Analyse UFAPEC 2011 par A. Floor

09.11/ La médiation prend de plus en place dans notre société : pourquoi, comment, jusqu’où.

La médiation est une démarche de révolte saine et de recherche d’une solution dépassionnée, conforme au droit et incontestable.

La médiation modes d’emploi

Introduction

Employeur et salarié, collègues, voisins, parents et enfants, mari et femme, propriétaires et locataires, … nous sommes en lien, unis par de multiples engagements de cœur, d’intérêt, par des contrats, des proximités de voisinage, de culture, … Ces liens peuvent se tendre et mener au conflit. Dans un mouvement de révolte contre l’injustice de ce qui arrive, la tentation est grande de demander justice, de poursuivre ce partenaire d’hier devenu adversaire aujourd’hui. Les avocats, les juges et la loi sont un recours et une sécurité essentiels, cependant l’action en justice se révèle dans les faits longue, complexe, coûteuse, déresponsabilisante. Les avocats dépossèdent les parties du conflit, se font leurs porte-paroles dans un langage juridique parfois abscons. L’affaire est finalement résolue, mais chacun a-t-il pu finalement se faire entendre de l’autre, l’écouter et se retrouver lui-même ?

Naissance de la médiation en Belgique : contexte historique et juridique

La médiation a d’abord vu le jour aux Etats-Unis et au Canada il y a près de trente ans. Aujourd’hui elle est appliquée dans la plupart des pays européens et est largement soutenue par la Commission des Communautés Européennes.
En Belgique, la médiation familiale a été la première forme de médiation civile reconnue dans le cadre légal grâce à la loi du 19 février 2001. En 2005, la médiation a été intégrée dans notre système judiciaire qui a créé un titre général en fin du Code judiciaire, comprenant toutes les médiations civiles. La médiation bénéficie donc de la même légitimité que la procédure judiciaire et l’arbitrage dans toutes les matières civiles (en plus de la médiation familiale, la médiation est étendue aux matières commerciales et sociales). Cela signifie concrètement que le protocole d’entente signé par les parties devant le médiateur est reconnu par la Justice.[1] L’accord conclu en médiation aura donc la même valeur qu’un contrat : il est la loi des parties et si elles le souhaitent un juge peut l’homologuer et lui donner ainsi une force exécutoire. Si une partie n’exécute pas ses engagements, l’autre pourra alors l’y contraindre et un juge pourra éventuellement sanctionner le non-respect de l’accord.

Pourquoi recourir à la médiation plutôt qu’à une action en justice ?

Il y a de multiples raisons à l’émergence de ce nouveau mode de résolution des conflits ; une transformation du rapport qu’entretient notre société avec les lois, la justice et l’Etat ainsi que la vision plus personnelle, individuelle que se font les individus de leur vie familiale, sociale.

La conception de l’acte de juger a évolué au cours du 20e siècle.

Classiquement, l’acte de juger est exclusivement organisé autour du concept de règle : le droit est un système de règles et lors du jugement la loi prime sur tout autre élément. Mais les mentalités au cours du vingtième siècle vont évoluer et la loi ne sera plus inaltérable, immuable mais bien vécue comme faisant partie d’un contexte. Le droit devient un processus, un discours situé projetant un sens toujours recomposé[2]. L’idée se développe petit à petit que l’application d’une règle suppose la compréhension d’un contexte. Juger, ce n’est plus simplement appliquer, presque mathématiquement, un certain nombre de règles, c’est le résultat d’un processus. Le juge et la règle perdent petit à petit leur monopole et le citoyen tend à prendre une place plus active dans le conflit. Par ailleurs, les procédures judiciaires sont longues et coûteuses … L’arriéré judiciaire n’a plus de secret pour personne. En matière commerciale, plus de 30 % des jugements ne sont pas exécutés, notamment parce que la partie condamnée est devenue insolvable. En matière pénale, la prison ou l’amende sont fortement remises en cause du point de vue de leur utilité : récidive, pas de réelle réparation pour les victimes…
 
Etre vainqueur ne veut pas dire forcément que l’on est gagnant
L’idée qu’au cours d’un conflit, les gains de l’un entraînent nécessairement des pertes pour l’autre est une croyance qui bien souvent fait obstacle dans le processus de médiation[3]. Tout le travail du médiateur sera de rechercher les intérêts en présence et d’aider les personnes à trouver leur solution, qui soit satisfaisante pour chacune d’elles et qui vise à résoudre leur conflit de manière durable. Le médiateur ne vient en aucun cas proposer des solutions aux parties, il reste impartial, il sert de médium pour relancer la discussion et la réflexion. Comme le précise Monique Stroobants : le médiateur doit être et rester un professionnel impartial. Il est là pour faciliter la discussion et pour guider la réflexion, mais il ne peut jamais prendre les décisions à la place des personnes concernées. Il ne peut donc ni juger, ni donner de conseils. Les décisions, ce sont les parties en présence qui doivent les prendre elles-mêmes[4].
On s’extrait donc par la médiation de la logique habituelle gagnant-perdant[5]. En effet, dans le cadre d’une procédure judiciaire, le juge tranche en droit, d’abord, et en équité, ensuite, après avoir entendu les parties ou leurs conseils, qui vont s’exprimer dans une logique de combat. L’état d’esprit est : j’ai raison, il a tort. Le juge va le confirmer.[6]
Dans le cadre d’un arbitrage, l’arbitre va aussi trancher en droit et en équité comme le juge et sa sentence s’impose aux parties. Tout se déroule dans la même logique de combat que face aux tribunaux, la seule différence réside dans le fait que l’arbitre est choisi par les parties, contrairement au juge.
La médiation est un autre processus de gestion des conflits mis en mouvement par les parties elles-mêmes, en toute liberté et indépendance. Les parties demandent l’aide d’un tiers qu’elles choisiront. Celui-ci va les aider à trouver une solution durable à leur conflit, sa fonction essentielle sera de faciliter la communication entre elles sur base d’une méthodologie propre à la médiation.
 
La médiation humanise le règlement du conflit : Le travail sur le lien est l’essence de la médiation. Elle consiste à mettre les gens debout pour négocier.
 
La médiation est un processus sur mesure qui s’adapte à la personnalité et aux problèmes particuliers de chaque acteur alors que les lois sont générales et ne tiennent pas compte des particularités des êtres humains ni des circonstances. Le processus de la médiation aboutit, grâce à une approche plus globale de la relation entre les personnes, à traiter non seulement le litige mais aussi le conflit sous-jacent, et à vider les aspects émotionnels à long terme.[7]
La médiation laisse la possibilité à chacun de garder la maîtrise des problèmes relationnels vécus. Il n’y a pas d’expert pour imposer son analyse de la situation ni décider pour autrui comme le ferait un juge ou un arbitre. J’évite ainsi l’aléa majeur de tout procès dont je ne peux ni prédire ni maîtriser l’issue.[8]
La médiation invite à s’expliquer par les mots, les gestes, les émotions. Dans le cadre d’une médiation familiale, toutes les dimensions (psychologique, émotionnelle, psychosociale, juridique, économique,…) sont prises en compte alors que dans un procès traditionnel, l’impact des émotions sur les prises de décision est souvent ignoré. Selon Justin Levesque, le climat de neutralité, de respect et d’écoute qui règne en médiation peut aider ces personnes à rester ou à redevenir rationnelles et objectives, alors que les procédures de type « adversaire » les en empêcheraient.[9] La médiation aide à désamorcer le conflit émotionnel pour récupérer ensuite un comportement et une capacité de négociation et de prise de décision adaptés à la situation objective du couple et des enfants. Le médiateur, tout en permettant l’expression des sentiments des parties, recentre continuellement la discussion sur l’avenir et l’organisation future. Les parents connaissent mieux les besoins et les habitudes de leurs enfants qu’un juge. Selon Laura Cardia-Voneche et Benoît Bastard[10], le travail réalisé par le médiateur au niveau du lien parents-enfants responsabilise les deux parents et contribue au respect des engagements pris en ce qui les concerne tant du point de vue éducatif qu’économique.
 
Quelques chiffres
Toutes les études s’accordent pour souligner que la médiation favorise généralement la résolution des conflits, de manière acceptable par les deux parties. En 1995, les recherches d’Irving et Benjamin démontrent que 40 à 60 % des personnes qui recourent à la médiation familiale aboutissent à des accords complets et 10 à 20 % à des accords partiels. Le atux d’accord varie donc de 50 à 80 %[11]. Il a été observé, notamment dans les affaires judiciaires et les divorces, que la médiation entraîne un plus grand respect ultérieur des accords adoptés.[12]
On constate par ailleurs que la médiation peut faire tache d’huile ; Jean-Pierre Bonafé-Schmidt, chercheur au CNRS, rapporte que, suite à une formation en médiation dans une école, un élève de 5ème année a demandé à l’équipe de recherche s’il pouvait garder le texte du jeu de rôles auquel il avait participé. Il voulait l’utiliser pour régler les problèmes avec ses copains du quartier[13].

Médiation pénale

La médiation pénale a vu le jour en Belgique par l’intermédiaire de la loi du 10 février 1994 qui a instauré une procédure de médiation pénale. L’objectif visé est d’aider les parties à parvenir d’elles-mêmes à un accord concernant les modalités et les conditions permettant l’apaisement et la réparation (art.3ter du Code d’instruction criminelle). Ce glissement du modèle de la « punition » vers celui de la « réparation » traduit une vraie évolution de nos politiques pénales[14]. Les médiateurs amènent chacun des protagonistes à s’interroger sur les raisons profondes du passage à l’acte, sur les souffrances endurées par la victime… pour aller au-delà de la simple compensation du préjudice. Le médiateur crée un espace de parole qui autorise la victime et l’auteur à s’expliquer sur leurs attentes et leurs motivations, à analyser les faits et les conséquences. La médiation pénale peut aboutir à une réparation matérielle mais aussi morale et émotionnelle pour la victime et à une plus grande responsabilisation de l’auteur. Rétablir la parole pour reconstruire du lien comme le dit très justement Alain Bentolila : à nos enfants, nous devons apprendre que la langue n'est pas faite pour parler seulement à ceux que l'on aime, mais qu'elle est faite surtout pour parler à ceux que l'on n'aime pas. C'est en leur transmettant avec autant de bienveillance que d'exigence les vertus pacifiques du verbe que l'on peut espérer qu'ils en viennent aux mots plutôt qu'aux mains.[15]

Ombudsman et autres

Parallèlement à la médiation civile instaurée juridiquement en 2005, il est né un ensemble de formules de règlements de conflits qui portent le nom de médiation mais qui n’en sont pas au sens strictement juridique du terme.
Ces initiatives sont cependant intéressantes dans la mesure où elles privilégient un règlement souple, rapide et à moindres frais ainsi qu’une meilleure communication entre les parties.
Les services de médiation ou d’ombudsman au sein des banques, des compagnies d’assurances, de la télécommunication, dans certains secteurs de vente ou la médiation administrative au sein des Communautés, des Régions, des administrations fédérales sont en réalité des organes de traitement des plaintes qui tendent à la conciliation et à un contrôle de qualité. Certains peuvent avoir un rôle d’arbitre et donner des avis ou des recommandations comme par exemple l’ombudsman des assurances.
L’ombudsman public n’est pas là pour favoriser le citoyen, mais pour servir de médium entre trois interlocuteurs différents : le citoyen qui occupe la place centrale, le monde politique (le Parlement et le gouvernement) et l’administration avec laquelle il doit collaborer pour trouver des solutions. On observe là aussi une évolution de la relation entre administration et citoyen, celui-ci ne veut plus se limiter à être un usager passif mais entend de devenir participant actif au pouvoir administratif. Il veut un bon service et est devenu exigeant.[16]
Les médiateurs investissent également le monde scolaire depuis de très nombreuses années, nous étudierons dans une analyse suivante les différentes formes de que peut prendre la médiation dans nos écoles.
 

Conclusion

La médiation n’est bien sûr pas le seul outil pour régler les conflits. Il présente aussi ses faiblesses ; il subsiste en effet de 20 à 25 % de médiations qui n’aboutissent pas à un accord final. Par ailleurs, il ne peut y avoir de médiation que s’il y a accord des deux parties sur le choix du processus. Or ce consensus initial est parfois très difficile à obtenir. Par ailleurs, la médiation n’est équilibrée que si l’une des parties n’a pas trop l’ascendant sur l’autre. Louise Taymans dans son mémoire sur la médiation familiale insiste sur les limites de la médiation familiale : Il faut rappeler que, dans des situations de violence conjugale ou d’autres formes de déséquilibre important entre les parties, il est essentiel que le médiateur diagnostique ces zones de déséquilibre afin d’éviter qu’elles soient cristallisées dans un accord. Par ailleurs, le médiateur doit avoir conscience des limites de sa pratique et pouvoir admettre que, dans certains cas, les écarts de pouvoir seront tels qu’il est préférable de ne pas entamer de médiation ou d’y mettre un terme, et de renvoyer les parties vers le système judiciaire[17].
Ce qui fait la particularité et la force de la médiation (la négociation, l’arbitrage, la procédure judiciaire) …est la place faite à l’expression des émotions. Et elle est vraiment essentielle pour permettre à chaque protagoniste de pouvoir passer ensuite à une parole plus raisonnée. De même, en restituant la responsabilité aux intéressés, les médiateurs deviennent des acteurs sociaux à part entière en renouant des liens sociaux, en réduisant ou éliminant le conflit à l’avenir, en rétablissant une solidarité de proximité.
Nous ne pouvons qu’adhérer à la conclusion de Louise-Marie Henrion : La connaissance de cet outil est bénéfique pour chacun de nous, qui que nous soyons, car nous sommes tous confrontés dans notre quotidien à des occasions de conflits que les principes de la médiation peuvent nous aider à dépasser. Par ce chemin, nous contribuerons chacun à une pacification autour de nous, qui servira l’ensemble de la communauté.[18]
 
 
 
Anne Floor
 
 
 

 

 

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[2] J. De Munck, La médiation en perspective, Les carnets du centre de philosophie du droit, UCL, Louvain-la-Neuve, 1993.
[3] http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=13783 J. Lecomte, Pour en finir avec les conflits, Article de la rubrique « médiations et négociations », Mensuel N° 84, juin 1998.
[4] Monique Stroobants est médiateure, pionnière de cette discipline et membre de la Commission fédérale de médiation.
[5] Voir annexe en page 7.
[6] L-M Henrion, Président du Tribunal de commerce de Namur, newsletter du portail du droit belge, mars 2011.
[7] L-M, Henrion, op.cit.
[8] Collectif, La médiation modes d’emploi, A2C médias, Paris, 2007, p.15.
[9] J. Levesque, Méthodologie de la médiation familiale, Erès, Canada, 1998.
[10] B. Bastard et L. Cardia-Voneche, Le divorce autrement : la médiation familiale, Alternatives sociales, Syros-Alternatives, Paris, 1990.
[11] H. Irving et M. Benjamin, Family Mediation : Contemporary Issues, Sage, bevely Hills, 1995.
J. Lecomte, Pour en finir avec les conflits, Article de la rubrique « médiations et négociations », Mensuel N° 84, juin 1998.
[13] J-P. Bonafé-Schmitt, La médiation scolaire : un processus éducatif ?, Revue de psychologie de la motivation, 1er semestre 1996.
[14] J-P. Bonafé-schmitt, J. Dahan, J. Salzer, M. Souquet et J-P. Vouche, Les médiations, la médiation, Eres, 2003, p.26.
[15]Alain Bentolila, Le Verbe contre la barbarie. Apprendre à nos enfants à vivre ensemble. Odile Jacob, 2008.
[17] L. Taymans, les enjeux contemporains du développement de la médiation familiale, Institut de la Famille et de la Sexualité UCL, septembre 2003, p.47.
[18] L-M Henrion, Président du Tribunal de commerce de Namur, newsletter du portail du droit belge, mars 2011. http://www.droitbelge.be/news_detail.asp?id=652

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