto-évaluer.  L’être humain est très complexe, nous sommes cependant probablement tous d’accord pour dire qu’il possède une grande capacité de réflexion et de créativité. L’application des principes d’andragogie encourage ce processus de réflexion et de créativité ; stimulant ainsi chez l’apprenant son besoin intrinsèque de se dépasser et par conséquent établit les fondements du changement de comportement et l’adoption de nouvelles attitudes. [12]

Pourquoi apprendre tout au long de la vie ?

Etre en phase avec soi-même, son entourage proche et la société, s’apparente bien souvent à un chemin de croix, en particulier dans le monde d’aujourd’hui qui évolue de plus en plus vite. L’éducation répond sans doute à rendre moins rude ce chemin. Apprendre chaque jour pour toute personne dans une situation volontaire ou non fait partie de notre société contemporaine. Cela nous permet de nous adapter avec plus ou moins de facilité aux changements continuels auxquels nous sommes soumis. L’apprentissage peut se trouver partout, tout le temps. L’éducation et la transmission reçues au sein du foyer familial sont les premiers vecteurs de découvertes et d’apprentissages essentiels et très variés. L’éducation formelle reste du ressort de l’institution scolaire : on formalise, on encadre l’apprentissage. L’école devrait pouvoir éviter le nivellement et l’uniformisation des personnes car chaque enfant est riche de sa singularité[13]. L’éducation non-formelle est aussi présente, mais à l’initiative de chaque citoyen, futur apprenant, et donc limitée aux ressources propres à chacun.

En 1792, Nicolas de Condorcet[14] évoquait déjà la formation des adultes. L'instruction doit être universelle, c'est-à-dire s'étendre à tous les citoyens. Elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système entier des connaissances humaines, et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances et d’en acquérir de nouvelles.[15] Ce courant de pensée se répand et, au XIXe siècle déjà, apparait la notion d’éducation populaire en Belgique, qui sera officialisée dans les années 1920 par des arrêtés royaux[16]. Les différents piliers de la société belge s’en emparent pour promouvoir le développement individuel des personnes et le développement social communautaire[17]et ce, en complément à l’instruction scolaire. Dans ce cadre, les associations se multiplient et se diversifient tant du côté catholique que socialiste ou libéral. Dans les années 1970, l’éducation populaire devient « éducation permanente », avec le souci de concerner tous les citoyens, et plus seulement les milieux dits « populaires ». Les associations d’éducation permanente sont soucieuses d’une émancipation citoyenne de tous les publics tout en restant particulièrement attentives aux publics socio-culturellement défavorisés.

Dans le cadre du décret, adopté en 2003, l’éducation permanente en Fédération Wallonie-Bruxelles reste à bien des égards spécifiques dans l’espace européen, par sa démarche, par son inscription dans le champ de la culture et par la politique de reconnaissance et de soutien structurel par les pouvoirs publics. L’originalité de cette démarche culturelle est en outre proche de préoccupations et d’enjeux qui trouvent actuellement une large réceptivité tant en Belgique qu’en Europe, via "l’éducation non formelle", "l’éducation à la citoyenneté" ou encore "l’éducation tout au long de la vie".[18]

Par son avis n°112[19], le Conseil de l’Education et de la Formation (CEF) se positionne sur la Bildung qu’il place au cœur de l’éducation. Le concept de Bildung englobe une somme individuelle de connaissance et d’expérience en relation avec celles de la collectivité et incluant donc l’esprit critique, développées tout au long de la vie et constituant la culture générale d’un citoyen du XXIe siècle. Ce concept renvoie donc à ceux d’éducation et d’humanisme.  La Bildung est donc le résultat d’un processus d’éducation tout au long de la vie.

Le cadre est mis. Il n’y a plus qu’à... susciter la démarche d’apprendre, qu’elle soit implicite ou explicite. Il est vrai qu’apprendre à apprendre doit être éveillé le plus tôt possible afin de rendre l’individu le plus autonome possible. Chacun apprend à sa manière par choix, par obligation, par utilité, par nécessité et aussi par plaisir. Notre société contemporaine exige des citoyens, l’excellence, la formation continue, pour faire perdurer son bon fonctionnement démocratique. Se former, s’informer, réagir, interroger font partie intégrante d’un apprentissage vécu à tout âge, sous peine d’être dépassé, déclassé, de subir les évolutions de notre société et d’en devenir des marionnettes passives. L’invitation à « apprendre tout au long de sa vie » implique pour les individus non seulement le développement de compétences nouvelles, « mais également des attitudes de mobilisation, de prise de responsabilité, de risque et d’initiatives ».[20]

L'homme veut voir. La curiosité dynamise l'esprit humain.[21] Ne serions-nous pas curieux de tout à tout âge et à tout moment selon nos aspirations personnelles ? Nous continuerions à apprendre, car en tant qu’humains, nous posséderions cette capacité de se projeter dans l’avenir et miser sur lui. Apprendre, ce n’est pas simplement accumuler les savoirs du passé, c’est aussi une promesse pour demain.[22]

Conclusion

En tant qu'association d'éducation permanente reconnue, l'UFAPEC propose des analyses et études[23] visant la réflexion et la prise de conscience des enjeux de société autour de la politique et des institutions de l'éducation, de l'enseignement et de la fonction éducative des parents. A la lecture des missions de l’UFAPEC, celle-ci est soucieuse, en autres, d’aider les parents à échanger leurs idées, leurs problèmes, leurs solutions, mais aussi d’alimenter la réflexion sur le système scolaire, la société, les institutions et enfin de créer et donner des outils nécessaires à l’information et à la prise de conscience des parents. Les parents sont une grande part des adultes qui font la société.

Le désir d’apprendre est naturel. Aristote comme Saint Augustin l’ont philosophiquement démontré. L’école, au même titre que la famille, reste la première étape de ce processus. Les travaux du Pacte d’excellence, entre autres, par la mise en œuvre possible du tronc commun[24], ont défini sept domaines d’apprentissage dont deux essentiels et transversaux à savoir la créativité, l’engagement et l’esprit d’entreprendre ainsi que la nécessité d’apprendre à apprendre et à poser des choix. Le jeune, au sortir de l’école pourra, nous l’espérons, construire et enrichir sa vie d’adulte. Il pourra tirer des enseignements de ses expériences et identifier ses affinités et ses projets de vie.

Le désir et le besoin d’apprendre à tout âge sont devenus un impératif sociétal, afin que chaque citoyen soit en connaissance de cause, acteur de sa propre vie et acteur de l’environnement dans lequel il se trouve. Il est essentiel de faciliter accès et opportunités à ces apprentissages pour tous les citoyens quel que soit leur situation et leurs moyens.

 

 

J.-Ph. Schmidt

 

 

 


[1] J.-Ph. Schmidt, Education formelle et non-formelle, complémentaires ? Analyse UFAPEC n°2.17 http://www.ufapec.be/nos-analyses/0217-education-formelle-non-formelle.html

[3] Historien et philosophe allemand (1888-1973) https://en.wikipedia.org/wiki/Eugen_Rosenstock-Huessy.

[4] American Association For Adult Education.

[5] Psychologue américain (1874-1949) https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Thorndike.

[6] Professeur américain (1885-1953) https://en.wikipedia.org/wiki/Eduard_C._Lindeman.

[7] Psychopédagogue français (1919-1981) https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Mucchielli.

[8] Professeur Américain (1913-1997) https://en.wikipedia.org/wiki/Malcolm_Knowles.

[9] Zoom 2.0, Réseau des formateurs de jeunesse, Asbl Résonance, 2016, n°75 p. 11.

[11] Résonance Asbl, L’andragogie, Ancrage n°1, février 2015, p. 18.

[12] Résonance Asbl, L’andragogie, Ancrage n°1, février 2015, p. 10.

[13] B. Loriers, Comment susciter le désir d’apprendre ? Analyse UFAPEC n°09.14

http://www.ufapec.be/nos-analyses/0914-desir-d-apprendre.html

[14] Mathématicien philosophe français (1743-1794).

[15] Condorcet, Rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique, avril 1792.

[16] Un arrêté royal du 5 septembre 1921 signé par Jules Destrée va déterminer les conditions d’octroi de subventions à des “œuvres complémentaires à l’école”. A partir de ce moment-là, les initiatives d’éducation populaire se multiplient. La notion d’éducation permanente va s’imposer petit à petit.

[20] M. Fournier, Apprendre tout au long de la vie, Les grands dossiers des sciences humaines, n° 41.

[21] Gaston Bachelard (1884-1962).

[22] J.-F. Dortier, D'où vient le désir d’apprendre ? Les grands dossiers des sciences humaines, n° 41.

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